Texte intégral
Q - Parlons de la situation européenne, qui est préoccupante. L'Assemblée nationale a adopté hier le projet de loi de ratification du traité de Nice, essentiellement grâce aux voix du RPR et du PS. Deux formations très européennes, les Verts, qui ont voté contre, et l'UDF, qui s'est abstenue, ont délivré un véritable réquisitoire contre cet accord, "mauvais pour la France, mauvais pour l'Europe" disent-ils. N'avez-vous pas le sentiment que ces prises de position résument au fond l'état d'esprit général ?
R - Il faudrait quand même rappeler une chose sur le traité de Nice, puisque vous évoquez le débat d'hier à l'Assemblée nationale : l'Assemblée nationale a adopté le traité de Nice, et pas n'importe comment, par 407 voix pour et 27 voix contre.
()
Q - Pensez-vous que les Français auraient adopté ce texte par référendum ?
R - J'ai surtout une autre conception et c'est pour cela que je trouve cette attitude parfaitement démagogique, et je l'ai dit hier à l'Assemblée nationale. Je pense que c'est la raison du vote positif pour le traité de Nice de Raymond Barre, notamment. Qu'est-ce que le référendum dans nos institutions ? C'est quand il s'agit de toucher aux équilibres fondamentaux de la nation. Le Traité de Nice est important, significatif, mais il ne touche pas à cela. Le référendum sur le Traité de Maastricht, oui, là c'était essentiel. Il y avait effectivement matière à référendum. Si, demain, on va vers une constitution européenne, et je le souhaite, comme François Bayrou, là, il y a matière à référendum. Mais faire un référendum sur le traité de Nice, c'est une manipulation politicienne, qui consiste à prendre l'Europe en otage d'une ambition présidentielle. Mais Valéry Giscard d'Estaing n'a d'ailleurs pas eu cette argumentation-là. Il a bâti une argumentation solide contre le traité de Nice, avec laquelle je ne suis pas d'accord, mais sans démagogie. Donc, je crois qu'il faut à la fois le référendum irlandais et le vote français pour ce qu'ils sont, c'est-à-dire un avertissement. J'ai toujours dit que Nice était le meilleur traité possible dans l'état actuel de l'Union. Je répète cette formule. Qu'est-ce que cela signifie ? D'abord, que l'état actuel de l'Union n'est pas bon et que nous devons être capables effectivement de porter plus haut notre ambition. Je mets au défi quiconque à Nice d'avoir été capable d'obtenir un meilleur traité.
Q - N'y a-t-il pas eu de mauvaise tactique de la part de la Présidence française ?
R - C'est difficile à dire, car je serais amené à me juger moi-même. Il a pu y avoir, ici ou là, des maladresses à tel ou tel moment mais le résultat n'eût pas été significativement différent.
Q - On a fait en moins de dix ans trois traités importants : Maastricht, Amsterdam et Nice. Chacun était sensé réparer les faiblesses du précédent. A votre poste, avez-vous une idée du prochain traité ? Quand et que faudra-t-il traiter? Est-ce purement politique et institutionnel ? Maintenant qu'on a fait la monnaie, que reste-t-il à faire ?
R - Il va y avoir deux grands rendez-vous. Il y a un premier rendez-vous, dont on ne parle jamais, mais qui va donner lieu à des traités : c'est quand même l'élargissement de l'Union européenne. C'est pour 2003, 2004.
Q - Mais cela apporte des problèmes, cela n'en règle pas.
R - Cela apporte des problèmes, mais cela apporte aussi des solutions. Nous ne faisons pas non plus comme si nous n'avions pas décidé cet élargissement. Ce n'est pas quelque chose que nous subissons, c'est un projet, un projet historique, un projet politique, un projet de civilisation que la réunification du continent européen, même si on ne l'explique pas assez. Et je crois qu'il est très important maintenant, y compris après le "non" irlandais, de dire : "attention, on n'a pas fait tout cela pour rien". On va s'élargir, il y aura des pays de l'Est. Il ne faut pas que nos concitoyens le découvrent en 2002 et qu'ils voient cela uniquement comme un problème. Pour moi, c'est une formidable chance. Je passe ma vie là-bas. Je vais en Pologne et en République tchèque la semaine prochaine, ce sont des choses extrêmement importantes et sensibles. Et puis, à Nice, on a tout de même eu la sagesse de se donner un rendez-vous - conscient que nous étions, malgré tout, des faiblesses ou des limites du traité, qui est celui de 2004. D'ici à 2004, nous voulons convoquer une nouvelle Conférence intergouvernementale, c'est-à-dire une réunion du Conseil européen, en pratique, qui va adopter un nouveau traité. Mais ce sera un traité beaucoup plus ambitieux. Je souhaite que ce traité soit une constitution européenne. La constitution de ce que Lionel Jospin, après Jacques Delors, et que Joschka Fischer ont appelé une fédération d'Etats-Nations qui permette d'avoir une vision, à la fois beaucoup plus ambitieuse, et beaucoup plus permanente de nos institutions, et qui évite justement la vision a minima et à répétition, qui n'est absolument pas une bonne chose. Je souhaite qu'il y ait une constitution européenne, dont le préambule serait la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, autrement dit une déclaration de valeurs fortes, qui dise où nous allons et puis que l'on arrête de toucher à cela pour toujours. Je vais prendre un exemple : il y a un mérite et une limite du traité de Nice : on est passé au vote à la majorité qualifiée - c'est-à-dire au vote démocratique des Etats - pour un total de trente sujets. Mais, on en a laissé d'autres à l'unanimité, par exemple, l'harmonisation sociale, l'harmonisation fiscale, qui était un grand déterminant du "non" irlandais, alors même que le traité n'ouvre pas cette matière. Je souhaite l'harmonisation sociale et fiscale par le haut. Je sais que tant que l'on aura l'unanimité, on ne l'aura pas. C'est pour cela que, comme le Premier Ministre, je souhaite que le vote à la majorité qualifiée devienne la règle absolue. Donc, si c'est fait une fois pour toutes, on n'aura, par définition, pas besoin d'y revenir.
Q - Si j'ai bien lu ce qu'a écrit et dit Lionel Jospin, dans cette fédération, dans cette future constitution européenne, les peuples n'éliront personne au niveau européen. Ni gouvernement, ni président de l'Europe, ni même de vrais députés qui font des lois. Comment une constitution sans peuple, sans suffrage universel européen va-t-elle marcher ?
R - Je ne sais pas où vous avez lu cela. Au contraire, j'ai vu deux éléments importants de démocratie européenne. Le premier, c'est la réforme profonde du mode de scrutin pour les élections européennes, parce que ce qui me préoccupe le plus, ce n'est pas tellement le "non" irlandais, mais le fait que 70% des Irlandais ne soient pas allés voter et qu'il y ait 50% des Français, et même plus, qui ne vont pas voter pour les élections européennes. Pour cela, il faut que l'on élise ses députés européens dans des circonscriptions pertinentes.
Q - Mais il faudrait qu'ils fassent des lois européennes aussi...
R - Mais il le font. Le Parlement européen est déjà le co-législateur, il a un rôle de plus en plus important. Et puis la deuxième chose : vous aurez noté que Lionel Jospin proposait que le président de la Commission soit le leader de la formation transnationale, autrement dit d'un parti européen, qui arrive en tête aux élections européennes. Aujourd'hui, il y a un grand parti conservateur, le PPE, un grand parti socialiste, le PSE - Parti des socialistes européens. L'idée est que chacun désigne un leader : par exemple, pour les uns, Prodi et pour les autres, Delors - je donne deux noms qui signifient quelque chose. Les peuples votent. Celui qui est appelé ensuite pour être président de la Commission est le leader de cette coalition. C'est le système parlementaire. On ne peut pas dire que dans les systèmes parlementaires les gens ne votent pour personne...
Q - Mais la vision de Jospin reste très intergouvernementale, alors qu'on a vu que cette voie le conduit à l'échec. N'a-t-il pas fait le choix de l'impasse et le choix du statu quo amélioré, relooké ?
R - Pas du tout, parce que ce n'est pas intergouvernemental, si vous avez un président de la Commission, qui a cette légitimité-là et si vous avez un Parlement européen, qui est élu dans des circonscriptions. De fait, vous avez un système parlementaire, vous avez une démocratie parlementaire, avec une première chambre qui est le Parlement européen, une Commission qui est en partie un gouvernement. Mais l'originalité de Lionel Jospin, et c'est pour cela que son texte est assez central, c'est de reconnaître que les Etats, cela compte, que les Nations, cela compte, qu'il est vrai que le France n'est pas le Texas ou la Californie, ou Malte, le Wyoming. Et je ne crois pas que le Conseil des ministres actuel, les Etats, puissent être demain la deuxième chambre du Parlement européen. Là, toutefois, en terme de légitimité populaire, je pense que l'on mettrait la charrue avant les boeufs.
Q - Comment expliquez-vous la discrétion de Lionel Jospin sur la relation franco-allemande, dans la présentation de son projet européen ? Est-ce que c'est un constat d'impuissance à renouer une relation forte avec Schröder ? Ou bien est-ce la difficulté d'appréhender au fond la position allemande, qui n'est pas très claire, entre celle de Fischer et celle de Schröder ?
R - Je m'en sortirai par une pirouette mais qui est plus que cela. On a parlé du projet, en fait, c'était une motion du SPD, le mot franco-allemand n'apparaissait pas. Dans le discours de Lionel Jospin, il a réaffirmé que la relation franco-allemande était au coeur de l'Europe. Mais ce n'était pas l'objet de ce discours, ni en positif, ni en négatif. Ce n'était pas la réponse à Schröder. Pour être honnête, le discours de Lionel Jospin était prêt bien avant.
Q - La relation franco-allemande a toujours était essentielle dans la construction européenne et dans les rapports des deux pays.
R - Elle l'est et le demeurera.
Q - Elle est absente dans la vision de Lionel Jospin.
R - Je ne crois pas.
Q - Quand vous prenez l'ensemble de sa politique, n'avez-vous pas un peu peur de Georges Bush Jr ?
R - Peur, ce n'est pas le mot. Il faut que l'on fasse connaissance. Demain, Georges Bush sera à Göteborg, où se tient le Conseil européen. Il dînera avec les membres du Conseil européen, c'est-à-dire les chefs d'Etat et de gouvernement et M. Prodi, et je pense aussi M. Solana. Ce sera l'occasion d'entamer un dialogue avec lui. Je pense au fond que nous le connaissons mal et qu'il nous connaît très mal. Il connaît mal l'Europe. Je note qu'il a mis un peu d'eau dans son vin, qu'il a précédé sa venue en Europe d'un certain nombre de gestes, de discours positifs sur l'importance qu'il accorde à l'Europe. Il faudra lui faire passer un certain nombre de messages sur la défense, sur l'environnement, des messages sur le Proche-Orient. Il faut être capable de se parler très franchement avec fermeté quand il le faut, mais aussi de façon ouverte, pour nouer un dialogue, car la confrontation est aussi idiote que la soumission.
Q - Sur l'environnement, quel est le message ?
R - Il est très simple. C'est un double message. Nous sommes très préoccupés du fait que les Américains aient tourné le dos au processus de Kyoto, alors même qu'ils devraient être les premiers concernés. Ils sont responsables de 25% des émissions de gaz à effet de serre sur la planète. En terme d'efficacité énergétique sur ce point, ils sont deux fois plus lents que nous. Donc, il faut absolument qu'ils reviennent là-dessus, qu'ils s'attachent à réduire les émissions des gaz à effet de serre, et aussi que l'on relance le processus de Kyoto. Pour cela, il faut aussi un dialogue. Donc, là nous allons marquer un désaccord, mais aussi un appel au dialogue.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 juin 2001)
R - Il faudrait quand même rappeler une chose sur le traité de Nice, puisque vous évoquez le débat d'hier à l'Assemblée nationale : l'Assemblée nationale a adopté le traité de Nice, et pas n'importe comment, par 407 voix pour et 27 voix contre.
()
Q - Pensez-vous que les Français auraient adopté ce texte par référendum ?
R - J'ai surtout une autre conception et c'est pour cela que je trouve cette attitude parfaitement démagogique, et je l'ai dit hier à l'Assemblée nationale. Je pense que c'est la raison du vote positif pour le traité de Nice de Raymond Barre, notamment. Qu'est-ce que le référendum dans nos institutions ? C'est quand il s'agit de toucher aux équilibres fondamentaux de la nation. Le Traité de Nice est important, significatif, mais il ne touche pas à cela. Le référendum sur le Traité de Maastricht, oui, là c'était essentiel. Il y avait effectivement matière à référendum. Si, demain, on va vers une constitution européenne, et je le souhaite, comme François Bayrou, là, il y a matière à référendum. Mais faire un référendum sur le traité de Nice, c'est une manipulation politicienne, qui consiste à prendre l'Europe en otage d'une ambition présidentielle. Mais Valéry Giscard d'Estaing n'a d'ailleurs pas eu cette argumentation-là. Il a bâti une argumentation solide contre le traité de Nice, avec laquelle je ne suis pas d'accord, mais sans démagogie. Donc, je crois qu'il faut à la fois le référendum irlandais et le vote français pour ce qu'ils sont, c'est-à-dire un avertissement. J'ai toujours dit que Nice était le meilleur traité possible dans l'état actuel de l'Union. Je répète cette formule. Qu'est-ce que cela signifie ? D'abord, que l'état actuel de l'Union n'est pas bon et que nous devons être capables effectivement de porter plus haut notre ambition. Je mets au défi quiconque à Nice d'avoir été capable d'obtenir un meilleur traité.
Q - N'y a-t-il pas eu de mauvaise tactique de la part de la Présidence française ?
R - C'est difficile à dire, car je serais amené à me juger moi-même. Il a pu y avoir, ici ou là, des maladresses à tel ou tel moment mais le résultat n'eût pas été significativement différent.
Q - On a fait en moins de dix ans trois traités importants : Maastricht, Amsterdam et Nice. Chacun était sensé réparer les faiblesses du précédent. A votre poste, avez-vous une idée du prochain traité ? Quand et que faudra-t-il traiter? Est-ce purement politique et institutionnel ? Maintenant qu'on a fait la monnaie, que reste-t-il à faire ?
R - Il va y avoir deux grands rendez-vous. Il y a un premier rendez-vous, dont on ne parle jamais, mais qui va donner lieu à des traités : c'est quand même l'élargissement de l'Union européenne. C'est pour 2003, 2004.
Q - Mais cela apporte des problèmes, cela n'en règle pas.
R - Cela apporte des problèmes, mais cela apporte aussi des solutions. Nous ne faisons pas non plus comme si nous n'avions pas décidé cet élargissement. Ce n'est pas quelque chose que nous subissons, c'est un projet, un projet historique, un projet politique, un projet de civilisation que la réunification du continent européen, même si on ne l'explique pas assez. Et je crois qu'il est très important maintenant, y compris après le "non" irlandais, de dire : "attention, on n'a pas fait tout cela pour rien". On va s'élargir, il y aura des pays de l'Est. Il ne faut pas que nos concitoyens le découvrent en 2002 et qu'ils voient cela uniquement comme un problème. Pour moi, c'est une formidable chance. Je passe ma vie là-bas. Je vais en Pologne et en République tchèque la semaine prochaine, ce sont des choses extrêmement importantes et sensibles. Et puis, à Nice, on a tout de même eu la sagesse de se donner un rendez-vous - conscient que nous étions, malgré tout, des faiblesses ou des limites du traité, qui est celui de 2004. D'ici à 2004, nous voulons convoquer une nouvelle Conférence intergouvernementale, c'est-à-dire une réunion du Conseil européen, en pratique, qui va adopter un nouveau traité. Mais ce sera un traité beaucoup plus ambitieux. Je souhaite que ce traité soit une constitution européenne. La constitution de ce que Lionel Jospin, après Jacques Delors, et que Joschka Fischer ont appelé une fédération d'Etats-Nations qui permette d'avoir une vision, à la fois beaucoup plus ambitieuse, et beaucoup plus permanente de nos institutions, et qui évite justement la vision a minima et à répétition, qui n'est absolument pas une bonne chose. Je souhaite qu'il y ait une constitution européenne, dont le préambule serait la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, autrement dit une déclaration de valeurs fortes, qui dise où nous allons et puis que l'on arrête de toucher à cela pour toujours. Je vais prendre un exemple : il y a un mérite et une limite du traité de Nice : on est passé au vote à la majorité qualifiée - c'est-à-dire au vote démocratique des Etats - pour un total de trente sujets. Mais, on en a laissé d'autres à l'unanimité, par exemple, l'harmonisation sociale, l'harmonisation fiscale, qui était un grand déterminant du "non" irlandais, alors même que le traité n'ouvre pas cette matière. Je souhaite l'harmonisation sociale et fiscale par le haut. Je sais que tant que l'on aura l'unanimité, on ne l'aura pas. C'est pour cela que, comme le Premier Ministre, je souhaite que le vote à la majorité qualifiée devienne la règle absolue. Donc, si c'est fait une fois pour toutes, on n'aura, par définition, pas besoin d'y revenir.
Q - Si j'ai bien lu ce qu'a écrit et dit Lionel Jospin, dans cette fédération, dans cette future constitution européenne, les peuples n'éliront personne au niveau européen. Ni gouvernement, ni président de l'Europe, ni même de vrais députés qui font des lois. Comment une constitution sans peuple, sans suffrage universel européen va-t-elle marcher ?
R - Je ne sais pas où vous avez lu cela. Au contraire, j'ai vu deux éléments importants de démocratie européenne. Le premier, c'est la réforme profonde du mode de scrutin pour les élections européennes, parce que ce qui me préoccupe le plus, ce n'est pas tellement le "non" irlandais, mais le fait que 70% des Irlandais ne soient pas allés voter et qu'il y ait 50% des Français, et même plus, qui ne vont pas voter pour les élections européennes. Pour cela, il faut que l'on élise ses députés européens dans des circonscriptions pertinentes.
Q - Mais il faudrait qu'ils fassent des lois européennes aussi...
R - Mais il le font. Le Parlement européen est déjà le co-législateur, il a un rôle de plus en plus important. Et puis la deuxième chose : vous aurez noté que Lionel Jospin proposait que le président de la Commission soit le leader de la formation transnationale, autrement dit d'un parti européen, qui arrive en tête aux élections européennes. Aujourd'hui, il y a un grand parti conservateur, le PPE, un grand parti socialiste, le PSE - Parti des socialistes européens. L'idée est que chacun désigne un leader : par exemple, pour les uns, Prodi et pour les autres, Delors - je donne deux noms qui signifient quelque chose. Les peuples votent. Celui qui est appelé ensuite pour être président de la Commission est le leader de cette coalition. C'est le système parlementaire. On ne peut pas dire que dans les systèmes parlementaires les gens ne votent pour personne...
Q - Mais la vision de Jospin reste très intergouvernementale, alors qu'on a vu que cette voie le conduit à l'échec. N'a-t-il pas fait le choix de l'impasse et le choix du statu quo amélioré, relooké ?
R - Pas du tout, parce que ce n'est pas intergouvernemental, si vous avez un président de la Commission, qui a cette légitimité-là et si vous avez un Parlement européen, qui est élu dans des circonscriptions. De fait, vous avez un système parlementaire, vous avez une démocratie parlementaire, avec une première chambre qui est le Parlement européen, une Commission qui est en partie un gouvernement. Mais l'originalité de Lionel Jospin, et c'est pour cela que son texte est assez central, c'est de reconnaître que les Etats, cela compte, que les Nations, cela compte, qu'il est vrai que le France n'est pas le Texas ou la Californie, ou Malte, le Wyoming. Et je ne crois pas que le Conseil des ministres actuel, les Etats, puissent être demain la deuxième chambre du Parlement européen. Là, toutefois, en terme de légitimité populaire, je pense que l'on mettrait la charrue avant les boeufs.
Q - Comment expliquez-vous la discrétion de Lionel Jospin sur la relation franco-allemande, dans la présentation de son projet européen ? Est-ce que c'est un constat d'impuissance à renouer une relation forte avec Schröder ? Ou bien est-ce la difficulté d'appréhender au fond la position allemande, qui n'est pas très claire, entre celle de Fischer et celle de Schröder ?
R - Je m'en sortirai par une pirouette mais qui est plus que cela. On a parlé du projet, en fait, c'était une motion du SPD, le mot franco-allemand n'apparaissait pas. Dans le discours de Lionel Jospin, il a réaffirmé que la relation franco-allemande était au coeur de l'Europe. Mais ce n'était pas l'objet de ce discours, ni en positif, ni en négatif. Ce n'était pas la réponse à Schröder. Pour être honnête, le discours de Lionel Jospin était prêt bien avant.
Q - La relation franco-allemande a toujours était essentielle dans la construction européenne et dans les rapports des deux pays.
R - Elle l'est et le demeurera.
Q - Elle est absente dans la vision de Lionel Jospin.
R - Je ne crois pas.
Q - Quand vous prenez l'ensemble de sa politique, n'avez-vous pas un peu peur de Georges Bush Jr ?
R - Peur, ce n'est pas le mot. Il faut que l'on fasse connaissance. Demain, Georges Bush sera à Göteborg, où se tient le Conseil européen. Il dînera avec les membres du Conseil européen, c'est-à-dire les chefs d'Etat et de gouvernement et M. Prodi, et je pense aussi M. Solana. Ce sera l'occasion d'entamer un dialogue avec lui. Je pense au fond que nous le connaissons mal et qu'il nous connaît très mal. Il connaît mal l'Europe. Je note qu'il a mis un peu d'eau dans son vin, qu'il a précédé sa venue en Europe d'un certain nombre de gestes, de discours positifs sur l'importance qu'il accorde à l'Europe. Il faudra lui faire passer un certain nombre de messages sur la défense, sur l'environnement, des messages sur le Proche-Orient. Il faut être capable de se parler très franchement avec fermeté quand il le faut, mais aussi de façon ouverte, pour nouer un dialogue, car la confrontation est aussi idiote que la soumission.
Q - Sur l'environnement, quel est le message ?
R - Il est très simple. C'est un double message. Nous sommes très préoccupés du fait que les Américains aient tourné le dos au processus de Kyoto, alors même qu'ils devraient être les premiers concernés. Ils sont responsables de 25% des émissions de gaz à effet de serre sur la planète. En terme d'efficacité énergétique sur ce point, ils sont deux fois plus lents que nous. Donc, il faut absolument qu'ils reviennent là-dessus, qu'ils s'attachent à réduire les émissions des gaz à effet de serre, et aussi que l'on relance le processus de Kyoto. Pour cela, il faut aussi un dialogue. Donc, là nous allons marquer un désaccord, mais aussi un appel au dialogue.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 juin 2001)