Interview de M. Bernard Accoyer, président de l'Assemblée nationale, à France Inter le 4 mars 2009, sur la mise en oeuvre de la réforme constitutionnelle à l'Assemblée nationale et sur son regret de devoir utiliser la procédure d'urgence dans le débat sur le projet de loi pénitentiaire.

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Média : France Inter

Texte intégral

N. Demorand.- Les députés ont-il digéré les nouvelles règles de fonctionnement du Parlement entrées en vigueur hier ? Il y avait un peu de flou, de flou artistique aux "Questions d'actualité" sur les nouvelles règles du temps de parole notamment ?
 
L'entrée en vigueur des nouvelles dispositions qui sont tout simplement la traduction de la réforme de la Constitution de juillet dernier se fait progressivement ; ça a commencé hier et ça a commencé, pour la façon la plus visible, pour ce qui est le plus visible, par de nouvelles dispositions qui font qu'il y a autant de questions et de temps pour l'opposition que pour la majorité. Je pense que c'est une bonne chose. Cela montre que nous revalorisons le Parlement, et en particulier, pour ce cas présent, le rôle des parlementaires d'opposition.
 
Et alors à quoi servent les deux énormes chronomètres qu'on peut voir de part et d'autre du perchoir, il y a en a plein dans le studio, mais à l'Assemblée c'était plutôt nouveau ?
 
Oui, c'est tout simplement parce que nous avons diminué de 2,5 minutes à 2 minutes le temps de chaque question, et également le temps de chaque réponse de la part des ministres. Et pour que ce temps soit respecté, il y a une indication qui est très utile. D'ailleurs hier, les parlementaires comme les membres du Gouvernement, ont mis beaucoup de bonne volonté et se sont pliés à cette règle nouvelle, plus précise...
 
C'est important ça comme règle ou pas ?
 
Oui, je pense que c'est bien, d'ailleurs ça existe dans tous les Parlements au monde, et donc il y avait que nous qui n'avions pas mis en oeuvre cette indication du temps qui passe et qui est très utile. Vous le voyez bien vous-mêmes, tous les jours, c'est votre métier.
 
Oui, B. Guetta a dépassé de 30 secondes par exemple, ce qui ne serait pas possible... Rappel au règlement là !
 
Je ne dirai pas ce que je pense parce qu'après, on me le rétorquerait en séance. Ce qu'il disait était passionnant.
 
L'équilibre de la réforme est important, on sait qu'il y a un certain nombre de points précis qui ont été modifiés, qui ont été...pardon, un certain nombre de points précis qui évoluent. Quelle mesure vous semble essentielle dans ce nouveau fonctionnement du Parlement ?
 
Peut-être que le principe d'abord. Le principe, c'est qu'on donne davantage de pouvoirs au Parlement, donc aux parlementaires. Je prends deux exemples : celui dont vous venez de parler, c'était que les parlementaires posent plus de questions ; mais demain, pour légiférer, c'est le travail des députés qui va être mis au vote des députés eux-mêmes dans l'Hémicycle, c'est-à-dire que c'est le texte de la commission, celui qui a été élaboré par les députés eux-mêmes qui sera mis au vote dans l'Hémicycle. On le voit d'ailleurs parce que ça se passe comme ça au Sénat sur la loi pénitentiaire, et croyez-moi ça change tout. C'est une très bonne chose, c'est un rééquilibrage des pouvoirs entre l'exécutif, c'est-à-dire, le Gouvernement, d'une part, et le législatif, c'est-à-dire, le Parlement, d'autre part. C'est un progrès démocratique mais nous en avion besoin. Le président Sarkozy l'avait annoncé dans sa campagne, et il l'a fait dans la réforme constitutionnelle et nous le mettons en oeuvre.
 
On recevait ici même le sénateur R. Badinter hier pour parler de cette loi pénitentiaire qui, effectivement, pour la première fois arrivait en débat au Sénat dans la version retravaillée par les différentes commissions de cette Assemblée. Autre point qui est en débat sur la loi pénitentiaire, c'est l'urgence. Le Gouvernement a décrété l'urgence sur ce texte, c'est-à-dire, une seule lecture par chambre. Vous êtes contre ?
 
Le Gouvernement a tout à fait la possibilité de le faire et il l'a fait, c'est parfaitement constitutionnel. Je me suis prononcé personnellement pour la levée de cette urgence, parce que je pense que c'est un texte très important qui apporte beaucoup d'avancées pour les libertés fondamentales et qu'il n'y a que des avantages à pouvoir avoir plusieurs lectures dans chacun des Assemblées. C'est le rôle même du Parlement. Donc, je souhaite que l'urgence soit levée, même si le Gouvernement a fait les choses au plan constitutionnel de façon impeccable, et je l'ai fait savoir au Gouvernement.
 
Et le Gouvernement répond quoi à cette demande du président de l'Assemblée nationale ?
 
Il ne m'a pas encore officiellement répondu, donc nous discutons.
 
Le ministère de la Parole, c'est ça ce qui vous reste puisque le Gouvernement peut décider de ne pas répondre favorablement à votre demande ?
 
Non, mais cette réforme constitutionnelle ne revient pas sur le principe qui est que la volonté des Français qui s'expriment lors des élections confient au Gouvernement le soin de décliner le programme qu'ils ont eux-mêmes adopté.
 
Non mais puisque...
 
 Mais, mais, mais...
 
Alors, allez-y, et puis je vous poserai la question.
 
...Mais, mais, les parlementaires quant à eux ont une marge de manoeuvre qui est de voter ou de ne pas voter les lois, de les amender, ou de ne pas les amender, et nous sommes dans notre rôle. Et j'ajoute que maintenant nous aurons une autre fonction qui va se développer considérablement, qui est celle de l'évaluation et du contrôle de l'action publique des politiques publiques, et là c'est un domaine également où nous pourrons donner toute sa place, encore plus de place, à l'opposition.
 
Mais reprenons les choses du début à savoir les principes. Vous disiez, cette réforme avait pour but de mieux équilibrer ou de rééquilibrer le jeu des différents pouvoirs au sein de la République. Sur un cas très précis comme cette loi pénitentiaire, qui a attendu depuis longtemps, que le Gouvernement présente en urgence, vous dites avec un certain nombre de sénateurs, de gauche, de droite, de députés aussi, qu'il faut lever l'urgence, et ça peut rester totalement lettre morte. Donc, quel est le rééquilibre là sur ce cas ?
 
En fait, le texte a été déposé au Sénat avant que la réforme soit applicable, et donc nous voyons la différence qu'il y a avec ce texte auquel s'appliquent les principes de l'ancienne Constitution. Si le texte avait été déposé après le 1er mars, en accord avec le président du Sénat, nous aurions pu refuser la procédure d'urgence, qui d'ailleurs maintenant s'appelle la procédure accélérée. Voyez, un changement très concret. Des dispositions de cette nature qui sont, vous le voyez bien, d'une portée importante, il y en a de nombreuses dans la réforme que nous mettons en oeuvre, et dont on verra avec l'application qui va être progressive, sur plusieurs mois, disons d'ici à l'été, puis cela se poursuivra encore ensuite, on verra qu'elle change profondément la vie politique.
 
En tout cas, R. Karoutchi a dit non ce matin à la question de la levée d'urgence, donc vous n'aviez pas la réponse, je vous la donne. Un mot de réaction ?
 
Je reposerai la question.
 
Donc, ça ne vous suffit pas cette fin de non recevoir ?
 
Je le regrette mais je pense que ce serait mieux si nous pouvions discuter plus sereinement de ce texte. Si le Gouvernement reste sur cette position, il restera sur cette position, encore une fois, c'est parfaitement constitutionnel. Je regrette parce qu'il n'y a que des avantages à examiner un texte sur les libertés en allant au fond des choses. En plus, c'est un texte qui va très loin pour protéger les libertés, pour offrir de nouvelles libertés, dans des conditions qui sont particulières, qui sont celles des hommes et des femmes qui sont confrontés à la justice, et ce sont des questions sensibles auxquelles nous pouvons tous être confrontés du jour au lendemain.
 
Vous, est-ce que vous trouvez que le Gouvernement recourt trop souvent aujourd'hui, maintenant, ces derniers mois, à ces procédures d'urgence qui devraient être exceptionnelles et qui sont peut-être en train de devenir la règle ?
 
Oui, je l'ai déjà dit, et encore une fois, la réforme lorsqu'elle sera totalement applicable permettra de restreindre cette dérive qui fait que, l'urgence c'est quand on ne lit que une fois un texte dans chacune des Assemblées. Et la procédure normale c'est qu'on va jusqu'à ce que les deux Assemblées se soient mises d'accord. Alors, évidemment les textes sont plus élaborés quand ils ont fait plusieurs allers et retours entre les deux Chambres.
 
Est-ce que l'exécutif travaille trop vite aujourd'hui, est-ce que le Parlement peut suivre, et surtout, est-ce que le Parlement doit suivre ?
 
Tous les gouvernements ont une tendance à légiférer, je pense, de façon excessive. Mais il y a aussi beaucoup, beaucoup de textes pour lesquels on n'aurait pas besoin de légiférer, et où le Gouvernement souhaite, parce qu'il trouve que c'est très politique que ça passe devant les Assemblées. Prenez le Grenelle 1, qui est un texte où il y a eu l'unanimité, c'est ce suffisamment rare pour qu'on le souligne, c'est un texte qui n'est pas comme on dit "normatif'", qui ne relève pas pour beaucoup de ses dispositions de la loi, on y a passé plusieurs semaines. C'est une dérive en réalité de l'usage de nos institutions qui à mon sens est préjudiciable à terme.
 
Le débat sur l'OTAN aura lieu le 17 mars à l'Assemblée ?
 
Oui, en principe.
 
Sous quelle forme ?
 
Le Gouvernement ne l'a pas encore arrêté, il a la possibilité de demander un débat sans vote, il peut aussi trouver une procédure où il y aurait un vote, il y a des avantages et des inconvénients dans les deux solutions. D'abord, le respect des textes fait qu'il n'y a pas d'exigence de vote du Parlement ; également, ce que je considère comme un changement qui n'est pas aussi fondamental que certains veulent bien le dire ne justifie pas probablement non plus cette procédure. Mais dans le même sens, les parlementaires doivent pouvoir aussi s'exprimer, donc c'est au Gouvernement, là, de choisir sa procédure. Personnellement, je pense qu'un vote je n'y verrai que des avantages.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 5 mars 2009