Déclaration de M. François Bayrou, président de l'UDF, sur son projet présidentiel, intitulé "La France humaine", Paris le 28 avril 2001.

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Circonstance : Conseil national de l'UDF à Paris le 28 avril 2001

Texte intégral

Mes chers amis,
28 avril 2001. Pour tout vous dire, nous n'avons pas choisi cette date au hasard. Car nous sommes le samedi 28 avril 2001. Mais l'année prochaine le 28 avril tombera un dimanche. Et ce sera, selon toute vraisemblance, le premier tour de l'élection présidentielle.
Le compte à rebours de l'année présidentielle s'ouvre donc aujourd'hui. Et nous voulons que cette année soit l'année du renouveau.
En 365 jours, en préparant ce grand choix, les Français vont dessiner d'abord et choisir ensuite, souverainement, la voie nouvelle pour un siècle nouveau.
Et l'élection présidentielle jouera, une fois de plus, pleinement, le rôle clé que nos institutions lui ont assigné.
Nous avons joué un grand rôle dans cette clarification.
Sans nous, le calendrier serait resté ce que la décision hasardeuse de la dissolution en avait fait : un calendrier dingo ", où la grande élection d'orientation serait intervenue une fois que tout serait déjà décidé !
C'est de la décision que nous avons prise ensemble à Angers et de l'intervention décisive des hommes d'Etat de notre famille, Valéry Giscard d'Estaing et Raymond Barre, qu'est sorti le rétablissement du calendrier logique de la République.
Et grâce à ce rétablissement de calendrier, les Français vont avoir le choix. Soit reprendre l'une des deux voies, des deux méthodes, les mêmes depuis vingt ans, toujours essayées, et successivement toujours rejetées, soit choisir la voie nouvelle que nous leur offrirons.
L'élection du renouvellement
Et en parlant de renouvellement, aujourd'hui, je veux parler du fond.
Bien entendu, la question du renouvellement, elle touche aussi les personnes et les équipes.
Dans tous les pays qui nous entourent, le renouvellement est naturel. Helmut Kohl battu a démissionné dans l'heure. John Major battu a cédé la place. Le relais se passe, de génération en génération, et c'est profondément sain ! Ainsi va le mouvement naturel de la vie. La génération nouvelle n'est pas forcément plus géniale que la précédente, mais elle apporte avec elle une nouvelle approche, une nouvelle manière d'être et de faire. Elle permet d'écrire un chapitre nouveau.
Rien de tel en France ! Tout se passe comme si les titulaires de ces fonctions étaient inamovibles. Le principe qui l'emporte, c'est le j'y suis, j'y reste ".
Ce n'est manquer de respect à personne que de dire qu'il s'agit là de l'une des faiblesses de la France.
Mais le renouvellement, cela ne peut pas être seulement le renouvellement des
hommes.
C'est d'abord le renouvellement du projet, une vision nouvelle, une approche qui ne ressemblera pas au passé. Permettez-moi de vous le dire simplement : si c'était pour reprendre les mêmes idées et les mêmes approches, alors il serait inutile d'aller à l'élection présidentielle.
Contre l'impuissance et l'indifférence
En entrant dans cette période de pré-campagne présidentielle, j'ai deux ennemis. Et ce ne sont pas ceux qui vous croyez. Mais je veux les nommer : c'est l'impuissance et l'indifférence, l'impuissance des soi-disant puissants et l'indifférence que les citoyens ressentent de leur part. Par exemple, aujourd'hui, ceux qui ont leur maison noyée et qu'on vient voir en coup de vent. Par exemple ceux qui sont agressés, qui portent plainte, et dont la plainte est classée sans suite.
Je reviendrai sur l'indifférence, je voudrais vous dire un mot de l'impuissance.
Si vous regardez la politique française depuis vingt ans, c'est une succession de frustrations, le sentiment que chaque fois, les promesses sont trahies. Alors, à chaque fois, on change d'équipe. C'est-à-dire qu'on revient à l'équipe précédente. Et ça recommence. On dirait un sketch !
Et les deux impuissances, l'impuissance de gauche et l'impuissance de droite, ont quelque chose de symétrique.
Lionel Jospin fait l'expérience de l'impuissance de gauche. Pour avoir trop promis sur sa gauche, et cependant rester arrimé à un minimum de raison, il accumule les déceptions. Et ce qui est en train de se former c'est une extrême-gauche de combat et la droite se frotte les mains comme autrefois la gauche se frottait les mains avec le Front national !
Et l'impuissance de droite : les assurances sur la sécurité, sur la fiscalité et une fois au pouvoir pas grand-chose de changé sur la sécurité et 120 milliards d'impôts supplémentaires. Pendant la campagne, les grands mots généreux et aussitôt après la technocratie la plus classique. En tout cela, une absolue indifférence aux promesses qu'on avait faites. Le tout résumé en une formule qui dit tout : les promesses n'engagent que ceux qui les reçoivent.
C'est pour sortir de ce cynisme habituel, je le dis au passage, que seul parmi les responsables politiques français, j'ai choisi de rester au Parlement européen, pour qu'on voie qu'un élu pouvait tenir sa promesse !
Et de cette double impuissance, regardez le tableau. Aucune réforme difficile n'a pu être menée à son terme sur aucun sujet brûlant ! Je fais la liste devant vous : les retraites, la dépense publique ; la réforme de l'Etat ; la SNCF et le service garanti dans les transports.
Besoin de rupture
Cette impuissance est mon ennemie. Elle a des causes profondes. Aucun des pays qui nous entourent n'est ainsi réduit à l'impuissance, alternance après alternance.
Ce combat contre l'impuissance, il a trois grandes causes à mes yeux, qui seront examinées dans le grand débat national.
Le pouvoir en France est impuissant parce que nous ne pouvons pas construire les larges et populaires majorités nécessaires pour soutenir les réformes.
Le pouvoir en France est impuissant parce que nous n'avons pas les institutions qui permettent l'accord national sur les grands sujets qui exigent de dépasser les frontières.
Le pouvoir en France est impuissant parce la vie sociale est axée sur l'affrontement et la confrontation et non pas sur la co-gestion que j'appelle co-responsabilité.
Et ma conclusion sur ce premier sujet sera simple : si nous voulons sortir de l'impuissance, il faut aussi changer nos mentalités politiques, nos mentalités sociales, et nos institutions.
Mais avant de détailler cette rupture nécessaire dans les institutions et la pratique politique, je veux aller au coeur de notre projet !
Un projet pour la France
J'ai cherché un nom pour vous présenter la logique de ce projet.
Un nom qui résume en un mot nos convictions et notre vision.
Même si on l'a oublié depuis longtemps en France, depuis longtemps dans l'opposition, le but de la politique, ce n'est pas seulement la gestion, les chiffres, les affrontements d'intérêts privés et catégoriels ! La politique, cela vise beaucoup plus loin et très au-dessus ! Le but de la politique, c'est de construire la maison où nous élevons nos enfants.
Notre maison la France, que voulons-nous qu'elle soit ?
Nous ne voulons pas qu'elle soit une affaire de clans, affrontés les uns aux autres. Le général de Gaulle le disait déjà elle n'est pas de gauche, la France, elle n'est pas de droite. La France, elle n'appartient pas aux uns contre les autres, comme on a trop souvent l'impression que c'est le cas.
Nous ne voulons pas qu'elle soit une idéologie, un mot en isme.
La France, elle parle du coeur. Elle parle de l'esprit. Elle parle de justice. Elle parle d'énergie. Elle parle de liberté. Elle parle de valeurs.
Le projet de la France, c'est un projet universel, qui met au premier plan ce que nous avons de plus précieux. Et ce que nous avons de plus précieux n'est pas matériel.
La maison que nous voulons construire, notre maison la France, nous voulons qu'elle soit plus humaine. Alors je vous propose de nommer ce projet, avec les mots les plus simples : la France humaine.
Que disons-nous avec la France humaine ?
Dans un monde inhumain, nous rêvons que la France soit le pays le plus humain.
Dans un monde où trop souvent on laisse croire que la seule valeur est financière, nous voulons que la première valeur reconnue, protégée et honorée soit la valeur humaine.
Dans un monde où les pouvoirs sont si souvent aveugles, sourds et lointains, nous voulons que la démocratie soit à échelle humaine.
La France humaine, c'est un projet pour les Français et cela parle aussi à notre Europe et à toute l'humanité.
Et si vraiment nous partons de l'humain, alors tout s'ordonne et tout prend sa place.
JE VOUS PROPOSE UN CONTRAT ECONOMIQUE SIMPLE ET CLAIR
L'entreprise est une valeur humaine. L'énergie d'une nation est de la responsabilité du politique. Il ne peut pas se retourner contre la première source d'énergie qu'est l'entreprise.
Or le gouvernement est en train de commettre une immense erreur.
Il retrouve tous ses penchants anciens : il reprend l'entreprise pour cible.
Il l'avait déjà fait avec les 35 heures.
On va voir, dans quelques mois, ce que les 35 heures, mal préparées, imposées par la loi, j'allais dire par ukase, à toutes les entreprises, quels que soient leurs secteurs d'activité, et quels que soient le désir ou la volonté de leurs salariés, ce que les 35 heures coûtent à la France et aux salariés.
D'ailleurs, rien n'est plus amusant, si on avait le coeur à rire, que le double langage du pouvoir sur les 35 heures !
Souvenez-vous : on nous a expliqué, en long, en large et en travers que si l'on imposait les 35 heures par la loi, c'était pour créer des emplois. On sait aujourd'hui que naturellement, il n'en fut rien. Et si certains les défendent, c'est pour de tout autres raisons, certainement pas parce qu'elles auraient créé de l'emploi !
Mais c'était la raison alléguée. C'était le prétexte invoqué.
Et aujourd'hui que lit-on quand on écoute le gouvernement ? C'est que la règle qu'il voulait imposer aux autres, elle ne vaut pas pour lui. Les entreprises, on les obligeait à créer des emplois, mais l'état-patron, alors il annonce qu'il faudra avaler les 35 heures sans création de postes !
C'est une bien dangereuse et bien amusante schizophrénie quand l'état-patron en vient à refuser pour lui-même les disciplines que l'état-législateur impose aux autres.
Donc, il avait déjà pris l'entreprise pour cible. Et il recommence, il récidive.
Pour plaire à son aile la plus dure, le parti socialiste s'est mis en tête, en cas de difficultés, de plans sociaux, de punir l'entreprise.
Il se trompe. Et nous voulons le dire clairement.
Les pays qui savent cultiver l'énergie de l'entreprise se portent mieux, et leurs salariés aussi, que les pays qui la brident, la contrarient, la bloquent.
En économie, l'énergie, c'est l'entreprise. La politique que nous choisissons est celle qui favorise l'entreprise, sa création et son adaptation.
Et l'énergie, c'est aussi le travail, la création, l'innovation.
Cela impose une vision fiscale et des charges sociales radicalement différente de ce qu'elles sont aujourd'hui : c'est le travail qui porte les charges ; c'est le travail qui est visé, chargé, paralysé. Il faut l'en libérer le plus possible, fiscalement et socialement. Ce qui veut dire favoriser le salaire direct, comme l'a proposé Pierre Méhaignerie, abaisser le coût des emplois moins créateurs de richesse, comme l'a proposé Valéry Giscard d'Estaing, chercher une autre assiette à certains prélèvements sociaux, comme l'a proposé Jean Arthuis.
Nous choisissons l'entreprise pour les bons et les mauvais jours. L'entreprise, pas la logique financière. Et c'est pourquoi nous avons fait une différence entre Danone et Marks et Spencer. Notre choix, c'est l'entreprise. Mais nous voulons ajouter un deuxième élément. Il y a un modèle de l'entreprise européenne qui ne se résume pas purement et simplement à l'entreprise anglo-saxonne. L'entreprise européenne se reconnaît des responsabilités dans la cité. Elle accepte sa place dans le paritarisme social. Elle est l'héritière de la double culture de l'entreprise allemande et de l'entreprise française. L'entreprise est un acteur du dialogue social, et un lieu où ce dialogue se développe.
Nous choisissons l'entreprise en préférant le modèle européen.
Nous choisissons le travail et la création. Parmi les impôts que nous proposerons de baisser, nous choisissons l'impôt sur le revenu ! Parmi les charges qu'il faudra baisser, ou pour lesquelles nous voulons trouver une autre assiette, nous baisserons les charges sur le travail, en particulier sur les bas salaires.
JE VOUS PROPOSE UN NOUVEAU CONTRAT SOCIAL
Parmi les révolutions que la France doit vivre, il y a la révolution du social.
Le paysage social français, c'est un paysage guerrier. Un paysage de guerre civile, larvée mais permanente.
Comme si les intérêts des uns étaient en guerre avec les intérêts des autres, et comme s'il n'y avait que des intérêts à défendre.
C'est la vision d'un autre siècle.
Et certains diront peut-être que c'est la faute aux syndicats. D'autres au patronat. Mais c'est en fait toute la société française qui se complaît dans cet archaïsme.
Quand je vois l'Allemagne et quand je vois l'Espagne, l'une de tradition co-gestionnaire assumée, mais l'autre héritière d'un syndicalisme dur, de tradition anarcho-syndicaliste, alors je mesure le chemin qui nous reste à faire.
En Allemagne, comme en Espagne, la question des retraites a été traitée, et résolue. Et elle l'a été avec les partenaires sociaux, devenus en cet instant, partenaires civiques.
Quand je vois qu'en France, on ne respecte que les rapports de force, que l'on n'entend les sages-femmes que lorsqu'elles descendent dans la rue, jamais avant !
On m'accusera d'être pour la co-gestion. J'assume l'idée. Mais pour être plus exact, je veux choisir mon mot : je suis pour la co-responsabilité. Chacun est responsable pour les siens, il doit répondre pour ses mandants. Mais chacun est responsable pour tous. Nous sommes dans le même bateau. Et si confrontation il doit y avoir, ce doit être une arme de dernier recours.
Et chacun de répondre : vous rêvez. Cela est impossible en France.
Je n'accepte pas ce défaitisme. Je n'accepte pas cette malédiction.
Nous en avons eu des preuves ! Je veux saluer, en regardant vers ce nouvel horizon social une femme et un homme qui ont pris des risques pour sortir du jeu de rôle archaïque du chacun pour soi et contre l'autre. Vous avez compris que je voulais saluer le courage de Nicole Notat. Et permettez-moi de saluer aussi le courage de M. Seillière. Je n'ai pas la réputation d'être parmi les défenseurs des corporatismes patronaux. Mais je veux dire aujourd'hui, spécialement aujourd'hui, que j'ai apprécié leur vision de la refondation sociale et que je les ai trouvés courageux.
Beaucoup pensent en secret que dans le monde globalisé, devant la mondialisation galopante, il n'y a plus de grain à moudre.
Je ne suis pas de cet avis. Devant l'avalanche de plans sociaux, j'ai dit à quel point j'étais en désaccord avec tous ceux qui cherchent à frapper l'entreprise en difficulté ou en adaptation.
Ces mesures n'atteindront pas leur but. Au contraire, elles desserviront l'emploi de longue durée au profit de l'emploi précaire. Elles nourriront l'argumentation des délocalisations.
Ce n'est pas frapper l'entreprise qu'il faut, c'est apporter de nouveaux droits aux travailleurs. Une défense, mais une défense active qui lui permette de ne pas se retrouver sans rien. Jean Boissonat évoque dans son rapport l'idée d'un contrat d'activité ou d'un statut nouveau du travailleur : capital-formation, capital-épargne, capital-assistance. Le tout garanti dans un bassin d'emploi par une mutualisation des entreprises.
Dans le nouvel horizon social, dans le nouveau contrat social, l'entreprise n'est pas attaquée, c'est le travailleur qui est mieux défendu !
La République, la France humaine
Au coeur du projet de la France humaine, il y a l'idée de France.
Chacun d'entre vous le sait dans cette salle, nous sommes des européens de passion.
Et c'est en tant que militants européens que nous pouvons dire que l'identité culturelle et politique, culturelle et républicaine de la France nous importe au plus haut point. Et nous voudrions qu'en Europe, comme autrefois dans le monde, la France redevienne ce qu'elle n'aurait jamais dû cesser d'être et qui depuis du Bellay chante à notre mémoire France mère des arts, des armes et des lois. La culture, la puissance et le droit.
En deux siècles, l'idée française et l'idéal républicain se sont fondus.
L'idéal républicain : nous formons un peuple de citoyens. Nous formons un peuple qui ne se laisse pas découper en communautés indifférentes les une aux autres.
Or cette communauté républicaine, nous le vérifions bien depuis des années, elle ne se fait pas toute seule. Pour devenir une communauté, un peuple a besoin de creuset. La France a besoin du creuset républicain. Elle n'en trouve plus. Tout est fait pour que chacun vive dans son milieu, avec ceux qui lui ressemblent.
Beaucoup pensent qu'il est déjà trop tard. Là encore, je refuse cette résignation.
Je propose l'idée d'un service civil et humanitaire, de six mois, s'adressant à tous les jeunes Français, garçons et filles, au moment où ils deviennent adultes devant la loi, autour de l'âge de dix-huit ans.
Ce service, réalisable en une ou plusieurs périodes, à leur choix, pour ne pas pénaliser les études ou le travail, permet de répondre à deux questions qui importent : de la société, je reçois, je reçois des études, des assurances, qu'est-ce que je donne ? et, deuxième question, qui sont mes concitoyens qui ont plus besoin que moi ? Et, j'en ai la conviction, ce qu'ils recevraient là, sur le territoire national ou à l'étranger, dans des ONG, peut-être dans d'autres pays européens, serait pour les jeunes Français d'un immense bénéfice humain.
Et ces acquis pourraient être pris en compte dans la formation.
Je sais bien que l'on opposera des raisons budgétaires et d'autres moins nobles qui viseront à flatter l'égoïsme. Mais je demande à mes contradicteurs que l'on réponde à cette question : si l'on veut une nation solidaire, une société qui refuse l'indifférence, quels gestes concrets, quel don de soi est-on prêt à consentir ?
Bien entendu, c'est une idée que je mets sur la table. Elle sera discutée avec les jeunes eux-mêmes et leurs organisations. Mais c'est une idée républicaine et une idée civique !
Républicaine et civique : la sécurité
La République, c'est le creuset, et c'est aussi la sécurité pour tous. Il faut sortir de l'impuissance.
Je propose que l'on expérimente tout de suite après l'alternance la responsabilité directe des maires en matière de sécurité et d'ordre public, l'autorité directe des maires sur les forces de police. Nous voulons qu'il y ait un responsable : un élu qui réponde aux citoyens abandonnés, un élu qui puisse commander pour que les choses changent vraiment. C'est vrai qu'il y a des débats sur ce sujet : au moins l'expérimentation permet-elle de conjurer les fantasmes et d'effacer les peurs.
JE VOUS PROPOSE UN NOUVEAU CONTRAT AVEC LA NATURE
Impuissance et indifférence. Ce sentiment, rien ne le montre mieux que les grandes crises qui, presque chaque semaine, atteignent les rapports de notre société avec la nature.
La vache folle, la fièvre aphteuse et ses bûchers, interrogation sur l'agriculture, les grandes inondations, particulièrement en baie de Somme, interrogations sur le climat, la nature est devant nous comme notre grand partenaire.
La nature n'est pas extérieure à l'homme. La relation avec le climat, avec le végétal et l'animal, sont un élément de notre humanité.
Par exemple, en Grande-Bretagne, on a brûlé en de véritables holocaustes, un million de bovins, à propos d'une maladie bénigne, et dont on verra, je le crains, dans l'avenir qu'on ne l'éradique pas de cette façon.
Mais quand l'homme se met à considérer l'animal comme une chose indifférente, c'est une part de lui-même qu'il abîme.
C'est pourquoi j'ai défendu la vaccination, condamnée avec de fausses raisons, techniques et économiques, et à laquelle, je le dis malgré tout ce qu'on nous raconte, il est inéluctable qu'on revienne un jour ou l'autre.
C'est par humanité qu'il faut respecter l'animal !
Retrouver la nature, ce sera un chapitre essentiel de la réforme de la politique agricole commune que je propose. Une agriculture ressentie, à tort ou à raison, comme en rupture avec la nature on l'a vu avec les farines animales utilisées pour apporter des protéines à des herbivores-, c'est une agriculture qui ne nie elle-même et qui se nuit à elle-même !
De même le moral des agriculteurs est miné par la baisse toujours plus importante de la part de leur revenu en provenance des produits, et de la part toujours plus importante provenant des primes.
Il y aura donc, je le crois, deux directions à la réforme inévitable (quoi qu'en disent le président de la République et le premier ministre) de la politique agricole commune : que l'agriculture retrouve la nature et que les agriculteurs vivent de leurs produits, dont il est profondément choquant que les cours soient très au-dessous de leur prix de revient chez les plus performants des agriculteurs !
Mais retrouver la nature, ce n'est pas oublier le progrès.
Si l'activité industrielle a de l'influence sur le climat, un jour la science le montrera. Mais si effectivement les rejets dans l'atmosphère entraînent les graves perturbations qu'on redoute, alors il faut deux choses : il faut une puissance politique capable de faire reculer les Etats-Unis quand par un excès libéral criminel, ils renoncent unilatéralement aux accords de Kyoto. Et seule l'Europe peut être celle-là !
Et si c'est vraiment le cas, alors il faut revoir les positions officielles qui condamnent l'énergie nucléaire ! C'est la seule cohérence, puisque c'est la seule forme de production d'énergie qui supprime les rejets dans l'atmosphère.
Je propose que l'on change de doctrine sur le nucléaire, pour défendre le climat, et que l'on mobilise les moyens nécessaires dans la recherche sur le retraitement, de manière à supprimer, et beaucoup de chercheurs disent que c'est possible à horizon de dix ou vingt ans les déchets nucléaires. C'est ainsi qu'il a été une faute de fermer Superphénix qui s'engageait dans cette voie !
JE VOUS PROPOSE UN NOUVEAU CONTRAT POLITIQUE
J'en ai assez de l'impuissance de la démocratie française.
Un projet politique n'a de sens que si les institutions permettent de prendre des décisions, de les assumer, de les faire entrer dans la réalité.
Les institutions françaises ne le permettent pas. Il faut donc changer les institutions.
À 50 contre 50, au scrutin majoritaire, les décisions courageuses ne sont pas prises et le parti de la réforme ne peut pas se réunir.
Car le parti de la réforme existe. Il existe à droite et il existe à gauche. De la droite modérée à la gauche modérée, en passant par le centre français, ce parti de la réforme a les mêmes convictions sur la liberté économique, sur l'avenir européen, sur la vocation sociale de la politique. S'il était réuni, ce parti serait majoritaire. Mais il est coupé en deux, et chaque moitié est minoritaire dans son propre camp.
Et c'est ainsi que le parti de la réforme devient otage.
Vous comprendrez alors pourquoi la question des retraites est impossible à traiter en France. Pourquoi la question d'un service garanti à la SNCF l'est également. Pourquoi on ne peut jamais dépasser les affrontements stériles et partisans. Pourquoi dès qu'on défend une idée de bon sens, on est accusé de collusion, de traîtrise. Et voilà l'inefficacité, l'impossibilité des politiques courageuses. Et voilà chacun des camps pris en otage par son noyau dur !
C'est ainsi que l'extrême-droite a conquis à droite, pendant de longues années, un poids obsessionnel. Et c'est ainsi que l'extrême-gauche est en train de conquérir, à gauche, cet espace contestataire.
Si vous y ajoutez le scrutin majoritaire, où tout déplacement de deux ou trois points fait basculer les majorités et perdre une centaine de sièges, vous aurez l'explication de l'ambiance de panique dans laquelle vivent les majorités.
Je vous propose de changer les institutions.
Je défends des institutions où des hommes issus de camps différents puissent se réunir sans se renier pour faire avancer le pays.
C'est le rôle de l'élection présidentielle de proposer un projet rassembleur.
C'est le rôle du Président de la République de rassembler au-delà de son propre camp. C'est le rôle du Président de la République de réconcilier et de rassembler autour d'un projet pour la France. Depuis Henri IV, jusqu'au général de Gaulle, tous les grands moments de notre histoire, sans exception, ont été des moments de rassemblement, des moments où les camps différents acceptaient de travailler ensemble pour sortir le pays des impasses où il se trouvait. C'est ma conception de la plus haute charge. Elle ne peut pas être partisane. Elle est par nature rassembleuse.
Il faut ensuite que les majorités d'idées soient possibles.
Je propose l'introduction d'une part de scrutin proportionnel dans la désignation des députés, qui permette, par exemple comme en Allemagne, de conjuguer l'élection de terrain et la juste représentation des grands mouvements politiques.
Je propose que les pouvoirs de contrôle du parlement soient renforcés par la mise à disposition de la cour des comptes ou de moyens de contrôle autonomes.
Ainsi se construira le régime présidentiel équilibré que nos institutions portent en germe, mais qui n'existe pas encore.
Et c'est ainsi que la cohabitation disparaîtra. Le mal de la cohabitation, ce n'est pas que des tendances différentes soient représentées au pouvoir : c'est que ces tendances sont en embuscade et en guerre larvée l'une contre l'autre, se paralysant au lieu de s'aider !
L'Europe
Nous voulons une Europe forte et démocratique. Écoutez bien : nous voulons la démocratie européenne. Je vous propose la démocratie européenne. Que sur les sujets délégués à l'Europe se crée une vie politique, que les débats soient publics et les dirigeants élus.
C'est le seul moyen de rendre l'Europe légitime.
La constitution européenne elle fixera le grand principe de toute organisation fédérale. Le pouvoir ne va pas du haut vers le bas, mais du bas vers le haut : le plus légitime, s'il est compétent, c'est le plus proche.
L'Euro. La France veut-elle le pouvoir de sa monnaie ?
La démocratie locale
Il faut sortir du labyrinthe qu'est devenue notre démocratie, à cinq ou six niveaux de compétence, intervenant sans cesse les uns sur les autres, ne serait-ce qu'en termes de financement, et donc ralentissant sans cesse, ou empêchant la décision nécessaire. Empêchant, en tout cas, le contrôle nécessaire du citoyen sur le pouvoir.
Je vous propose une nouvelle architecture des pouvoirs, du local à l'Europe.
Pour nous, il n'y a que trois domaines de compétence : la proximité, l'aménagement, les pouvoirs de souveraineté.
C'est d'ailleurs ainsi que l'avait vu et senti la France de la Convention, de l'Empire et de la troisième République : la proximité à la commune, l'aménagement au département, la souveraineté à l'État national. L'écharpe du maire, la casquette du préfet, le président et son gouvernement.
Mais le monde a changé. Une poussée irréversible a amené la commune à constater que la solitude la rendait trop faible et à accepter les intercommunalités, les régions à se créer, et l'Europe à se construire. C'est la grande vague des regroupements : l'union est acceptée, puisqu'elle seule fait la force.
Toute mutation est difficile à vivre. Il est temps de proposer une clarification, ne serait-ce que pour que le citoyen y comprenne quelque chose.
Se regrouper, est-ce disparaître ? Voilà la vraie question.
Nous voulons défendre à la fois l'identité et l'union qui fait la force.
Et la réponse existe : elle a été apportée depuis longtemps. L'union qui respecte l'identité, l'autonomie, cela s'appelle la fédération. Fédérer et se fédérer, c'est l'avenir.
Je propose que nous raisonnions désormais à partir de deux niveaux de compétence dans la vie locale. Les communes fédérées en intercommunalité et les départements fédérés en régions.
Les intercommunalités et les communes gèrent toutes les compétences de la proximité.
Les régions et les départements gèrent toutes les compétences de l'aménagement du territoire.
Cela signifie un vaste mouvement de décentralisation qui touchera, par exemple, les compétences d'équipement, le logement, la lutte contre l'exclusion et la précarité.
Une même logique organise les deux niveaux : ce sont les mêmes élus qui dirigent les communes et l'intercommunalité, les départements et les régions. Mais dans les deux cas, je propose que les présidents soient élus au suffrage universel pour que leur autorité soit légitime.
Conclusion
Un nouveau contrat économique : prendre le parti de l'énergie : l'entreprise et récompenser le créateur. Un nouveau contrat politique : nouvelles institutions nationales et locales, nouvelle Europe. Un nouveau contrat social : co-responsabilité et nouveaux droits du travailleur. Un nouveau creuset républicain ; un nouveau contrat avec la nature.
Construire la France humaine, c'est une voie nouvelle ! Il y a eu le temps des idéologies, des systèmes ! Communisme, socialisme, libéralisme, nationalisme, tous ces mots en isme qui prétendaient avoir la clé de tous les problèmes.
Ils étaient sourds et c'était leur face noire ! Certains même, ne l'oublions jamais, ont été sourds jusqu'au crime et les dizaines de millions de victimes des nationalismes, du nazisme, et du communisme ne cesseront pas de le crier dans l'éternité !
Au XXI° siècle, si nous sommes lucides et courageux, nous allons enfin nous libérer des mots en isme !
Mais hélas ! ces erreurs et ces abominations, elle ont représenté une espérance pour des millions de femmes et d'hommes. Je voudrais que le projet de la France pour le XXI° siècle abandonne l'esprit de système et préserve l'espérance.
La France humaine : il n'y a pas de plus belle espérance, et c'est la seule espérance disponible.
Le but de la politique, ce n'est pas seulement la gestion, les chiffres, le pouvoir de l'Etat, les affrontements d'intérêts privés ou catégoriels, cela va beaucoup plus loin et très au-dessus ! Le but de la politique, c'est de construire la maison où nous élevons nos enfants.
Il y a quelques années Hillary Clinton a publié un livre avec un très beau titre, dont elle disait qu'il était repris d'un proverbe africain : il faut tout un village pour élever un enfant.
Nous savons en France que pour élever un enfant, il faut tout un pays. Toute sa mémoire, toute sa langue, toute sa culture, toute son énergie, toute son envie de vivre, et sa morale affirmée et partagée. Il faut tout un pays pour élever un enfant !
Et si c'est cet enfant que l'on regarde, alors beaucoup de conflits artificiels s'effacent. On ne parle plus seulement idéologies, argent, pouvoir. On parle culture et convictions, héritage et liberté. On regarde ce qu'il faut sauver autant que ce qu'il faut changer, ce qu'il faut préserver autant que ce qu'il faut construire. On pense à donner autant qu'à recevoir. On pense au verbe être autant qu'au verbe avoir.
La France peut porter ce modèle, pour elle, pour l'Europe, et pour l'universel.
Et nous, parce que nous sommes unis et déterminés, nous allons dessiner ce pays nouveau, énergique, juste et généreux.
Pendant 365 jours, l'année du renouveau, nous allons dessiner ce pays, dessiner la maison, définir la France humaine ".
Pendant 365 jours, il nous faudra de l'audace et du courage.
Je vous le promets : nous aurons cette audace et j'aurai ce courage. Je porterai ce projet, pour que la France tourne la page, et qu'elle redevienne ce qu'elle n'aurait jamais dû cesser d'être, une espérance pour les Français, un modèle pour l'Europe, et une lumière pour le monde.

(Source http://www.udf.org, le 7 mai 2001)