Interview de M. François Bayrou, président du Mouvement démocrate (MoDem), dans "La Tribune" le 6 décembre 2008, sur son analyse du plan de relance de l'économie et le lancement du Fonds souverain via la Caisse des dépôts et consignations pour faire face à la crise financière.

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La Tribune - Quel jugement portez-vous sur le plan de relance qu'a
présenté Nicolas Sarkozy le 4 décembre ?
François Bayrou - Dans la lutte contre la crise économique, la nouvelle
la plus importante du 4 décembre, c'est la baisse massive des taux d'
intérêt de la banque centrale européenne. La BCE se
montre aujourd'hui active et réactive, après s'être montrée prudente
quand il le fallait. Contre toute critique, elle s'est révélée beaucoup
plus avisée que son homologue américaine qui, avec sa politique de taux
effondrés et son insouciance quant aux risques bancaires, porte une
lourde responsabilité dans la crise actuelle.
- Le plan Sarkozy ne vous semble pas à la hauteur ?
Je ne pense pas que ce plan soit de nature à mettre un terme à la
crise, ni même à créer un sursaut de croissance notable. Les moyens de
la France sont extrêmement faibles par rapport à ce qu'il
faudrait mobiliser pour rétablir la croissance et la confiance. Sans
doute, le gouvernement fait-il ce qu'il peut, mais il peut si peu...
- Il s'agit tout de même de 26 milliards d'euros.
Quand j'analyse le plan, je ne vois que 4 milliards d'euros d'
investissements publics véritablement nouveaux. Et encore les liaisons
ferroviaires à grande vitesse ont-elles été déjà annoncées plusieurs
fois... Quatre milliards, c'est à peine 0,25% du PIB français. On est
loin du seuil critique d'une action publique. Cela ne suffira donc pas
à faire repartir une machine économique profondément encalminée. Et il
ne faudra pas longtemps pour qu'on s'en aperçoive.
- Outre les investissements, il y a également les remboursements des
créances détenues sur l'Etat. Cela va soulager la trésorerie des
entreprises.
C'est une bonne orientation, même si on ne fait qu'anticiper sur des
obligations prévues et se conformer aux règles de bonne gestion. Car le
vrai scandale, c'est d'avoir laissé se créer une telle
dette ! Les entreprises, dont les factures traînaient inconsidérément,
pour qui les remboursements tardaient, ont servi à faciliter la
trésorerie de l'Etat. Et ce, depuis des années, avec la même majorité
qu'aujourd'hui...
- Le plan Sarkozy prévoit aussi de simplifier l'accès des PME aux
marchés publics, en supprimant les appels d'offres pour toute commande
de moins de cinq millions d'euros. Voilà une mesure en faveur des
entreprises.
Autant je souhaite la simplification des procédures publiques, autant
je me méfie de l'arbitraire. Je vois venir une situation où les règles
de prudence en matière de marchés publics vont être mises à mal. Il y a
un niveau de marchés où il n'est pas raisonnable d'accepter le gré à
gré. Il m'étonnerait bien que le Conseil Constitutionnel n'ait rien à
redire. C'est la lutte contre la corruption ordinaire et la défense de
l'argent public qui sont en jeu.
- Parmi les mesures annoncées, il y en a une qui rejoint l'une de vos
propositions de 2007, la suppression des charges pour les embauches
dans les très petites entreprises.
Ma proposition était très différente, il s'agissait d'exonérer de
charges deux emplois nouveaux, pour cinq ans, et quelle que soit la
taille de l'entreprise et la nature des postes. Dans la mesure Sarkozy,
l'exonération ne vaut que pour 2009, seulement pour les entreprises de
moins de 10 salariés, et seulement pour les salaires les plus modestes.
Autant dire que l'on crée une nouvelle trappe à bas salaires. Et cela
sera sans effet, car l'exonération ne vaut que pour 2009, et cet
horizon trop court va les dissuader d'utiliser ce dispositif. De même
je n'ai pas l'impression que la prime à la casse pour les véhicules
anciens soit à la hauteur de la crise. Je crains que les inquiétudes
des Français soient trop importantes pour être levées par mille euros
de subvention. J'aurais préféré qu'on soutienne la recherche et le
développement pour accélérer la mutation industrielle du secteur
automobile vers les véhicules propres.
- Le « fonds souverain » à la française, créé il y a quelques semaines,
va justement contribuer à soutenir la filière automobile française.
Je n'ai jamais compris de quoi il s'agissait. Ce fonds est, paraît-il,
doté de vingt milliards d'euros, dont 14 d'actifs de la Caisse des
Dépôts déjà mobilisés... Autant dire qu'avant d'habiller Pierre, il va
falloir déshabiller Paul. Quant à sa finalité, on nous explique qu'il
s'agit de protéger des prédateurs les entreprises françaises. Je
comprends qu'on va faire grimper le cours de bourse d'entreprises
choisies par le pouvoir. Est- ce véritablement le rôle de l'Etat, est-
ce la fonction de l'argent public ? J'aurais voulu un vrai fonds
souverain, qui intervienne à l'extérieur de nos frontières, pour
prendre des participations dans des entreprises au savoir-faire
stratégique, avec lesquelles les coopérations seraient profitables à la
France.
- Que peut-on faire dans une crise comme celle que nous vivons ? Vous-
même, pendant la campagne, n'avez cessé de mettre en garde les
électeurs contre la croissance de la dette française.
Si nous n'avons pas les marges suffisantes aujourd'hui, c'est justement
parce que nous avons gaspillé nos marges de manoeuvre, comme je le
redoutais à l'époque. Regardez les Etats-Unis : malgré la folie de la
guerre en Irak, leur dette nette est bien moins élevée que la nôtre,
hors engagements de retraite, car ils ont accumulé les excédents
lorsque la croissance était forte. Ce que nous n'avons pas fait. Le
gouvernement actuel ne peut donc que constater son impuissance. Il a
lui-même gaspillé le peu de ressources que nous avions, avec son «
paquet fiscal » de 2007. C'était une cartouche tirée en l'air.
- Alors, que faire aujourd'hui ?
De l'investissement public massif, dans les infrastructures et la
recherche. Pour financer cet effort, j'aurais voulu que nous levions un
grand emprunt européen, de 3% du pib, soit environ 400 milliards d'
euros. Un emprunt garanti sinon par les 27 de l'Union, du moins par les
états de l'Eurogroupe,. Chaque état pourrait tirer ou non sur sa quote
-part, en fonction de l'état de son économie. La solidarité se
manifesterait par la mutualisation, la garantie que tous les États de
la zone apporteraient en commun à l'initiative. Avec cet ordre de
grandeur, nous aurions une chance de faire reculer la crise.
- On voit bien que l'Allemagne est rétive, devant l'idée d'une relance
européenne. Angela Merkel ne semble pas partager les préoccupations
communes.
C'est l'éloignement entre la France et l'Allemagne qui pose problème.
Et j'attribue ce malaise d'abord à la volonté française de tirer la
couverture à soi, à une attitude qui met systématiquement l'autre en
accusation. Cela dit, je crois que l'Allemagne en viendra à soutenir
son économie. Si la crise est conforme à ce que tout le monde craint,
tout le monde va être obligé de relancer massivement.
- Vous êtes donc critique sur toute la ligne ?
Je ne reproche pas à Nicolas Sarkozy son comportement dans la crise.
J'ai voté le plan de sauvetage des banques, en n'oubliant pas la
contribution intellectuelle du Premier ministre britannique, Gordon
Brown, à ce plan. Bien sûr, on « survend », on en fait trop. Mais
derrière le rideau de la crise, on est en train de prendre des mesures
qui portent atteinte au projet de société républicain français.
- C'est-à-dire ?
J'en vois au moins trois dans l'actualité récente. Le travail du
dimanche, la retraite à 70 ans et la main mise du pouvoir sur l'
audiovisuel public. Trois décisions qui portent atteinte au projet de
société français. Et, si nous n'y prenons pas garde, elles seront
irréversibles. Le devoir de ceux qui partagent ce diagnostic, c'est de
réfléchir aux conditions d'une alternance possible, le moment venu.
- Allez-vous pouvoir préparer cette alternance avec Martine Aubry, qui
vient d'être désignée Premier secrétaire du Parti socialiste ?
Ce qui l'a emporté au PS, c'est la fermeture. C'est une posture, bien
sûr, mais elle est éclairante. Le PS choisit de s'enfermer, comme si le
temps était au sectarisme. Je crois qu'il se trompe mais c'est son
affaire... Ma vision est très différente. Comme je crois que l'essentiel
est en cause, je suis sûr que pour obtenir l'alternance, il faudra
rassembler. Vous savez, les Français qui n'aiment pas ce qu'on est en
train de faire de la France ne viennent pas que de la gauche. Il y en a
au centre, beaucoup. Il y en a aussi parmi les républicains de droite.
Pour gagner, il faudra les rassembler autour de valeurs fondatrices, et
d'abord il faudra les respecter. Tous.
Source http://www.mouvementdemocrate.fr, le 18 décembre 2008