Interview de M. Yves Jego, secrétaire d'État chargé de l'Outre-mer, à La Chaîne Info le 23 février 2009, sur les négociations de sortie de crise en Guadeloupe.

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C. Barbier - Alors merci d'être là, mais pourquoi n'êtes-vous pas en Guadeloupe ? Pourquoi n'étiez-vous pas en Guadeloupe hier aux obsèques de J. Bino ?
Vous savez, on était sensibles, et moi j'ai envoyé un message à sa famille dès l'origine. Il y a un temps où il faut être en Guadeloupe, j'y ai été beaucoup, il y a un temps où il faut travailler les solutions à Paris. Je crois que dans ce genre de conflit où il faut être là où on est utile.
F. Hollande disait il y a quelques minutes sur RTL que si un syndicaliste avait été tué en Métropole, le Gouvernement serait aux obsèques, il a tort d'être absent...
Le Parti socialiste joue la mouche du coche, essaie de jeter de l'huile sur le feu et je trouve que ce n'est pas très digne face à une crise dont chacun comprend bien qu'elle est compliquée. D'ailleurs moi j'attends toujours de savoir de la part du Parti socialiste quelles sont ses solutions.
Utile à Paris aujourd'hui, dites-vous, quand retournerez-vous sur place ?
Il y a un travail de médiation qui a été mis en place par le Premier ministre, il y a des négociations qui reprennent cet après-midi. Moi je retourne dès que ma présence est utile pour apporter, soit la signature finale à cet accord, soit la voix du Gouvernement. Les médiateurs font un travail formidable, ils ont bâti une solution, il y a un certain nombre d'éléments qui sont sur la table, on n'est pas très loin de ce qui était réclamé. Je crois qu'il faut ne pas changer de stratégie, il faut laisser les médiateurs aller au bout de la logique qui est la leur.
S. Royal a fait le déplacement, considérez-vous qu'elle tente une récupération politique ?
Tout le monde l'a dit. Je crois que ça n'a pas autant d'importance que ça. Elle n'a d'ailleurs pas rencontré le leader du LKP ou je crois qu'il n'a pas voulu se montrer avec elle... Enfin, je crois que l'idée de dire qu'il y a des gens qui auraient la solution miracle sur un problème aussi lourd, aussi compliqué, qu'ils viennent nous expliquer quelle est cette solution miracle ! Il y a une tentative de récupération, de politisation, la vie politique est ainsi faite. Ce qui me gêne moi, c'est que quand il y a une situation aussi tendue, jeter de l'huile sur le feu avec des propos qui laisseraient penser que ce serait de la faute d'untel ou untel, ce n'est pas, à mon avis, très républicain et ce n'est surtout pas avoir conscience de la réalité de ce qu'est la crise guadeloupéenne ; une crise extraordinairement compliquée d'une société totalement déchirée. C'est trop facile de venir dire c'est la faute au gouvernement ou c'est la faute au président de la République.
Elle réclame quand même la venue sur place du Premier ministre F. Fillon...
Enfin, comme si la venue de quelqu'un changeait la réalité des choses ! Moi j'ai été sur place pendant plus de dix jours, j'ai réglé toute une série des questions qui se posaient sur la table. Il reste une question très lourde c'est celle des salaires. Eh bien celle des salaires, il faut des solutions techniques. Alors, on a fait ce travail, il y a le Revenu de solidarité active qui est une forme de salaire, il y a l'annonce par le Gouvernement de la possibilité laissée aux entreprises de payer des suppléments de salaires sans aucune charge, il y a l'effort que devra faire le patronat. Une fois que tout ça est sur la table, il faut aussi que les politiques ne se mêlent pas trop de la discussion sociale, parce que sinon, ça change la nature de la discussion sociale.
Vous décrivez les pistes évoquées, "usine à gaz", vous répond le LKP.
Il faut donner de la lisibilité à tout ça, mais c'est tout le travail des médiateurs, c'est d'effectivement de montrer comment les efforts des uns et des autres, l'effort de l'Etat qui conforte les entreprises, l'effort des entreprises qui alors, qu'elles sont en situation difficile, mettent sur la table de nouveaux moyens salariaux et puis l'effort de solidarité avec le Revenu de solidarité active, comment tout ça est lisible. C'est vrai qu'il y a un problème de lisibilité, moi je fais confiance aux deux médiateurs envoyés par le Premier ministre pour éclairer les acteurs et pour leur montrer quelle est la solution sur la table.
Les entreprises ne peuvent pas payer, vous dit L. Parisot, la présidente du Medef, elles mettent 70 euros maximum sur la table quand on en réclame 200 côté salariés. C'est vrai qu'elles ne peuvent pas payer ?
Il y a deux types d'entreprises. Il y a celles qui ne peuvent pas payer, il y a les PME, qui d'ailleurs pour beaucoup vont faire faillite, il faut en avoir conscience, et on va créer du chômage alors qu'on voulait du pouvoir d'achat, c'est totalement contraire à la logique. Mais les petites entreprises, certaines ne peuvent pas payer, même 50 euros, même 70 euros. Et puis, il y a d'autres entreprises qui sont plus profitables, qui elles pourraient payer, qui elles peuvent donner du pouvoir d'achat, paradoxalement d'ailleurs dans ces entreprises, il y a peu de bas salaires puisque le combat du collectif, c'est pour les bas salaires. Il y a peu de bas salaires parce qu'elles paient plutôt mieux leurs salariés et donc on voit bien le problème : il y a celles qui peuvent payer d'un côté, et puis il y a celles qui ne peuvent pas de l'autre, il faut trouver un moyen pour mutualiser et pour organiser une forme de solidarité. Le Revenu de solidarité active est un de ces moyens pour arriver à faire que sur une île toute petite, il y ait un équilibre dans les salaires.
Et vous envisagez de prendre une part des bénéfices des entreprises qui sont profitables pour faire les fameux trois tiers de Sarkozy ?
Moi, je ne veux rien prendre à titre personnel. Je pense qu'il faudra que de toute façon, il y ait un effort salarial des entreprises qui peuvent le faire et que cet effort salarial c'est ce qui reste à déterminer. Je l'ai dit depuis le début, on m'a beaucoup accusé d'avoir tapé sur le patronat, ce n'est pas une volonté de mettre en cause le patronat, simplement il y a une partie des entreprises de Guadeloupe qui doivent pouvoir financer plus au titre de la solidarité. Le tout c'est de trouver les tuyaux, le système pour faire que les salaires aillent bien là où ils sont attendus.
L'Etat peut faire un effort encore. E. Domota, leader du LKP, suggère des exonérations de CSG, de CRDS. On envisage aussi des exonérations sur les tarifs douaniers pour les entreprises...
Vous savez quand l'Etat dit "sur toutes les hausses de salaires qui seront accordées par les entreprises je ne prélève pas de charges", c'est-à-dire si une entreprise donne 100 euros de salaire en plus, il y a 60 euros qui sont en charge par l'Etat, c'est un effort considérable qui est fait. C'était d'ailleurs ce que réclamaient les entreprises et c'est quelque chose qui était annoncé par le président de la République. Donc les efforts de l'Etat, ils sont là.
J. Bové exagère-t-il quand il dit qu'en Guadeloupe règne une économie de comptoir colonial ?
J'ai dit un peu la même chose...
Vous partagez le diagnostic ?
J'ai dit dans un papier dans Le Figaro la semaine dernière que c'était "l'héritier de l'économie de comptoir". Il ne faut pas caricaturer, mais que nous sommes sur une économie qui n'est pas une économie transparence, qui n'est pas une économie assez moderne, qui n'est pas l'économie du XXIème siècle. D'ailleurs, les états généraux que veut le président de la République, c'est mettre à plat le système, c'est dénoncer une organisation économique qui effectivement est l'héritière du passé.
Vous ne vouliez pas du Grenelle, vous avez les états généraux !
Oui, enfin je ne voulais pas l'idée d'un Grenelle qui soit l'idée de dire qu'on fasse du vent et qu'on ne mette pas les choses à plat - ça ne sera pas dit que le Grenelle c'était du vent. Là, ce sont des états généraux, territoire par territoire, sujet par sujet, qui permettent de faire d'abord du dialogue pour permettre aux gens de s'exprimer et ensuite qui permettent - le Président s'y est engagé -, dans un comité interministériel de prendre des décisions. Je crois que c'est la bonne formule parce que c'est une formule de fond et que ce n'est pas seulement des revendications sociales ou salariales, elles existent, il faut les satisfaire, c'est aussi un problème d'une société qui n'a pas évolué et d'une Outre-mer, en tout cas des Antilles, qui ne sont pas rentrées de plain pied dans un siècle qui est celui de la transparence, de la concurrence et qui est celui d'un siècle de projets plus que d'un siècle de rentes.
Alors N. Sarkozy a dit qu'il attendait que le calme revienne pour aller sur place, ouvrir notamment ces états généraux. Le calme semble revenu, donc le voyage doit être imminent.
Le voyage du président de la République, il est programmé je crois autour du mois d'avril...
On ne pourra pas l'avancer ?
Mais si un voyage d'un ministre ou d'une personnalité réglait les choses, celui de madame Royal aurait sans doute tout réglé. Il ne faut pas essayer de faire croire que c'est les déplacements ou les mouvements des ministres ou des membres du gouvernement qui changent la réalité. Ce qu'il faut, c'est trouver la solution technique pour que le patronat et les salariés arrivent à signer l'accord salarial. Je vous le dis encore une fois, les médiateurs sont au travail, une fois que ce sera fait il faudra lancer ces états généraux, que les débats s'organisent dans la société guadeloupéenne et le Président a dit qu'il viendrait solennellement montrer la volonté de l'Etat de remettre à plat le système. C'est très important sur place. Moi j'ai bien entendu les Guadeloupéens pendant dix jours, ce qu'ils attendent ce sont des mesures ponctuelles, ils me l'ont tous dit, mais ce qu'ils attendent surtout, c'est que ça ne recommence pas et qu'on ait le courage de dénoncer ce qui ne marche pas, les excès, les abus, les profits indus. Le fait que le chef de l'Etat programme de venir pour le dire lui-même et lancer ce processus de mise à plat, je pense que c'est pour l'avenir un signe très positif. En attendant, il faut que dans les heures qui viennent on arrive à dénouer cette crise salariale.
Y aura-t-il des référendums Outre-mer pour changer la carte politique, territoriale, fusionner régions et départements ?
Pourquoi pas ? La Constitution le permet, notre article 73 et 74 de la Constitution le permettent. Le président de la République a dit très clairement que si les élus locaux, l'Etat n'imposera rien, ce n'est pas le ministre, ce n'est pas le Président qui veulent imposer à tel ou tel territoire un statut, mais si les élus délibèrent, comme la Constitution le prévoit, le Président s'est engagé à ce qu'il puisse y avoir des référendums, il a même dit avant les élections régionales. Vous voyez, les élections régionales c'est dans un an. C'est maintenant aux élus locaux, territoire par territoire, de prendre leurs responsabilités. Et, à un moment donné, ce sera sans doute à nos compatriotes de choisir. De choisir entre quoi ? Entre être un département décentralisé ou d'être une collectivité plus autonomisée.
Vous serez encore au secrétariat d'Etat à l'Outre-mer à ce moment-là ?
Posez la question à ceux qui m'ont nommé et à ceux, c'est-à-dire au Premier ministre et le président de la République qui décideront du sort de tel ou tel ministre. Je vois qu'il y a beaucoup cette question-là sur la table...
Vous dites que ce n'est pas à l'ordre du jour votre démission, mais vous y avez songé dans toute cette crise ? A un moment, vous vous êtes dit "ça débloquera les choses si moi je rends mon tablier" ?
Mais si j'avais le sentiment que le fait de démissionner débloque les choses, je démissionnerais dans la seconde. Si quand j'étais sur place j'ai pris mes responsabilités au sens plein du terme, c'est-à-dire que si j'avais échoué, si j'étais revenu en n'ayant pas réglé une partie des solutions j'aurais pris mes responsabilités, j'aurais assumé. Aujourd'hui, ce n'est pas à l'ordre du jour, si demain ou après-demain le Premier ministre ou le président de la République me le demande, je le ferai dans la seconde.
F. Fillon vous a fait revenir le 9 février quand même, pour annuler un accord que vous aviez signé sur les 200 euros.
Je n'ai jamais signé cet accord et cet accord n'a jamais été rédigé, ni même en présence !
Vous ne vous sentez pas déjugé ?
C'est un accord entre le patronat et les salariés et le patronat s'est retourné vers moi en disant "maintenant qu'on a passé un accord avec les salariés, monsieur le ministre, c'est à l'Etat de payer". Chacun comprend bien que ça ce n'est pas possible. Et donc je suis revenu pour non seulement réunir les ministres sur tout ce qui avait été discuté, mais aussi pour mettre sur la table ce qui pouvait être la solution de la suite. D'où les médiateurs, d'où ce qui se passe aujourd'hui. Et j'espère que ça va vraiment réussir.
Un mot de F. Pérol, secrétaire général adjoint de l'Elysée, qu'on annonce à la tête de la nouvelle banque Caisses d'Epargne-Banques Populaires fusionnées. Il a aidé à bâtir le système, il va le diriger ; c'est contestable, non ?
J'ai entendu monsieur Hollande, il y a quinze jours, qui nous disait "vous avez aidé les banques mais alors vous ne mettez pas de représentant de l'Etat dans les banques", et aujourd'hui il nous dit "ne remettez surtout pas un représentant de l'Etat dans les banques parce que ce serait scandale !" Vraiment ces socialistes n'ont compris !
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 23 février 2009