Interview de M. Christian Poncelet, président su Sénat, à RMC le 29 mai 2001, sur la désunion au sein de la majorité plurielle, le projet de réforme du statut de la Corse et sur le bicamérisme.

Prononcé le

Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

P. Lapousterle A votre avis, est-ce que la majorité traverse une vraie crise politique ?
- "Oui, on sent très bien qu'il n'y a plus l'union dans ce qu'on appelait la majorité plurielle, les membres de cette majorité plurielle ne votent pas le budget."
Si, ils votent le budget.
- "Non ! Certaines dispositions du budget n'ont pas été votées. Sur un texte de modernisation sociale, on menace de ne pas le voter, donc, on ne peut pas dire qu'il y a une unité de majorité plurielle. J'ai le sentiment qu'à la veille des échéances, chacun tire de son côté pour essayer de sensibiliser l'opinion publique."
Cela fait les affaires de la droite ?
- "Pour ce qui concerne la droite, elle s'efforce, et je pense qu'elle y réussit en partie à"
...La désunion, elle connaît aussi.
- "D'ailleurs, le Sénat s'est employé à ressouder tous les éléments qui composent ce qu'on appelle l'opposition. Je n'aime pas le terme de droite, d'ailleurs personne n'a pu jamais définir exactement ce qu'était la droite et ce qu'était la gauche. J'ai connu des gens de droite qui étaient très sociaux, très pacifistes, très tolérants et des gens de gauche qui étaient belligérants et peu solidaires. Par conséquent, c'est une terminologie que je n'apprécie pas toujours. Pour ce qui concerne l'opposition nationale, elle s'efforce aujourd'hui de former son union et vous savez qu'il y a les ateliers de l'alternance qui réfléchissent sur les grands sujets de société comme la sécurité, sujet d'actualité, comme les retraites. Voilà un problème qui se pose et que le Gouvernement ne veut pas résoudre. Par conséquent, nous y réfléchissons et nous espérons, demain, pouvoir présenter à l'appréciation du peuple français des solutions aux grands projets qui peuvent les préoccuper à juste titre."
Vous ne cachez pas que vous êtes gaulliste, je voulais vous demander si les déclarations de L. Jospin hier sur l'Europe parlant de fédération d'Etats-nations vous ont rassuré ?
- "J'ai été agréablement surpris de l'entendre se rallier à des propositions émises il y a un an par J. Chirac, Président de la République française. La fédération d'Etats-nations, sur ces orientations qui ont été prises par le Président de la République, s'inspire de la démarche du général de Gaulle. Je crois que la seule construction est une construction lente et il faut qu'elle soit bien réfléchie si on veut qu'elle soit solide."
Sur la Corse, après l'Assemblée nationale, le texte va être soumis à votre assemblée, le Sénat, et sur ce point l'opposition, pour reprendre vos termes a été divisée. A votre avis, est-ce un danger pour la République ou bien est-ce un progrès ? M. Balladur a voté pour.
- "Dans la majorité plurielle, il y a eu des divisions aussi, il faut bien le noter. J'ai noté une chose : on n'a pas maintenu le préalable qu'on avait imposé au départ, à savoir, avant d'entrer en négociation, l'engagement devait être pris de cesser toute violence. Cela n'a pas été fait, je le regrette. Dans le texte, il y a de bonnes dispositions qui concernent la décentralisation, qui concernent la nouvelle compétence accordée aux régions comme cela est réclamé. Par contre, je crains que le Gouvernement ait peut-être joué à l'apprenti sorcier, en donnant la possibilité à l'Assemblée de Corse de pouvoir légiférer."
Sous le contrôle de l'Assemblée.
- "Sous le contrôle de l'Assemblée, mais je ne suis pas certain que le Conseil constitutionnel accordera un tel privilège à l'Assemblée régionale de Corse, ce qui risque d'apporter une désillusion à ceux qui avaient espéré pouvoir éventuellement modifier certains textes législatifs."
Vous êtes le second personnage de l'Etat puisque chacun se le rappelle, en cas de vacance du Président de la République, c'est vous qui exercez l'intérim. C'est une question importante qui n'est pas politicienne : M. Pasqua qui est candidat à la présidence de la République a été mis en examen hier et il risque une seconde mise en examen aujourd'hui. Est-ce qu'une personne qui connaît cette difficulté peut être candidat à la présidence de la République ?
- "Mis en examen, ce n'est pas être condamné. La présomption d'innocence joue. La question que vous posez est un véritable sujet : est-ce que la mise en examen peut créer une suspicion qui pourrait conduire à ne pas se présenter ? C'est une question de conscience pour le candidat. Mais on a vu certaines personnes mises en examen et ensuite élues ou réélues. Pour la magistrature suprême, cela peut effectivement poser un problème."
Vous multipliez les initiatives pour mieux faire connaître votre assemblée, le Sénat, vous êtes demain à Marseille pour une exposition sur votre assemblée ; les états généraux des élus locaux sont réunis, toujours à Marseille, dans quinze jours et ce soir, vous allez à l'ESSEC, répondre à la question : Un sénat pour quoi faire ? Est-ce une bonne question ?
- "C'est une très bonne question parce que je crois que le Sénat n'est pas suffisamment connu et il mériterait de l'être et d'être davantage apprécié. Le Sénat est une institution indispensable à l'équilibre du pouvoir public et je me réjouis de constater, surtout à l'issue du forum des sénats du monde que j'ai rassemblés au Palais du Luxembourg, que de plus en plus les démocraties"
...Adoptent une deuxième chambre
- "... adoptent une deuxième chambre. J'ai été frappé par le fait de constater que lorsque dans un parlement il n'y a qu'une seule chambre, le Gouvernement étant issu de cette seule chambre, il s'établit très rapidement une complicité entre le gouvernement et cette seule chambre ; complicité qui conduit à plus d'autorité - certes, cela peut être un bien - mais aussi à l'autoritarisme et ensuite au totalitarisme. Rappelez-vous ce qu'était la République de Weimar, vous verrez la suite. En France, le Sénat a une vocation particulière qui est reconnue dans la Constitution, c'est-à-dire représenter les collectivités territoriales."
Craignez-vous que M. Jospin soit hostile au Sénat s'il est Président de la République ?
- "Il n'a pas été très aimable avec le Sénat, d'ailleurs je le lui ai fait savoir, avec courtoisie bien sûr, en lui disant que le mot " anomalie " n'était pas ce qui convenait. Il ne se rappelait pas ce que son maître lui avait enseigné, en la personne du Président de la République, qui disait, lui, que le Sénat est indispensable."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 30 mai 2001)