Texte intégral
Monsieur le ministre, cher Alain Lambert, cher Jean-Pierre Fourcade,
Mesdames et Messieurs, c'est avec un plaisir renouvelé que je viens ouvrir ces travaux.
Nous appartenons au club très fermé, probablement trop fermé, de ceux qui se sentent concernés par nos finances publiques !
C'est comme toujours un plaisir de vous recevoir ici à Bercy, et j'en remercie chaleureusement les principaux organisateurs, Michel Bouvier et Marie-Christine Esclassan. Le thème choisi est à mon avis l'une des questions les plus cruciales que l'on puisse se poser en ce moment : "les finances publiques face à la crise". Les finances publiques sont un des éléments essentiels de notre souveraineté nationale. Certes, dans l'économie commencent à poindre de modestes signes positifs, quelques coins de ciel bleu dans un paysage très gris. Mais nous savons bien que les mesures de relance ont un impact fort sur nos finances publiques pour plusieurs années. Il s'agit donc de répondre à une double question :
- d'une part, les finances publiques ont-elles été mobilisées efficacement pour lutter contre la crise ?
- d'autre part, comment gérer la soutenabilité à moyen-terme des finances publiques ?
Je voudrais donc très concrètement vous dire comment le Gouvernement gère ces questions éminemment délicates qui nous rassemblent aujourd'hui.
En tant qu'acteur de la politique économique, je veux vous dire que nous avançons avec pragmatisme. Il faut d'abord sortir de la crise, c'est la première nécessité. Mais il ne faut en aucun cas perdre de vue ce que l'on veut obtenir : un capitalisme plus juste, plus équilibré, plus soutenable. Pour gagner ce combat de tous les instants, quatre impératifs s'imposent :
Deux impératifs à court-terme.
Tout d'abord, appliquer rapidement, sans faille et sans état d'âme les plans de relance. La phase de conception est largement dépassée, (consommation, investissement... Débat purement idéologique !) - c'est maintenant le temps de l'action.
En même temps, il faut répondre aux demandes sociales légitimes face aux situations exacerbées par la crise, le chômage notamment. C'est de l'ordre de la justice sociale, et de la justesse économique. C'est le pendant de la relance : sinon la crainte du lendemain obèrera toute reprise de l'économie. Il faut allier du technique et du psychologique : des ménages qui ont peur, quand vous injectez de l'argent dans le circuit économique, ce sont des ménages qui thésaurisent. Et si les banques ont peur à leur tour, elles placent ces dépôts à la Banque centrale. Vous avez alors simplement placé de l'argent public à la Banque centrale. C'est un coup pour rien, si vous me permettez l'expression. Les mesures sociales sont donc incontournables.
À ces impératifs de court-terme s'ajoutent deux impératifs de moyen-terme. Il faut s'assurer de la maitrise des finances publiques, pour permettre de sortir la tête haute de la crise, et il faut s'en assurer dès maintenant. Il faut s'assurer que chaque décision prise permette d'assurer la sortie de crise dans de bonnes décisions. Il faut enfin mieux réguler le système financier international. Cela ne peut se faire d'un claquement de doigt, mais c'est bien dès aujourd'hui qu'il faut se mettre à la tâche. C'est ce qu'a fait le G20. On ne peut pas attendre la reprise : le consensus politique nécessaire à la réforme sera alors trop ténu.
Vaste programme... Mais nous n'avons pas le choix, il faut s'attaquer à tout cela de front, car les deux approches se complètent. Certains disent : occupons-nous seulement de la crise car la maison brûle, et on verra le reste après... Cela n'est pas si simple. Toutes les solutions de court-terme ne se valent pas à long-terme. Tous ces sujets sont très étroitement imbriqués : si on ne résout pas la crise à court-terme, le moyen-terme n'existera tout simplement pas. Mais si on ne donne pas des engagements crédibles pour le moyen-terme, on sape la crédibilité de l'État, sa signature, le financement du plan de relance et in fine la relance elle-même.
Commençons donc par le court-terme. Qu'est-ce qui a été mis en place ? Le G20 a chiffré à 5 000 Md $ le montant injecté par les politiques budgétaires dans l'économie. Ces 5 000 Md $ représentent des réalités très différentes, car les plans de relance doivent être jaugés à l'aune de la structure socio-économique de chaque pays. On ne compare pas des choux et des carottes. À chaque pays, une organisation et un plan adapté. Pour être efficaces, nous avons pris en compte l'existant de notre pays et opté pour le pragmatisme.
Il fallait d'abord sauvegarder le système bancaire, pour éviter une crise cardiaque économique. Nous avons mis en place des garanties des prêts interbancaires. Nous avons apporté un soutien en fonds propres aux banques qui le souhaitaient pour les renforcer. Le coeur de l'économie a ainsi continué d'être irrigué.
Il fallait ensuite soutenir l'activité. Nous avons d'abord choisi de laisser jouer les "stabilisateurs automatiques", c'est-à-dire de laisser les recettes publiques et les dépenses sociales s'adapter à la dégradation de l'activité. Nous avons tenu sur le budget de l'État et sur celui de la Sécurité sociale. En même temps, nous avons très rapidement mis en place un plan de relance axé sur l'investissement, et pris des mesures de justice en faveur des populations les plus fragilisées par la crise. C'est vrai, on n'a pas essayé de faciliter les choses pour les fonctionnaires. Je l'ai dit aux syndicats qui réclamaient des hausses, des points d'indices : non, la Fonction publique n'est pas la plus exposée à la crise.
Pourquoi axer le plan sur l'investissement ? Si le plan de relance est concentré sur l'investissement, c'est d'abord qu'il s'agit de ne pas léguer à nos enfants un "actif net" dégradé : on s'endette, oui, mais c'est pour investir. Plus précisément : pour anticiper des investissements. On fait d'une pierre deux coups : on soigne la France d'aujourd'hui, et on prépare la France de demain.
Cet investissement, c'est celui de l'État, des entreprises publiques, mais aussi des collectivités locales, qui réalisent les trois-quarts de l'investissement public. Nous avons mis en place une mesure particulièrement incitative via l'accélération du remboursement du FCTVA.
Pourquoi privilégier l'investissement sur la consommation ? C'est précisément là qu'il faut prendre en compte le fait que la France possède un système avancé de retraites, de protection contre le chômage, de prestations sociales. C'est ce système développé qui nous donne la chance de pouvoir concentrer notre plan de relance sur l'investissement et sur des facilités de trésorerie pour aider les entreprises à passer ce cap difficile. Il va de soit que la situation anglaise ou américaine est différente. Ce système social qui joue son rôle de bouclier explique largement la résistance de la consommation en France, encore au premier trimestre de cette année, validant de fait notre stratégie.
Très concrètement, où en est le plan de relance français ?
Un premier bilan peut d'ores et déjà être établi. Je ne reviendrai pas sur les dispositifs de sauvegarde du système bancaire, qui fonctionnent comme prévu. On a pu constater le dégonflement significatif des spreads sur les marchés interbancaires. De plus, puisqu'il n'y a pas de défaut, ces garanties rapportent même à ce stade de l'argent à l'État.
Pour les mesures concernant "l'économie réelle", deux mois après la promulgation du plan de relance et l'adoption d'une liste de plus de 1 000 projets d'infrastructure, - il y a 260 projets qui sont d'ores et déjà en chantier, une centaine dans les tuyaux pour ce mois : 75 % de l'investissement prévus par le président de la République dans son discours de Douai sera engagé dès 2009.
- les entreprises ont bénéficié fin mars de 11,4 milliards d'euros de remboursements accélérés de crédits fiscaux ; et j'ajoute qu'il y a très peu de contrôle, changement complet de mentalité de l'Administration.
- 6,5 milliards d'euros de crédits ont été mis à disposition des ministères et des opérateurs nationaux au titre du plan de relance, dont 1,3 milliard d'euros ont d'ores et déjà été payés.
Par ailleurs :
- plus de 15 700 conventions ont été signées au 24 avril avec les collectivités locales, qui recevront au moins 2,5 Md euros pour les projets nouveaux ;
- plus de 85 000 véhicules ont d'ores et déjà bénéficié de la prime à la casse, qui rencontre un vif succès ;
- à fin avril, plus de 180 000 embauches ont bénéficié de l'aide à l'embauche dans les très petites entreprises ;
- la prime de solidarité active, qui anticipe le revenu de solidarité active, a été versée au mois d'avril à plus de 4 millions de ménages modestes.
Concernant les mesures de justice sociale, il faut naturellement citer aussi la baisse de l'impôt sur le revenu pour 6 millions de Français, - 2 tout de suite, 4 à partir de septembre - et l'extension des indemnités de chômage partiel. (Je suis élu local, et au concours de boules du 1er mai, beaucoup de gens sont venus me remercier pour la « lettre » qu'ils avaient reçu de la DGFIP. Quand quelqu'un s'aperçoit qu'il n'aura pas à payer, c'est très concret, c'est très parlant !)
Vous le voyez, nous n'avons pas perdu de temps pour appliquer les mesures de relance.
Encore une fois, c'est un point à ne pas oublier lorsque l'on compare les plans de relance des différents pays. Quand des chiffres sont avancés, il faut s'interroger sur le calendrier de mise en oeuvre. Dans les plans allemands ou américains par exemple, les baisses d'impôt devraient s'étaler jusqu'en 2010. L'office budgétaire du Congrès américain, le CBO, estime qu'à peine 10 % des investissements annoncés par le Président Obama seront réalisés cette année. Nous nous attachons, nous, à ce que les mesures de relance soient d'effet rapide, concentré en 2009, et temporaire.
Par delà les différences de conception des plans, il faut noter que partout c'est le rôle de l'État qui rassemble. C'est d'ailleurs remarquable, quels que soient les paradigmes économiques des uns et des autres. Les finances publiques sont reconnues partout comme le filet de sécurité de dernier ressort. Ce n'est plus l'État providence, ce n'est pas l'État ultralibéral, c'est un "État rempart", qui protège ses concitoyens tout en facilitant l'initiative à ceux qui veulent la prendre, comme les entreprises.
Mais pour rester un rempart efficace, cet État ne doit pas baisser la garde devant l'endettement. L'urgence de court terme ne doit pas faire oublier le moyen terme. Ceux qui croient qu'une fois la situation économique rétablie, on fera table rase du passé, se trompent lourdement. Ma vision, ce n'est surtout pas : "après moi, le déluge".
Certes, il n'y a pas d'autre choix aujourd'hui que d'augmenter la dette pour sauver l'économie. Mais il n'y aura pas d'autre choix demain que de contenir et de réduire fermement cette dette. Ce ne doit pas être un gouffre sans fond. Nous ne ferions que remplacer la bulle d'endettement privé que l'économie mondiale a connue par une bulle d'endettement public. La seconde éclaterait tout aussi sûrement que la première, avec des conséquences aussi terribles.
Or, maîtriser la dette, j'y reviendrai dans un instant, ne se fera pas simplement, et je doute que l'opinion mondiale nous le laisse oublier. De ce point de vue, cette crise est le grand retour des politiques. À nous de nous assurer que l'argent des Français est utilisé au mieux, et qu'une telle situation ne se reproduira pas.
On ne peut pas piloter à vue et espérer que tout rentre dans l'ordre tout seul, comme par enchantement...
Si on prend les mesures de relance qui ne sont pas les bonnes, on met en danger la signature de la France.
Maîtriser les finances publiques, c'est évidemment d'abord une question de simple bon sens : même si l'État a bien sûr plus de capacités financières qu'une entreprise ou qu'un ménage, il ne peut pas s'endetter toujours plus. C'est aussi, et peut-être surtout une question éthique : qu'aurions nous résolu, si nous ne faisons que reporter sur nos enfants encore plus de dettes, et une charge insupportable ?
Dans les 100 Md euros de déficit de l'État que nous avons prévu dans le dernier collectif, il y en a à peu près 60 % dû à la crise, et 40 % qui sont plus structurels.
Le déficit "de crise" a vocation à se résorber, mais progressivement, au fur et à mesure que l'on retrouvera le niveau d'activité qui aurait été le nôtre sans la crise. Un point clé pour que ce déficit disparaisse, c'est naturellement que les dépenses de relances soient temporaires.
Il faut à tout prix éviter d'empiler comme un château de cartes de nouvelles dépenses pérennes. Cela a été trop souvent le cas par le passé.
Nous avons donc mis en place une architecture budgétaire spécifique. Les dépenses sont cantonnées sur une mission spéciale "relance", responsabilité de Patrick Devedjian. Et les crédits s'éteignent fin 2010. L'incidence budgétaire du plan est concentrée sur l'année 2009.
Il y a là en fait une occasion historique. En maintenant scrupuleusement cette stratégie, nous aurons l'occasion de réduire notre écart de dépenses avec certains de nos partenaires. En effet, certains pays, notamment anglo-saxons, décident de nouvelles dépenses qui, elles, seront très certainement pérennes. Je pense par exemple à la couverture médicale aux États-Unis. Cela permettrait de nous positionner en pôle position après le virage de la sortie de crise, au moment de nous engager sur la ligne droite de la croissance.
D'autre part, en ce qui concerne les recettes, elles reviendront, mais progressivement ; et pas au même niveau qu'auparavant : une partie des recettes est liée au niveau des actifs, immobiliers notamment ; ce que vous avez dans vos comptes, ça ne vaut plus ce que ça valait, la taxation est donc inférieure : cette baisse des recettes liée à la baisse des actifs, nous devons en tenir compte dans la trajectoire de finances publiques que nous nous fixons.
Il faut continuer à réduire les dépenses : oui, nous ne remettrons pas en cause le non remplacement des départs à la retraite, même en période de chômage. Il faut réduire le nombre de fonctionnaires.
Quant à la maitrise du déficit "structurel", elle ne dépend pas de la crise : ce déficit n'est pas né de la crise et ne disparaitra par magie avec elle. Il faut donc lutter sans relâche pour la maîtrise des dépenses courantes.
C'est pourquoi nous avons relancé la RGPP. Nous abordons maintenant une deuxième étape : regarder ce qui a été fait, et qui est remarquable, regarder aussi ce qui n'a pas pu l'être, en s'attachant au contenu des politiques publiques ; et nous avons lancé des travaux qui concernent la sphère immense des opérateurs de l'État - à côté de l'État lui-même, ceci afin de faire le tour complet de la dépense publique.
C'est pourquoi, avec l'aide des parlementaires, nous avons fait des avancées majeures sur le contrôle des niches fiscales et sociales lors des dernières lois de finances et dans la loi de programmation des finances publiques, qui n'a pas trépassé avec la crise, - bien au contraire ! Dans le cadre de mes réunions pour préparer le projet de loi de Finances 2010, je vois moins de ministres que l'année dernière, parce qu'il ya programmation, parce que nous dépensons dorénavant par mission.
Vous le voyez, notre stratégie est claire : soutien à la croissance, celle d'aujourd'hui pour sortir de la crise, celle de demain en privilégiant l'investissement et la recherche, et maitrise des dépenses publiques.
C'est bien ce qui nous permettra d'assainir durablement nos finances publiques, sans avoir besoin d'alourdir encore la charge des impôts pour les Français. Car qui dit croissance, dit recettes : la TVA avec la consommation, l'IS avec les bénéfices des sociétés, pour ne prendre que deux exemples.
Notre stratégie est claire, mais je l'avoue, oui, elle n'est pas facile. Infléchir la dépense publique, c'est un effort de chacun et de chaque instant. Et comme je le disais au début de mon intervention, c'est affaire de souveraineté. Je vous remercie.
Source http://www.comptes-publics.gouv.fr, le 7 mai 2009
Mesdames et Messieurs, c'est avec un plaisir renouvelé que je viens ouvrir ces travaux.
Nous appartenons au club très fermé, probablement trop fermé, de ceux qui se sentent concernés par nos finances publiques !
C'est comme toujours un plaisir de vous recevoir ici à Bercy, et j'en remercie chaleureusement les principaux organisateurs, Michel Bouvier et Marie-Christine Esclassan. Le thème choisi est à mon avis l'une des questions les plus cruciales que l'on puisse se poser en ce moment : "les finances publiques face à la crise". Les finances publiques sont un des éléments essentiels de notre souveraineté nationale. Certes, dans l'économie commencent à poindre de modestes signes positifs, quelques coins de ciel bleu dans un paysage très gris. Mais nous savons bien que les mesures de relance ont un impact fort sur nos finances publiques pour plusieurs années. Il s'agit donc de répondre à une double question :
- d'une part, les finances publiques ont-elles été mobilisées efficacement pour lutter contre la crise ?
- d'autre part, comment gérer la soutenabilité à moyen-terme des finances publiques ?
Je voudrais donc très concrètement vous dire comment le Gouvernement gère ces questions éminemment délicates qui nous rassemblent aujourd'hui.
En tant qu'acteur de la politique économique, je veux vous dire que nous avançons avec pragmatisme. Il faut d'abord sortir de la crise, c'est la première nécessité. Mais il ne faut en aucun cas perdre de vue ce que l'on veut obtenir : un capitalisme plus juste, plus équilibré, plus soutenable. Pour gagner ce combat de tous les instants, quatre impératifs s'imposent :
Deux impératifs à court-terme.
Tout d'abord, appliquer rapidement, sans faille et sans état d'âme les plans de relance. La phase de conception est largement dépassée, (consommation, investissement... Débat purement idéologique !) - c'est maintenant le temps de l'action.
En même temps, il faut répondre aux demandes sociales légitimes face aux situations exacerbées par la crise, le chômage notamment. C'est de l'ordre de la justice sociale, et de la justesse économique. C'est le pendant de la relance : sinon la crainte du lendemain obèrera toute reprise de l'économie. Il faut allier du technique et du psychologique : des ménages qui ont peur, quand vous injectez de l'argent dans le circuit économique, ce sont des ménages qui thésaurisent. Et si les banques ont peur à leur tour, elles placent ces dépôts à la Banque centrale. Vous avez alors simplement placé de l'argent public à la Banque centrale. C'est un coup pour rien, si vous me permettez l'expression. Les mesures sociales sont donc incontournables.
À ces impératifs de court-terme s'ajoutent deux impératifs de moyen-terme. Il faut s'assurer de la maitrise des finances publiques, pour permettre de sortir la tête haute de la crise, et il faut s'en assurer dès maintenant. Il faut s'assurer que chaque décision prise permette d'assurer la sortie de crise dans de bonnes décisions. Il faut enfin mieux réguler le système financier international. Cela ne peut se faire d'un claquement de doigt, mais c'est bien dès aujourd'hui qu'il faut se mettre à la tâche. C'est ce qu'a fait le G20. On ne peut pas attendre la reprise : le consensus politique nécessaire à la réforme sera alors trop ténu.
Vaste programme... Mais nous n'avons pas le choix, il faut s'attaquer à tout cela de front, car les deux approches se complètent. Certains disent : occupons-nous seulement de la crise car la maison brûle, et on verra le reste après... Cela n'est pas si simple. Toutes les solutions de court-terme ne se valent pas à long-terme. Tous ces sujets sont très étroitement imbriqués : si on ne résout pas la crise à court-terme, le moyen-terme n'existera tout simplement pas. Mais si on ne donne pas des engagements crédibles pour le moyen-terme, on sape la crédibilité de l'État, sa signature, le financement du plan de relance et in fine la relance elle-même.
Commençons donc par le court-terme. Qu'est-ce qui a été mis en place ? Le G20 a chiffré à 5 000 Md $ le montant injecté par les politiques budgétaires dans l'économie. Ces 5 000 Md $ représentent des réalités très différentes, car les plans de relance doivent être jaugés à l'aune de la structure socio-économique de chaque pays. On ne compare pas des choux et des carottes. À chaque pays, une organisation et un plan adapté. Pour être efficaces, nous avons pris en compte l'existant de notre pays et opté pour le pragmatisme.
Il fallait d'abord sauvegarder le système bancaire, pour éviter une crise cardiaque économique. Nous avons mis en place des garanties des prêts interbancaires. Nous avons apporté un soutien en fonds propres aux banques qui le souhaitaient pour les renforcer. Le coeur de l'économie a ainsi continué d'être irrigué.
Il fallait ensuite soutenir l'activité. Nous avons d'abord choisi de laisser jouer les "stabilisateurs automatiques", c'est-à-dire de laisser les recettes publiques et les dépenses sociales s'adapter à la dégradation de l'activité. Nous avons tenu sur le budget de l'État et sur celui de la Sécurité sociale. En même temps, nous avons très rapidement mis en place un plan de relance axé sur l'investissement, et pris des mesures de justice en faveur des populations les plus fragilisées par la crise. C'est vrai, on n'a pas essayé de faciliter les choses pour les fonctionnaires. Je l'ai dit aux syndicats qui réclamaient des hausses, des points d'indices : non, la Fonction publique n'est pas la plus exposée à la crise.
Pourquoi axer le plan sur l'investissement ? Si le plan de relance est concentré sur l'investissement, c'est d'abord qu'il s'agit de ne pas léguer à nos enfants un "actif net" dégradé : on s'endette, oui, mais c'est pour investir. Plus précisément : pour anticiper des investissements. On fait d'une pierre deux coups : on soigne la France d'aujourd'hui, et on prépare la France de demain.
Cet investissement, c'est celui de l'État, des entreprises publiques, mais aussi des collectivités locales, qui réalisent les trois-quarts de l'investissement public. Nous avons mis en place une mesure particulièrement incitative via l'accélération du remboursement du FCTVA.
Pourquoi privilégier l'investissement sur la consommation ? C'est précisément là qu'il faut prendre en compte le fait que la France possède un système avancé de retraites, de protection contre le chômage, de prestations sociales. C'est ce système développé qui nous donne la chance de pouvoir concentrer notre plan de relance sur l'investissement et sur des facilités de trésorerie pour aider les entreprises à passer ce cap difficile. Il va de soit que la situation anglaise ou américaine est différente. Ce système social qui joue son rôle de bouclier explique largement la résistance de la consommation en France, encore au premier trimestre de cette année, validant de fait notre stratégie.
Très concrètement, où en est le plan de relance français ?
Un premier bilan peut d'ores et déjà être établi. Je ne reviendrai pas sur les dispositifs de sauvegarde du système bancaire, qui fonctionnent comme prévu. On a pu constater le dégonflement significatif des spreads sur les marchés interbancaires. De plus, puisqu'il n'y a pas de défaut, ces garanties rapportent même à ce stade de l'argent à l'État.
Pour les mesures concernant "l'économie réelle", deux mois après la promulgation du plan de relance et l'adoption d'une liste de plus de 1 000 projets d'infrastructure, - il y a 260 projets qui sont d'ores et déjà en chantier, une centaine dans les tuyaux pour ce mois : 75 % de l'investissement prévus par le président de la République dans son discours de Douai sera engagé dès 2009.
- les entreprises ont bénéficié fin mars de 11,4 milliards d'euros de remboursements accélérés de crédits fiscaux ; et j'ajoute qu'il y a très peu de contrôle, changement complet de mentalité de l'Administration.
- 6,5 milliards d'euros de crédits ont été mis à disposition des ministères et des opérateurs nationaux au titre du plan de relance, dont 1,3 milliard d'euros ont d'ores et déjà été payés.
Par ailleurs :
- plus de 15 700 conventions ont été signées au 24 avril avec les collectivités locales, qui recevront au moins 2,5 Md euros pour les projets nouveaux ;
- plus de 85 000 véhicules ont d'ores et déjà bénéficié de la prime à la casse, qui rencontre un vif succès ;
- à fin avril, plus de 180 000 embauches ont bénéficié de l'aide à l'embauche dans les très petites entreprises ;
- la prime de solidarité active, qui anticipe le revenu de solidarité active, a été versée au mois d'avril à plus de 4 millions de ménages modestes.
Concernant les mesures de justice sociale, il faut naturellement citer aussi la baisse de l'impôt sur le revenu pour 6 millions de Français, - 2 tout de suite, 4 à partir de septembre - et l'extension des indemnités de chômage partiel. (Je suis élu local, et au concours de boules du 1er mai, beaucoup de gens sont venus me remercier pour la « lettre » qu'ils avaient reçu de la DGFIP. Quand quelqu'un s'aperçoit qu'il n'aura pas à payer, c'est très concret, c'est très parlant !)
Vous le voyez, nous n'avons pas perdu de temps pour appliquer les mesures de relance.
Encore une fois, c'est un point à ne pas oublier lorsque l'on compare les plans de relance des différents pays. Quand des chiffres sont avancés, il faut s'interroger sur le calendrier de mise en oeuvre. Dans les plans allemands ou américains par exemple, les baisses d'impôt devraient s'étaler jusqu'en 2010. L'office budgétaire du Congrès américain, le CBO, estime qu'à peine 10 % des investissements annoncés par le Président Obama seront réalisés cette année. Nous nous attachons, nous, à ce que les mesures de relance soient d'effet rapide, concentré en 2009, et temporaire.
Par delà les différences de conception des plans, il faut noter que partout c'est le rôle de l'État qui rassemble. C'est d'ailleurs remarquable, quels que soient les paradigmes économiques des uns et des autres. Les finances publiques sont reconnues partout comme le filet de sécurité de dernier ressort. Ce n'est plus l'État providence, ce n'est pas l'État ultralibéral, c'est un "État rempart", qui protège ses concitoyens tout en facilitant l'initiative à ceux qui veulent la prendre, comme les entreprises.
Mais pour rester un rempart efficace, cet État ne doit pas baisser la garde devant l'endettement. L'urgence de court terme ne doit pas faire oublier le moyen terme. Ceux qui croient qu'une fois la situation économique rétablie, on fera table rase du passé, se trompent lourdement. Ma vision, ce n'est surtout pas : "après moi, le déluge".
Certes, il n'y a pas d'autre choix aujourd'hui que d'augmenter la dette pour sauver l'économie. Mais il n'y aura pas d'autre choix demain que de contenir et de réduire fermement cette dette. Ce ne doit pas être un gouffre sans fond. Nous ne ferions que remplacer la bulle d'endettement privé que l'économie mondiale a connue par une bulle d'endettement public. La seconde éclaterait tout aussi sûrement que la première, avec des conséquences aussi terribles.
Or, maîtriser la dette, j'y reviendrai dans un instant, ne se fera pas simplement, et je doute que l'opinion mondiale nous le laisse oublier. De ce point de vue, cette crise est le grand retour des politiques. À nous de nous assurer que l'argent des Français est utilisé au mieux, et qu'une telle situation ne se reproduira pas.
On ne peut pas piloter à vue et espérer que tout rentre dans l'ordre tout seul, comme par enchantement...
Si on prend les mesures de relance qui ne sont pas les bonnes, on met en danger la signature de la France.
Maîtriser les finances publiques, c'est évidemment d'abord une question de simple bon sens : même si l'État a bien sûr plus de capacités financières qu'une entreprise ou qu'un ménage, il ne peut pas s'endetter toujours plus. C'est aussi, et peut-être surtout une question éthique : qu'aurions nous résolu, si nous ne faisons que reporter sur nos enfants encore plus de dettes, et une charge insupportable ?
Dans les 100 Md euros de déficit de l'État que nous avons prévu dans le dernier collectif, il y en a à peu près 60 % dû à la crise, et 40 % qui sont plus structurels.
Le déficit "de crise" a vocation à se résorber, mais progressivement, au fur et à mesure que l'on retrouvera le niveau d'activité qui aurait été le nôtre sans la crise. Un point clé pour que ce déficit disparaisse, c'est naturellement que les dépenses de relances soient temporaires.
Il faut à tout prix éviter d'empiler comme un château de cartes de nouvelles dépenses pérennes. Cela a été trop souvent le cas par le passé.
Nous avons donc mis en place une architecture budgétaire spécifique. Les dépenses sont cantonnées sur une mission spéciale "relance", responsabilité de Patrick Devedjian. Et les crédits s'éteignent fin 2010. L'incidence budgétaire du plan est concentrée sur l'année 2009.
Il y a là en fait une occasion historique. En maintenant scrupuleusement cette stratégie, nous aurons l'occasion de réduire notre écart de dépenses avec certains de nos partenaires. En effet, certains pays, notamment anglo-saxons, décident de nouvelles dépenses qui, elles, seront très certainement pérennes. Je pense par exemple à la couverture médicale aux États-Unis. Cela permettrait de nous positionner en pôle position après le virage de la sortie de crise, au moment de nous engager sur la ligne droite de la croissance.
D'autre part, en ce qui concerne les recettes, elles reviendront, mais progressivement ; et pas au même niveau qu'auparavant : une partie des recettes est liée au niveau des actifs, immobiliers notamment ; ce que vous avez dans vos comptes, ça ne vaut plus ce que ça valait, la taxation est donc inférieure : cette baisse des recettes liée à la baisse des actifs, nous devons en tenir compte dans la trajectoire de finances publiques que nous nous fixons.
Il faut continuer à réduire les dépenses : oui, nous ne remettrons pas en cause le non remplacement des départs à la retraite, même en période de chômage. Il faut réduire le nombre de fonctionnaires.
Quant à la maitrise du déficit "structurel", elle ne dépend pas de la crise : ce déficit n'est pas né de la crise et ne disparaitra par magie avec elle. Il faut donc lutter sans relâche pour la maîtrise des dépenses courantes.
C'est pourquoi nous avons relancé la RGPP. Nous abordons maintenant une deuxième étape : regarder ce qui a été fait, et qui est remarquable, regarder aussi ce qui n'a pas pu l'être, en s'attachant au contenu des politiques publiques ; et nous avons lancé des travaux qui concernent la sphère immense des opérateurs de l'État - à côté de l'État lui-même, ceci afin de faire le tour complet de la dépense publique.
C'est pourquoi, avec l'aide des parlementaires, nous avons fait des avancées majeures sur le contrôle des niches fiscales et sociales lors des dernières lois de finances et dans la loi de programmation des finances publiques, qui n'a pas trépassé avec la crise, - bien au contraire ! Dans le cadre de mes réunions pour préparer le projet de loi de Finances 2010, je vois moins de ministres que l'année dernière, parce qu'il ya programmation, parce que nous dépensons dorénavant par mission.
Vous le voyez, notre stratégie est claire : soutien à la croissance, celle d'aujourd'hui pour sortir de la crise, celle de demain en privilégiant l'investissement et la recherche, et maitrise des dépenses publiques.
C'est bien ce qui nous permettra d'assainir durablement nos finances publiques, sans avoir besoin d'alourdir encore la charge des impôts pour les Français. Car qui dit croissance, dit recettes : la TVA avec la consommation, l'IS avec les bénéfices des sociétés, pour ne prendre que deux exemples.
Notre stratégie est claire, mais je l'avoue, oui, elle n'est pas facile. Infléchir la dépense publique, c'est un effort de chacun et de chaque instant. Et comme je le disais au début de mon intervention, c'est affaire de souveraineté. Je vous remercie.
Source http://www.comptes-publics.gouv.fr, le 7 mai 2009