Texte intégral
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Sénateurs, ce débat vient à point nommé et je tiens à remercier M. Jean-Pierre Chevènement de l'avoir suscité.
Ce débat nous donne d'abord l'occasion de prendre un peu de recul pour examiner à froid l'état des négociations du Cycle de Doha après l'échec enregistré au mois de juillet 2008.
Sous la Présidence française de l'Union européenne, j'avais conduit, en tandem avec Michel Barnier, les travaux du Conseil de l'Union européenne.
Les élections américaines et, dans une moindre mesure, les élections indiennes ont provoqué une pause politique à Genève. Les gouvernements sont à présent en place, les nouveaux négociateurs ont été nommés. Une réunion des ministres du commerce de l'OCDE a d'ailleurs lieu aujourd'hui même à Paris, et j'aurai l'occasion de les y rencontrer.
Ce débat est également bienvenu puisque, le lendemain même de la formation du gouvernement, il permet de présenter au Sénat le nouveau binôme que Bruno Le Maire et moi-même formons désormais : nous serons en première ligne, à Bruxelles et à Genève, pour porter la voix de la France.
Je me réjouis de renouveler ainsi l'expérience que nous avions menée l'année dernière, avant les négociations du cycle de Doha, négociations qui avaient duré, je vous le rappelle, une dizaine de jours. Le président de la commission des Affaires économiques, M. Jean-Paul Emorine, avait en effet organisé une réunion très intéressante au cours de laquelle le sénateur Jean Bizet avait déjà fait la preuve de sa compétence.
Les éléments de réponse que je voudrais vous apporter s'articulent autour de cinq points.
Premièrement, ces dernières années de négociations ont abouti à un point très positif pour l'Europe : à la différence des sessions précédentes de Hong-Kong, l'agriculture européenne n'était plus "dans le collimateur" ; elle a cessé, l'année dernière, à Genève, de focaliser les critiques.
Comme plusieurs d'entre vous l'ont rappelé, le blocage des négociations provenait d'un conflit entre l'Inde et les Etats-Unis sur les sauvegardes spéciales, c'est-à-dire sur la possibilité pour les pays en développement de réagir à une trop forte augmentation des importations, susceptible de mettre en péril leur agriculture domestique.
Deuxièmement, comme l'a indiqué Bruno Le Maire, la Commission européenne a des lignes rouges à respecter dans les négociations. Il existe une limite extrême, et l'Union européenne, représentée par le commissaire au Commerce et par le commissaire à l'Agriculture, n'ira pas plus loin. La proposition agricole telle qu'elle a été exprimée l'an dernier dans ce que l'on appelle le "projet de modalités" détermine l'effort maximal que peut fournir l'Union européenne pour parvenir à la conclusion du cycle.
Comme vous le savez, le gouvernement français est déterminé à ce qu'un accord sur l'agriculture à l'OMC n'oblige pas l'Union européenne à réviser la PAC, réformée en 2003 et confortée récemment par le bilan de santé. Bruno Le Maire a dit cela mieux que je ne saurais le faire, mais je voulais vous assurer, s'il en était besoin, de notre totale cohésion.
Nous avons clairement déclaré que nous ne pourrions donner notre accord à un texte agricole qui nous priverait de leviers de régulation du marché agricole communautaire. Cela va sans dire, mais cela va encore mieux en le disant, surtout quand le ministre de l'Agriculture n'est pas le seul à le dire, et Bruno Le Maire ne m'en voudra pas d'apporter cette précision.
Le président de la Commission européenne, M. Barroso, a d'ailleurs pris la mesure de la détermination du président Sarkozy et de notre gouvernement puisqu'il est précisé dans son projet pour les cinq ans à venir qu'il s'attachera à défendre la PAC.
Troisièmement, on ne peut pas dire, comme Jean-Pierre Chevènement l'a laissé entendre, que l'agriculture pourrait être sacrifiée au profit des intérêts industriels et des services. Je veux vous rassurer, Monsieur le Sénateur : non, l'agriculture n'est pas la variable d'ajustement. Elle fait au contraire l'objet d'une attention particulière dans la pondération globale des intérêts offensifs et défensifs de l'Union européenne.
C'est même sans doute l'inverse qui est vrai : l'Union européenne a clairement choisi de modérer ses prétentions ou ses ambitions en matière d'accès aux marchés industriels ou de services, de manière à sanctuariser autant que possible notre position agricole face à des pays émergents comme le Brésil, qui sont prompts à nous reprocher de vouloir agir sur les deux tableaux.
C'est la raison pour laquelle nous pensons que l'étape de juillet 2008 n'est pas mauvaise et que le travail doit se poursuivre sur cette base.
Quatrièmement, cette base est cependant loin d'être figée : il n'y a pas à proprement parler de "paquet" de juillet 2008. De trop nombreux paramètres restent ouverts pour que nous puissions baisser les bras ou adopter une position définitive d'adhésion ou de rejet. La vigilance continue à s'imposer, et c'est pourquoi il est particulièrement important de pouvoir associer la représentation nationale, notamment le Sénat, ainsi que les professionnels, à ce travail commun.
Parmi les sujets qui ne sont pas réglés, certains ne sont pas minces : je pense au coton ou encore à la banane, qui nous concerne plusieurs de nos régions d'outre-mer. Par conséquent, notre intention n'est pas du tout d'obtenir un accord coûte que coûte : si l'accord nous convient, tant mieux ; s'il ne nous convient pas, nous n'y adhérerons pas.
Cinquièmement, enfin, je voudrais rappeler que nous nous voulons également offensifs dans la négociation à l'OMC. Chargée du commerce extérieur de la France, je suis heureuse de pouvoir compter sur l'excédent du commerce des denrées agricoles et agroalimentaires pour compenser de terribles déficits, celui de la filière automobile entre autres.
Je compte, avec Bruno Le Maire, intensifier encore la professionnalisation de l'ensemble de la filière agricole à l'international. Parmi nos sujets offensifs figure la question des appellations d'origine, des indications géographiques, qui font partie des spécificités européennes, comme l'a fort bien souligné Jean Bizet.
Tels sont les éléments qu'il convient de garder à l'esprit s'agissant du cycle de Doha.
Nous avons certes fait admettre à nos partenaires des lignes rouges, mais nous voulons aller plus loin : nous voulons qu'il y ait un "après-Doha". D'ailleurs, nous commençons à tracer des pistes à cet égard.
Nous sommes confrontés à une crise non seulement financière, mais également alimentaire, environnementale et des matières premières. Il faut donc une réponse multilatérale face à de nouveaux défis, aux premiers rangs desquels figurent bien évidemment la sécurité alimentaire et la protection de l'environnement.
C'est la raison pour laquelle le président de la République s'est exprimé à plusieurs reprises, que ce soit devant la FAO au printemps dernier ou à l'occasion de son récent discours devant le Congrès, pour réclamer de meilleures coordinations avec des enceintes multilatérales telles que la FAO, justement, ou l'Organisation mondiale de l'Environnement. Voilà qui répond aux préoccupations exprimées notamment par Mme Odette Herviaux.
Dans le même ordre d'idée, nous souhaitons davantage de réciprocité et de loyauté dans le commerce international. Je reprendrai d'ailleurs, avec sa permission, la formule de Jean-Pierre Chevènement, qui plaidait pour une "concurrence équitable".
En écoutant les différents orateurs qui se sont succédé, j'ai ressenti une véritable convergence de vues sur cette idée d'une "concurrence équitable", sur le refus de banaliser l'agriculture et sur l'appel à une régulation des échanges. Comme le soulignait Jean Bizet, nous sommes à la recherche d'un équilibre entre ouverture et protection. Nous faisons le même constat : à un moment où notre monde a tant besoin de régulation, l'OMC est une instance de régulation comme il en existe peu.
Qu'il s'agisse du gouvernement ou de la représentation nationale, nous partageons tous la volonté de défendre une agriculture à la fois capable d'assurer la sécurité alimentaire et fidèle à notre modèle.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 juin 2009
Ce débat nous donne d'abord l'occasion de prendre un peu de recul pour examiner à froid l'état des négociations du Cycle de Doha après l'échec enregistré au mois de juillet 2008.
Sous la Présidence française de l'Union européenne, j'avais conduit, en tandem avec Michel Barnier, les travaux du Conseil de l'Union européenne.
Les élections américaines et, dans une moindre mesure, les élections indiennes ont provoqué une pause politique à Genève. Les gouvernements sont à présent en place, les nouveaux négociateurs ont été nommés. Une réunion des ministres du commerce de l'OCDE a d'ailleurs lieu aujourd'hui même à Paris, et j'aurai l'occasion de les y rencontrer.
Ce débat est également bienvenu puisque, le lendemain même de la formation du gouvernement, il permet de présenter au Sénat le nouveau binôme que Bruno Le Maire et moi-même formons désormais : nous serons en première ligne, à Bruxelles et à Genève, pour porter la voix de la France.
Je me réjouis de renouveler ainsi l'expérience que nous avions menée l'année dernière, avant les négociations du cycle de Doha, négociations qui avaient duré, je vous le rappelle, une dizaine de jours. Le président de la commission des Affaires économiques, M. Jean-Paul Emorine, avait en effet organisé une réunion très intéressante au cours de laquelle le sénateur Jean Bizet avait déjà fait la preuve de sa compétence.
Les éléments de réponse que je voudrais vous apporter s'articulent autour de cinq points.
Premièrement, ces dernières années de négociations ont abouti à un point très positif pour l'Europe : à la différence des sessions précédentes de Hong-Kong, l'agriculture européenne n'était plus "dans le collimateur" ; elle a cessé, l'année dernière, à Genève, de focaliser les critiques.
Comme plusieurs d'entre vous l'ont rappelé, le blocage des négociations provenait d'un conflit entre l'Inde et les Etats-Unis sur les sauvegardes spéciales, c'est-à-dire sur la possibilité pour les pays en développement de réagir à une trop forte augmentation des importations, susceptible de mettre en péril leur agriculture domestique.
Deuxièmement, comme l'a indiqué Bruno Le Maire, la Commission européenne a des lignes rouges à respecter dans les négociations. Il existe une limite extrême, et l'Union européenne, représentée par le commissaire au Commerce et par le commissaire à l'Agriculture, n'ira pas plus loin. La proposition agricole telle qu'elle a été exprimée l'an dernier dans ce que l'on appelle le "projet de modalités" détermine l'effort maximal que peut fournir l'Union européenne pour parvenir à la conclusion du cycle.
Comme vous le savez, le gouvernement français est déterminé à ce qu'un accord sur l'agriculture à l'OMC n'oblige pas l'Union européenne à réviser la PAC, réformée en 2003 et confortée récemment par le bilan de santé. Bruno Le Maire a dit cela mieux que je ne saurais le faire, mais je voulais vous assurer, s'il en était besoin, de notre totale cohésion.
Nous avons clairement déclaré que nous ne pourrions donner notre accord à un texte agricole qui nous priverait de leviers de régulation du marché agricole communautaire. Cela va sans dire, mais cela va encore mieux en le disant, surtout quand le ministre de l'Agriculture n'est pas le seul à le dire, et Bruno Le Maire ne m'en voudra pas d'apporter cette précision.
Le président de la Commission européenne, M. Barroso, a d'ailleurs pris la mesure de la détermination du président Sarkozy et de notre gouvernement puisqu'il est précisé dans son projet pour les cinq ans à venir qu'il s'attachera à défendre la PAC.
Troisièmement, on ne peut pas dire, comme Jean-Pierre Chevènement l'a laissé entendre, que l'agriculture pourrait être sacrifiée au profit des intérêts industriels et des services. Je veux vous rassurer, Monsieur le Sénateur : non, l'agriculture n'est pas la variable d'ajustement. Elle fait au contraire l'objet d'une attention particulière dans la pondération globale des intérêts offensifs et défensifs de l'Union européenne.
C'est même sans doute l'inverse qui est vrai : l'Union européenne a clairement choisi de modérer ses prétentions ou ses ambitions en matière d'accès aux marchés industriels ou de services, de manière à sanctuariser autant que possible notre position agricole face à des pays émergents comme le Brésil, qui sont prompts à nous reprocher de vouloir agir sur les deux tableaux.
C'est la raison pour laquelle nous pensons que l'étape de juillet 2008 n'est pas mauvaise et que le travail doit se poursuivre sur cette base.
Quatrièmement, cette base est cependant loin d'être figée : il n'y a pas à proprement parler de "paquet" de juillet 2008. De trop nombreux paramètres restent ouverts pour que nous puissions baisser les bras ou adopter une position définitive d'adhésion ou de rejet. La vigilance continue à s'imposer, et c'est pourquoi il est particulièrement important de pouvoir associer la représentation nationale, notamment le Sénat, ainsi que les professionnels, à ce travail commun.
Parmi les sujets qui ne sont pas réglés, certains ne sont pas minces : je pense au coton ou encore à la banane, qui nous concerne plusieurs de nos régions d'outre-mer. Par conséquent, notre intention n'est pas du tout d'obtenir un accord coûte que coûte : si l'accord nous convient, tant mieux ; s'il ne nous convient pas, nous n'y adhérerons pas.
Cinquièmement, enfin, je voudrais rappeler que nous nous voulons également offensifs dans la négociation à l'OMC. Chargée du commerce extérieur de la France, je suis heureuse de pouvoir compter sur l'excédent du commerce des denrées agricoles et agroalimentaires pour compenser de terribles déficits, celui de la filière automobile entre autres.
Je compte, avec Bruno Le Maire, intensifier encore la professionnalisation de l'ensemble de la filière agricole à l'international. Parmi nos sujets offensifs figure la question des appellations d'origine, des indications géographiques, qui font partie des spécificités européennes, comme l'a fort bien souligné Jean Bizet.
Tels sont les éléments qu'il convient de garder à l'esprit s'agissant du cycle de Doha.
Nous avons certes fait admettre à nos partenaires des lignes rouges, mais nous voulons aller plus loin : nous voulons qu'il y ait un "après-Doha". D'ailleurs, nous commençons à tracer des pistes à cet égard.
Nous sommes confrontés à une crise non seulement financière, mais également alimentaire, environnementale et des matières premières. Il faut donc une réponse multilatérale face à de nouveaux défis, aux premiers rangs desquels figurent bien évidemment la sécurité alimentaire et la protection de l'environnement.
C'est la raison pour laquelle le président de la République s'est exprimé à plusieurs reprises, que ce soit devant la FAO au printemps dernier ou à l'occasion de son récent discours devant le Congrès, pour réclamer de meilleures coordinations avec des enceintes multilatérales telles que la FAO, justement, ou l'Organisation mondiale de l'Environnement. Voilà qui répond aux préoccupations exprimées notamment par Mme Odette Herviaux.
Dans le même ordre d'idée, nous souhaitons davantage de réciprocité et de loyauté dans le commerce international. Je reprendrai d'ailleurs, avec sa permission, la formule de Jean-Pierre Chevènement, qui plaidait pour une "concurrence équitable".
En écoutant les différents orateurs qui se sont succédé, j'ai ressenti une véritable convergence de vues sur cette idée d'une "concurrence équitable", sur le refus de banaliser l'agriculture et sur l'appel à une régulation des échanges. Comme le soulignait Jean Bizet, nous sommes à la recherche d'un équilibre entre ouverture et protection. Nous faisons le même constat : à un moment où notre monde a tant besoin de régulation, l'OMC est une instance de régulation comme il en existe peu.
Qu'il s'agisse du gouvernement ou de la représentation nationale, nous partageons tous la volonté de défendre une agriculture à la fois capable d'assurer la sécurité alimentaire et fidèle à notre modèle.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 juin 2009