Texte intégral
G. Leclerc.- Bonjour, F. Bayrou.
Bonjour.
Ce matin, le G20 rentre, si on peut dire, dans le vif du sujet, à Londres. Vous, vous en attendez quoi en tant que leader politique, en France ?
Il y a deux urgences. La crise est venue de l'instabilité d'un côté, et de l'opacité de l'autre. Donc, il faut chercher du stable pour mettre à la place de l'instable, et du transparent pour mettre à la place de l'opaque. Le stable, qu'est-ce que c'est ? Le stable se sont des marchés, comme on dit, boursiers, internationaux, qui soient davantage surveillés avec des règles.
Donc, il faut de la régulation ?
Donc, il faut de la régulation et je voudrais qu'en Europe il y ait un régulateur unique parce que, vous savez, la guerre des gendarmes et des voleurs en Europe c'est très simple, les frontières qui séparent les Etats sont un gigantesque avantage pour les voleurs parce que les gendarmes vont jusqu'à la frontière, ils ne peuvent pas aller au-delà. Et c'est vrai pour le gendarme boursier, comme c'est vrai pour tous les autres. Donc, un régulateur unique européen.
Vous, vous privilégiez plutôt la régulation plutôt que la relance. Ce n'est pas tout à fait ce que demandent les Américains.
Oui, c'est vrai mais la régulation, un ; deux, la transparence. Une grande partie de l'évasion fiscale du monde, une grande partie des trafics, une grande partie des mafias passent par les paradis fiscaux. Et les paradis fiscaux, il faut trouver une obligation, une interdiction pour toute entreprise des pays normaux, démocratiques, de travailler avec eux.
C'est un peu ce que dit N. Sarkozy, ça, non ?
Qu'il le fasse !
Vous êtes d'accord avec lui sur ce point.
Mais qu'il le fasse, qu'on y arrive et qu'il le fasse. Et enfin, troisièmement, oui, je pense qu'il faut un soutien à l'activité, et ce soutien pour moi ne peut être qu'européen. Les soutiens nationaux chacun dans son coin, on le voit bien, ça a des limites très... qu'on atteint très vite et ça ne marche pas comme il faudrait.
Mais ça par exemple, en France on a les moyens de le faire, même en Europe, on sait à quel point la dette et les déficits c'est une vraie préoccupation pour vous. On peut le faire, on peut faire plus de relance en France ?
La dette et les déficits, l'exigence d'équilibre c'est une exigence pour quand l'économie va à peu près bien. Une des raisons pour lesquelles j'ai tellement plaidé pour qu'on lutte contre les déficits et la dette, c'est parce qu'il faut avoir des moyens d'action lorsque ça va mal. Il faut avoir des moyens d'action lorsque la situation est dégradée pour soutenir l'activité. Et vous voyez que aujourd'hui dans la situation de chacun de nos Etats nous ne pouvons y accéder à ce soutien que si nous faisons une action européenne tous ensemble, concertée, de manière à apporter quelque chose à l'économie.
Alors, vous dites « action européenne », or on a vraiment l'impression que pendant ce sommet N. Sarkozy et A. Merkel sont vraiment côte à côte et que l'axe franco-allemand s'est vraiment reconstitué. Cela doit vous faire plaisir, vous l'européen.
Si c'est vrai, ça me fait plaisir, mais l'Europe ça n'est pas deux pays seulement. Ils sont nécessaires. L'incompréhension, la manière dont les dirigeants français parlaient de la Chancelière allemande, tout ça allait dans un très mauvais sens. Alors, j'espère de toutes mes forces qu'on va durablement mettre en place une entente entre les Allemands et les Français.
Est-ce que vous sentez au début de ce Sommet du G20 un peu une opposition entre les pays anglo-saxons, c'est-à-dire en gros les Etats-Unis et l'Angleterre, et de l'autre côté les autres pays, d'Europe notamment ?
Oui, je crois qu'on se tromperait si on limitait le G20 à un face à face européen/américain.
Il y a aussi évidemment les autres pays, il y a la Chine...
... parce qu'il y a l'immense Chine, il y a tous les autres acteurs économiques de la planète.
Bien sûr ! Bien entendu !
Je voudrais ajouter une dernière idée, vous disiez « qu'est-ce que vous espéreriez du G20 ? ». Il y a une chose que j'espèrerais, c'est que tous ces pays qui sont les acteurs du monde économique se mettent ensemble pour traiter une question qui va nous exploser à la figure, nous ne pouvons pas continuer sans rien faire à accepter que le dollar soit la seule monnaie de la planète. Nous ne pouvons pas avoir une monnaie pour l'ensemble des Etats du monde qui soit uniquement dirigée par un seul Etat pour ses propres intérêts. Et donc, l'idée qu'on cherche une référence internationale qui permette de ne plus accrocher nos monnaies du monde uniquement au dollar me parait quelque chose de tout à fait essentiel à faire.
Qu'est-ce que vous pensez de la posture de N. Sarkozy, on lui a interprété des propos comme quoi si jamais il n'y avait pas de résultat tangible à Londres il pourrait quitter la table ? Qu'est-ce que vous pensez de ce genre, je dirais de posture, si c'est vrai, ça n'est pas confirmé ?
Je vais vous dire, ayant beaucoup observé le pouvoir actuel et le président de la République actuel, depuis dix-huit mois, il y a une chose que je...
... vous le connaissez bien !
... oui, je le connais assez bien. Il y a une chose que je sais, c'est qu'il ne faut pas s'arrêter aux mots, il faut regarder les actes. Les déclarations, les affirmations, les postures, tout ça c'est, me semble-t-il, la surface des choses. Ce qui est intéressant de regarder ce sont les actes et on verra ce soir si oui ou non ce genre de manifestations était justifié.
On revient un petit peu en France. Quand on regarde les effets de la crise en France, notamment des tensions sociales, on commence à voir des actes, par exemple des cadres séquestrés, etc. Vous êtes très inquiet de la tournure sociale, je dirais, des évènements dans notre pays ?
Non, je suis très inquiet du modèle de société qu'on est en train de nous imposer. Je suis très inquiet d'une société d'inégalités de plus en plus frappantes. Et je suis sûr que ça vous frappe aussi, c'est impossible qu'on continue sans rien dire, avoir des gens qui travaillent et qui ont de plus en plus de mal à joindre les deux bouts, avoir des retraités et des petites retraites qui sont en difficulté, et d'un autre côté, vous l'avez vu encore hier soir, on a annoncé des dizaines de millions d'euros pour des dirigeants d'entreprise qui, aidées par l'Etat...
... il faut plafonner par exemple tout simplement les rémunérations des patrons, des chefs d'entreprise, en France ?
En tout cas, il faut traiter cette question et il faut la traiter par une loi. On ne peut plus... quel est mon reproche fondamental, ma confrontation fondamentale avec le pouvoir actuel ? Ils ont choisi de bâtir une société qui est une société où les inégalités ont de plus en plus de place. Et ils l'ont fait exprès. Vous avez entendu...
... pardon de vous interrompre, ce n'est pas dangereux de montrer du doigt tout de même les chefs d'entreprise ? C'est eux aussi qui font l'économie d'un pays.
Mais, s'il vous plaît, est-ce que vous vous rendez compte qu'en disant ça, vous faites l'amalgame entre des managers qui accèdent à des richesses insupportables et des patrons de PME, des cadres d'entreprise, des gens qui travaillent beaucoup pour des revenus faibles ? C'est ça le danger, et c'est ça le risque. Ce que je dis c'est que l'inégalité, les inégalités sont destructrices, vous entendez, les inégalités sont destructrices. Si on a un gouvernement qui, comme celui-ci, a un pouvoir comme celui-ci, qui a choisi de faire des inégalités son axe pour la société française, celui-là il fait beaucoup de mal aux pays. C'est ça qui est en train de se passer.
Toute dernière question, très très brièvement, est-ce que vous allez lier le retour de la France dans le commandement intégré et votre campagne européenne, l'OTAN ? Le 60e anniversaire de l'OTAN c'est à la fin de la semaine, a partir de demain.
Vous voyez, en fait ça a l'air d'une question différente, c'est la même parce que le choix que le pouvoir a fait c'est le choix d'aligner la France sur cette société qui domine la planète et on sait bien d'où ça vient, et qui est pour moi une société qu'il faut remettre en question plutôt que de l'accepter. Et l'entrée dans le commandement intégré de l'OTAN c'est un signe qui dit « la France n'a plus de modèle à elle-même, elle va se ranger dans le modèle des autres ». Je suis en désaccord avec cette orientation. Je suis pour que la France retrouve les choix fondamentaux qui ont été ceux de son histoire et de son avenir.
Merci beaucoup, F. Bayrou.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 2 avril 2009
Bonjour.
Ce matin, le G20 rentre, si on peut dire, dans le vif du sujet, à Londres. Vous, vous en attendez quoi en tant que leader politique, en France ?
Il y a deux urgences. La crise est venue de l'instabilité d'un côté, et de l'opacité de l'autre. Donc, il faut chercher du stable pour mettre à la place de l'instable, et du transparent pour mettre à la place de l'opaque. Le stable, qu'est-ce que c'est ? Le stable se sont des marchés, comme on dit, boursiers, internationaux, qui soient davantage surveillés avec des règles.
Donc, il faut de la régulation ?
Donc, il faut de la régulation et je voudrais qu'en Europe il y ait un régulateur unique parce que, vous savez, la guerre des gendarmes et des voleurs en Europe c'est très simple, les frontières qui séparent les Etats sont un gigantesque avantage pour les voleurs parce que les gendarmes vont jusqu'à la frontière, ils ne peuvent pas aller au-delà. Et c'est vrai pour le gendarme boursier, comme c'est vrai pour tous les autres. Donc, un régulateur unique européen.
Vous, vous privilégiez plutôt la régulation plutôt que la relance. Ce n'est pas tout à fait ce que demandent les Américains.
Oui, c'est vrai mais la régulation, un ; deux, la transparence. Une grande partie de l'évasion fiscale du monde, une grande partie des trafics, une grande partie des mafias passent par les paradis fiscaux. Et les paradis fiscaux, il faut trouver une obligation, une interdiction pour toute entreprise des pays normaux, démocratiques, de travailler avec eux.
C'est un peu ce que dit N. Sarkozy, ça, non ?
Qu'il le fasse !
Vous êtes d'accord avec lui sur ce point.
Mais qu'il le fasse, qu'on y arrive et qu'il le fasse. Et enfin, troisièmement, oui, je pense qu'il faut un soutien à l'activité, et ce soutien pour moi ne peut être qu'européen. Les soutiens nationaux chacun dans son coin, on le voit bien, ça a des limites très... qu'on atteint très vite et ça ne marche pas comme il faudrait.
Mais ça par exemple, en France on a les moyens de le faire, même en Europe, on sait à quel point la dette et les déficits c'est une vraie préoccupation pour vous. On peut le faire, on peut faire plus de relance en France ?
La dette et les déficits, l'exigence d'équilibre c'est une exigence pour quand l'économie va à peu près bien. Une des raisons pour lesquelles j'ai tellement plaidé pour qu'on lutte contre les déficits et la dette, c'est parce qu'il faut avoir des moyens d'action lorsque ça va mal. Il faut avoir des moyens d'action lorsque la situation est dégradée pour soutenir l'activité. Et vous voyez que aujourd'hui dans la situation de chacun de nos Etats nous ne pouvons y accéder à ce soutien que si nous faisons une action européenne tous ensemble, concertée, de manière à apporter quelque chose à l'économie.
Alors, vous dites « action européenne », or on a vraiment l'impression que pendant ce sommet N. Sarkozy et A. Merkel sont vraiment côte à côte et que l'axe franco-allemand s'est vraiment reconstitué. Cela doit vous faire plaisir, vous l'européen.
Si c'est vrai, ça me fait plaisir, mais l'Europe ça n'est pas deux pays seulement. Ils sont nécessaires. L'incompréhension, la manière dont les dirigeants français parlaient de la Chancelière allemande, tout ça allait dans un très mauvais sens. Alors, j'espère de toutes mes forces qu'on va durablement mettre en place une entente entre les Allemands et les Français.
Est-ce que vous sentez au début de ce Sommet du G20 un peu une opposition entre les pays anglo-saxons, c'est-à-dire en gros les Etats-Unis et l'Angleterre, et de l'autre côté les autres pays, d'Europe notamment ?
Oui, je crois qu'on se tromperait si on limitait le G20 à un face à face européen/américain.
Il y a aussi évidemment les autres pays, il y a la Chine...
... parce qu'il y a l'immense Chine, il y a tous les autres acteurs économiques de la planète.
Bien sûr ! Bien entendu !
Je voudrais ajouter une dernière idée, vous disiez « qu'est-ce que vous espéreriez du G20 ? ». Il y a une chose que j'espèrerais, c'est que tous ces pays qui sont les acteurs du monde économique se mettent ensemble pour traiter une question qui va nous exploser à la figure, nous ne pouvons pas continuer sans rien faire à accepter que le dollar soit la seule monnaie de la planète. Nous ne pouvons pas avoir une monnaie pour l'ensemble des Etats du monde qui soit uniquement dirigée par un seul Etat pour ses propres intérêts. Et donc, l'idée qu'on cherche une référence internationale qui permette de ne plus accrocher nos monnaies du monde uniquement au dollar me parait quelque chose de tout à fait essentiel à faire.
Qu'est-ce que vous pensez de la posture de N. Sarkozy, on lui a interprété des propos comme quoi si jamais il n'y avait pas de résultat tangible à Londres il pourrait quitter la table ? Qu'est-ce que vous pensez de ce genre, je dirais de posture, si c'est vrai, ça n'est pas confirmé ?
Je vais vous dire, ayant beaucoup observé le pouvoir actuel et le président de la République actuel, depuis dix-huit mois, il y a une chose que je...
... vous le connaissez bien !
... oui, je le connais assez bien. Il y a une chose que je sais, c'est qu'il ne faut pas s'arrêter aux mots, il faut regarder les actes. Les déclarations, les affirmations, les postures, tout ça c'est, me semble-t-il, la surface des choses. Ce qui est intéressant de regarder ce sont les actes et on verra ce soir si oui ou non ce genre de manifestations était justifié.
On revient un petit peu en France. Quand on regarde les effets de la crise en France, notamment des tensions sociales, on commence à voir des actes, par exemple des cadres séquestrés, etc. Vous êtes très inquiet de la tournure sociale, je dirais, des évènements dans notre pays ?
Non, je suis très inquiet du modèle de société qu'on est en train de nous imposer. Je suis très inquiet d'une société d'inégalités de plus en plus frappantes. Et je suis sûr que ça vous frappe aussi, c'est impossible qu'on continue sans rien dire, avoir des gens qui travaillent et qui ont de plus en plus de mal à joindre les deux bouts, avoir des retraités et des petites retraites qui sont en difficulté, et d'un autre côté, vous l'avez vu encore hier soir, on a annoncé des dizaines de millions d'euros pour des dirigeants d'entreprise qui, aidées par l'Etat...
... il faut plafonner par exemple tout simplement les rémunérations des patrons, des chefs d'entreprise, en France ?
En tout cas, il faut traiter cette question et il faut la traiter par une loi. On ne peut plus... quel est mon reproche fondamental, ma confrontation fondamentale avec le pouvoir actuel ? Ils ont choisi de bâtir une société qui est une société où les inégalités ont de plus en plus de place. Et ils l'ont fait exprès. Vous avez entendu...
... pardon de vous interrompre, ce n'est pas dangereux de montrer du doigt tout de même les chefs d'entreprise ? C'est eux aussi qui font l'économie d'un pays.
Mais, s'il vous plaît, est-ce que vous vous rendez compte qu'en disant ça, vous faites l'amalgame entre des managers qui accèdent à des richesses insupportables et des patrons de PME, des cadres d'entreprise, des gens qui travaillent beaucoup pour des revenus faibles ? C'est ça le danger, et c'est ça le risque. Ce que je dis c'est que l'inégalité, les inégalités sont destructrices, vous entendez, les inégalités sont destructrices. Si on a un gouvernement qui, comme celui-ci, a un pouvoir comme celui-ci, qui a choisi de faire des inégalités son axe pour la société française, celui-là il fait beaucoup de mal aux pays. C'est ça qui est en train de se passer.
Toute dernière question, très très brièvement, est-ce que vous allez lier le retour de la France dans le commandement intégré et votre campagne européenne, l'OTAN ? Le 60e anniversaire de l'OTAN c'est à la fin de la semaine, a partir de demain.
Vous voyez, en fait ça a l'air d'une question différente, c'est la même parce que le choix que le pouvoir a fait c'est le choix d'aligner la France sur cette société qui domine la planète et on sait bien d'où ça vient, et qui est pour moi une société qu'il faut remettre en question plutôt que de l'accepter. Et l'entrée dans le commandement intégré de l'OTAN c'est un signe qui dit « la France n'a plus de modèle à elle-même, elle va se ranger dans le modèle des autres ». Je suis en désaccord avec cette orientation. Je suis pour que la France retrouve les choix fondamentaux qui ont été ceux de son histoire et de son avenir.
Merci beaucoup, F. Bayrou.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 2 avril 2009