Interview de M. Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, à "LCI" le 16 juin 2009, sur les déficits publics, en particulier celui de la Sécurité sociale et les pistes explorées pour y remédier comme l'âge de départ à la retraite, le contrôle des arrêts maladie.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : La Chaîne Info

Texte intégral

C. Barbier.- Avant de parler des déficits, la sortie de crise, selon vous, c'est pour le début 2010, comme le dit F. Fillon, ou c'est imprévisible, comme l'estime H. Guaino ?

Je crois que ce n'est pas vraiment prévisible, il y aura une sortie de crise. Je pense qu'aujourd'hui, visiblement, il y a des signes un peu positifs qui s'affichent ici ou là, mais il y a beaucoup, beaucoup d'incertitude, donc c'est très difficile de le savoir, il faut construire la sortie de crise, et en réalité il faut combattre la crise en construisant cette sortie de crise, c'est ce que nous faisons en France.

La Sécu, elle, est en pleine crise : 20,1 milliards d'euros de déficit prévu pour 2009, c'est le double de ce qui avait prévu initialement. Diriez-vous que la Sécu est en faillite ?

Non, pas du tout, ce n'est pas du tout le cas. La Sécurité sociale connaît un déficit très important, le déficit est deux fois plus important, je l'ai dit hier, inutile de le cacher, il faut l'assumer, deux fois plus important que l'année dernière, mais pour des raisons simples, pour des raisons de recettes. C'est que la crise fait que les recettes ne rentrent pas. En réalité, les recettes de la Sécurité sociale sont fondées sur le travail, vous savez, ce sont les charges sociales. Quand il y a du chômage, il y a moins de recettes, et moins de recettes égalent plus de déficit.

Les recettes on peut les augmenter, la CSG, la CRDS. De toutes façons, les contribuables paieront ?!

Non, on ne peut pas les augmenter, parce que si on augmente aujourd'hui les recettes, à ce moment-là, on enfonce le pays dans la crise. Et dans un pays où 43 % de la richesse nationale c'est des prélèvements obligatoires, ce n'est pas du tout le même type de réponse que dans un pays où les prélèvements obligatoires sont inférieurs. Donc, la sortie de crise pour la Sécurité sociale, le retour à l'équilibre pour la Sécurité sociale, que nous étions en train de réaliser- je le rappelle, l'année dernière, ce retour à l'équilibre il passe par une vraie réflexion sur la dépense, et puis il passe aussi par la reprise, par la croissance, et donc par le retour des recettes. Mais je voulais dire aussi que, sur la Sécurité sociale, on a parfaitement tenu les dépenses, c'est un problème très important. En réalité, il y a moins de recettes parce que c'est la crise, mais en même temps, on n'a jamais depuis 12 ans aussi bien tenu les dépenses de l'assurance maladie.

On va parler des dépenses de l'assurance maladie. Mais quand reviendra la croissance ? Pour doper les recettes, vous pourriez y ajouter des petites choses, par exemple, rétablir les droits de succession ?

Non, nous ne voulons pas augmenter les impôts, ni maintenant ni par la suite. Augmenter les impôts, c'est la solution de facilité, c'est une solution par exemple, que prônent les socialistes, c'est trop simple. En réalité, il y a aujourd'hui dans la dépense publique, c'est 1.000 milliards d'euros la dépense publique, ce sont des sommes considérables, elle est bien plus importante que dans beaucoup d'autres pays. Donc, la dépense publique, c'est le coeur en réalité de l'action, de retour à l'assainissement des finances publiques, on doit mieux organiser notre dépense publique, elle doit être plus utile, c'est l'argent des Français, donc ça doit être plus utile et dépensé avec encore plus d'attention. Il faut réformer là-dessus, c'est ce que nous faisons beaucoup, on tient bien la dépense publique, ce sont les recettes qui manquent.

Pour ce qui est des retraites, B. Hortefeux a lancé un pavé dans la mare : retarder l'âge de départ à la retraite. On peut aussi allonger encore un peu la durée de cotisations ?

Brice n'a fait que donner les pistes possibles d'une réforme aujourd'hui des retraites. C'est vrai qu'il y a un déficit structurel aujourd'hui de l'assurance vieillesse ; il y a près de 8 milliards d'euros aujourd'hui de déficit sur l'assurance vieillesse, dont une partie provient de la crise, 30 % à peu près. Pour le reste, c'est du déficit structurel, c'est-à-dire qu'on paye trop... voyez, on reste trop longtemps en retraite, et bien évidemment les recettes ne sont pas au niveau, donc il faut le réformer. Il y a déjà eu des réformes qui ont été faites, elles ne suffisent pas, il faut continuer à réformer les retraites. C'est un débat qui aura lieu, qui a déjà eu lieu, et c'est un débat qui aura à nouveau lieu.

On peut envisager de diminuer le montant des retraites versées aux retraités les plus riches, ceux qui ont des revenus de patrimoine ?

Je ne crois pas qu'on puisse envisager globalement la diminution du niveau des retraites qui en France est relativement modeste. Donc, il faut aller vers d'autres pistes. Je crois que, en tout cas sur les retraites, il faudrait du consensus. Je pense que droite et gauche, je pense que partenaires sociaux et Gouvernement, population, on peut avoir un débat très mature, très mûr.

Dans quel cadre ? Un Grenelle des retraites ?

Je ne sais pas. Non, mais dans un débat national sur les retraites, on peut se dire les choses, on peut comprendre les choses ensemble, et prendre des décisions je l'espère dans le consensus. Ce sera un débat qui aura lieu à un moment donné. En 2010, d'ailleurs, il y a un rendez-vous sur les retraites qui est prévu...

Février 2010, Conseil d'orientation des retraites.

... avec les partenaires sociaux.

On offre aux mères de familles qui font des enfants, un certain nombre de trimestres de cotisations supplémentaires, comme ça elles peuvent partir un peu plus tôt. Est-ce que vous allez remettre en question cela ?

Il y a un problème là-dessus : c'est qu'aujourd'hui on estime que l'homme et la femme sont égaux devant ce type de droits, ça a été une décision de justice, donc ça pose un certain nombre de difficultés. N. Morano, la ministre de la Famille, avec B. Hortefeux l'ont indiqué, je crois qu'il y aura un certain nombre de décisions qui devront être prises. Evidemment, il faut faciliter, enfin il faut en tout cas tenir compte des charges de famille des femmes.

Côté maladies, il y a quand même des choses qui dérapent : les médecins trop gros prescripteurs. Comment allez-vous les punir ?

La question n'est pas de punir, etc. Je ne veux stigmatiser absolument personne. Mais la crise pardonne beaucoup de choses mais en même temps elle n'excuse pas tout. Et au fond, il y a beaucoup, beaucoup d'arrêts maladie aujourd'hui qui ne sont pas justifiés. Alors je sais bien que quand on dit ça, il y a des cris, ici ou là, pour dire "ce n'est pas vrai", "mais qu'est-ce que c'est que ça !", "c'est horrible !", "les gens sont malades, il faut...". La question n'est pas là, les gens qui sont malades ils ont le droit évidemment à un arrêt maladie, c'est le principe de base. D'un autre côté, il y a beaucoup d'abus... Demandez autour de vous, enfin tous les Français pensent cela, il y a beaucoup d'abus dans le domaine des arrêts maladie, il y a des faux arrêts maladie.

Il y a une expérience qui est menée : les employeurs envoient un médecin...

...Il faut mieux contrôler les choses. Il y a 7 % de dérive d'arrêts maladie aujourd'hui en France. Plus 7% c'est beaucoup trop, ce n'est pas possible. Donc, nous allons demander... les employeurs pourront mandater un médecin pour aller contrôler si un arrêt maladie est justifié, et si le médecin estime, si le médecin, dans sa conscience médicale, estime que l'arrêt maladie n'est pas justifié, alors à ce moment-là, il pourra demander à la Sécurité sociale, et elle le fera, d'interrompre les indemnités journalières qui sont versées aux personnes qui ont abusé. Ce sont des faux malades qu'on va chercher, qu'on va contrôler, les faux malades !

Ce sera généralisé quand, ça ?

Nous avons lancé une expérimentation l'année dernière, c'est passé un peu inaperçu parce que c'était une expérimentation, on va le généraliser dans le prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale, qu'on votera au mois d'octobre. Et puis je voudrais envoyer un certain nombre de courriers, probablement sur les 1.000 prescripteurs les plus importants d'arrêts maladie, qui sont très au-delà de ce qu'on prescrit partout, parce qu'il faut arrêter cette dérive.

Un avertissement ?

Dans un pays où i l y a beaucoup de droits - on est dans un pays où il y a beaucoup de droits - il doit y avoir beaucoup de contrôles, les droits appellent les contrôles parce que, qui dit "droits" dit "abus de droits". Et quand vous abusez d'un droit, à ce moment-là, vous abusez tous ceux qui respectent la loi, ce n'est pas normal, c'est ça la démocratie, ce n'est pas autre chose. On ne stigmatise personne. Au fond, ce qu'on essaye de faire, c'est de faire en sorte que la loi soit respectée, que les malades puissent effectivement bénéficier de leurs indemnités journalières, et que ceux qui veulent abuser du système, en profiter, tricher, puissent être bien sûr, évidement, sanctionnés.

Ce ne sont pas des impôts, vous pourrez aussi alourdir les franchises médicales ou instaurer une vignette ?

"Vignette", je ne sais pas ce que ça veut dire. En tout cas, les franchises, nous avons créé ce système de franchises il y a deux ans...

On peut augmenter...

Non, je pense que l'idée n'est pas du tout d'augmenter le niveau des franchises. Aujourd'hui, le niveau c'est de correctement réguler, correctement piloter, correctement maîtriser la dépense de l'assurance maladie. On va tenir pour la première fois depuis 12 ans l'objectif national de dépenses d'assurance maladie. R. Bachelot et moi avons beaucoup travaillé là-dessus, avec l'ensemble des professionnels de santé, je pense qu'on pourrait globalement considérer que 3 % c'est un niveau - c'est déjà pas mal, c'est beaucoup - 3 % c'est 5-6 milliards de plus par an, c'est un niveau raisonnable d'évolution de l'assurance maladie.

Vous oubliez la grippe H1N1, si vous vaccinez tout le monde...

Vous avez bien sûr, à un moment donné, de temps en temps, une poussée financière due à un état sanitaire. Ça il faut l'assumer, nous l'assumerons toujours.

Vous ferez un point le 24 juin sur les déficits publics globalement. Est-ce que l'on va dépasser les 6 % du PIB sur la l'année 2009 ?

Oui, je pense qu'on va dépasser probablement les 6 % sur l'année 2009, parce que la croissance a été revue à la baisse, et qu'à ce moment-là, quasiment, automatiquement, bien sûr, cela a eu un impact sur les déficits. Mais encore une fois, ce n'est pas dû à la dépense. Aujourd'hui, la dépense de l'Etat, elle est contenue comme jamais, elle est au niveau de l'inflation, point final.

Vous devez faire mieux que 34.000 postes ?

Et, au fond, le problème des recettes, par exemple l'impôt sur les sociétés, on le sait bien, rentre beaucoup moins bien, mais nous l'acceptons, nous l'assumons.

Et l'ISF ? Vous aviez parlé 3,7 milliards en 2009, les contribuables ont payé hier, ça va rapporter combien ?

Je ne sais pas, nous verrons ce que feront les contribuables en ce moment. Mais il est clair que les valeurs d'actifs - la crise est au coeur de cela- les valeurs d'actifs ont plutôt diminué, donc on peut penser que l'ISF aussi diminuera, d'autant plus que vous avez la possibilité, quand vous payez l'ISF, d'apporter votre cotisation ISF non pas à l'Etat mais à des entreprises, pour essayer de faire en sorte que le capital des PME...

( ? Inaudible).

Ca, nous verrons au moment du débat budgétaire, mais que le capital des PME puisse être renforcé, c'est essentiel dans une période de crise le capital des PME. Tout ça est fait pour l'emploi. Et hier, le président de la République à l'OIT, c'était le sens de son discours : l'emploi, le travail.

Dernier mot, 34.000 postes supprimés en 2010, vous n'irez pas plus loin ?

Nous verrons, mais en tout cas nous n'irons pas moins loin. 34.000 postes, c'est un chiffre... c'est à peu près un fonctionnaire sur deux, c'est une réforme de fond de l'ensemble de notre administration. C'est majeur, c'est une des réformes de structure, mais il y en a beaucoup, que nous mettons en place. La France demain, après la crise, ne doit pas être la France d'avant la crise.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 16 juin 2009