Texte intégral
Déclaration devant la commission des affaires étrangères du Parlement allemand :
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Membres de la Commission des Affaires européennes,
Cher Joschka,
Je suis très heureux de pouvoir débattre avec vous aujourd'hui. En cherchant une date avec Monsieur Pflueger nous avons retenu le 9 mai, jour de l'Europe et c'est un heureux symbole. Je vous remercie à nouveau, Monsieur le Président, de cette invitation, et de cette occasion.
C'est aussi avec plaisir que je reviens dans ce très beau bâtiment du Reichstag, historique et nouveau en même temps, où, en juin dernier, j'accompagnais le président de la République.
Nous sommes tous conscients en France du rôle important que joue votre Commission dans la définition des positions de l'Allemagne sur les questions européennes et sommes attentifs à ses travaux. J'aurais d'ailleurs souhaité venir avec l'homologue français de M. Pflueger, Alain Barrau, que vous connaissez, qui était à Berlin en ce début de semaine pour le congrès du PSE mais qui malheureusement ne pouvait rester jusqu'à aujourd'hui. Il m'a demandé de vous dire combien il le regrettait. Enfin, je salue Joschka Fischer, qui s'est lui-même rendu à l'Assemblée nationale à Paris en novembre dernier, à l'invitation d'Alain Barrau, et je le remercie de sa présence aujourd'hui.
Vous savez l'importance que j'attache personnellement à la relation entre la France et l'Allemagne. Je m'y suis toujours intéressé - mon lycée était jumelé avec le lycée français de Berlin où étudiaient de nombreux jeunes Allemands dont certains sont restés mes amis -. Quant à ma vision du monde et de l'Europe, elle a été très marquée par la centaine de rencontres ou à peu près entre Helmut Kohl et François Mitterrand, ces grands Européens, auxquelles j'ai eu le privilège de participer, et par leurs conceptions. Quand je suis devenu ministre des Affaires étrangères, en 1997, j'ai établi avec mon homologue d'alors, Klaus Kinkel, une coopération étroite qui nous a conduit à alerter, dès novembre 1997, par une lettre commune, nos partenaires sur ce qui se préparait au Kosovo, et à relancer ainsi le groupe de contact. Ensuite, avec Joschka Fischer, Européen visionnaire et infatigable, nous avons développé, depuis octobre 1998, une relation intellectuelle, politique et diplomatique, intense et confiante, qui ne laisse aucun sujet de côté.
A la veille du grand élargissement, je suis plus convaincu que jamais qu'il n'y a pas d'alternative, ni pour la France, ni pour l'Allemagne, ni pour l'Europe, à une entente franco-allemande.
Nous avons pu mesurer, durant la présidence allemande de l'Union en 1999 comme durant la présidence française l'année dernière, combien il est devenu difficile de trouver par la négociation des solutions consensuelles à quinze sur des questions importantes, alors qu'un tel accord est pourtant une nécessité constitutionnelle et démocratique absolue. L'entente entre nos deux pays doit donc être lucide, concrète, loyale, fondée sur les réalités actuelles de nos deux pays et la vision de l'Europe telle que nous la voulons. Elle est exigeante, elle est irremplaçable ce qui ne signifie évidemment pas qu'elle soit exclusive ou suffisante. C'est pour toutes ces raisons qu'avec Joschka Fischer, nous nous sommes engagés avec conviction dans la redéfinition des relations franco-allemandes décidée par le chancelier, le président de la République et le Premier ministre le 31 janvier dernier en Alsace. Au cours de quatre rencontres déjà, depuis lors, nous avons examiné nos positions respectives sur tous les grands problèmes européens et internationaux du moment, et travaillé à les harmoniser là où c'est nécessaire. Vous connaissez bien ces grandes questions, communes à la France et à l'Allemagne : l'introduction effective de l'euro l'année prochaine et la dynamique qu'elle entraînera dans la coordination accrue des politiques économiques ; l'ensemble de la problématique de la sécurité quotidienne et de la justice, qui rend nécessaire une véritable coopération policière et judiciaire ; la construction de la politique européenne de sécurité et de défense que nous devons absolument mener à bien ; le développement, sujet par sujet, de la politique étrangère commune, ce qui reste une uvre de longue haleine mais dont les avancées sont incontestables. Il suffit de voir combien les positions des Quinze sont aujourd'hui convergentes sur les Balkans. Sur tous ces points, le travail avance. Mais je voudrais approfondir avec vous deux autres grandes questions, particulièrement importantes, qui détermineront, selon la façon dont elles seront traitées, toutes les autres : l'élargissement et l'avenir de l'Union européenne.
Sur l'élargissement, je me réjouis que nous ayons pu vraiment, sous la présidence portugaise et sous la présidence française, et encore plus depuis Nice et grâce à Nice, avec la présidence suédoise, accélérer les négociations d'adhésion. Et que nous soyons sortis, depuis le Conseil européen d'Helsinki, de plusieurs années de confusion relative.
Il était en effet évident, dès le début des années 90, que les demandes d'adhésion des nouvelles démocraties d'Europe ne pourraient qu'être acceptées, et même qu'elles étaient une chance historique pour tous les Européens. Mais il était aussi évident alors qu'aucun des pays concernés ne serait prêt avant longtemps à reprendre à son compte les règles extraordinairement exigeantes de la participation à l'Union, l'acquis communautaire, et que l'Union elle-même ne serait pas en mesure de les accueillir sans s'être réformées au préalable. Les questions utiles étaient donc : quand négocie-t-on ? Sur quoi ? Comment ? Sur quoi l'Union se réforme-t-elle avant ? Comment les candidats se préparent-ils ?
Si les Quinze, la Commission, et les candidats s'étaient concentrés plus tôt sur les réponses à apporter à ces questions précises, nous aurions évité bien des polémiques inutiles du type "qui est pour ou contre l'élargissement ?" et des reproches injustifiés. Nous n'aurions entretenu, ni les inquiétudes ni les illusions, également infondées. Aujourd'hui, en tout cas, nous avons une politique claire, qui est la bonne : des négociations sérieuses, concentrées, fondées sur la différenciation, c'est-à-dire les mérites et le degré de préparation de chaque candidat, et les avancées réalisées dans les négociations. Par commodité de méthode, la Commission travaille chapitre par chapitre et nous essayons d'aller aussi loin que possible sur chacun d'entre eux en trouvant des solutions aux difficultés plus ou moins graves qui apparaissent. En même temps, nous devons garder à l'esprit que nous ferons adhérer des pays, et non pas des chapitres. Cela veut dire que les chapitres de négociations provisoirement clos le sont sous réserve de l'accord final pays par pays, ce qui implique qu'un équilibre global ait été trouvé entre les différentes préoccupations, les intérêts respectifs, les politiques concernées, sachant que la base de la négociation est la reprise la plus complète et la plus rapide possible de l'acquis, dans le respect du cadre de L'Agenda 2000. Par exemple sur la libre circulation des travailleurs, un accord provisoire peut être trouvé, je le souhaite ; mais l'adhésion de tel ou tel pays ne sera acquise qu'après accord des Quinze sur tous les autres problèmes de la négociation avec ce pays.
Depuis plusieurs années, on parle régulièrement de fixer à l'avance des dates d'adhésion. Je crois que c'est de plus en plus un faux problème. Quelles dates ? Pour quel pays ? Pour tous ou pour quelques-uns ? Comment trancher sans dommage ? Sauf quand la Commission nous dira qu'avec tel ou tel pays, la négociation est quasi terminée, ce que nous enregistrerons alors avec plaisir. L'essentiel est que l'Union européenne, elle, sera prête en 2003 et qu'à partir de cette date, dès que tout sera réglé avec un pays-candidat donné, celui-ci pourra adhérer. C'est même pour être capable de tenir cet engagement que les Quinze ont su se mettre d'accord à Nice malgré les difficultés et que, en tant que présidence, nous y avons mis toute notre énergie, dans les conditions ingrates que vous connaissez. L'important c'est que nous ayons réussi ensemble. La France est heureuse d'avoir ainsi contribué à dégager l'Europe de problèmes en suspens depuis des années, ce qui nous permet maintenant d'avancer plus vite et plus sérieusement vers l'élargissement, qui est tout proche, et de débattre de l'avenir de l'Europe élargie, ce dont je voudrais dire maintenant quelques mots.
Une fois le Traité de Nice acquis, un nouveau rendez-vous était nécessaire pour répondre au désir de plus en plus pressant de clarté, de démocratie, de légitimité des décisions dans l'Europe élargie. Et de réconcilier des volontés, toutes européennes mais parfois contradictoires, de décentralisation, ce qu'on appelle subsidiarité dans le langage européen, et de centralisation ou d'intégration. Il était devenu nécessaire de saisir ces problèmes fondamentaux à bras le corps. Le chancelier Schröder a eu raison de le proposer aux Quinze à Nice et nous avons eu raison de fixer la conclusion de ce processus en 2004.
Le débat le plus important de l'histoire de la construction européenne est ainsi engagé, le premier qui concernera la quasi-totalité des pays d'Europe, le premier aussi qui impliquera l'ensemble des citoyens européens. C'est une ambition très vaste, qui doit être organisée car ce débat ne doit être ni enjambé, ni escamoté par des conclusions prématurées et il nécessite du temps si l'on veut qu'il soit vraiment démocratique. Trois années ne seront pas de trop pour cela. A Nice, nous en avons arrêté les premiers éléments : dès cette année, des débats démocratiques aussi larges que possibles dans chaque pays européen. En France, nous l'avons déjà organisé, lancé et entamé de façon à ce que tous les Français y participent tout au long de cette année 2001 et peut-être au-delà. A partir du courant de l'année 2002 et en 2003, une réflexion préparatoire plus structurée au niveau européen - peut être une convention dans des conditions à définir mais d'autres formules sont également possibles - qui devrait être lancée au Conseil européen de Laeken en décembre prochain, fin 2003 et début 2004, une CIG décisive et un Conseil européen conclusif. Au bout du compte peut-être une Constitution, si l'on s'entend à Quinze sur ce que signifie ce mot.
Bien sûr notre priorité, c'est le sens de notre Union, pourquoi nous sommes ensemble, nos objectifs, le contenu plus encore que le contenant. Le Premier ministre français s'exprimera bientôt sur l'un comme sur l'autre. Mais cet après-midi, je voudrais faire devant vous quelques réflexions sur les institutions.
- Notre point de départ, c'est que l'Union constitue déjà, en fait, une fédération d'Etats-nations. Elle combine des éléments fédéraux, dont l'euro sera l'expression la plus forte, et des nations souveraines qu'il n'est pas question de faire disparaître.
Ainsi, le problème n'est pas tant de savoir comment désigner notre projet européen, que de répondre à deux grandes questions : quelle doit être la répartition des compétences et des pouvoirs entre l'Europe et les Etats membres, entre la fédération et les nations ; comment organiser le pouvoir au niveau européen.
- A Nice, nous nous sommes fixés l'objectif ambitieux de nous mettre d'accord sur une répartition précise des pouvoirs et des compétences. La bonne répartition ne naîtra pas automatiquement des mots : fédération, constitution, subsidiarité, même s'ils expriment des orientations et des valeurs. En fait, chacun d'entre eux peut recouvrir des réalités très différentes. Ainsi, une Constitution peut aussi bien limiter les pouvoir de la fédération que limiter ceux des entités fédérées. Le niveau fédéral peut intégrer un grand nombre ou très peu de politiques : celles-ci peuvent faire l'objet d'une intégration plus ou moins poussée. Ce sont des choix à faire, pas autoritairement dictés par les mots.
Enfin, toutes les politiques ne concernent pas nécessairement tous les Etats membres, et c'est un paramètre supplémentaire à considérer dans cette répartition des compétences. C'est par la négociation, et non par une tentative qui serait vaine d'appliquer des formules toutes faites, que nous devrons trouver un équilibre.
- La réflexion sur l'organisation du pouvoir doit elle aussi partir de la réalité de l'Union et de ce qui a permis ses progrès : c'est l'équilibre du triangle institutionnel Conseil/Commission/Parlement, complété par la jurisprudence de la Cour de Justice qui forme le système communautaire et qui a donné à la construction européenne son dynamisme et son originalité et qui fait que nous sommes parvenus là où nous sommes aujourd'hui et que nous pouvons aller encore plus loin.
Le grand élargissement, qui est une mutation profonde de la construction européenne, implique-t-il une modification de ce système ? Je crois qu'il serait dangereux de rompre cet équilibre, qui a fait ses preuves.
Certes, il faudra sans doute renforcer le Parlement européen et la Commission et aller au-delà de ce que nous avons décidé à Nice. Pour ces deux institutions, les propositions dans ce sens sont déjà très nombreuses. A cet égard, même si, pour diverses raisons, la position de la France ne peut pas être la même, je salue la force de la contribution récente du SPD à ce débat.
Je relève, cependant, qu'elle romprait nettement l'équilibre au détriment du Conseil et des Etats membres. Je suis convaincu au contraire que toutes les institutions européennes devront être renforcées. Si on ne devait renforcer qu'un ou deux sommets de ce triangle, nous compromettrions l'efficacité d'un système qui a fait ses preuves et on irait très probablement vers un blocage entre le Quinze.
Je pense que plus nous renforcerons le Parlement et la Commission, moins nous devrons réduire le Conseil au rôle d'une seconde chambre. Nous devrons en réalité le renforcer et le moderniser, pour des raisons de légitimité, de représentativité politique et de démocratie comme pour des raisons d'efficacité.
- Nous devons aussi nous prononcer sur la manière dont les politiques européennes doivent être gérées. La règle commune est une gestion par la Commission, en conformité avec les règles fixées par le Conseil en accord avec le Parlement. Mais certaines politiques resteront, pour une durée indéterminée, gérées par les gouvernements ensemble. Cela ne signifie pas moins d'efficacité ou moins d'ambition, cela signifie que ces procédures intergouvernementales devront elles aussi être rénovées et modernisées.
Ayons, à ce stade, la franchise de reconnaître que le positions jusqu'ici exprimées en Europe sur la répartition des pouvoirs et la nature du pouvoir européen ne coïncident pas encore, du fait de leur richesse ou de leur diversité d'inspiration, mais soyons sûrs que nous aurons l'audace, l'inspiration et l'ambition nécessaire pour y parvenir, pour 2004.
(source http://www.dipomatie.gouv.fr, le 11 mai 2001)
Déclaration en réponse aux questions des parlementaires allemands :
Mesdames et Messieurs,
Si nous pensions tous la même chose, il n'y aurait pas lieu de débattre entre nous comme nous le faisons aujourd'hui. Nous ne sommes pas là simplement pour échanger des congratulations, même si elles sont justifiées aussi. Si je considère tout le travail que nous avons fait ensemble, alors c'est vrai qu'il y a, sur certains points, des différences d'approche ; mais parce que nous sommes les Français et les Allemands, il est particulièrement important que nous ayons des occasions et des enceintes, notamment parlementaires, pour en débattre. Je ferais d'autres commentaires sur les interventions que j'ai entendues, tout en rappelant que j'ai déjà donné des indications auparavant sur certains points.
Sur l'élargissement, il faut avoir une image positive. On a dit tout et n'importe quoi sur l'élargissement, il y a eu beaucoup de démagogie ou de rhétorique vaine, mais en même temps il y a eu beaucoup de travail au niveau des Douze, puis des Quinze, beaucoup de travail de la Commission, des pays membres, d'une force extrêmement difficile, à une vitesse beaucoup plus considérable que nous l'avons fait dans notre propre pays quand nous avons dû dans le passé faire certaines grandes réformes. Maintenant nous débattons. J'ai dit tout à l'heure qu'il ne me paraîtrait pas très logique de fixer telle ou telle date pour certains pays mais on sait que ce serait dans pas très longtemps. Au bout du compte, ce rattrapage historique de ce qui avait été l'insupportable division du continent européen est à portée de main. Donc, tous les commentaires sur l'élargissement doivent être inspirés par ces considérations positives, une sorte de fierté collective. Bien sûr, il y a des opinions publiques, qui s'inquiètent dans les pays membres ou qui s'impatientent dans les pays candidats. La seule bonne réponse, c'est la bonne négociation. Les pays candidats n'ont pas besoin d'avocats, ils ont besoin de bons négociateurs. Nous aussi, nous avons besoin de bons négociateurs et la seule bonne réponse à l'impatience des candidats et aux inquiétudes de certains pays- membres sur certains points, c'est le bon accord, la bonne conclusion qui nous permettra aux uns et aux autres de trouver la bonne solution, pour que ces pays adhèrent à l'Union et que cela renforce les uns et les autres au lieu d'affaiblir les uns et les autres.
Certains m'ont posé une question concernant l'inquiétude de certains pays candidats à propos des positions de la France sur la politique agricole commune ou concernant les positions de l'Allemagne sur la libre circulation. Je ne crois pas qu'il y ait des éléments d'actualité concernant la Politique agricole commune de la part des pays candidats mais il est absolument légitime que l'Allemagne pose les problèmes que peut poser la libre circulation. Que certains parlent de la politique agricole commune ou de l'environnement, c'est normal, cela fait partie de la négociation. Ce serait artificiel de considérer que tel pays pose un problème anormal parce qu'il a souligné ses difficultés réelles. Il y a des chapitres plus difficiles que d'autres, cela ne vient pas d'un seul pays mais presque de tous les Etats membres. Quant aux pays membres, ils demandent tous des adaptations et des dérogations sur ceci ou cela. C'est cela la négociation. C'est pour cela qu'il ne servait à rien de parler d'élargissement pendant des années en se demandant si on était pour ou contre. L'intérêt était de négocier jusqu'à ce que l'on trouve la bonne solution. Les bonnes solutions ne sont pas loin pour les pays les plus avancés. Soyons donc déjà fiers du travail accompli, optimistes et accueillants. Puisque l'on s'est mis d'accord à Nice, on est en mesure de tenir nos engagements, c'est à dire d'accueillir, à partir de janvier 2003, les pays qui seront prêts les premiers. Pour l'ordre, ce n'est pas à moi de trancher, il faut rester rationnel et logique, c'est donc à la Commission de nous dire quel est l'état réel d'avancement des négociations.
Sur l'avenir de l'Europe, le débat est très intéressant, car il fait apparaître des différences de sensibilités. Si nous ne les traitions pas, dans un dialogue démocratique comme celui-ci, nous serions fautifs. Dans mon pays on ne considère pas qu'un débat ne soit pas démocratique ; or quand vous parlez de démocratie ou du renforcement de celle-ci vous ne parlez que du Parlement. Le caractère du Parlement est naturellement incontestable, mais il me semble que les décisions prises en Europe, au nom des peuples d'Europe, depuis cinquante ans, ont toujours été prises par des gouvernements démocratiques, qui ont rendu des comptes, qui se sont présentés à des élections, après avoir pris ensemble des décisions d'une immense audace, qu'aucun gouvernement ailleurs dans l'histoire du monde ait jamais prises. Il n'y a aucune histoire des gouvernements, qui soit comparable à l'histoire des gouvernements d'Europe de ces dernières décennies. Ce n'est pas le résultat d'une révolution violente, d'une confiscation des pouvoirs démocratiques, ce sont des gouvernements démocratiques qui ont pris des décisions. Ce sont, excusez-moi de le dire, des décisions intergouvernementales qui ont fondé l'Europe, telle qu'elle est aujourd'hui, comme l'euro et tant d'autres, qui sont le résultat de décisions de ce type.
Je note - ce qui est particulièrement intéressant sur les cultures des différents pays d'Europe - que dans mon pays, nous ne sous-estimons pas une seconde le caractère hautement démocratique du Parlement et des parlements, mais nous les mettons sur le même plan. Dans le détail, je ne peux pas trancher, dans la mesure où nous devrons augmenter ces pouvoirs là. J'ai dit tout à l'heure qu'il faudrait également renforcer les pouvoirs du Conseil. C'est un point de vue différent et il faudra en débattre. Nous, nous ne pourrons pas accepter que le Conseil devienne une simple deuxième chambre. Ce n'est pas notre vision. D'ailleurs, quand le chancelier Helmut Schmidt et le président Valéry Giscard d'Estaing ont décidé de lancer l'initiative qui a conduit au Conseil européen, et à ce que l'Europe ait un vrai gouvernement démocratique, historiquement, cela s'est passé comme cela. Et toutes les grandes initiatives intergouvernementales historiques ont été prises avec la pleine participation de l'Allemagne, pas uniquement par association de l'Allemagne, mais parfois l'initiative venait même de l'Allemagne. Il n'y a pas une tradition française qui s'opposerait à une tradition allemande. La tradition de l'équilibre communautaire, dont je parlais, entre le Conseil, la Commission et le Parlement, c'est une tradition partagée, en particulier par les pays fondateurs depuis le début. Certains me disent aujourd'hui que cela ne marche plus ; si cela ne marchait pas, nous ne serions pas là à en discuter. On serait plusieurs chapitres en arrière. On serait derrière le Traité de Maastricht ou je ne sais où. Certains défendent la thèse selon laquelle ce système d'équilibre ne marche plus et qu'il faut le modifier, c'est une thèse tout à fait légitime, dont il faut débattre, qu'il faut accueillir avec intérêt. Sur ce point, j'aurais la franchise de dire que nous aurions plutôt tendance à rechercher le maintien de cet équilibre, même si c'est à travers une intensification ou un perfectionnement d'un des éléments du triangle. Nous aurons peut-être d'ailleurs à faire des propositions plus précises sur ces différents points. Voilà, me semble-t-il, la principale différence qui est aussi un élément de richesse de ce débat. Je le dis à la fois par fidélité à l'esprit qui a permis la construction de l'Europe, par esprit démocratique puis d'efficacité, parce que, encore une fois, les gouvernements me paraissent pleinement démocratiques et cela ne me paraît pas du tout choquant que ceux-ci défendent les intérêts des citoyens. Quand nous étions à Nice, chaque gouvernement a défendu ses intérêts, y compris l'Allemagne. Ce n'est pas choquant. Et c'est précisément parce que nous avons fui devant la construction européenne depuis plusieurs décennies qu'il convient de combiner ces réalités historiques et nos immenses ambitions. Et on n'a pas oublié l'ambition, ni la réalité. Et c'est pour cela que nous avons fait ce grand chemin, comparable à rien d'autre. En Allemagne, la plupart des partis politiques se retrouvent sur l'idée que la plupart des orateurs ont exprimée, celle d'un vrai changement de cet équilibre Parlement/Commission. Je rappelle une conception qui est celle de l'équilibre tout en pensant qu'elle peut être perfectionnée. Nous ne sommes pas pour le statu quo, ni en ce qui concerne le Parlement, ni la Commission ou le Conseil, nous n'avons pas épuisé le débat aujourd'hui. Et puis n'oublions pas qu'il y a tous les autres.
Il y a, d'une part, l'élaboration d'une position allemande dont on voit les lignes de force, il y a, d'autre part une position française, et une position dans chaque pays. Au bout du compte, il faudra bien en 2004 trouver un consensus, non seulement avec les Quinze parce que c'est la loi de la démocratie - et on ne voit pas au nom de quoi on pourrait priver tel ou tel pays de son droit de donner l'accord au consensus final qui sera trouvé - mais même avec certains pays candidats qui seront devenus membres entre temps et même avec ceux qui ne seront pas devenus membres ; il faudra bien les associer jusqu'à un certain point, qui reste à définir.
On m'a demandé de m'expliquer plus précisément sur les modalités qui peuvent intervenir entre le débat démocratique dans chaque pays et la période de la nouvelle CIG. J'ai évoqué tout à l'heure l'hypothèse de la convention, dont il convient de définir les caractéristiques et le mandat ; vous savez très bien que certains pays sont radicalement opposés à une convention. Donc, c'est aussi difficile de faire une convention avec une partie des pays ou alors il faut les convaincre.
Cela suppose une négociation. Certains défendent l'idée d'un groupe de sages sous différentes formes, certains sont très favorables, d'autres non. A ce stade, en réalité, il n'y a pas de consensus entre les Quinze sur les modalités de structuration du débat après la présidence belge et avant 2003. Nous aurons à trancher cette question, puisque c'est l'objectif numéro un de la présidence belge, qui espère pouvoir faire une déclaration répondant aux questions relatives aux modalités.
Je vais faire quelques remarques rapides sur les cinq interventions précédentes en regroupant quelques thèmes. En même temps je profiterais de ce qu'a dit Joschka Fischer pour ajouter quelques commentaires.
En ce qui concerne la libre circulation, puisque deux d'entre vous sont revenus sur ce problème : la France n'a pas de problème particulier. Elle n'a pas de difficultés particulières, mais elle respecte que l'Allemagne et d'autres pays d'ailleurs puissent avoir un problème sur ce sujet. C'est un élan normal de solidarité de prendre en compte la préoccupation allemande. C'est le travail normal de la Commission de prendre en compte ses demandes, de regarder ce que disent les pays candidats, les assurances qu'ils peuvent fournir. Au bout du compte, une solution sera forcément trouvée. Est-ce qu'il faut des délais de transition, est-ce ce que c'est sept ans, cinq ans, je n'en sais rien, ce n'est pas moi qui vais trancher, en tout cas tout cela me paraît une négociation normale. L'un d'entre vous me demandait pourquoi la France était contre ; nous ne sommes pas contre, simplement nous ne sommes pas le pays qui a posé le problème, on n'a pas des intérêts directs évidents, nous agissons sur ce sujet d'abord en solidarité avec l'Allemagne. Nous admettons un souci alors que ce n'est pas un problème direct pour nous, mais nous ne pouvons pas souhaiter que la négociation avec tel ou tel pays candidat soit présentée comme terminée quand on aura trouvé un arrangement provisoire sur la libre circulation. C'est cela notre seul souci. Ce n'est pas parce que l'on n'est pas sensible au problème de l'Allemagne sur la libre circulation. L'Allemagne a parfaitement le droit de défendre ses intérêts et de poser les problèmes qui la concerne directement, c'est un droit légitime, il n'y a pas à être gêné par cela.
Mais à côté de la libre circulation, il y a aussi des problèmes concernant la cohésion et l'environnement ; il peut y avoir des problèmes concernant la politique agricole commune. Nous sommes ouverts donc aux demandes allemandes et nous l'avons manifesté. Nous souhaitons en échange que l'Allemagne montre sa solidarité par rapport aux autres pays de l'Union européenne qui, sur d'autres chapitres qui ne sont pas encore traités par la Commission, peuvent avoir des problèmes. Pour parler encore plus clairement, pour que, comme je l'ai fait au cours de cet après midi, le débat soit le plus clair possible, nous ne souhaitons pas que l'Allemagne dise "on s'est mis d'accord avec notre problème de libre circulation avec les Polonais, donc la négociation avec la Pologne est terminée". C'est une présentation que je ne peux pas imaginer. Il faut bien que l'on soit tous d'accord à Quinze pour dire que la négociation doit se mener jusqu'au bout pour chaque pays, que ce soit la Pologne ou n'importe quel autre pays, jusqu'au bout surtout pour tous les chapitres ; tous les pays ont d'ailleurs d'autres problèmes sur d'autres chapitres. J'espère que d'ici à Göteborg, nous aurons trouvé des formulations qui concilient de façon dynamique les intérêts des uns et des autres.
Ensuite, je ne vais pas reprendre toutes nos considérations sur l'avenir de l'Europe, mais faire deux ou trois remarques utiles. D'abord, je n'ai pas fait de critiques tout à l'heure sur le document du SPD. Il est tout à fait légitime et j'ai même rendu hommage à la force de cette contribution. Et de plus, j'ai constaté que bien au-delà du SPD, les éléments fondamentaux de ce texte était en fait appuyés par la plupart des autres partis. Donc, il y a un consensus allemand assez fort et pas uniquement parlementaire sur ce point. C'est également sensible dans la presse allemande. Il n'y a pas de critique dans ce que je dit. Ce document n'est pas une critique du gouvernement, ce document exprime un point de vue, avec franchise et il coïncide sur certains points, tant mieux ; sur d'autres, il ne coïncide pas, mais ce n'est pas un drame. On est au début de la discussion et on a trois ans devant nous. On va continuer à discuter, mais encore faut-il savoir sur quoi. Ce n'est pas la peine de noyer ces échanges dans un fleuve d'amabilités si l'on n'est pas capable de savoir sur quoi il s'agit d'avancer intellectuellement. Moi, j'ai trouvé cette démarche très bien et je souhaite que dans le plus grand nombre possible des pays d'Europe, les partis politiques importants, les parlements, les gouvernements expriment ce qu'ils pensent sur les différents points de l'avenir de l'Europe.
Ensuite, je souhaiterais faire une remarque sur la méthode d'élaboration. En ce qui me concerne, je suis très favorable à ce que les parlements nationaux jouent un rôle important. J'y suis vraiment favorable. Je ne pense pas qu'il puisse y avoir un processus d'élaboration qui laisse complètement de côté les parlements nationaux, mais je n'ai pas de doctrine. On ne peut pas dire que les seules constitutions qui auraient été bonnes dans le passé, sont les constitutions qui auraient été faite par les parlements. Il y a des Constitutions faites par des parlements qui ont marché, d'autres faites par des experts qui ont aussi marché, ou parfois il s'est passé l'inverse. C'est compliqué. Toujours est-il qu'il n'y a pas de Constitution dans un pays démocratique si elle n'a pas été ratifiée démocratiquement. Mais je vois bien la demande qui émane ici - je peux vous dire que c'est la même chose pour le Parlement français - qui est celle de participer à l'élaboration. J'y suis tout à fait favorable. Soit les Quinze arrivent à se mettre d'accord sur une convention entre eux, en précisant le calendrier de la convention, sa composition, ses pouvoirs, son mandat, et il est alors évident que tous les parlements nationaux en font partie. C'est évident et même souhaitable. Soit les Quinze n'arrivent pas à se mettre d'accord sur la convention parce qu'ils préfèrent une autre formule. D'une façon ou d'une autre, il faut que les parlements nationaux puissent être associés et puissent faire des propositions avant qu'on en arrive à la fin du processus qui est constitutionnellement incontournable, c'est à dire la Conférence intergouvernementale et le Conseil européen. Nous sommes dans des Etats de droit, il y a des Constitutions, ces deux phases finales sont incontournables. Je suis favorable à un rôle des parlements nationaux sans hésitations.
Je voudrais faire une dernière remarque qui est un peu liée à la précédente, celle d'une seconde chambre. Dans les différents projets sur l'avenir de l'Europe qui sont mis en avant par les uns ou par les autres, apparaît l'idée d'une deuxième chambre à côté du Parlement européen. Je voudrais préciser ma pensée là-dessus. Une deuxième chambre dans le système institutionnel européen qui permettrait une expression des parlements nationaux, pourquoi pas. Cela ne pose pas à la France de problème de principe, de problèmes constitutionnels ou théoriques par rapport à notre conception de l'Europe. Ce qui nous pose un problème, et je l'ai déjà dit, ce serait de transformer le Conseil en une seconde chambre. C'est autre chose, il s'agit là de deux idées différentes. Nous pensons que le Conseil doit continuer à jouer un rôle éminent dans le fameux triangle institutionnel sous une forme modernisée. Cela fait partie de la démocratie et de l'avenir de l'Europe. Nous pensons aussi que s'il n'y a pas cet élément, il n'y aura pas de consensus au bout du compte, quelles que soient les espérances des uns ou des autres. Je le dis par principe et par souci d'efficacité. Mais je distingue bien les deux choses. Ramener le Conseil au simple statut d'un Bundesrat, nous ne pourrons pas donner notre accord à cette conception. Inventer en plus du système tel qu'il est une seconde chambre permettant aux parlements nationaux de jouer un rôle accru, pourquoi pas.
Il faut encore réfléchir, échanger, travailler et négocier.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 mai 2001)
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Membres de la Commission des Affaires européennes,
Cher Joschka,
Je suis très heureux de pouvoir débattre avec vous aujourd'hui. En cherchant une date avec Monsieur Pflueger nous avons retenu le 9 mai, jour de l'Europe et c'est un heureux symbole. Je vous remercie à nouveau, Monsieur le Président, de cette invitation, et de cette occasion.
C'est aussi avec plaisir que je reviens dans ce très beau bâtiment du Reichstag, historique et nouveau en même temps, où, en juin dernier, j'accompagnais le président de la République.
Nous sommes tous conscients en France du rôle important que joue votre Commission dans la définition des positions de l'Allemagne sur les questions européennes et sommes attentifs à ses travaux. J'aurais d'ailleurs souhaité venir avec l'homologue français de M. Pflueger, Alain Barrau, que vous connaissez, qui était à Berlin en ce début de semaine pour le congrès du PSE mais qui malheureusement ne pouvait rester jusqu'à aujourd'hui. Il m'a demandé de vous dire combien il le regrettait. Enfin, je salue Joschka Fischer, qui s'est lui-même rendu à l'Assemblée nationale à Paris en novembre dernier, à l'invitation d'Alain Barrau, et je le remercie de sa présence aujourd'hui.
Vous savez l'importance que j'attache personnellement à la relation entre la France et l'Allemagne. Je m'y suis toujours intéressé - mon lycée était jumelé avec le lycée français de Berlin où étudiaient de nombreux jeunes Allemands dont certains sont restés mes amis -. Quant à ma vision du monde et de l'Europe, elle a été très marquée par la centaine de rencontres ou à peu près entre Helmut Kohl et François Mitterrand, ces grands Européens, auxquelles j'ai eu le privilège de participer, et par leurs conceptions. Quand je suis devenu ministre des Affaires étrangères, en 1997, j'ai établi avec mon homologue d'alors, Klaus Kinkel, une coopération étroite qui nous a conduit à alerter, dès novembre 1997, par une lettre commune, nos partenaires sur ce qui se préparait au Kosovo, et à relancer ainsi le groupe de contact. Ensuite, avec Joschka Fischer, Européen visionnaire et infatigable, nous avons développé, depuis octobre 1998, une relation intellectuelle, politique et diplomatique, intense et confiante, qui ne laisse aucun sujet de côté.
A la veille du grand élargissement, je suis plus convaincu que jamais qu'il n'y a pas d'alternative, ni pour la France, ni pour l'Allemagne, ni pour l'Europe, à une entente franco-allemande.
Nous avons pu mesurer, durant la présidence allemande de l'Union en 1999 comme durant la présidence française l'année dernière, combien il est devenu difficile de trouver par la négociation des solutions consensuelles à quinze sur des questions importantes, alors qu'un tel accord est pourtant une nécessité constitutionnelle et démocratique absolue. L'entente entre nos deux pays doit donc être lucide, concrète, loyale, fondée sur les réalités actuelles de nos deux pays et la vision de l'Europe telle que nous la voulons. Elle est exigeante, elle est irremplaçable ce qui ne signifie évidemment pas qu'elle soit exclusive ou suffisante. C'est pour toutes ces raisons qu'avec Joschka Fischer, nous nous sommes engagés avec conviction dans la redéfinition des relations franco-allemandes décidée par le chancelier, le président de la République et le Premier ministre le 31 janvier dernier en Alsace. Au cours de quatre rencontres déjà, depuis lors, nous avons examiné nos positions respectives sur tous les grands problèmes européens et internationaux du moment, et travaillé à les harmoniser là où c'est nécessaire. Vous connaissez bien ces grandes questions, communes à la France et à l'Allemagne : l'introduction effective de l'euro l'année prochaine et la dynamique qu'elle entraînera dans la coordination accrue des politiques économiques ; l'ensemble de la problématique de la sécurité quotidienne et de la justice, qui rend nécessaire une véritable coopération policière et judiciaire ; la construction de la politique européenne de sécurité et de défense que nous devons absolument mener à bien ; le développement, sujet par sujet, de la politique étrangère commune, ce qui reste une uvre de longue haleine mais dont les avancées sont incontestables. Il suffit de voir combien les positions des Quinze sont aujourd'hui convergentes sur les Balkans. Sur tous ces points, le travail avance. Mais je voudrais approfondir avec vous deux autres grandes questions, particulièrement importantes, qui détermineront, selon la façon dont elles seront traitées, toutes les autres : l'élargissement et l'avenir de l'Union européenne.
Sur l'élargissement, je me réjouis que nous ayons pu vraiment, sous la présidence portugaise et sous la présidence française, et encore plus depuis Nice et grâce à Nice, avec la présidence suédoise, accélérer les négociations d'adhésion. Et que nous soyons sortis, depuis le Conseil européen d'Helsinki, de plusieurs années de confusion relative.
Il était en effet évident, dès le début des années 90, que les demandes d'adhésion des nouvelles démocraties d'Europe ne pourraient qu'être acceptées, et même qu'elles étaient une chance historique pour tous les Européens. Mais il était aussi évident alors qu'aucun des pays concernés ne serait prêt avant longtemps à reprendre à son compte les règles extraordinairement exigeantes de la participation à l'Union, l'acquis communautaire, et que l'Union elle-même ne serait pas en mesure de les accueillir sans s'être réformées au préalable. Les questions utiles étaient donc : quand négocie-t-on ? Sur quoi ? Comment ? Sur quoi l'Union se réforme-t-elle avant ? Comment les candidats se préparent-ils ?
Si les Quinze, la Commission, et les candidats s'étaient concentrés plus tôt sur les réponses à apporter à ces questions précises, nous aurions évité bien des polémiques inutiles du type "qui est pour ou contre l'élargissement ?" et des reproches injustifiés. Nous n'aurions entretenu, ni les inquiétudes ni les illusions, également infondées. Aujourd'hui, en tout cas, nous avons une politique claire, qui est la bonne : des négociations sérieuses, concentrées, fondées sur la différenciation, c'est-à-dire les mérites et le degré de préparation de chaque candidat, et les avancées réalisées dans les négociations. Par commodité de méthode, la Commission travaille chapitre par chapitre et nous essayons d'aller aussi loin que possible sur chacun d'entre eux en trouvant des solutions aux difficultés plus ou moins graves qui apparaissent. En même temps, nous devons garder à l'esprit que nous ferons adhérer des pays, et non pas des chapitres. Cela veut dire que les chapitres de négociations provisoirement clos le sont sous réserve de l'accord final pays par pays, ce qui implique qu'un équilibre global ait été trouvé entre les différentes préoccupations, les intérêts respectifs, les politiques concernées, sachant que la base de la négociation est la reprise la plus complète et la plus rapide possible de l'acquis, dans le respect du cadre de L'Agenda 2000. Par exemple sur la libre circulation des travailleurs, un accord provisoire peut être trouvé, je le souhaite ; mais l'adhésion de tel ou tel pays ne sera acquise qu'après accord des Quinze sur tous les autres problèmes de la négociation avec ce pays.
Depuis plusieurs années, on parle régulièrement de fixer à l'avance des dates d'adhésion. Je crois que c'est de plus en plus un faux problème. Quelles dates ? Pour quel pays ? Pour tous ou pour quelques-uns ? Comment trancher sans dommage ? Sauf quand la Commission nous dira qu'avec tel ou tel pays, la négociation est quasi terminée, ce que nous enregistrerons alors avec plaisir. L'essentiel est que l'Union européenne, elle, sera prête en 2003 et qu'à partir de cette date, dès que tout sera réglé avec un pays-candidat donné, celui-ci pourra adhérer. C'est même pour être capable de tenir cet engagement que les Quinze ont su se mettre d'accord à Nice malgré les difficultés et que, en tant que présidence, nous y avons mis toute notre énergie, dans les conditions ingrates que vous connaissez. L'important c'est que nous ayons réussi ensemble. La France est heureuse d'avoir ainsi contribué à dégager l'Europe de problèmes en suspens depuis des années, ce qui nous permet maintenant d'avancer plus vite et plus sérieusement vers l'élargissement, qui est tout proche, et de débattre de l'avenir de l'Europe élargie, ce dont je voudrais dire maintenant quelques mots.
Une fois le Traité de Nice acquis, un nouveau rendez-vous était nécessaire pour répondre au désir de plus en plus pressant de clarté, de démocratie, de légitimité des décisions dans l'Europe élargie. Et de réconcilier des volontés, toutes européennes mais parfois contradictoires, de décentralisation, ce qu'on appelle subsidiarité dans le langage européen, et de centralisation ou d'intégration. Il était devenu nécessaire de saisir ces problèmes fondamentaux à bras le corps. Le chancelier Schröder a eu raison de le proposer aux Quinze à Nice et nous avons eu raison de fixer la conclusion de ce processus en 2004.
Le débat le plus important de l'histoire de la construction européenne est ainsi engagé, le premier qui concernera la quasi-totalité des pays d'Europe, le premier aussi qui impliquera l'ensemble des citoyens européens. C'est une ambition très vaste, qui doit être organisée car ce débat ne doit être ni enjambé, ni escamoté par des conclusions prématurées et il nécessite du temps si l'on veut qu'il soit vraiment démocratique. Trois années ne seront pas de trop pour cela. A Nice, nous en avons arrêté les premiers éléments : dès cette année, des débats démocratiques aussi larges que possibles dans chaque pays européen. En France, nous l'avons déjà organisé, lancé et entamé de façon à ce que tous les Français y participent tout au long de cette année 2001 et peut-être au-delà. A partir du courant de l'année 2002 et en 2003, une réflexion préparatoire plus structurée au niveau européen - peut être une convention dans des conditions à définir mais d'autres formules sont également possibles - qui devrait être lancée au Conseil européen de Laeken en décembre prochain, fin 2003 et début 2004, une CIG décisive et un Conseil européen conclusif. Au bout du compte peut-être une Constitution, si l'on s'entend à Quinze sur ce que signifie ce mot.
Bien sûr notre priorité, c'est le sens de notre Union, pourquoi nous sommes ensemble, nos objectifs, le contenu plus encore que le contenant. Le Premier ministre français s'exprimera bientôt sur l'un comme sur l'autre. Mais cet après-midi, je voudrais faire devant vous quelques réflexions sur les institutions.
- Notre point de départ, c'est que l'Union constitue déjà, en fait, une fédération d'Etats-nations. Elle combine des éléments fédéraux, dont l'euro sera l'expression la plus forte, et des nations souveraines qu'il n'est pas question de faire disparaître.
Ainsi, le problème n'est pas tant de savoir comment désigner notre projet européen, que de répondre à deux grandes questions : quelle doit être la répartition des compétences et des pouvoirs entre l'Europe et les Etats membres, entre la fédération et les nations ; comment organiser le pouvoir au niveau européen.
- A Nice, nous nous sommes fixés l'objectif ambitieux de nous mettre d'accord sur une répartition précise des pouvoirs et des compétences. La bonne répartition ne naîtra pas automatiquement des mots : fédération, constitution, subsidiarité, même s'ils expriment des orientations et des valeurs. En fait, chacun d'entre eux peut recouvrir des réalités très différentes. Ainsi, une Constitution peut aussi bien limiter les pouvoir de la fédération que limiter ceux des entités fédérées. Le niveau fédéral peut intégrer un grand nombre ou très peu de politiques : celles-ci peuvent faire l'objet d'une intégration plus ou moins poussée. Ce sont des choix à faire, pas autoritairement dictés par les mots.
Enfin, toutes les politiques ne concernent pas nécessairement tous les Etats membres, et c'est un paramètre supplémentaire à considérer dans cette répartition des compétences. C'est par la négociation, et non par une tentative qui serait vaine d'appliquer des formules toutes faites, que nous devrons trouver un équilibre.
- La réflexion sur l'organisation du pouvoir doit elle aussi partir de la réalité de l'Union et de ce qui a permis ses progrès : c'est l'équilibre du triangle institutionnel Conseil/Commission/Parlement, complété par la jurisprudence de la Cour de Justice qui forme le système communautaire et qui a donné à la construction européenne son dynamisme et son originalité et qui fait que nous sommes parvenus là où nous sommes aujourd'hui et que nous pouvons aller encore plus loin.
Le grand élargissement, qui est une mutation profonde de la construction européenne, implique-t-il une modification de ce système ? Je crois qu'il serait dangereux de rompre cet équilibre, qui a fait ses preuves.
Certes, il faudra sans doute renforcer le Parlement européen et la Commission et aller au-delà de ce que nous avons décidé à Nice. Pour ces deux institutions, les propositions dans ce sens sont déjà très nombreuses. A cet égard, même si, pour diverses raisons, la position de la France ne peut pas être la même, je salue la force de la contribution récente du SPD à ce débat.
Je relève, cependant, qu'elle romprait nettement l'équilibre au détriment du Conseil et des Etats membres. Je suis convaincu au contraire que toutes les institutions européennes devront être renforcées. Si on ne devait renforcer qu'un ou deux sommets de ce triangle, nous compromettrions l'efficacité d'un système qui a fait ses preuves et on irait très probablement vers un blocage entre le Quinze.
Je pense que plus nous renforcerons le Parlement et la Commission, moins nous devrons réduire le Conseil au rôle d'une seconde chambre. Nous devrons en réalité le renforcer et le moderniser, pour des raisons de légitimité, de représentativité politique et de démocratie comme pour des raisons d'efficacité.
- Nous devons aussi nous prononcer sur la manière dont les politiques européennes doivent être gérées. La règle commune est une gestion par la Commission, en conformité avec les règles fixées par le Conseil en accord avec le Parlement. Mais certaines politiques resteront, pour une durée indéterminée, gérées par les gouvernements ensemble. Cela ne signifie pas moins d'efficacité ou moins d'ambition, cela signifie que ces procédures intergouvernementales devront elles aussi être rénovées et modernisées.
Ayons, à ce stade, la franchise de reconnaître que le positions jusqu'ici exprimées en Europe sur la répartition des pouvoirs et la nature du pouvoir européen ne coïncident pas encore, du fait de leur richesse ou de leur diversité d'inspiration, mais soyons sûrs que nous aurons l'audace, l'inspiration et l'ambition nécessaire pour y parvenir, pour 2004.
(source http://www.dipomatie.gouv.fr, le 11 mai 2001)
Déclaration en réponse aux questions des parlementaires allemands :
Mesdames et Messieurs,
Si nous pensions tous la même chose, il n'y aurait pas lieu de débattre entre nous comme nous le faisons aujourd'hui. Nous ne sommes pas là simplement pour échanger des congratulations, même si elles sont justifiées aussi. Si je considère tout le travail que nous avons fait ensemble, alors c'est vrai qu'il y a, sur certains points, des différences d'approche ; mais parce que nous sommes les Français et les Allemands, il est particulièrement important que nous ayons des occasions et des enceintes, notamment parlementaires, pour en débattre. Je ferais d'autres commentaires sur les interventions que j'ai entendues, tout en rappelant que j'ai déjà donné des indications auparavant sur certains points.
Sur l'élargissement, il faut avoir une image positive. On a dit tout et n'importe quoi sur l'élargissement, il y a eu beaucoup de démagogie ou de rhétorique vaine, mais en même temps il y a eu beaucoup de travail au niveau des Douze, puis des Quinze, beaucoup de travail de la Commission, des pays membres, d'une force extrêmement difficile, à une vitesse beaucoup plus considérable que nous l'avons fait dans notre propre pays quand nous avons dû dans le passé faire certaines grandes réformes. Maintenant nous débattons. J'ai dit tout à l'heure qu'il ne me paraîtrait pas très logique de fixer telle ou telle date pour certains pays mais on sait que ce serait dans pas très longtemps. Au bout du compte, ce rattrapage historique de ce qui avait été l'insupportable division du continent européen est à portée de main. Donc, tous les commentaires sur l'élargissement doivent être inspirés par ces considérations positives, une sorte de fierté collective. Bien sûr, il y a des opinions publiques, qui s'inquiètent dans les pays membres ou qui s'impatientent dans les pays candidats. La seule bonne réponse, c'est la bonne négociation. Les pays candidats n'ont pas besoin d'avocats, ils ont besoin de bons négociateurs. Nous aussi, nous avons besoin de bons négociateurs et la seule bonne réponse à l'impatience des candidats et aux inquiétudes de certains pays- membres sur certains points, c'est le bon accord, la bonne conclusion qui nous permettra aux uns et aux autres de trouver la bonne solution, pour que ces pays adhèrent à l'Union et que cela renforce les uns et les autres au lieu d'affaiblir les uns et les autres.
Certains m'ont posé une question concernant l'inquiétude de certains pays candidats à propos des positions de la France sur la politique agricole commune ou concernant les positions de l'Allemagne sur la libre circulation. Je ne crois pas qu'il y ait des éléments d'actualité concernant la Politique agricole commune de la part des pays candidats mais il est absolument légitime que l'Allemagne pose les problèmes que peut poser la libre circulation. Que certains parlent de la politique agricole commune ou de l'environnement, c'est normal, cela fait partie de la négociation. Ce serait artificiel de considérer que tel pays pose un problème anormal parce qu'il a souligné ses difficultés réelles. Il y a des chapitres plus difficiles que d'autres, cela ne vient pas d'un seul pays mais presque de tous les Etats membres. Quant aux pays membres, ils demandent tous des adaptations et des dérogations sur ceci ou cela. C'est cela la négociation. C'est pour cela qu'il ne servait à rien de parler d'élargissement pendant des années en se demandant si on était pour ou contre. L'intérêt était de négocier jusqu'à ce que l'on trouve la bonne solution. Les bonnes solutions ne sont pas loin pour les pays les plus avancés. Soyons donc déjà fiers du travail accompli, optimistes et accueillants. Puisque l'on s'est mis d'accord à Nice, on est en mesure de tenir nos engagements, c'est à dire d'accueillir, à partir de janvier 2003, les pays qui seront prêts les premiers. Pour l'ordre, ce n'est pas à moi de trancher, il faut rester rationnel et logique, c'est donc à la Commission de nous dire quel est l'état réel d'avancement des négociations.
Sur l'avenir de l'Europe, le débat est très intéressant, car il fait apparaître des différences de sensibilités. Si nous ne les traitions pas, dans un dialogue démocratique comme celui-ci, nous serions fautifs. Dans mon pays on ne considère pas qu'un débat ne soit pas démocratique ; or quand vous parlez de démocratie ou du renforcement de celle-ci vous ne parlez que du Parlement. Le caractère du Parlement est naturellement incontestable, mais il me semble que les décisions prises en Europe, au nom des peuples d'Europe, depuis cinquante ans, ont toujours été prises par des gouvernements démocratiques, qui ont rendu des comptes, qui se sont présentés à des élections, après avoir pris ensemble des décisions d'une immense audace, qu'aucun gouvernement ailleurs dans l'histoire du monde ait jamais prises. Il n'y a aucune histoire des gouvernements, qui soit comparable à l'histoire des gouvernements d'Europe de ces dernières décennies. Ce n'est pas le résultat d'une révolution violente, d'une confiscation des pouvoirs démocratiques, ce sont des gouvernements démocratiques qui ont pris des décisions. Ce sont, excusez-moi de le dire, des décisions intergouvernementales qui ont fondé l'Europe, telle qu'elle est aujourd'hui, comme l'euro et tant d'autres, qui sont le résultat de décisions de ce type.
Je note - ce qui est particulièrement intéressant sur les cultures des différents pays d'Europe - que dans mon pays, nous ne sous-estimons pas une seconde le caractère hautement démocratique du Parlement et des parlements, mais nous les mettons sur le même plan. Dans le détail, je ne peux pas trancher, dans la mesure où nous devrons augmenter ces pouvoirs là. J'ai dit tout à l'heure qu'il faudrait également renforcer les pouvoirs du Conseil. C'est un point de vue différent et il faudra en débattre. Nous, nous ne pourrons pas accepter que le Conseil devienne une simple deuxième chambre. Ce n'est pas notre vision. D'ailleurs, quand le chancelier Helmut Schmidt et le président Valéry Giscard d'Estaing ont décidé de lancer l'initiative qui a conduit au Conseil européen, et à ce que l'Europe ait un vrai gouvernement démocratique, historiquement, cela s'est passé comme cela. Et toutes les grandes initiatives intergouvernementales historiques ont été prises avec la pleine participation de l'Allemagne, pas uniquement par association de l'Allemagne, mais parfois l'initiative venait même de l'Allemagne. Il n'y a pas une tradition française qui s'opposerait à une tradition allemande. La tradition de l'équilibre communautaire, dont je parlais, entre le Conseil, la Commission et le Parlement, c'est une tradition partagée, en particulier par les pays fondateurs depuis le début. Certains me disent aujourd'hui que cela ne marche plus ; si cela ne marchait pas, nous ne serions pas là à en discuter. On serait plusieurs chapitres en arrière. On serait derrière le Traité de Maastricht ou je ne sais où. Certains défendent la thèse selon laquelle ce système d'équilibre ne marche plus et qu'il faut le modifier, c'est une thèse tout à fait légitime, dont il faut débattre, qu'il faut accueillir avec intérêt. Sur ce point, j'aurais la franchise de dire que nous aurions plutôt tendance à rechercher le maintien de cet équilibre, même si c'est à travers une intensification ou un perfectionnement d'un des éléments du triangle. Nous aurons peut-être d'ailleurs à faire des propositions plus précises sur ces différents points. Voilà, me semble-t-il, la principale différence qui est aussi un élément de richesse de ce débat. Je le dis à la fois par fidélité à l'esprit qui a permis la construction de l'Europe, par esprit démocratique puis d'efficacité, parce que, encore une fois, les gouvernements me paraissent pleinement démocratiques et cela ne me paraît pas du tout choquant que ceux-ci défendent les intérêts des citoyens. Quand nous étions à Nice, chaque gouvernement a défendu ses intérêts, y compris l'Allemagne. Ce n'est pas choquant. Et c'est précisément parce que nous avons fui devant la construction européenne depuis plusieurs décennies qu'il convient de combiner ces réalités historiques et nos immenses ambitions. Et on n'a pas oublié l'ambition, ni la réalité. Et c'est pour cela que nous avons fait ce grand chemin, comparable à rien d'autre. En Allemagne, la plupart des partis politiques se retrouvent sur l'idée que la plupart des orateurs ont exprimée, celle d'un vrai changement de cet équilibre Parlement/Commission. Je rappelle une conception qui est celle de l'équilibre tout en pensant qu'elle peut être perfectionnée. Nous ne sommes pas pour le statu quo, ni en ce qui concerne le Parlement, ni la Commission ou le Conseil, nous n'avons pas épuisé le débat aujourd'hui. Et puis n'oublions pas qu'il y a tous les autres.
Il y a, d'une part, l'élaboration d'une position allemande dont on voit les lignes de force, il y a, d'autre part une position française, et une position dans chaque pays. Au bout du compte, il faudra bien en 2004 trouver un consensus, non seulement avec les Quinze parce que c'est la loi de la démocratie - et on ne voit pas au nom de quoi on pourrait priver tel ou tel pays de son droit de donner l'accord au consensus final qui sera trouvé - mais même avec certains pays candidats qui seront devenus membres entre temps et même avec ceux qui ne seront pas devenus membres ; il faudra bien les associer jusqu'à un certain point, qui reste à définir.
On m'a demandé de m'expliquer plus précisément sur les modalités qui peuvent intervenir entre le débat démocratique dans chaque pays et la période de la nouvelle CIG. J'ai évoqué tout à l'heure l'hypothèse de la convention, dont il convient de définir les caractéristiques et le mandat ; vous savez très bien que certains pays sont radicalement opposés à une convention. Donc, c'est aussi difficile de faire une convention avec une partie des pays ou alors il faut les convaincre.
Cela suppose une négociation. Certains défendent l'idée d'un groupe de sages sous différentes formes, certains sont très favorables, d'autres non. A ce stade, en réalité, il n'y a pas de consensus entre les Quinze sur les modalités de structuration du débat après la présidence belge et avant 2003. Nous aurons à trancher cette question, puisque c'est l'objectif numéro un de la présidence belge, qui espère pouvoir faire une déclaration répondant aux questions relatives aux modalités.
Je vais faire quelques remarques rapides sur les cinq interventions précédentes en regroupant quelques thèmes. En même temps je profiterais de ce qu'a dit Joschka Fischer pour ajouter quelques commentaires.
En ce qui concerne la libre circulation, puisque deux d'entre vous sont revenus sur ce problème : la France n'a pas de problème particulier. Elle n'a pas de difficultés particulières, mais elle respecte que l'Allemagne et d'autres pays d'ailleurs puissent avoir un problème sur ce sujet. C'est un élan normal de solidarité de prendre en compte la préoccupation allemande. C'est le travail normal de la Commission de prendre en compte ses demandes, de regarder ce que disent les pays candidats, les assurances qu'ils peuvent fournir. Au bout du compte, une solution sera forcément trouvée. Est-ce qu'il faut des délais de transition, est-ce ce que c'est sept ans, cinq ans, je n'en sais rien, ce n'est pas moi qui vais trancher, en tout cas tout cela me paraît une négociation normale. L'un d'entre vous me demandait pourquoi la France était contre ; nous ne sommes pas contre, simplement nous ne sommes pas le pays qui a posé le problème, on n'a pas des intérêts directs évidents, nous agissons sur ce sujet d'abord en solidarité avec l'Allemagne. Nous admettons un souci alors que ce n'est pas un problème direct pour nous, mais nous ne pouvons pas souhaiter que la négociation avec tel ou tel pays candidat soit présentée comme terminée quand on aura trouvé un arrangement provisoire sur la libre circulation. C'est cela notre seul souci. Ce n'est pas parce que l'on n'est pas sensible au problème de l'Allemagne sur la libre circulation. L'Allemagne a parfaitement le droit de défendre ses intérêts et de poser les problèmes qui la concerne directement, c'est un droit légitime, il n'y a pas à être gêné par cela.
Mais à côté de la libre circulation, il y a aussi des problèmes concernant la cohésion et l'environnement ; il peut y avoir des problèmes concernant la politique agricole commune. Nous sommes ouverts donc aux demandes allemandes et nous l'avons manifesté. Nous souhaitons en échange que l'Allemagne montre sa solidarité par rapport aux autres pays de l'Union européenne qui, sur d'autres chapitres qui ne sont pas encore traités par la Commission, peuvent avoir des problèmes. Pour parler encore plus clairement, pour que, comme je l'ai fait au cours de cet après midi, le débat soit le plus clair possible, nous ne souhaitons pas que l'Allemagne dise "on s'est mis d'accord avec notre problème de libre circulation avec les Polonais, donc la négociation avec la Pologne est terminée". C'est une présentation que je ne peux pas imaginer. Il faut bien que l'on soit tous d'accord à Quinze pour dire que la négociation doit se mener jusqu'au bout pour chaque pays, que ce soit la Pologne ou n'importe quel autre pays, jusqu'au bout surtout pour tous les chapitres ; tous les pays ont d'ailleurs d'autres problèmes sur d'autres chapitres. J'espère que d'ici à Göteborg, nous aurons trouvé des formulations qui concilient de façon dynamique les intérêts des uns et des autres.
Ensuite, je ne vais pas reprendre toutes nos considérations sur l'avenir de l'Europe, mais faire deux ou trois remarques utiles. D'abord, je n'ai pas fait de critiques tout à l'heure sur le document du SPD. Il est tout à fait légitime et j'ai même rendu hommage à la force de cette contribution. Et de plus, j'ai constaté que bien au-delà du SPD, les éléments fondamentaux de ce texte était en fait appuyés par la plupart des autres partis. Donc, il y a un consensus allemand assez fort et pas uniquement parlementaire sur ce point. C'est également sensible dans la presse allemande. Il n'y a pas de critique dans ce que je dit. Ce document n'est pas une critique du gouvernement, ce document exprime un point de vue, avec franchise et il coïncide sur certains points, tant mieux ; sur d'autres, il ne coïncide pas, mais ce n'est pas un drame. On est au début de la discussion et on a trois ans devant nous. On va continuer à discuter, mais encore faut-il savoir sur quoi. Ce n'est pas la peine de noyer ces échanges dans un fleuve d'amabilités si l'on n'est pas capable de savoir sur quoi il s'agit d'avancer intellectuellement. Moi, j'ai trouvé cette démarche très bien et je souhaite que dans le plus grand nombre possible des pays d'Europe, les partis politiques importants, les parlements, les gouvernements expriment ce qu'ils pensent sur les différents points de l'avenir de l'Europe.
Ensuite, je souhaiterais faire une remarque sur la méthode d'élaboration. En ce qui me concerne, je suis très favorable à ce que les parlements nationaux jouent un rôle important. J'y suis vraiment favorable. Je ne pense pas qu'il puisse y avoir un processus d'élaboration qui laisse complètement de côté les parlements nationaux, mais je n'ai pas de doctrine. On ne peut pas dire que les seules constitutions qui auraient été bonnes dans le passé, sont les constitutions qui auraient été faite par les parlements. Il y a des Constitutions faites par des parlements qui ont marché, d'autres faites par des experts qui ont aussi marché, ou parfois il s'est passé l'inverse. C'est compliqué. Toujours est-il qu'il n'y a pas de Constitution dans un pays démocratique si elle n'a pas été ratifiée démocratiquement. Mais je vois bien la demande qui émane ici - je peux vous dire que c'est la même chose pour le Parlement français - qui est celle de participer à l'élaboration. J'y suis tout à fait favorable. Soit les Quinze arrivent à se mettre d'accord sur une convention entre eux, en précisant le calendrier de la convention, sa composition, ses pouvoirs, son mandat, et il est alors évident que tous les parlements nationaux en font partie. C'est évident et même souhaitable. Soit les Quinze n'arrivent pas à se mettre d'accord sur la convention parce qu'ils préfèrent une autre formule. D'une façon ou d'une autre, il faut que les parlements nationaux puissent être associés et puissent faire des propositions avant qu'on en arrive à la fin du processus qui est constitutionnellement incontournable, c'est à dire la Conférence intergouvernementale et le Conseil européen. Nous sommes dans des Etats de droit, il y a des Constitutions, ces deux phases finales sont incontournables. Je suis favorable à un rôle des parlements nationaux sans hésitations.
Je voudrais faire une dernière remarque qui est un peu liée à la précédente, celle d'une seconde chambre. Dans les différents projets sur l'avenir de l'Europe qui sont mis en avant par les uns ou par les autres, apparaît l'idée d'une deuxième chambre à côté du Parlement européen. Je voudrais préciser ma pensée là-dessus. Une deuxième chambre dans le système institutionnel européen qui permettrait une expression des parlements nationaux, pourquoi pas. Cela ne pose pas à la France de problème de principe, de problèmes constitutionnels ou théoriques par rapport à notre conception de l'Europe. Ce qui nous pose un problème, et je l'ai déjà dit, ce serait de transformer le Conseil en une seconde chambre. C'est autre chose, il s'agit là de deux idées différentes. Nous pensons que le Conseil doit continuer à jouer un rôle éminent dans le fameux triangle institutionnel sous une forme modernisée. Cela fait partie de la démocratie et de l'avenir de l'Europe. Nous pensons aussi que s'il n'y a pas cet élément, il n'y aura pas de consensus au bout du compte, quelles que soient les espérances des uns ou des autres. Je le dis par principe et par souci d'efficacité. Mais je distingue bien les deux choses. Ramener le Conseil au simple statut d'un Bundesrat, nous ne pourrons pas donner notre accord à cette conception. Inventer en plus du système tel qu'il est une seconde chambre permettant aux parlements nationaux de jouer un rôle accru, pourquoi pas.
Il faut encore réfléchir, échanger, travailler et négocier.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 mai 2001)