Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
Je vous ai réunis ici pour installer le Conseil d'Analyse économique que j'ai souhaité créer. Je vous remercie d'avoir répondu à mon invitation.
Cette initiative est sans précédent dans notre pays. Elle répond à la nécessité pour un gouvernement trop souvent confronté à l'urgence, de pouvoir se référer à une structure de réflexion qui lui permette d'éclairer ses choix dans le domaine économique. J'ai souhaité aussi créer un lien entre deux mondes qui trop souvent s'ignorent, celui de la décision économique publique et celui de la réflexion économique, universitaire ou non.
J'ai pris soin de composer ce Conseil de façon à tenir compte de toutes les sensibilités. Le Conseil d'Analyse économique est pluraliste. C'est là un de ses atouts principaux, auquel je suis très attaché. Il doit être un lieu de confrontations sans a priori et les personnes qui le composent doivent pouvoir s'exprimer en toute indépendance. Cette indépendance - je le sais -vous y tenez, mais surtout je la souhaite moi-même.
Ces délibérations n'aboutiront pas toujours à des conclusions partagées par tous les membres ; l'essentiel à mes yeux est que tous les avis puissent s'exprimer, sans qu'il y ait nécessairement consensus. La contrepartie de cette totale liberté de pensée et de parole est le secret, vis-à-vis de l'extérieur, qui est attendu de vous : vos délibérations doivent demeurer confidentielles. J'ajoute que, libre de vous exprimer publiquement, vous ne devez pas mentionner alors votre qualité de membre du Conseil.
La mission de ce Conseil est essentielle : il s'agit, par vos débats, d'analyser les problèmes économiques du pays et d'exposer les différentes options envisageables.
A vous -experts- de mener à bien la nécessaire réflexion ; au gouvernement de trancher.
Les travaux de ce Conseil doivent avoir une ouverture internationale. Dès lors que l'information circule rapidement d'un bout à l'autre de la planète et que certaines branches de notre économie se sont très largement mondialisées, nous ne pouvons plus nous contenter d'une vision hexagonale. Cette ouverture indispensable est déjà concrétisée par la présence au sein du Conseil de deux professeurs étrangers ou exerçant à l'étranger. Elle devra s'affirmer par l'analyse des expériences conduites ailleurs et qui pourraient inspirer nos propres réflexions.
Ce Conseil n'a pas vocation à se substituer à d'autres structures existantes. Je pense en particulier au Commissariat Général du Plan dont la mission, essentielle à mes yeux, est de nourrir et d'animer la réflexion à moyen terme avec les partenaires sociaux.
Le Conseil d'Analyse économique, composé d'économistes pour la plupart universitaires, doit pouvoir exprimer ses opinions sous forme de notes ou de rapports courts sur les sujets dont je le saisirai. Il pourra s'appuyer sur les travaux des administrations économiques. C'est pourquoi, en accord avec les ministres concernés, j'ai souhaité que soient membres de droit du Conseil les directeurs de ces administrations. Je présiderai les réunions du Conseil lorsque mon agenda le permettra. En mon absence, le Conseil sera présidé par mon conseiller, Pierre-Alain Muet, professeur à l'Ecole polytechnique. Il sera doté d'un Secrétariat général comprenant une secrétaire générale, Hélène de Largentaye, et deux membres permanents du Conseil, qui seront nommés prochainement. Ils seront assistés de deux économistes et d'un documentaliste.
Cette équipe permanente sera installée à l'Hôtel de Broglie situé au 35 rue Saint Dominique, tout près d'ici. Les réunions mensuelles en séance plénière du Conseil s'y tiendront.
Je voudrais maintenant évoquer avec vous les grandes lignes de la politique économique du gouvernement et préciser le concours que le Conseil pourrait apporter. Comme je l'ai indiqué dans ma déclaration de politique générale, je veux mettre l'économie au service de l'emploi. Ma conviction profonde est qu'on ne fera durablement reculer le chômage qu'en retrouvant une croissance forte et en imaginant pour notre pays un modèle de développement à la fois plus solidaire et plus riche en emplois. Tels sont les deux principes qui fondent notre politique à moyen terme et qui ont guidé les premières mesures que nous avons prises.
I) Il importe de remédier à un déficit de croissance, qui a des origines à la fois européennes et nationales.
- La coordination des politiques économiques en Europe
L'atonie de la croissance et la persistance du chômage concernent à des degrés divers l'ensemble des pays européens. Alors que nos économies sont devenues de plus en plus interdépendantes, nous n'avons pas su mettre en place les instruments de coordination et d'organisation économique adaptés à la dimension de ce grand marché. La politique du chacun pour soi a ainsi trop souvent conduit à sacrifier la croissance et l'emploi. C'est pourquoi au Sommet européen d'Amsterdam, j'ai proposé à nos partenaires de s'engager résolument dans la voie de la coordination des politiques économiques en complétant, conformément à l'article 103 du Traité, les dispositifs existants par la création d'un pôle de coordination économique. Un premier pas a été réalisé avec l'adoption de la résolution sur la croissance et l'emploi. Cette démarche comportera une nouvelle et importante étape avant la fin de l'année lors du Sommet des chefs d'Etat et de gouvernement à Luxembourg.
Je souhaiterais que le Conseil d'Analyse économique accompagne et approfondisse ces réflexions sur la coordination des politiques économiques et sur le fonctionnement d'une Union monétaire, deux thèmes qui ont fait l'objet déjà de nombreux travaux de la part des économistes. Cette coordination est importante en matière de politique macro-économique, notamment pour éviter par exemple les effets néfastes d'une harmonisation fiscale insuffisante. Dans d'autres domaines, en revanche, une telle coordination n'est pas nécessaire et l'intervention publique est plus efficace lorsque sa conception et sa mise en oeuvre sont déterminées au niveau local. Une réflexion approfondie sur ces thèmes est donc indispensable.
Au-delà des problèmes strictement européens, je souhaite d'ailleurs que le Conseil puisse m'éclairer sur les changements susceptibles d'intervenir dans les équilibres économiques des grandes régions du monde.
- Le déséquilibre du partage de la valeur ajoutée
La faiblesse de la croissance française au cours des cinq dernières années a trouvé son origine, au moins pour partie, dans un partage de la valeur ajoutée trop défavorable aux salaires pour que les entreprises puissent bénéficier d'une consommation dynamique. Dès lors, qu'aujourd'hui, les taux d'intérêts sont bas et la situation financière des entreprises satisfaisante, les débouchés des entreprises et la consommation des ménages sont les principaux facteurs de l'investissement. Une croissance plus équilibrée des revenus permettrait donc de renforcer la reprise économique et la rendre durable. Ce sera, avec la réduction du temps de travail, l'un des thèmes qui sera évoqué à la conférence sur l'emploi, les salaires et le temps de travail, qui se réunira en septembre. Je souhaite que les membres du Conseil me donnent rapidement leur avis sur le diagnostic qu'ils font de la situation économique et notamment sur l'évolution du partage de la valeur ajoutée, les profits des entreprises et les conditions qui nous permettront de concilier une croissance forte et une répartition plus équitable des fruits de la croissance.
- La politique budgétaire
Au début du mois, et dans l'attente d'une évaluation sur l'état de nos finances publiques, j'ai mis en oeuvre nos premières priorités en redéployant nos dépenses en faveur de la consommation des ménages et des créations d'emplois, par la procédure d'un décret d'avances. Ceci a permis notamment de dégager les crédits nécessaires à la mise en oeuvre dès cette année du programme en faveur des jeunes, ainsi qu'à la réhabilitation de 100 000 logements. Cette dernière répondait non seulement à un besoin social, mais aussi à l'objectif de créer des emplois par la relance d'une activité dont les effets d'emploi sont très marqués.
La seconde étape est intervenue lundi dernier, lorsque l'évaluation de MM. Bonnet et Nasse m'a été remise. Cette évaluation, vous le savez, situe le déficit de l'ensemble des finances publiques dans une plage comprise entre 3,5 et 3,7 % du PIB pour 1997 au lieu de 3 % affiché dans la loi de Finances initiale pour 1997. Un effort de redressement était donc nécessaire, non seulement pour réussir l'union monétaire à la date prévue, mais aussi pour enrayer la progression de notre endettement qui est passé de 39,2 % du PIB à la fin de l'année 1992 à 55,7 % fin 1996.
Nous avons fait le choix d'un redressement mesuré et équilibré. Mesuré, puisque avec une correction qui s'élève à 32 Mds, soit 0,4 point de PIB, nous revenons sur la bonne trajectoire sans entraver la croissance économique. Equilibré, puisque nous compensons la perte de recettes -évaluée entre 20 et 23 Mds- par un montant équivalent de 22 Mds de francs, auquel s'ajoutent 10 milliards d'économie. Compte tenu de la situation économique qui voit depuis plusieurs années l'épargne des entreprises excéder très largement leur investissement l'excédent atteignait 135 Mds de francs en 1996-, la majoration temporaire, pour 1997 et 1998 de 15 % de l'impôt sur les sociétés qui, je le rappelle, ne concerne pas les PME, ne devrait pas obérer la reprise de l'investissement.
Je suis bien conscient de la contribution essentielle des entreprises à la croissance et à l'emploi. L'effort que nous leur demandons aujourd'hui trouvera ses contreparties dans la perspective d'une union monétaire rapide, réalisée aux échéances prévues par le Traité, dans le maintien de bas taux d'intérêts et dans la progression de la demande des ménages résultant d'une politique plus favorable à la consommation.
Ces mesures avaient pour but de corriger une trajectoire qui nous aurait fait perdre toute marge de manoeuvre future et aurait compromis les réformes plus structurelles assurant la maîtrise des dépenses publiques qui seront engagées à la rentrée, avec la loi de Finances pour 1998 et la loi de financement de la sécurité sociale.
Au-delà de ces décisions qui relèvent directement de la politique du gouvernement, je souhaite que le Conseil s'interroge sur la structure de la fiscalité et des prélèvements obligatoires, sur leur impact sur l'emploi et sur les réformes qui pourraient être envisagées.
J'aimerais également disposer d'analyses sur la structure des dépenses publiques dans une perspective de moyen terme. Comment notamment privilégier la croissance et l'emploi par une meilleure utilisation des ressources publiques ? Service public et secteur public
En matière d'intervention publique, il convient de distinguer les missions de service public et le secteur public.
Les services publics relèvent d'une conception fondamentale de la société. Ils sont au coeur du lien social et doivent garantir à tous les citoyens l'égalité d'accès et de traitement, sans se limiter à des prestations minimales. L'efficacité du service public doit donc être un thème important de vos réflexions. Quel bilan peut-on tirer des différentes expériences nationales dans la mise en oeuvre de ces missions ? Comment s'insèrent-elles dans la construction européenne ? Quels sont les principes qui devraient guider nos choix ?
En ce qui concerne le secteur public, il me semble qu'il n'y a pas de modèle qui puisse l'appliquer de façon universelle. La France doit choisir sa stratégie en tenant compte des contraintes et des potentialités du marché mais aussi de sa structure et de ses atouts économiques notamment de l'existence d'entreprises publiques efficaces souvent à la pointe de la recherche technologique. L'évolution du secteur public doit être envisagée en fonction des impératifs que sont l'intérêt national, la satisfaction des missions de service public, l'ouverture à un partenariat européen. Il convient aussi d'être attentif aux intérêts financiers et patrimoniaux de l'Etat. Ceci peut conduire à des choix très différents selon les secteurs, qui ne se résument ni au statu quo, ni à la privatisation systématique. Dans cette perspective, je souhaite bénéficier des réflexions de votre Conseil.
La compétition économique de demain sera une bataille de la création et de l'invention. Notre insertion dans la compétition internationale reposera de plus en plus sur notre capacité d'innovation et de recherche et sur la qualité de notre éducation et de notre formation. Je sais que la théorie économique contemporaine accorde à ces facteurs, qui sont les investissements et les emplois de demain, une place déterminante pour la croissance à long terme. Quelles conclusions peut-on tirer de ces travaux pour une politique de développement ? Quelles sont les places respectives de l'intervention publique et de l'initiative privée dans la mise en oeuvre des investissements à réaliser dans le domaine des grandes infrastructures et des nouvelles technologies ? Quel rôle doit jouer la coopération européenne dans ce domaine ?
II) Il convient de mettre en oeuvre durablement un modèle de développement plus solidaire et plus riche en emplois
- La réduction du temps de travail
Il nous faut créer les conditions d'une croissance plus riche en emplois et faire émerger les emplois nouveaux dont notre société a besoin. Ma conviction profonde est que la réduction négociée du temps de travail, appuyée sur une concertation permanente des partenaires sociaux, peut permettre de transformer notre modèle de développement, qui a trop souvent dans le passé engendré l'exclusion.
Il ne s'agit ni d'une utopie, ni de la volonté d'imposer par la loi un changement qui doit d'abord s'appuyer sur l'engagement des partenaires sociaux. Ce sera l'objet de la Conférence sur l'emploi qui se réunira en septembre et dont la préparation, en concertation avec ceux-ci sera conduite tout au long de l'été, que de dégager les éléments d'un mouvement général. L'Etat jouera ensuite son rôle pour impulser le mouvement, mais il laissera aux négociations décentralisées le soin de trouver les modalités les plus efficaces pour accroître l'emploi.
L'expérience des Pays Bas montre que la négociation collective, visant à une meilleure répartition des fruits de la croissance par la réduction du temps de travail, peut non seulement engendrer une croissance plus riche en emplois, mais aussi une croissance plus forte.
- L 'emploi des jeunes et les services de proximité
Depuis le début du siècle, l'acquisition de biens durables et individuels a constitué l'un des moteurs du développement économique des pays industrialisés. La satisfaction de ces besoins reste assurément un facteur important de notre croissance, d'autant qu'un certain nombre de nos concitoyens en sont encore exclus. Mais, à côté de ces besoins individuels, apparaissent de plus en plus des besoins d'ordre collectif et immatériel que notre société ne sait pas satisfaire. C'est le cas des services aux personnes dans les domaines de l'éducation, de la santé, de la sécurité ou encore en matière de protection de la nature et de l'environnement ou de services aux personnes.
La réponse à ces besoins ne réside pas dans le seul jeu du marché car ceux-ci ne peuvent souvent être directement financés par les intéressés. Il convient d'utiliser les richesses qui sont aujourd'hui mal distribuées pour répondre à ces nouveaux services qui permettront à tous de mieux vivre, en créant en outre, de nouveaux emplois .
C'est pour répondre à cette demande sociale que le gouvernement va mettre en place le programme pour l'emploi des jeunes. Ce programme n'a pas pour objet d'intégrer artificiellement des centaines de milliers de jeunes dans le secteur public ou les associations mais de répondre à des besoins qui ne sont pas actuellement couverts par l'initiative privée ou les services publics. Pour cela, nous partons de l'inventaire des besoins conduit actuellement par des personnalités qualifiées en liaison avec les ministères concernés. Des contrats cadres seront ensuite élaborés en relation étroite avec les grands réseaux associatifs et d'élus locaux, pour mettre en oeuvre les conventions entre l'Etat et les organismes d'accueil.
La lutte pour l'emploi et contre le chômage des jeunes suppose une mobilisation permanente de l'Etat et de ses partenaires sociaux conduite dans la durée.
Qu'il s'agisse de la réduction du temps de travail, de l'emploi des jeunes ou encore du développement des services de proximité, il s'agit bien d'inventer un nouveau modèle de développement fondé sur la solidarité et le consensus social. C'est assurément un domaine dans lequel la réflexion conjointe des partenaires sociaux occupera une place fondamentale. Et ce dialogue doit se nouer dès la préparation de la conférence nationale. Mais je souhaite aussi que la réflexion des économistes, appuyée sur des études de cas à l'échelle des entreprises ou sur l'étude comparative des expériences étrangères, puisse contribuer à ce débat.
De façon générale, je souhaite que votre Conseil traite des questions économiques en amont de la préparation des décisions. Il ne s'agit pas pour vous de préparer directement ces décisions, ce qui est du ressort du gouvernement et, pour les aspects techniques, des administrations économiques. Votre Conseil n'a pas non plus vocation à être consulté directement sur ces décisions. Il doit examiner les grands problèmes économiques qui se posent à notre pays pour permettre au gouvernement de définir sa politique économique en bénéficiant de tous les éléments d'information et de réflexion pertinentes.
Si les économistes n'ont pas seulement vocation à comprendre les problèmes, mais aussi à proposer des solutions pour les résoudre. Je suis convaincu que par vos travaux, vous en apporterez l'illustration.
Il me reste à vous remercier à nouveau d'avoir accepté de vous engager dans cette démarche fondée sur la qualité des participants, la diversité des points de vue et la confrontation des expériences.
Je propose maintenant que l'on procède à un tour de table afin que chacun se présente, puis je répondrai à vos questions.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 juin 2001)
Je vous ai réunis ici pour installer le Conseil d'Analyse économique que j'ai souhaité créer. Je vous remercie d'avoir répondu à mon invitation.
Cette initiative est sans précédent dans notre pays. Elle répond à la nécessité pour un gouvernement trop souvent confronté à l'urgence, de pouvoir se référer à une structure de réflexion qui lui permette d'éclairer ses choix dans le domaine économique. J'ai souhaité aussi créer un lien entre deux mondes qui trop souvent s'ignorent, celui de la décision économique publique et celui de la réflexion économique, universitaire ou non.
J'ai pris soin de composer ce Conseil de façon à tenir compte de toutes les sensibilités. Le Conseil d'Analyse économique est pluraliste. C'est là un de ses atouts principaux, auquel je suis très attaché. Il doit être un lieu de confrontations sans a priori et les personnes qui le composent doivent pouvoir s'exprimer en toute indépendance. Cette indépendance - je le sais -vous y tenez, mais surtout je la souhaite moi-même.
Ces délibérations n'aboutiront pas toujours à des conclusions partagées par tous les membres ; l'essentiel à mes yeux est que tous les avis puissent s'exprimer, sans qu'il y ait nécessairement consensus. La contrepartie de cette totale liberté de pensée et de parole est le secret, vis-à-vis de l'extérieur, qui est attendu de vous : vos délibérations doivent demeurer confidentielles. J'ajoute que, libre de vous exprimer publiquement, vous ne devez pas mentionner alors votre qualité de membre du Conseil.
La mission de ce Conseil est essentielle : il s'agit, par vos débats, d'analyser les problèmes économiques du pays et d'exposer les différentes options envisageables.
A vous -experts- de mener à bien la nécessaire réflexion ; au gouvernement de trancher.
Les travaux de ce Conseil doivent avoir une ouverture internationale. Dès lors que l'information circule rapidement d'un bout à l'autre de la planète et que certaines branches de notre économie se sont très largement mondialisées, nous ne pouvons plus nous contenter d'une vision hexagonale. Cette ouverture indispensable est déjà concrétisée par la présence au sein du Conseil de deux professeurs étrangers ou exerçant à l'étranger. Elle devra s'affirmer par l'analyse des expériences conduites ailleurs et qui pourraient inspirer nos propres réflexions.
Ce Conseil n'a pas vocation à se substituer à d'autres structures existantes. Je pense en particulier au Commissariat Général du Plan dont la mission, essentielle à mes yeux, est de nourrir et d'animer la réflexion à moyen terme avec les partenaires sociaux.
Le Conseil d'Analyse économique, composé d'économistes pour la plupart universitaires, doit pouvoir exprimer ses opinions sous forme de notes ou de rapports courts sur les sujets dont je le saisirai. Il pourra s'appuyer sur les travaux des administrations économiques. C'est pourquoi, en accord avec les ministres concernés, j'ai souhaité que soient membres de droit du Conseil les directeurs de ces administrations. Je présiderai les réunions du Conseil lorsque mon agenda le permettra. En mon absence, le Conseil sera présidé par mon conseiller, Pierre-Alain Muet, professeur à l'Ecole polytechnique. Il sera doté d'un Secrétariat général comprenant une secrétaire générale, Hélène de Largentaye, et deux membres permanents du Conseil, qui seront nommés prochainement. Ils seront assistés de deux économistes et d'un documentaliste.
Cette équipe permanente sera installée à l'Hôtel de Broglie situé au 35 rue Saint Dominique, tout près d'ici. Les réunions mensuelles en séance plénière du Conseil s'y tiendront.
Je voudrais maintenant évoquer avec vous les grandes lignes de la politique économique du gouvernement et préciser le concours que le Conseil pourrait apporter. Comme je l'ai indiqué dans ma déclaration de politique générale, je veux mettre l'économie au service de l'emploi. Ma conviction profonde est qu'on ne fera durablement reculer le chômage qu'en retrouvant une croissance forte et en imaginant pour notre pays un modèle de développement à la fois plus solidaire et plus riche en emplois. Tels sont les deux principes qui fondent notre politique à moyen terme et qui ont guidé les premières mesures que nous avons prises.
I) Il importe de remédier à un déficit de croissance, qui a des origines à la fois européennes et nationales.
- La coordination des politiques économiques en Europe
L'atonie de la croissance et la persistance du chômage concernent à des degrés divers l'ensemble des pays européens. Alors que nos économies sont devenues de plus en plus interdépendantes, nous n'avons pas su mettre en place les instruments de coordination et d'organisation économique adaptés à la dimension de ce grand marché. La politique du chacun pour soi a ainsi trop souvent conduit à sacrifier la croissance et l'emploi. C'est pourquoi au Sommet européen d'Amsterdam, j'ai proposé à nos partenaires de s'engager résolument dans la voie de la coordination des politiques économiques en complétant, conformément à l'article 103 du Traité, les dispositifs existants par la création d'un pôle de coordination économique. Un premier pas a été réalisé avec l'adoption de la résolution sur la croissance et l'emploi. Cette démarche comportera une nouvelle et importante étape avant la fin de l'année lors du Sommet des chefs d'Etat et de gouvernement à Luxembourg.
Je souhaiterais que le Conseil d'Analyse économique accompagne et approfondisse ces réflexions sur la coordination des politiques économiques et sur le fonctionnement d'une Union monétaire, deux thèmes qui ont fait l'objet déjà de nombreux travaux de la part des économistes. Cette coordination est importante en matière de politique macro-économique, notamment pour éviter par exemple les effets néfastes d'une harmonisation fiscale insuffisante. Dans d'autres domaines, en revanche, une telle coordination n'est pas nécessaire et l'intervention publique est plus efficace lorsque sa conception et sa mise en oeuvre sont déterminées au niveau local. Une réflexion approfondie sur ces thèmes est donc indispensable.
Au-delà des problèmes strictement européens, je souhaite d'ailleurs que le Conseil puisse m'éclairer sur les changements susceptibles d'intervenir dans les équilibres économiques des grandes régions du monde.
- Le déséquilibre du partage de la valeur ajoutée
La faiblesse de la croissance française au cours des cinq dernières années a trouvé son origine, au moins pour partie, dans un partage de la valeur ajoutée trop défavorable aux salaires pour que les entreprises puissent bénéficier d'une consommation dynamique. Dès lors, qu'aujourd'hui, les taux d'intérêts sont bas et la situation financière des entreprises satisfaisante, les débouchés des entreprises et la consommation des ménages sont les principaux facteurs de l'investissement. Une croissance plus équilibrée des revenus permettrait donc de renforcer la reprise économique et la rendre durable. Ce sera, avec la réduction du temps de travail, l'un des thèmes qui sera évoqué à la conférence sur l'emploi, les salaires et le temps de travail, qui se réunira en septembre. Je souhaite que les membres du Conseil me donnent rapidement leur avis sur le diagnostic qu'ils font de la situation économique et notamment sur l'évolution du partage de la valeur ajoutée, les profits des entreprises et les conditions qui nous permettront de concilier une croissance forte et une répartition plus équitable des fruits de la croissance.
- La politique budgétaire
Au début du mois, et dans l'attente d'une évaluation sur l'état de nos finances publiques, j'ai mis en oeuvre nos premières priorités en redéployant nos dépenses en faveur de la consommation des ménages et des créations d'emplois, par la procédure d'un décret d'avances. Ceci a permis notamment de dégager les crédits nécessaires à la mise en oeuvre dès cette année du programme en faveur des jeunes, ainsi qu'à la réhabilitation de 100 000 logements. Cette dernière répondait non seulement à un besoin social, mais aussi à l'objectif de créer des emplois par la relance d'une activité dont les effets d'emploi sont très marqués.
La seconde étape est intervenue lundi dernier, lorsque l'évaluation de MM. Bonnet et Nasse m'a été remise. Cette évaluation, vous le savez, situe le déficit de l'ensemble des finances publiques dans une plage comprise entre 3,5 et 3,7 % du PIB pour 1997 au lieu de 3 % affiché dans la loi de Finances initiale pour 1997. Un effort de redressement était donc nécessaire, non seulement pour réussir l'union monétaire à la date prévue, mais aussi pour enrayer la progression de notre endettement qui est passé de 39,2 % du PIB à la fin de l'année 1992 à 55,7 % fin 1996.
Nous avons fait le choix d'un redressement mesuré et équilibré. Mesuré, puisque avec une correction qui s'élève à 32 Mds, soit 0,4 point de PIB, nous revenons sur la bonne trajectoire sans entraver la croissance économique. Equilibré, puisque nous compensons la perte de recettes -évaluée entre 20 et 23 Mds- par un montant équivalent de 22 Mds de francs, auquel s'ajoutent 10 milliards d'économie. Compte tenu de la situation économique qui voit depuis plusieurs années l'épargne des entreprises excéder très largement leur investissement l'excédent atteignait 135 Mds de francs en 1996-, la majoration temporaire, pour 1997 et 1998 de 15 % de l'impôt sur les sociétés qui, je le rappelle, ne concerne pas les PME, ne devrait pas obérer la reprise de l'investissement.
Je suis bien conscient de la contribution essentielle des entreprises à la croissance et à l'emploi. L'effort que nous leur demandons aujourd'hui trouvera ses contreparties dans la perspective d'une union monétaire rapide, réalisée aux échéances prévues par le Traité, dans le maintien de bas taux d'intérêts et dans la progression de la demande des ménages résultant d'une politique plus favorable à la consommation.
Ces mesures avaient pour but de corriger une trajectoire qui nous aurait fait perdre toute marge de manoeuvre future et aurait compromis les réformes plus structurelles assurant la maîtrise des dépenses publiques qui seront engagées à la rentrée, avec la loi de Finances pour 1998 et la loi de financement de la sécurité sociale.
Au-delà de ces décisions qui relèvent directement de la politique du gouvernement, je souhaite que le Conseil s'interroge sur la structure de la fiscalité et des prélèvements obligatoires, sur leur impact sur l'emploi et sur les réformes qui pourraient être envisagées.
J'aimerais également disposer d'analyses sur la structure des dépenses publiques dans une perspective de moyen terme. Comment notamment privilégier la croissance et l'emploi par une meilleure utilisation des ressources publiques ? Service public et secteur public
En matière d'intervention publique, il convient de distinguer les missions de service public et le secteur public.
Les services publics relèvent d'une conception fondamentale de la société. Ils sont au coeur du lien social et doivent garantir à tous les citoyens l'égalité d'accès et de traitement, sans se limiter à des prestations minimales. L'efficacité du service public doit donc être un thème important de vos réflexions. Quel bilan peut-on tirer des différentes expériences nationales dans la mise en oeuvre de ces missions ? Comment s'insèrent-elles dans la construction européenne ? Quels sont les principes qui devraient guider nos choix ?
En ce qui concerne le secteur public, il me semble qu'il n'y a pas de modèle qui puisse l'appliquer de façon universelle. La France doit choisir sa stratégie en tenant compte des contraintes et des potentialités du marché mais aussi de sa structure et de ses atouts économiques notamment de l'existence d'entreprises publiques efficaces souvent à la pointe de la recherche technologique. L'évolution du secteur public doit être envisagée en fonction des impératifs que sont l'intérêt national, la satisfaction des missions de service public, l'ouverture à un partenariat européen. Il convient aussi d'être attentif aux intérêts financiers et patrimoniaux de l'Etat. Ceci peut conduire à des choix très différents selon les secteurs, qui ne se résument ni au statu quo, ni à la privatisation systématique. Dans cette perspective, je souhaite bénéficier des réflexions de votre Conseil.
La compétition économique de demain sera une bataille de la création et de l'invention. Notre insertion dans la compétition internationale reposera de plus en plus sur notre capacité d'innovation et de recherche et sur la qualité de notre éducation et de notre formation. Je sais que la théorie économique contemporaine accorde à ces facteurs, qui sont les investissements et les emplois de demain, une place déterminante pour la croissance à long terme. Quelles conclusions peut-on tirer de ces travaux pour une politique de développement ? Quelles sont les places respectives de l'intervention publique et de l'initiative privée dans la mise en oeuvre des investissements à réaliser dans le domaine des grandes infrastructures et des nouvelles technologies ? Quel rôle doit jouer la coopération européenne dans ce domaine ?
II) Il convient de mettre en oeuvre durablement un modèle de développement plus solidaire et plus riche en emplois
- La réduction du temps de travail
Il nous faut créer les conditions d'une croissance plus riche en emplois et faire émerger les emplois nouveaux dont notre société a besoin. Ma conviction profonde est que la réduction négociée du temps de travail, appuyée sur une concertation permanente des partenaires sociaux, peut permettre de transformer notre modèle de développement, qui a trop souvent dans le passé engendré l'exclusion.
Il ne s'agit ni d'une utopie, ni de la volonté d'imposer par la loi un changement qui doit d'abord s'appuyer sur l'engagement des partenaires sociaux. Ce sera l'objet de la Conférence sur l'emploi qui se réunira en septembre et dont la préparation, en concertation avec ceux-ci sera conduite tout au long de l'été, que de dégager les éléments d'un mouvement général. L'Etat jouera ensuite son rôle pour impulser le mouvement, mais il laissera aux négociations décentralisées le soin de trouver les modalités les plus efficaces pour accroître l'emploi.
L'expérience des Pays Bas montre que la négociation collective, visant à une meilleure répartition des fruits de la croissance par la réduction du temps de travail, peut non seulement engendrer une croissance plus riche en emplois, mais aussi une croissance plus forte.
- L 'emploi des jeunes et les services de proximité
Depuis le début du siècle, l'acquisition de biens durables et individuels a constitué l'un des moteurs du développement économique des pays industrialisés. La satisfaction de ces besoins reste assurément un facteur important de notre croissance, d'autant qu'un certain nombre de nos concitoyens en sont encore exclus. Mais, à côté de ces besoins individuels, apparaissent de plus en plus des besoins d'ordre collectif et immatériel que notre société ne sait pas satisfaire. C'est le cas des services aux personnes dans les domaines de l'éducation, de la santé, de la sécurité ou encore en matière de protection de la nature et de l'environnement ou de services aux personnes.
La réponse à ces besoins ne réside pas dans le seul jeu du marché car ceux-ci ne peuvent souvent être directement financés par les intéressés. Il convient d'utiliser les richesses qui sont aujourd'hui mal distribuées pour répondre à ces nouveaux services qui permettront à tous de mieux vivre, en créant en outre, de nouveaux emplois .
C'est pour répondre à cette demande sociale que le gouvernement va mettre en place le programme pour l'emploi des jeunes. Ce programme n'a pas pour objet d'intégrer artificiellement des centaines de milliers de jeunes dans le secteur public ou les associations mais de répondre à des besoins qui ne sont pas actuellement couverts par l'initiative privée ou les services publics. Pour cela, nous partons de l'inventaire des besoins conduit actuellement par des personnalités qualifiées en liaison avec les ministères concernés. Des contrats cadres seront ensuite élaborés en relation étroite avec les grands réseaux associatifs et d'élus locaux, pour mettre en oeuvre les conventions entre l'Etat et les organismes d'accueil.
La lutte pour l'emploi et contre le chômage des jeunes suppose une mobilisation permanente de l'Etat et de ses partenaires sociaux conduite dans la durée.
Qu'il s'agisse de la réduction du temps de travail, de l'emploi des jeunes ou encore du développement des services de proximité, il s'agit bien d'inventer un nouveau modèle de développement fondé sur la solidarité et le consensus social. C'est assurément un domaine dans lequel la réflexion conjointe des partenaires sociaux occupera une place fondamentale. Et ce dialogue doit se nouer dès la préparation de la conférence nationale. Mais je souhaite aussi que la réflexion des économistes, appuyée sur des études de cas à l'échelle des entreprises ou sur l'étude comparative des expériences étrangères, puisse contribuer à ce débat.
De façon générale, je souhaite que votre Conseil traite des questions économiques en amont de la préparation des décisions. Il ne s'agit pas pour vous de préparer directement ces décisions, ce qui est du ressort du gouvernement et, pour les aspects techniques, des administrations économiques. Votre Conseil n'a pas non plus vocation à être consulté directement sur ces décisions. Il doit examiner les grands problèmes économiques qui se posent à notre pays pour permettre au gouvernement de définir sa politique économique en bénéficiant de tous les éléments d'information et de réflexion pertinentes.
Si les économistes n'ont pas seulement vocation à comprendre les problèmes, mais aussi à proposer des solutions pour les résoudre. Je suis convaincu que par vos travaux, vous en apporterez l'illustration.
Il me reste à vous remercier à nouveau d'avoir accepté de vous engager dans cette démarche fondée sur la qualité des participants, la diversité des points de vue et la confrontation des expériences.
Je propose maintenant que l'on procède à un tour de table afin que chacun se présente, puis je répondrai à vos questions.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 juin 2001)