Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur les relations entre la France et le Brésil dans le contexte de la mondialisation, sur la coopération entre l'Europe et le Mercosur à l'heure des négociations pour la création de la ZLEA (zone de libre-échange des Amériques) et sur le refus américain de ratifier le protocole de Kyoto sur les gaz à effet de serre, Brasilia le 5 avril 2001.

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Circonstance : Voyage officiel de M. Lionel Jospin au Brésil et en Argentine du 4 au 7 avril 2001-conférence de presse à Brasilia le 5

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureux de rencontrer les représentants de la presse brésilienne, de la presse française et de la presse internationale. Je voudrais remercier nos hôtes brésiliens de nous offrir ce cadre prestigieux de l'Itamaraty, ce qui n'est pas très fréquent je crois. Je dois dire mon très grand bonheur d'être à nouveau au Brésil, je suis venu à plusieurs reprises dans ce pays que j'aime et admire mais je n'y étais jamais venu dans des fonctions officielles. On m'a murmuré que peut-être j'étais le Premier ministre français à venir au Brésil, si c'est le cas j'en suis flatté. Je vais passer trois jours dans votre pays, y rencontrer les autorités, après le président Cardoso, à Sao Paulo et à Rio. Il y a entre nos pays un attrait très fort, peut-être parce que tous deux sont attachés à leur identité propre, sont moteurs dans des constructions régionales et se veulent, en même temps acteurs constructifs de la communauté internationale. Les liens entre nous ne sont pas seulement historiques, ils ne sont pas simplement liés à une amitié profonde, au goût de la France pour la puissance énergétique et créative du Brésil, à l'intérêt peut-être du Brésil pour la tentative de notre pays de faire une synthèse entre la conscience qu'il doit être un pays compétitif dans la compétition mondiale et en même temps continuer à construire un modèle équilibré de société dans laquelle nos concitoyens puissent se reconnaître. Nous appartenons, l'un et l'autre, à des ensembles régionaux qui sont encore en construction, le Mercosur, l'Union européenne. Nous avons une amitié historique avec la première puissance du monde et en même temps nous voulons continuer à développer une pensée qui soit la nôtre et qui puisse contribuer à développer des règles, des règles d'action pour les pays et les nations dans un monde extrêmement complexe et dont les évolutions ne peuvent pas être la base de l'unilatéralisme.
Nous venons d'avoir des échanges avec le président Cardoso et ses ministres. Nous avons évoqué la situation économique dans nos deux pays, les progrès qui ont été accomplis de part et d'autre, les problèmes qui subsistent et que nous devons régler. Nous avons évoqué les relations bilatérales entre la France et le Brésil qui sont excellentes, commencé à parler des questions économiques dans nos rapports, nous en parlerons encore dans nos prochaines rencontres et notamment à l'occasion du déjeuner de travail que nous allons avoir et puis nous avons évoqué ces ensembles régionaux et la façon dont l'Union européenne et le Mercosur peuvent discuter ensemble, approfondir encore les relations entre cette partie de l'Amérique latine et l'Europe. Voilà, je ne veux pas être trop long, sinon j'occuperais le temps de notre rencontre à un monologue, ce n'est pas l'esprit de celle-ci et donc je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.
Q - L'Europe, selon des déclarations du président Cardoso, serait en perte de vitesse en Amérique latine par rapport aux Etats-Unis en raison de la ZLEA et européenne. Monsieur le Premier ministre quel type de signe le président Cardoso peut-il attendre de la France, un pays qui résiste le plus à une réforme de la Politique agricole commune ? Par ailleurs, la conjoncture actuelle avec la crise de la vache folle, la fièvre aphteuse, l'élargissement et la ZLEA, ne constitue-t-elle pas une raison suffisante pour faire que L'Europe avance dans les négociations agricoles ?
R - Dans notre échange ce matin avec le président Cardoso, nous avons parlé de la situation économique dans les ensembles régionaux auxquels nous appartenons. J'ai souligné que l'Europe était désormais et à nouveau entrée dans une phase de croissance, au moment où le Japon affronte des difficultés et au moment où les Etats-Unis d'Amérique, après des années de croissance exceptionnelle, sont en train d'opérer un atterrissage économique dont nous espérons qu'il sera doux et qu'il débouchera sur une reprise de la croissance américaine.
Comme le Brésil dont le président Cardoso nous soulignait qu'il avait fait face efficacement aux crises spéculatives qui se sont produites au cours des dernières années : russe, asiatique, d'Amérique latine, l'Europe a bien traversé ces crises peut-être parce qu'elle fait le choix de la croissance économique et de la coordination des politiques économiques et aussi parce qu'elle a été protégée par l'Euro contre les crises spéculatives internes à la zone euro. Ce contexte économique est favorable à l'Europe et dans cette Europe, les performances économiques de la France sont aujourd'hui bonnes: croissance au-dessus de 3 % en 2000, inflation faible, investissements et consommation soutenus, chômage en diminution forte.
Dans ce contexte de croissance nous avons toute raison d'être de bons partenaires pour une bonne négociation avec le Mercosur. Nous sommes convenus avec le président Cardoso que ces discussions qui sont en cours et à la relance desquelles la France a contribué pendant sa présidence de l'Union, devaient se conduire de façon globale. C'est-à-dire que l'on doit y examiner les problèmes agricoles mais aussi les problèmes industriels, les problèmes de service, que l'on doit y examiner les obstacles tarifaires mais aussi les obstacles non-tarifaires et que c'est dans une discussion globale que l'on trouvera des compromis équilibrés. La France est un des éléments moteurs de ces négociations entre l'Europe et le Mercosur et elle n'est donc pas du tout dans une attitude frileuse à cet égard.
En ce qui concerne les questions agricoles, de même que les Etats-Unis sont la première puissance industrielle du monde et un grand pays agricole, de la même manière la France, la quatrième économie mondiale, est un grand pays industriel et de services mais aussi un pays agricole. Donc il est légitime que nous défendions nos intérêts. Je rappelle que l'Union européenne est beaucoup plus ouverte aux produits agricoles, disons du Mercosur par exemple, que ne le sont les Etats-Unis, que le marché français est plus ouvert aux produits de cette région et notamment du Brésil que ne le sont les Etats-Unis, un exemple simple : 90% du jus d'orange consommé en France vient du Brésil. D'ailleurs, nous faisions remarquer au président Cardoso que le Brésil exporte 70 % de produits manufacturés.
Je voudrais vous dire aussi que la Politique agricole commune de l'Europe a beaucoup changé. Elle est moins fondée sur un soutien aux prix et sur des subventions à l'exportation et davantage fondée sur une aide aux revenus des agriculteurs.
D'autre part, comme vous l'avez justement souligné dans votre question, et notamment à la suite d'inquiétudes sur les problèmes de sécurité alimentaire, il y a une interrogation qui a commencé en Europe et aussi en France sur le modèle agricole et il y a certainement le désir des consommateurs et la prise de conscience par les agriculteurs qu'il faut de plus en plus insister sur la qualité des produits. Donc la France défendra ses intérêts agricoles légitimes tout comme tout autre pays mais elle n'est absolument pas fermée à un débat international sur l'orientation du modèle agricole en Europe et dans d'autres pays. Donc, je crois que vous trouverez en nous un partenaire ouvert et que vous ne devez pas garder sur ces sujets une image, je dirais, un peu trop cliché, des positions de la France.
Q - Y a-t-il en dehors de ces règles économiques une spécificité, une originalité de la France et de l'Europe qui font que nous pourrions être une alternative crédible à la toute puissance des relations américaines avec le continent sud-américain ?
R - Je ne suis pas sûr qu'il faille poser les problèmes en termes d'alternative, d'une part parce que les Etats-Unis, première puissance économique, militaire, stratégique du monde et, d'autre part, parce que les Etats-Unis, comme vous le savez, sont en Amérique. Je pense qu'il faut davantage raisonner en termes d'équilibre des relations internationales. Le monde globalisé ne peut être régulé, dans le sens des intérêts humains que sur une base du multilatéralisme en provoquant à la fois un dialogue des nations et une définition des règles dans les grandes organisations internationales, notamment mais pas seulement de la famille des Nations unies.
Le monde global est trop complexe pour que les problèmes soient réglés sur la base de l'unilatéralisme et aucune puissance même la plus importante ne saurait organiser le monde toute seule. Je ne veux pas parler évidemment à la place de nos amis brésiliens mais d'un point de vue français, je trouve qu'il y a une similarité dans nos positions. Je l'ai dit nous sommes des pays qui tenons à notre fidélité avec un sentiments national fort. Nous sommes des éléments moteurs dans des processus d'intégrations régionales. Nous avons tous les deux historiquement des liens d'amitié ancienne avec les Etats-Unis, nous avons aidé les Etats-Unis, nous la France dans leur indépendance, les Etats-Unis ont été un des premiers pays à reconnaître l'indépendance brésilienne. Donc la question d'amitié avec les Etats-Unis n'est pas posée. Mais je crois que nous restons des pays qui ont envie de continuer de penser par eux-mêmes et qui sont attachés à ce multilatéralisme et à cette régulation internationale dont je parle. Les relations qui se nouent entre cette partie de l'Amérique latine, entre le Mercosur, le Brésil et les Etats-Unis ne sont, à mon sens, nullement contradictoires avec les relations nécessaires qui existent entre l'Europe et le Brésil. Je rappelle que l'Europe est le premier partenaire économique et commercial du Brésil. Personnellement, je poserai le problème en termes d'équilibre, pas en termes d'alternative.
Q - Monsieur le Premier ministre, un journal brésilien dresse de vous un portrait flatteur sous le titre: "Le Baron Rouge". Je voudrais savoir ce que vous pensez de ce qualificatif ?
R - Je viens d'apprendre cela récemment alors je n'ai pas eu le temps d'intérioriser cette formule et de lui donner peut-être tout son jus, toute sa valeur. Simplement on m'a dit que c'était, parait-il, il y a un certain nombre d'années, le nom d'un groupe de rock assez populaire. Si c'est le cas je le prends vraiment comme un compliment. En ce qui concerne l'aspect "baron", autant que je regarde mon arbre généalogique, je ne trouve aucun aristocrate dans ma famille, je suis obligé de le confesser. S'agissant de la couleur et ce côté rouge, tous ceux qui me connaissent en France savent que je suis rose.
Q- Allez-vous, Monsieur le Premier ministre, être candidat à la présidence de la République l'année prochaine ?
R - Je ne me pose cette question qu'en France.
Q - Monsieur le Premier ministre, vous avez signé un accord aujourd'hui avec le gouvernement brésilien pour la construction d'un pont sur la rivière Oyapock qui devrait relier la Guyane au Brésil. Les Guyanais sont impatients de savoir quand sera véritablement mis en service ce pont et ce qu'il représente en fait dans la politique de coopération régionale entre les deux pays ?
R - Le président Cardoso nous faisait remarquer que la frontière entre la France, un département français d'Amérique et le Brésil était la plus longue qu'avait la France avec un autre pays . Cela ne manque pas de nous frapper. Par ailleurs, les liens de coopération entre les responsables des collectivités locales en Guyane, les autorités et notamment le gouverneur de l'Amapa que j'ai rencontré, sont excellents. Il y a aussi toute une série de problèmes à traiter et à régler. D'ailleurs symboliquement, le président brésilien et le président de la République française s'étaient rencontrés sur l'Oyapock à l'occasion d'une visite du président de la République française. Ce qui a été signé aujourd'hui est à un stade premier de cette réalisation, c'est-à-dire la décision de constituer un groupe d'experts qui va examiner la viabilité et les conditions dans lesquelles ce projet peut être réalisé. Cela prouve que les engagements pris sont tenus par les deux gouvernements et à d'autres étapes de la réalisation de ce projet qui est pour mon Gouvernement très important, nous aurons l'occasion, sur des décisions plus symboliques encore de rassembler les élus de l'état brésilien concerné et des autorités du Département pour d'autres cérémonies.
Q - L'avancée des négociations pour la création de la ZLEA gênent-elle les négociations de la création d'une zone de libre échanges entre les blocs commerciaux du Mercosur et de l'Union européenne?
R - Il semble bien qu'il y ait des négociations ou des discussions différentes qui se mènent d'une certaine façon parallèlement, il y a la discussion sur la ZLEA, il y a les discussions entre le Mercosur et l'Union européenne et je le rappelle, il y a les discussions plus globales encore sur le cycle à l'OMC qui doivent reprendre après l'échec de Seattle à Doha, à l'automne, à la fin de cette année. Je crois que les acteurs principaux de ces négociations et donc notamment le Brésil et la France comme pays, et dans leurs ensembles régionaux doivent être capables de réfléchir à ces trois dimensions. Naturellement, les pays d'Amérique latine et le Brésil discutent librement de ce projet de zone de libre échange américaine, nous n'avons pas à interférer dans ce débat. Le président Cardoso nous a d'ailleurs donné le sentiment après sa rencontre avec le président Bush sur la façon dont le Brésil et les Etats-Unis voyaient cette question. Mais ce n'est pas à moi bien sûr de m'exprimer sur ce sujet. Les négociations entre le Mercosur et l'Europe doivent progresser rapidement, la France y est favorable. Pour qu'elle progresse rapidement, je le redis, il faut que la discussion porte sur tous les sujets parce que c'est cela qui permet d'arriver à un compromis équilibré, le tarifaire, l'agricole, l'industrie et le service. Une focalisation sur les seules questions agricoles, à mon avis, ne permettrait pas que l'on avance assez vite.
La France se veut un élément moteur d'une progression rapide de ces négociation pour arriver à des résultats dans l'ensemble des champs, y compris d'ailleurs sur les questions agricoles. Et puis, il faut que nous prenions en compte la troisième négociation qui va reprendre dans l'Organisation mondiale du commerce. L'échec de Seattle n'est pas dépendant ni du Brésil, ni de la France, ni de l'Union européenne, on le sait. Nous sommes favorable à un nouveau cycle. Mais là aussi, ce cycle doit être global de façon à ce que les intérêts des uns et des autres puissent être pris en compte. Nous ne souhaitons pas évidemment négocier dans un cadre alors qu'il faudrait renégocier dans un autre. Donc, il faut nous en parler avec le président Cardoso, trouver le moyen d'articuler ces différentes négociations.
Voilà comment je vois les choses et en tous cas il n'y a aucune raison que les négociations entre le Mercosur et l'Union européenne n'avancent pas rapidement. La France en tous cas, sera un élément positif dans cette négociation.
Q - Deux formations politiques se disputent votre visite, une liée au président Cardoso, au gouvernement, le PSDB et l'autre liée à la Maire de Sao Paulo, Marta Suplicy, et à son parti le PT. Où va votre sympathie la plus grande, avec les partis de gauche ou avec le centre droit?
R - Je vois dans cette situation quelque chose d'assez émouvant et sympathique finalement. Cela traduit l'intimité de nos relations et notamment de nos relations culturelles, idéologiques quand il y a des débats d'idées et politiques. Il n'y a aucune raison, en même temps que l'intimité conduise à l'indécence. Je n'ai pas à porter jugement sur la vie politique brésilienne. Ces débats m'intéressent, je les suis mais je ne porte pas jugement. Je n'ai pas à exprimer de préférence d'abord parce que comme vous le savez la Gauche en France est plurielle. Au Brésil, le Centre et la Gauche sont également très divers et nous sommes habitués à cette diversité, nous respectons cette diversité. Le programme tel qu'il a été organisé a été organisé avec les autorités brésiliennes naturellement et comporte les visites habituelles, en tous cas dans les villes où je vais aux autorités telles qu'elles sont, gouverneurs, maires, et donc c'est ce que nous avons fait. Il ne servirait à rien, à mon sens, de tirer des conclusions d'un programme qui est celui, logique, d'un Premier ministre français se déplaçant dans plusieurs des villes brésiliennes.
Enfin, chacun sait qu'au-delà des configurations politiques, j'ai pour le président Fernando Henrique Cardoso beaucoup de respect, beaucoup d'admiration. Cela était pour nous un hommage à nos relations et un geste de sympathie extrême que le président ait fait en sorte que l'ensemble de nos échanges, ce matin, se déroule en français. Nous y avons été tous extrêmement sensibles. De toutes les personnalités politiques brésiliennes que vous pourriez citer, il a l'avantage de l'antériorité parce que c'est lui que j'ai connu le premier puisque lorsqu'il était dans l'opposition, il y a longtemps, alors que de mon côté, j'étais responsable du Parti Socialiste, j'ai eu le privilège d'être invité à déjeuner chez lui et de parler avec lui. Je le rencontre maintenant dans de nouvelles fonctions, en France, aujourd'hui au Brésil, je l'ai rencontré aussi à Florence, je l'ai rencontré également à Berlin, dans les Sommets des modernisateurs. Tous les Français ont beaucoup de respect pour la personnalité du président brésilien. La vie politique brésilienne est très riche, très vive et donc je serai heureux d'avoir les rencontres que j'aurai pendant ce voyage avec des personnalités qui ont des sensibilités différentes.
Q -Vous voyagez dans un contexte de crise et de divergences ouvertes au sein du Mercosur. Trois jours au Brésil et trois heures en Argentine, n'est-ce pas un peu déséquilibré ?
R - Ce qui avait été convenu après que le président Cardoso m'ait invité, c'était que je vienne au Brésil. Je fais donc d'abord un voyage au Brésil et puis compte tenu aussi des liens qui se sont tissés entre le président de la Rua et moi-même, nous avons eu envie tous les deux de nous voir dans un moment où l'Argentine affronte une crise économique, de capitaux, extrêmement difficile. Dans ce contexte, après notamment les événements de décembre, dans lesquelles j'avais déjà eu une relation directe avec le président argentin, nous avons eu envie de nous rencontrer. Donc vous ne pouvez pas comparer, une façon d'être au Brésil ou d'être en Argentine. Je vais voir le président argentin avant de rentrer. Si un jour un voyage officiel se fait en Argentine, il se fera pleinement autour de l'Argentine car ce pays mérite d'être traité comme tel. Par ailleurs, dans le cadre du Mercosur, nous avons été frappés de la façon dont le Brésil a affirmé, à l'égard de ce grand pays voisin, sa solidarité et nous sommes solidaires, la communauté internationale avec le FMI, la Banque mondiale de l'Argentine dans les difficultés qu'elle affronte et qu'elle dominera j'en suis persuadé. C'est donc une rencontre personnelle et non pas la construction d'un voyage.
Q -(inaudible)
R - Nous pensons que dans un monde globalisé où les mouvements de capitaux désormais relèvent quasiment de l'instantanéité, où des masses considérables de capitaux qui peuvent se déplacer d'une place monétaire ou financière en quelques heures ou presque quelques dizaines de minutes, il y a une nécessité d'une meilleure régulation du système financier international.
La France a contribué à la réflexion et aux progrès qui ont été opérés à la suite des crises de ces dernières années dans la communauté internationale et notamment au FMI d'une part, à l'égard des "hedge funds" spéculatifs, d'autres part, pour améliorer les processus d'aides en cas de crise spéculative, enfin pour associer les milieux privés, notamment les institutions financières privées à cet effort de régulation car dans les moments de crise, on ne comprendrait pas que ce serait seulement aux Etats ou aux puissances publiques d'apporter des réponses à des problèmes qui auraient été créés essentiellement par des mouvements de capitaux privés. Cet effort pour associer les institutions financières privées au travail des institutions financières internationales et des Etats est positif. Il faut poursuivre dans ce sens d'autant qu'il y a une autre dimension à prendre en compte et sur laquelle la France est très ferme, les risques de criminalité financière internationale liée à la globalisation des marchés financiers. La lutte contre le blanchiment de l'argent sale fait partie de ce travail de régulation.
Dans ce cadre global, se pose le problème des pays en développement, plus fragiles face aux crises spéculatives et chroniquement dans une situation plus difficile quand il s'agit des pays les plus pauvres ou les plus endettés. La France a soutenu et soutient les mesures en faveur des pays pauvres très endettés et a pris bilatéralement des mesures d'annulations de sa dette à l'intention de ces pays.
Q - Vous avez parlé de solidarité face aux problèmes de l'Argentine. Pensez-vous à des mesures d'assistance concrètes ? D'autre part, vous venez au Brésil avec un délégation forte de quelques 220 personnes dont des chefs d'entreprise. Avez-vous reçu de la part du président Cardoso des assurances que les investissements français au Brésil seront rentables?
R - S'agissant de l'Argentine, j'ai déjà répondu à une question et je pense qu'il est mieux que m'exprime sur ce sujet lorsque je serai en Argentine.
Si ma délégation est nombreuse, c'est qu'il y a beaucoup de journalistes. Certes ils ne font pas vraiment partie de la délégation officielle, ils ont leur indépendance d'esprit. C'est la presse libre, indépendante qui témoigne. Enfin, ils sont là avec moi. Je suis surtout entouré de ministres, le ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine, le ministre de la Recherche, Roger-Gérard Schwarzenberg, le ministre de la Coopération et de la Francophonie, Charles Josselin, le ministre de l'Enseignement professionnel, Jean-Luc Melenchon, ministre du Commerce extérieur, François Huwart. Il y a aussi un certain nombre de haut fonctionnaires, de diplomates chargés des relations bilatérales avec le Brésil, de l'Amérique latine ou de questions de relations internationales plus larges que nous aborderons dans nos discussions. Il y a aussi un certain nombre de chefs d'entreprises, de très grandes entreprises françaises, certaines implantées au Brésil depuis plus d'un demi-siècle, d'autres y ayant réalisé des investissements considérables au cours de la dernière décennie, certaines qui sont en train d'investir sur des projets et il y a aussi un certain nombre de petites et moyennes entreprises. Certaines entreprises ont un personnel qui peut paraître réduit mais parce qu'elles travaillent justement sur les réseaux qui caractérisent l'économie moderne, sont capables d'apporter une expertise sur des problèmes extrêmement larges et globaux. Nous avons ce nouveau commerce international des PME performantes. Les investissements français au Brésil sont importants, sont en développement. Je m'en réjouis parce que je trouve que la part de la France dans le commerce du Brésil n'est pas encore assez importante et ces investissements annoncent de futurs échanges. Nous avons l'intention, avec le président Cardoso et ses ministres, de continuer la discussion sur les problèmes économiques bilatéraux qui n'ont pas été encore véritablement abordés ce matin, nous avons plus parlé de la situation économique dans nos deux pays, des relations dans les deux espaces régionaux. Nous parlerons dans quelques instants des questions économiques bilatérales.
Je pense qu'il y a une très grande capacité de nos entreprises. Il y a aussi des entreprises brésiliennes qui exportent des produits, notamment des produits manufacturés et de haute gamme dans notre pays, ce n'est donc pas un échange inégal, mais un échange équilibré. Et dans plusieurs domaines, l'eau par exemple, le traitement des déchets, l'organisation de la vie urbaine, il y a une certaine conception française qui peut être utile pour un pays comme le vôtre fondé, pas simplement sur la privatisation de tel ou tel secteur, mais, sur la concession avec des obligations de service public et c'est une approche qui peut être originale.
Je voudrais aussi soulever devant vous un problème qui m'a paru important qui a été évoqué par certains hommes d'affaires français et que j'ai l'intention d'évoquer avec le président Cardoso, il semble qu'il y ait beaucoup d'entreprises françaises qui ont noué des contacts avec des collectivités locales brésiliennes, des villes pour traiter les problèmes de déchets ou bien l'organisation de l'eau. Il y a des besoins et un savoir-faire français mais il existe un problème de solvabilité.
Ces collectivités locales n'ont pas toujours l'argent suffisant pour financer ces opérations. Alors je pense qu'il faut que nous réfléchissions à la façon dont ces entreprises privées ou publiques françaises, ces collectivités locales, y compris des banques françaises ou brésiliennes et peut-être l'Etat fédéral, peuvent envisager de trouver les modalités de financement pour aider ces collectivités. Cela prouve que la coopération n'est pas simplement entre Etats, entre entreprises mais qu'elle peut mêler différents niveaux de l'organisation administrative et différents types d'entreprises.
Q - A propos du Protocole de Kyoto et s'agissant des brevets des médicaments de lutte contre le SIDA, que pensez-vous des positions brésiliennes?
R - Les approches du Brésil et de la France sont très voisines sur ces deux sujets. Nous avons vivement regretté et mal compris en tant que Français et en tant qu'Européens, l'annonce que les autorités américaines renonceraient aux obligations du Protocole de Kyoto. On peut toujours discuter de ce qu'il faut faire face à la situation en Iraq ou face au problème des Balkans, on peut discuter de la régulation économique internationale. Ce sont des questions importantes, lourdes et il peut y avoir des débats d'orientations différentes.
Sur la question des risques que fait courir à notre planète la prolifération à effet de serre, ce n'est pas une question de conception, d'idéologie, d'opportunité, c'est une question potentielle de survie. Des peuples entiers, des nations peuvent être, dans des avenirs désormais proches, menacés directement dans leur vie par la montée des océans résultant du réchauffement de la planète qui a déjà des effets climatiques que l'on commence à constater. A terme, cela peut être la survie même de notre planète unique qui est posée. A partir de ce moment-là, ou l'analyse des scientifiques est juste et tous les pays, chacun à leur façon, la responsabilité des pays développés est plus lourde, doivent répondre à cette question. Ou alors c'est que l'analyse des scientifiques n'est pas la bonne. Nous ne croyons pas que cela soit le cas. Le consensus maintenant s'est fait sur les risques et sur le rapprochement des risques. Donc nous avons exprimé, comme le Brésil, notre incompréhension à l'égard de ces annonces et nous espérons que les autorités américaines vont reconsidérer leur position.
En ce qui concerne l'accès des populations les moins favorisées, et donc aussi des pays en développement, aux médicaments, c'est pour nous une question essentielle. Je n'ai pas à régler les problèmes qui peuvent être soulevés au sein de l'OMC mais les annonces faites au Brésil ont marqué spectaculairement que les grands groupes pharmaceutiques internationaux devaient désormais prendre en compte le fait que le nombre maximum de malades du Sida était dans les pays en développement où l'accès à ces médicaments, la capacité de payer les prix actuels n'est pas possible. Je ne rentre pas dans le détail des contentieux, il faut tenir compte aussi des brevets, de la nécessité de rentabiliser mais fondamentalement, le problème qu'a soulevé le Brésil correspond à notre pensée. D'ailleurs à la suite d'une initiative française, il y a le projet de tenir à Dakar une conférence internationale sur l'accès des pays en développement aux médicaments dont la France va soutenir, et même aider, l'organisation. Sur ces deux grands problèmes, l'un qui est un problème physique mais qui concerne l'avenir de notre planète, l'autre qui est humain et de santé et qui concerne l'avenir de l'homme dans une partie des populations du monde, je suis heureux de constater que les philosophies, les visions des autorités brésiliennes et des autorités françaises sont communes. Cela prouve que nous tirons notre inspiration des mêmes valeurs./.
(Source http://www.doc.diplomatie.gouv.fr, le 12 avril 2001)