Interview de M. Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, à "France 2" le 10 décembre 2008, sur le projet de budget pour 2009 et notamment la proposition d'amendement parlementaire de supprimer une demi-part fiscale pour les parents isolés n'ayant plus d'enfant à charge.

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Média : France 2

Texte intégral

O. Galz.- Vous n'avez pas beaucoup dormi, merci d'être avec nous. Jusqu'à 03h00 du matin, vous étiez au Sénat pour défendre le projet de loi 2009. On va parler d'un amendement que vous avez défendu et qui a été voté par les sénateurs, il prévoit de supprimer la ½ part fiscale pour les parents isolés, lorsque les enfants ne sont plus à charge. Vous considérez que c'est une mesure qui est juste ?

C'est une mesure qui a été votée aussi par l'Assemblée nationale, d'ailleurs, mais avec des modalités différentes, qui a été votée par le Sénat, amendée par rapport à l'Assemblée nationale, c'est une longue histoire. C'est une mesure qui est plutôt considérée comme juste, oui, parce que si vous avez... si vous divorcez, si vous vous séparez, in fine avec des enfants qui ne sont plus du tout à votre charge, vous avez élevé des enfants...

On perd la part fiscale, oui.

... à ce moment là, vous avez des parts fiscales supplémentaires, une ½ part pour chacun, et si vous restez en couple, vous ne l'avez pas. Donc, c'est presque une prime à la séparation qui est faite. Et ça avait été quelque chose qui avait été créé historiquement après la guerre, pour des raisons...

Pour les veuves de guerre, mais enfin...

... pour des personnes qui avaient perdu quelqu'un à la guerre. Donc ça fait très longtemps que l'on essaie de regarder, quelles que soient les majorités, comment essayer de rendre les choses plus justes. Evidemment, quelqu'un qui élève un enfant seul ou qui a élevé un enfant seul, garde cet avantage.

Le problème que ça pose, c'est que ces foyers isolés, souvent, sont des femmes qui sont seules, donc revenus modestes, un seul revenu. Est-ce que vous considérez qu'en cette période de crise, c'est politiquement opportun d'enlever du pouvoir d'achat à ces ménages ?

Non, ce n'est souvent pas le cas. En fait, c'est une niche fiscale, donc, vous voyez, très souvent on vous interroge sur la réalité ou plutôt l'opportunité de niches fiscales, c'est un avantage fiscal qui est donné. Il faut faire attention quand on donne des avantages fiscaux, qu'ils ne soient pas injustes par rapport à d'autres catégories de populations. Monsieur et madame Durand, qui ont élevé un enfant, qui a 30 ans, ou 40 ans, l'enfant, et qui vivent ensemble, ils n'ont pas d'avantages fiscaux. Monsieur et madame Durand qui divorcent, et l'enfant a toujours 30 ou 40 ans, c'est-à-dire qu'il n'est pas du tout en charge, il n'y a pas de charge en face, il faut bien regarder cela ; quand il y a une charge, il y a une défiscalisation, mais il n'y a pas de charge en face, l'enfant peut avoir 30, 40 ou 50 ans, si les parents divorcent à un moment donné, ils ont chacun une ½ part supplémentaire. Mais on verra. Je pense que le Sénat et l'Assemblée nationale se réunissent à nouveau, c'est une initiative des parlementaires...

Ils ne sont pas très pour, en tout cas dans votre groupe, monsieur Copé, à votre place, disait hier : je ne crois pas que ça soit très opportun en temps de crise, d'enlever du pouvoir d'achat aux foyers modestes.

Je pense que ce n'est pas la question qu'il faut se poser, il ne faut pas la poser...

C'est ce qu'il a dit, lui.

Oui, oui, non, mais je respecte ce que dit J.-F. Copé, mais il ne faut pas poser la question comme ça. Ce n'est pas parce qu'il y a une crise qu'il faut arrêter tout et notamment éviter d'essayer de rendre plus juste notre fiscalité. C'est difficile, le travail sur les niches fiscales c'est très, très difficile, il y a des avantages qu'il faut confirmer, il faut en donner d'autres, il faut en supprimer d'autres qui n'ont plus cours, parce qu'historiquement ou parce que.... c'est un système déviant, c'est un système... il ne faut pas hésiter à essayer de rendre les choses plus justes et là ce n'est pas le cas. Alors, je sais bien que c'est peut-être plus démagogique de laisser aller, mais ni le Sénat, ni l'Assemblée, ne l'a souhaité. Alors, s'il y a des modalités qu'il faut retravailler, je pense que les sénateurs et les députés trouveront des modalités, bien sûr.

En tout cas, vous avez un gros enjeu, puisque vous avez 1,7 milliard à gagner sur cet amendement...

Non, parce que ce n'est pas... 1,7 milliard, c'est la dépense fiscale sur ce dispositif, mais il va continuer à s'appliquer pour nombre de familles et puis la suppression qui a été proposée par le Sénat, je le rappelle, s'étale sur dix ans, s'étale sur dix ans, donc il n'y a pas d'inquiétude pour les gens.

Alors, votre projet de loi de finance qui est en ce moment à l'étude, a été révisé déjà deux fois. Il fait part d'un déséquilibre assez fort entre les recettes et les dépenses. 57 milliards de déficit, est-ce que ça prend en compte le plan de relance annoncé par N. Sarkozy, de 26 milliards ?

Non. Le plan de relance, il va d'ores et déjà intégrer le vote des parlementaires, à partir de maintenant, puisque vous avez le budget de l'Etat qui a été voté hier par le Sénat, hier soir, très tard, qui avait été voté par l'Assemblée et puis maintenant, les sénateurs et les députés vont, ensemble, essayer de régler les problèmes pendants, celui que l'on vient d'évoquer le sera. Et puis, maintenant, nous travaillons sur un collectif budgétaire, c'est-à-dire un projet de loi de finance qui rectifie ce qui se passe pour l'année 2008. Mais dès maintenant, nous intégrons les mesures qui ont été proposées par le président de la République à Douai, les mesures dites de plan de relance, les mesures fiscales, dans ce collectif de fin d'année. Alors...

Les conséquences fiscales, seulement, mais pas le coût du plan.

Les conséquences fiscales, mais pas le coût du plan dans son ensemble. L'ensemble du plan sera voté...

Ça veut dire un déficit à combien, avec...

L'ensemble du plan sera voté à la fois sur le plan fiscal d'ici la fin de l'année. Et puis à la fois sur le plan budgétaire, puisqu'il y a beaucoup de mesures budgétaires - la prime à la casse, etc., - en janvier, dans un texte spécial. Donc, tout ça sera opérationnel dès janvier. Alors...

Ça veut dire un déficit de combien, à l'arrivée ?

Oh, le déficit va évidemment augmenter, puisque le plan de relance c'est 26 milliards d'euros entre le fiscal et puis le budgétaire. Le déficit augmentera de 15, 16, 17 milliards d'euros, selon la consommation que l'on fera en 2009, puisque ça s'étalera sur 2009 et 2010, et la grande, la plupart des mesures se concentreront évidemment sur 2009. Un plan de relance, ça doit être réactif et donc ça doit être vite dépensé pour que ça agisse vite sur la crise.

Tout ça, c'est de la dette, l'Etat propose de l'argent qu'il n'a pas... Oui. On nous a souvent expliqué que la dette, eh bien ce n'était pas bien pour nos petits enfants, c'est eux qui allaient régler la facture. Alors, on oublie avec la crise toutes les bonnes règles de gestion ?

Ce qui serait pire pour nos petits enfants, c'est de ne rien faire, parce que si nous ne faisions rien, à ce moment-là, si on laissait dériver la crise économique, elle durerait longtemps, et on la paierait beaucoup plus cher que ce que nous devront aujourd'hui payer pour tenter de l'enrayer, sur le plan national et sur le plan international. Donc, certes, le déficit budgétaire, et croyez-moi, quand je le dis, j'essaie de peser les choses, parce que c'est quelque chose qui m'importe, le déficit budgétaire qui était...

Oui, mais vous avez fait beaucoup de renoncement, là, quand même, du coup.

Le déficit budgétaire, qui a été voté hier, était de l'ordre de 57 milliards d'euros, est un déficit budgétaire qui passera aux alentours de 70 milliards d'euros après le plan de relance, mais qui devrait très vite revenir à l'équilibre des finances publiques dans les années 2000....

2014.

Oui, enfin, 2014, 2012 en réalité ; à la fin de notre programmation budgétaire, on devrait être à 1 % de déficit, parce que beaucoup des mesures sont des mesures qui sont des mesures d'investissements et c'est de l'investissement que l'on devait faire en 2010, en 2011 ou en 2012, qu'on avance sur 2009... ou des mesures de trésoreries pour les entreprises : rembourser plus vite l'impôt sur les sociétés, rembourser plus vite la TVA, le crédit d'impôt recherche. Quand on rembourse plus vite, c'est bien qu'on doit de l'argent, mais on le rembourse plus vite, donc ça n'accroît pas le déficit que le moyen terme.

Toute dernière question. La Banque de France vient de publier ses chiffres sur les crédits accordés par les banques, ce n'est pas tout à fait ceux de votre ministère, la Banque de France dit que les banques prêtent moins et en plus elles font plus de marges sur le coût de leurs crédits. Qu'est-ce que vous en pensez ?

On a en fait très très peu d'historique, tout ça est quand même très très récent, donc il y a des commissions départementales, chacun en anime beaucoup, je suis allé en voir beaucoup...

Mais là, on a des chiffres, quand même. ...

C. Lagarde aussi.

Moins de crédits aux ménages, moins de crédits aux entreprises...

Il faut être très vigilant sur ça. On aide les banques pour qu'elles aident le système économique, pour qu'elles aident les entreprises et pour qu'elles aident les ménages. Donc au fur et à mesure des données, on verra. S'il y a une réduction... Aujourd'hui il y a en fait une augmentation du crédit par rapport à l'année dernière, c'est ça que l'on constate, une forte augmentation du crédit, donc il faut regarder si ce crédit il se concentre bien sur les PME, c'est ça l'objectif et puis sur les ménages aussi, je pense par exemple aux crédits pour vous permettre d'acheter votre bien immobilier ou le prêt relais qui vous permet d'éviter, lorsque vous avez vendu un bien ou que vous essayez de le vendre, de pouvoir acheter le bien, l'appartement de vos rêves. Il faut que les banques jouent le jeu, et on fera tout pour faire en sorte qu'elles le jouent, donc s'il y a ici ou là des éléments qui ne fonctionnent pas, évidemment, ils seront rectifiés.

Merci monsieur Woerth.

Je vous en prie. Au revoir.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 11 décembre