Interview de M. Bruno Le Maire, ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche, à "Europe 1" le 30 juin 2009, sur la question du prix du lait, sur ses attributions ministérielles.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach.-ous parlez parfaitement l'allemand, est-ce que vous parlez l'agriculteur ?

J'espère parler aussi bien l'agriculteur que l'allemand.

Sorti de Normale Sup, littéraire, énarque, diplomate, en quoi êtes-vous préparé au monde paysan ?

Vous avez oublié que j'étais aussi élu député en Normandie, dans l'Eure très précisément, qui est un département très rural et très agricole. Donc c'est un milieu que je connais bien.

Aux Affaires étrangères, aux Affaires européennes, c'est-à-dire au Quai d'Orsay, votre budget c'était combien ? Et aujourd'hui, c'est combien ?

Aux Affaires étrangères pour être très clair, je n'avais pas de budget, c'est B. Kouchner qui a le budget, et aujourd'hui, le budget du ministère de l'Alimentation, de l'Agriculture et de la Pêche, n'oublions pas les pêcheurs, c'est un peu plus de 5 milliards d'euros. Donc c'est un gros budget.

Dès votre arrivée, J.-M. Lemétayer vous a prévenu. Pour lui et la FNSEA, que vous allez rencontrer officiellement pour la première fois ce soir, "il n'y a ni temps mort, ni état de grâce", le monde agricole vous a déjà à l'oeil. Et la première urgence, c'est la crise laitière, qui est profonde, durable, douloureuse. Que faites-vous en faveur des revenus des producteurs de lait ?

D'abord, je veux dire que J.-M. Lemétayer a raison, il n'y a pas de temps mort, il n'y a pas d'état de grâce, et donc je me suis rendu déjà sur le terrain, dans une exploitation de production laitière dès la semaine dernière, en Normandie. Il y a une crise du lait qui est une crise grave et qui suscite une détresse profonde chez les agriculteurs, qui perdent 30 % de leurs revenus chaque mois - 30 % ! Aucune famille en France n'accepterait de perdre 30 % de son revenu chaque mois !

Le diagnostic, on le connaît. La réponse, c'est vous...

La réponse, c'est la trésorerie des exploitants laitiers, les aider sur la trésorerie. Donc je souhaite que nous puissions prendre en charge les intérêts des prêts à court terme des agriculteurs qui font du lait, et notamment des jeunes agriculteurs, parce que ce sont eux qui ont les charges d'investissements les plus lourdes. Ça c'est la première chose. La deuxième chose, c'est la transparence sur les prix, c'est une vraie interrogation, légitime, chez les producteurs de lait. Ils vendent leur lait autour de 25-26 centimes d'euros le litre, lorsque vous allez dans la rayons des magasins il est à 55-60 centimes d'euros le litre pour le lait le plus simple. Il faut savoir...

Et vous savez de combien sont les marges, vous-même ?

Je ne le sais pas, mais je pense que c'est un devoir...

Mais certains distributeurs disent de 20 à 30 %...

...c'est un devoir républicain de savoir où va l'argent entre le producteur et les distributeurs.

Alors ?

Je souhaite, nous en avons parlé hier très longuement avec H. Novelli, nous souhaitons tous les deux faire une table ronde qui réunirait les producteurs laitiers, les distributeurs, l'industrie agroalimentaire aussi, pour que nous puissions discuter de tout cela, avec un objectif : la transparence totale sur les prix à la fin du mois de juillet, accessible sur Internet.

Tout sur la table ?

Tout sur la table, et de manière très sereine. Je crois qu'il n'y a pas de raisons d'avoir des invectives entre les uns et les autres. Mettons les choses sur la table, la transparence sur les prix, c'est une exigence morale, c'est une exigence républicaine.

Ce qui est incroyable, c'est que ça ne se soit jamais produit encore. Il y a donc deux niveaux, national... Est-ce que vous pouvez allez plus loin que l'accord Barnier et Chatel, passé récemment ? Donner un nouveau coup de pouce ?

Je pense qu'on peut aller plus loin parce que ce qui compte, c'est le résultat. Je regarde ce qui se passe dans le reste des pays européens. En Grande-Bretagne, il y a une transparence totale sur les prix, vous cliquez sur Internet, vous savez comment est formé le prix. Je souhaite que pour le prix du lait, en France, ce soit la même chose à la fin du mois de juillet.

Vous parlez du niveau européen, la Commission de Bruxelles va arrêter les quotas laitiers. Que souhaitez-vous pour remplacer les quotas laitiers, pour qu'il y ait plus de régulation ? Et comment convaincre la Commission de Bruxelles, ou peut-être la contraindre d'accepter la régulation ?

Je souhaite plusieurs choses. D'abord, je souhaite, pour terminer, à l'échelle nationale, qu'on valorise davantage aussi la filière du lait et je proposerai donc la création d'un label "lait de France" qui pourra être marqué sur tous les produits laitiers, de manière volontaire, et qui permettra de valoriser davantage le produit laitier.

Ca, c'est important, label "lait de France". Qui l'attribue ?

Label "lait de France" qui sera attribué par le ministère de l'Agriculture, sur une base volontaire, je ne veux oublier personne à se lancer dans cette démarche, ça permettra de valoriser le produit. A l'échelle européenne...

Non, attendez, on continue sur le label parce que c'est très intéressant pour le public. Où sera-t-il placé ? Est-ce que les produits dérivés du lait auront aussi le label "lait de France" ?

Ma proposition, c'est que ce label figure sur tous les produits laitiers transformés ou non transformés, c'est-à-dire le beurre, le lait, les yaourts, tous les produits laitiers, frais, ultra-frais que nous connaissons, et que nous consommons tous très largement.

A partir de quand ?

Il faut en discuter avec l'ensemble de la filière. Cela doit se faire sur une base volontaire, c'est une proposition que je mets sur la table. Nous avons besoin de valoriser davantage cette filière.

Et est-ce que c'est une manière de mieux vendre le lait de France et de protéger le lait de France ?

Il y a une qualité particulière du lait de France, je pense qu'elle mérite d'être reconnue et valorisée publiquement.

Au niveau européen, justement ?

Au niveau européen, je crois que c'est le niveau d'intervention le plus important. C'est aussi le sens d'ailleurs de ma nomination, c'est mettre à cette place-là quelqu'un qui connaît les questions européennes. Je crois qu'il ne faut pas répéter sans cesse "les quotas, les quotas, les quotas", comme si c'était la meilleure des solutions. La preuve en est que, en France, aujourd'hui, nous ne remplissons pas les quotas qui nous sont attribués. Pour être très précis, nous avons 25 milliards de litres de lait de quotas qui nous sont attribués, nous en faisons aux alentours de 23. Donc ce n'est pas forcément la solution à tous les problèmes. En revanche, et je veux le dire très clairement, la libéralisation totale du marché du lait serait une erreur politique grave. Nous avons besoin de régulation de la production...

Ce n'est pas la loi de la jungle ou la loi du marché ?

Pas la loi du marché, pas la loi de jungle strictes pour les produits laitiers et pour toute la filière du lait. Ce serait une erreur politique grave. Nous avons besoin de régulation, pour un produit qui est un produit complexe, difficile à distribuer. Une régulation par les stocks, une régulation par des mécanismes d'intervention à l'exportation. J'en ai déjà discuté avec la commissaire européenne, M. Fischer Boel, j'en rediscuterai vendredi avec le président de la Commission, monsieur Barroso, et je serai jeudi avec ma collègue allemande, parce que je souhaite que nous ayons une position franco-allemande, et même, pour être très précis, que nous rédigions une lettre franco-allemande sur la régulation de la production du lait, que nous transmettions ensuite à la Commission.

L'axe franco-allemand reste essentiel, y compris dans le domaine agricole, et j'ai envie de dire, presque d'abord dans le domaine agricole et dans la préparation de la PAC...

Il est essentiel sur tous les sujets, et en particulier sur la PAC.

Vous allez avoir de bonnes relations avec la FNSEA, comme M. Barnier, votre prédécesseur ?

J'aurai de bonnes relations, je souhaite, avec tous les syndicats agricoles.

A partir de demain, la TVA va passer à 5,5 dans les restaurants et les cafés, c'est une belle victoire politique. Les prix devraient baisser, c'est une promesse. Comment éviter que la qualité baisse aussi ? Et est-ce que c'est votre ministère qui va contrôler la qualité de ce que les gens consommeront pendant les vacances dans les restaurants ?

Mon ministère, à travers la Direction générale de l'alimentation, a effectivement cette responsabilité-là, qu'il partage avec le ministère de la Santé, et avec le ministère des Finances. Je souhaite effectivement me rendre sur le terrain tout au long du mois de juillet, du mois d'août, vérifier que la qualité des produits reste la même. Parce que, au-delà de cette qualité, ce qui compte c'est d'arriver à avoir un vrai projet pour l'alimentation en France. Je crois que nous pouvons être, dans le monde, le pays modèle en matière d'alimentation. Ça doit être un des objectifs, c'est en tout cas un des objectifs que j'ai fixés à mon ministère.

D'autant plus que vous êtes aussi ministre de l'Alimentation, pas seulement de la Pêche, de l'Agriculture...

C'est un point qui a été rajouté volontairement par le président de la République et par le Premier ministre, et je crois que c'est un point essentiel. Une alimentation de qualité, une alimentation saine, la sécurité sanitaire, c'est un objectif majeur pour notre pays.

C'est donc nouveau mais qu'est-ce que cela inclut ?

Cela inclut justement le contrôle de l'alimentation, la traçabilité des aliments, l'assurance que le conditionnement se fait dans les meilleures conditions possibles, et l'assurance pour tous les Français qu'ils auront, en Europe et dans le reste du monde, la meilleure alimentation possible.

Le gouvernement Fillon prépare les priorités stratégiques que l'emprunt permettra de financer à partir de 2010. Quelles priorités, s'il y en a, que vous préparez, vous, pour l'investissement en matière agricole ?

Il y a un exemple que j'ai donné au Premier ministre dimanche soir, c'est celui de la filière agroindustrielle. C'est une filière qui est des rares filières industrielles excédentaire aujourd'hui dans le commerce extérieur en France ; 9 milliards d'euros d'excédents chaque année. Je souhaite que nous investissions dans cette filière et que l'emprunt puisse financer un certain nombre de projets dans cette filière-là.

Avec la chaleur, je reviens aux problèmes concrets, je pense aux forêts, aux arbres... Avec la chaleur extrême, les forêts commencent à brûler. La filière bois souffre, et d'abord dans les forêts du Sud- Ouest. Que faites-vous ?

Elle souffre déjà pour la deuxième fois. Elle a connu la tempête Klaus, qui a été dramatique pour le Sud-Ouest et pour la forêt des Landes, elle vient de connaître à nouveau des incendies de forêts. Je souhaite qu'on apporte une aide immédiate.

C'est-à-dire ?

J'ai vu, j'ai constaté en arrivant dans ce ministère, que les engagements qui avaient pris par le président de la République et par le Premier ministre, 600 millions d'euros de prêts bonifiés pour la forêt des Landes, n'étaient pas rigoureusement appliqués. Je souhaite qu'ils soient rigoureusement appliqués.

Par qui, par qui ? Qui ne donne pas ?

Je ne veux accuser personne, personne ne doit être stigmatisé. Je souhaite simplement que les engagements pris par le président de la République et par le Premier ministre soient tenus. Et c'est ma responsabilité de ministre de faire en sorte que ces prêts bonifiés arrivent directement dans la filière bois. Je me rendrai donc dans les forêts des Landes très prochainement, la semaine prochaine sans doute...

Avec l'argent dans la poche ?

...pour arriver à débloquer l'argent. Aujourd'hui, nous avons 5 ou 6 millions d'euros seulement qui sont débloqués sur 600 millions d'euros. Ce n'est pas acceptable !

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 30 juin 2009