Texte intégral
D'abord, je voudrais saluer les mille six cents personnes qui sont dans cette salle mais qui sont aussi à l'extérieur et qui suivent nos travaux, ainsi que tous ceux qui les regardent en direct sur RFO. Je voudrais vous remercier tous d'avoir participé à ces États généraux et vous dire que pour le gouvernement, c'est un rendez-vous très important. C'est la raison pour laquelle je suis venu à la Réunion pour ce point d'étape des États généraux accompagné de plusieurs membres du gouvernement : Patrick Devedjian qui est en charge de la politique de relance parce que nous avons aussi, au cours de ce séjour, naturellement évoqué l'effort très important qui a été engagé par l'État pour permettre la relance de l'économie réunionnaise qui est frappée, comme tous les autres département de notre territoire, par la crise économique mondiale ; avec Hervé Novelli qui est en charge des petites et moyennes entreprises mais qui est aussi en charge du tourisme et c'est un sujet sur lequel je vais revenir dans un instant ; avec Chantal Jouanno qui a la responsabilité de l'environnement, de la défense de l'environnement, de l'écologie ; et puis enfin - et je termine par elle à souhait - avec Marie-Luce Penchard qui est notre nouveau ministre en charge de l'outre-mer (des outre-mer si vous le souhaitez) et qui, je voudrais le faire remarquer, est la première personnalité issue de l'outre-mer à qui l'on confie la responsabilité de ce ministère. Peut-être certains d'entre vous trouveront-ils qu'on a attendu trop longtemps. C'est sûrement vrai mais maintenant, c'est fait.
Alors je voudrais revenir sur le contexte de ces États généraux. C'est la crise qui nous a conduit, avec le président de la République, à lancer ce travail de concertation, d'écoute, de dialogue pour essayer de voir comment apporter des réponses différentes, des réponses nouvelles aux problèmes qui se posaient outre-mer. Vous savez que nous nous sommes, avec le président de la République, engagés quand nous avons reçu, au début de cette crise, les parlementaires représentant l'outre-mer sur trois choses. On s'est d'abord engagés sur des mesures d'urgence comme en particulier la mise en place du RSTA, c'est-à-dire d'une adaptation du Revenu de Solidarité Active aux conditions de l'outre-mer et de la crise. Ensuite sur le vote de la LODEOM. Je rappelle que cette loi permet de transposer dans notre législation toute une série d'engagements qui avaient été pris par le président de la République dans sa campagne présidentielle et en particulier les zones franches globales. Il s'agit, à travers ce texte, d'établir les fondements d'un développement économique - et c'est un point que vous avez tous, d'une façon ou d'une autre, évoqué - qui repose davantage sur les productions et sur les filières locales. Donc on a voulu, à travers ce texte, lever des obstacles, donner des atouts supplémentaires aux départements d'outre-mer pour qu'ils puissent développer les productions et les filières locales. Et puis le troisième engagement, c'était le lancement de ces États généraux qui constituent la consultation la plus vaste qui ait jamais été engagée sur l'avenir de l'outre-mer.
Je trouve que ce calendrier, au fond, correspond assez bien à ce qui est en train de se passer dans le monde avec la crise économique. En effet, cette crise économique mondiale, elle va rebattre les cartes, elle va avoir des effets, qu'on n'est pas encore aujourd'hui capable de mesurer, sur la hiérarchie des puissances économiques mondiales. Dans toutes les grandes crises - et celle-ci est la plus importante depuis un siècle donc ce n'est pas une crise qu'on peut négliger, dont on peut négliger les effets à long terme, on s'est aperçu qu'il y a eu des perdants, il y a eu des gagnants, c'est-à-dire qu'il y a des nations qui sont entrées dans la crise en étant fortes et qui en sont sorties faibles et il y en a d'autres qui étaient des nations en voie de développement qui avaient des handicaps, qui avaient des faiblesses et qui ont profité de la crise pour acquérir des nouveaux marchés, pour acquérir de nouvelles positions dans le monde. Cette crise, elle va donc rebattre les cartes. Et il est très important que nous saisissions cette occasion pour nous interroger sur l'efficacité de notre système économique et de notre système social au plan métropolitain comme au plan des outre-mer.
Et d'ailleurs, je voudrais, en m'éloignant un instant de la Réunion et des sujets qui viennent d'être évoqués, vous dire que la France mène, dans le cadre de cette crise, un combat qui est un combat qui nous place en pointe de tous les pays développés. Nous avons été les premiers à dire : on ne doit pas laisser passer cette crise sans en profiter pour réformer le système financier international. C'est la France qui le demande. C'est la France qui a été en pointe du combat pour réunir les puissances développées puis ensuite élargir au G20. La discussion se poursuit en ce moment même en Italie. Elle va continuer aux États-Unis à l'automne. Nous ne lâcherons pas le morceau. On veut que les enseignements soient tirés de la crise financière. Alors il y en a qui se moquent, qui disent : « Ah oui ! Mais la France n'y arrivera jamais ou alors c'est juste comme ça pour... » Non, on va aller jusqu'au bout. On veut la suppression des paradis fiscaux. On veut des règles financières qui responsabilisent les acteurs. On ne veut plus que les rémunérations des opérateurs financiers les poussent à faire n'importe quoi. Voilà, ce combat-là, on le mène, on va continuer à le mener et c'est un combat qui nous concerne tous. C'est un combat qui est très important pour la suite des choses et donc pour l'avenir de la Réunion comme de tous les territoires.
Et puis deuxièmement, on est les premiers, les Français, à réclamer la réforme de la gouvernance mondiale parce qu'on voit bien, quand il y a une crise comme cela, on ne peut plus se réunir avec les huit pays les plus riches pour décider de ce qu'on va faire, de l'organisation du monde alors qu'il y a des puissances nouvelles qui sont apparues depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et qu'on ne prend pas en compte. Comment peut-on aujourd'hui discuter de l'avenir du monde sans la Chine, sans l'Inde, sans l'Amérique latine, sans que l'Afrique soient au coeur du débat, sans qu'il y ait des pays représentants le monde arabe qui expriment leur position. Cette réforme de la gouvernance mondiale, c'est le deuxième combat que la France mène. Et d'une certaine façon, j'en suis fier parce que ça veut dire que la France est toujours à la tête d'un combat pour des valeurs universelles. La France ne se bat pas seulement pour elle-même, elle se bat pour projeter à travers le monde son image d'un monde plus juste, d'un monde plus équitable.
Sur la gouvernance mondiale, ça peut avoir des effets très concrets sur la vie quotidienne. Ce ne sont pas seulement des sujets pour des sommets de chefs d'État. Je vais prendre juste un exemple. On a, avec le Premier ministre britannique, défendu l'idée que désormais, les prix du pétrole soient négociés sur des contrats de long ou de moyen terme avec les pays producteurs pour éviter les à-coups dans les augmentations ou dans les baisses. C'est l'intérêt de tout le monde. Les pays producteurs n'ont pas intérêt à ce que le prix du pétrole baisse trop, parce que quand il baisse trop, ils se trouvent dans une situation impossible pour leur propre fonctionnement et leur propre développement. C'est ce qui s'est produit notamment ces derniers mois. Et puis les pays, les autres pays sont complètement asphyxiés quand le prix du pétrole explose brutalement comme ça a été le cas en 2008. Donc il y a un intérêt commun à fixer non pas un prix du pétrole mais en tout cas au moins une fourchette de prix avec des contrats sur dix-huit mois, deux ans, trois ans pour essayer d'avoir une certaine visibilité, une certaine stabilité pour les produits, et les pays producteurs et pour les pays consommateurs. Voilà un sujet qui est au coeur de la question de la gouvernance mondiale.
Puis enfin dernier point, la lutte contre les changements climatiques. Qui peut penser que cette lutte contre les changements climatiques ne passe que par des initiatives nationales ou des initiatives même européennes ? Nous les Européens, nous avons pris la tête de ce combat. Nous avons, notamment pendant le Présidence Française de l'Union européenne, avec bien des difficultés, fait adopter aux vingt-sept États membres de l'Union européenne des objectifs extrêmement ambitieux, les plus ambitieux qu'aucun groupe d'États ne se soit jamais imposé en termes de protection de l'environnement.
Mais maintenant, il faut naturellement que ces objectifs soient partagés par les États-Unis, par la Chine, par l'Inde, par l'ensemble des pays qui sont les plus émetteurs de gaz à effet de serre et c'est tout le combat que nous avons engagé.
Je sais que vous êtes une île au milieu de l'océan Indien mais en l'occurrence, là vous êtes au coeur du monde, vous êtes au coeur de la mondialisation, vous êtes au coeur de la problématique qui est celle de ce débat sur la réforme du système financier ou sur la réforme de la gouvernance mondiale. Alors je reviens sur les États généraux pour vous dire d'abord que ces États généraux, ce n'est pas un scénario écrit à l'avance. J'ai entendu plusieurs d'entre vous me dire : « On espère qu'on sera respectés. On espère que ce qu'on va proposer sera bien restitué. On espère qu'il y aura des suites. » Je vous dis : ce n'est pas un scénario écrit à l'avance. Aujourd'hui, on entre dans l'achèvement de la phase de consultation locale. Une restitution nationale est prévue à la rentrée et nous réunirons, avec le président de la République, un Conseil interministériel de l'outre-mer pour marquer le temps des décisions. Ces décisions n'étant pas la fin du processus puisqu'on sait bien que c'est important de prendre des décisions mais il faut surtout les mettre en oeuvre. Et donc on a décidé, le président de la République l'a annoncé lors de son voyage aux Antilles, qu'on mettrait en place un comité de suivi pour avoir un suivi précis et régulier des engagements qui ont été pris. Si vous en étiez d'accord, le comité d'organisation des États généraux pourrait se transformer en comité de suivi, doté de moyens appropriés, par exemple, pour examiner régulièrement des questions comme la formation des prix, comme les indicateurs économiques, comme les indicateurs sociaux. Et moi, je propose qu'il y ait un rendez-vous annuel entre les comités de suivi et le gouvernement pour faire le point de la mise en oeuvre des décisions qui auront été prises dans le cadre des États généraux.
Sur le fond maintenant des États généraux que vous avez conduits à la Réunion, je voudrais retenir trois idées fortes. Je ne cherche pas à conclure, je cherche simplement à vous dire comment, pour l'instant, je vois, j'entends, je comprends ce que vous avez émis. D'abord, je retiens une première idée, c'est une demande de transparence dans la gouvernance. Ensuite le souhait d'un développement économique, c'est-à-dire d'une création d'emplois massive et d'un développement durable. Et puis enfin une profonde aspiration à l'égalité.
Alors je commence par le premier sujet, c'est-à-dire au fond la gouvernance, c'est-à-dire celui par lequel on a terminé ou presque. S'agissant de la gouvernance, je pense qu'on peut dire qu'il y a deux sujets : il y a un sujet institutionnel et puis il y a un sujet dialogue social. Sur le côté institutionnel, j'ai entendu avec beaucoup de force le cri : « La Réunion dans la République ! » Et je relève le voeu que les institutions locales de l'île continuent de correspondre à celles de la métropole. C'est votre souhait, c'est votre demande, il n'y a pas de débat sur cette question. C'est vous qui décidez, c'est vous qui souhaitez que les institutions de la Réunion restent les mêmes que les institutions métropolitaines, il n'y aura pas de débat sur cette question. J'y ajoute une quête de proximité parce que ça ne veut pas dire quand même que vous soyez parfaitement satisfaits du fonctionnement du système.
Donc vous demandez plus de proximité, vous demandez plus d'éthique, vous demandez plus de transparence dans la gouvernance locale. J'ai envie de vous dire que vous n'êtes pas très différents en ce sens des habitants de la Sarthe, de la Corrèze ou du Maine-et-Loire ou de la Bretagne ou de la Corse qui demandent aussi plus de transparence, plus d'éthique, plus de proximité. Et donc vous allez vous inscrire parfaitement dans le débat que nous avons engagé sur la modernisation de l'organisation du territoire national (le rapport Balladur, le travail que nous sommes en train de faire de dialogue avec les associations d'élus locaux, avec le Parlement) pour aboutir, à l'automne, à une proposition de loi-cadre sur la modernisation de l'organisation du territoire.
Qu'est-ce qu'on veut faire ? On veut d'abord simplifier l'organisation du territoire - et je parle naturellement de l'ensemble du territoire métropolitain - parce que ce territoire aujourd'hui est organisé d'une façon trop complexe et la complexité génère des coûts. Pas seulement des coûts directs, elle génère surtout beaucoup de coûts indirects. Plus il y a de complexité, plus c'est difficile de créer. Plus c'est difficile de créer une entreprise, plus c'est difficile de prendre une initiative, plus c'est difficile d'avoir une réponse, plus il y a de bureaucratie. Il faut impérativement que nous simplifiions notre organisation du territoire et donc nous allons aller dans ce sens. Et je pense que les propositions qui vous seront faites sont des propositions qui correspondent assez bien, même s'il peut y avoir ici ou là des adaptations à faire, aux demandes qui sont les vôtres.
Naturellement, cette réforme de l'organisation des collectivités territoriales, elle doit aller de pair avec une réforme profonde des services territoriaux de l'État. Cette réforme des services territoriaux de l'État, elle est déjà engagée. Elle est déjà engagée de façon assez radicale puisqu'on a décidé de réduire le nombre des organisations de l'État sur le territoire, avoir un plus petit nombre sous l'autorité du préfet qui doit pouvoir mobiliser l'ensemble des moyens de l'État pour répondre aux attentes qui sont celles des citoyens. Donc ça veut dire plus d'État dans sa fonction d'arbitre et de contrôle. Je ne suis pas là pour prendre des décisions immédiates sur les sujets que vous avez évoqués mais je vais quand même en prendre une. Le FISAC sera déconcentré à la Réunion. Franchement, ça va de soi. Sur le tribunal de commerce, vous allez me permettre de regarder les choses d'un peu plus près mais je vois bien la difficulté, elle est identifiée et on va essayer de la résoudre.
Vous voulez les mêmes institutions qu'en métropole. Vous allez donc suivre la réforme de l'organisation du territoire que nous allons conduire, qui va être débattue et décidée par le Parlement. Ça ne veut pas dire pour autant qu'il n'y a pas des spécificités réunionnaises qui sont évidentes. Et plusieurs d'entre vous ont manifesté un désir d'explorer toutes les possibilités d'expérimentation que la Constitution autorise et d'appliquer de façon concrète l'article 299-2 du Traité de l'Union européenne. Donc j'ai dit hier combien j'étais parfaitement favorable à ces expérimentations tant sur le plan constitutionnel que s'agissant des textes européens. Je demande donc à Marie-Luce Penchard de mettre en place, dans le cadre du ministère de l'Outre-Mer, les moyens nécessaires pour vous accompagner, vous aider, vous apporter le soutien logistique dont vous avez besoin pour conduire ces expérimentations. Mais je veux simplement vous rappeler que les expérimentations, elles ne peuvent partir que de vous. Ce n'est pas l'État qui va vous proposer des expérimentations, c'est à vous de dire les sujets sur lesquels vous voulez des expérimentations. On les met en oeuvre, on met en place les systèmes d'évaluation et puis on décide, au bout du temps nécessaire, de leur poursuite.
L'atelier sur la rénovation du dialogue social a fait une constatation qui n'est pas nouvelle : on est, outre-mer et à la Réunion, davantage sur un système d'affrontement social que sur des mécanismes de dialogue. Bon,il faut relativiser les choses. C'est aussi un peu le cas en métropole, il faut quand même le dire. La France, ce n'est pas un pays modèle en matière de dialogue social. Si on regarde l'ensemble des pays européens, si on regarde comment, aujourd'hui, le dialogue social s'y déroule, on a des progrès à faire parce qu'on est restés sur un modèle d'affrontement social et on a du mal à passer à un vrai modèle de dialogue. Alors il y a des tas de sujets derrière tout ça. Il y a d'abord des habitudes culturelles, politiques. Il y a aussi des questions de structure, des questions de représentativité. Quelle est la représentativité des partenaires sociaux ? Comment cette représentativité est-elle mesurée ? Comment sont-ils élus ? Comment s'articule le dialogue entre le Parlement (représentant de la souveraineté populaire) et les organisations syndicales ?
On a engagé un travail pour moderniser la représentativité, pour faire sauter des règles anciennes qui n'avaient plus aucun sens et qui figeaient pour toujours le nombre des organisations syndicales, pour permettre un meilleur dialogue dans les entreprises en déportant vers l'entreprise des sujets qui peuvent être discutés dans l'entreprise et qui n'ont pas besoin forcément d'être discutés de la même façon au plan d'une branche ou au plan national parce que les règles dans les petites entreprises ne sont pas forcément les mêmes que dans les grandes (je parle naturellement dans un cadre global de justice sociale qui doit être respecté), parce qu'il y a des entreprises qui ont des contraintes qui sont différentes des autres. Donc il faut continuer dans ce domaine. Il faut essayer de sortir d'un mode de relations sociales qui est fondé presque exclusivement sur la conflictualité.
Je prends souvent un exemple. Je sais qu'il est... Comment dirais-je ? Explosif puisqu'il s'agit des retraites. Comment expliquer que dans la quasi-totalité des pays européens, il y ait eu des accords de l'ensemble des partenaires sociaux sur des réformes ambitieuses des régimes de retraite et pas chez nous ? C'est quand même une question que personne ne peut éluder. On peut raconter tout ce qu'on veut, on peut s'inventer des histoires en expliquant qu'il y a des solutions miracles que seuls les Français vont trouver mais enfin vous savez, la solution miracle à l'allongement de la durée de la vie, il n'y a pas une solution allemande, espagnole, italienne, hollandaise et française. Il y a une seule solution que tous les autres ont mise en oeuvre d'une façon ou d'autre autre mais qu'ils ont mise en oeuvre. Pourquoi est-ce qu'en Allemagne, en Suède, au Danemark... ? Alors vous allez me dire ce sont des pays du nord, ils sont plus calmes. Mais alors je vais vous prendre des exemples : en Espagne, en Italie, on est arrivé à des accords entre les partenaires sociaux, entre les forces politiques pour se mettre d'accord sur une évolution de nos régimes de retraite qui s'est traduite dans tous les cas par un allongement de la durée du travail. Je veux souligner à quel point nous avons des progrès à faire dans notre pays en matière de dialogue social. Alors on pourrait s'inspirer, notamment ici à la Réunion, peut-être des expériences de prévention des conflits qui ont été conduites dans des grandes entreprises nationales (je pense à ce qui a été fait à la RATP ou à la SNCF).
J'en viens maintenant à la création d'emploi et au développement durable. Tous les ateliers des États généraux quasiment ont exprimé une demande de création massive d'emplois dans l'île. Et comment ne pas le faire quand on voit quelle est la situation en matière de chômage à la Réunion ? Je pense d'abord qu'il faut que les choses soient très très claires. C'est du côté de l'emploi privé que se trouve la solution au problème du chômage à la Réunion comme d'ailleurs sur l'ensemble du territoire national. Moi, je ne veux pas cacher les choses, je ne veux pas qu'on se raconte des histoires, je ne veux pas rester avec vous dans l'ambiguïté. Ce n'est pas dans la création des emplois publics et ce n'est pas dans l'assistanat. La création des emplois publics, nous sommes un pays qui a le record, le record de tous les pays développés en matière d'emplois publics. Nous sommes le pays en Europe, avec la Suède, qui a le plus fort taux de prélèvements obligatoires. Le plus fort taux de prélèvements obligatoires. Et malgré ça, on a une dette qui est absolument exceptionnelle. Donc quels que soient les gouvernements qui dirigeront la France dans les vingt ans qui viennent, quels qu'ils soient (qu'ils soient de gauche ou qu'ils soient de droite), je vous le dis (je suis prêt à prendre les paris, à revenir devant vous dans vingt ans), ils réduiront la dépense publique parce qu'ils n'auront pas d'autres choix. Parce qu'emprunter pour quinze ou vingt ans pour payer les dépenses de fonctionnement, ça ne peut pas durer très longtemps. Alors je sais bien que ça dure depuis trente ans et que tous les Français qui ont moins de trente ans pensent que ça marche comme ça. Et tous les Français qui ont plus de trente ans se disent : si a duré trente ans, ça va bien durer encore quelques années de plus.
Mais la vérité, c'est que la dette, elle s'accumule et surtout, et surtout que la compétitivité de l'économie française par rapport à ses voisines (les Allemands, les Hollandais, les Danois mais aussi les Italiens), elle s'érode en raison de cette charge qui est une charge que le pays ne peut plus supporter.
Donc personne, honnêtement, ne peut vous dire que l'avenir de l'emploi à la Réunion passe par l'emploi public ou par l'assistanat. Ça ne veut pas dire naturellement qu'il n'y a pas des besoins. Ces besoins, il faut les combler. Mais il n'y aura pas d'augmentation de l'emploi public. Il faut donc s'appuyer sur l'emploi privé. Pour ça, il faut évidemment d'abord développer les filières traditionnelles qui ont un très fort potentiel de développement : vous avez évoqué la pêche, vous avez évoqué l'agriculture. Il faut aussi développer les filières innovantes : vous avez fait un effort considérable, vous avez lancé un effort considérable dans le domaine des énergies renouvelables. Et j'ai envie de dire que la synthèse entre la tradition et la modernité, c'est la filière canne, sucre, bagasse. Il faut pour ça que la bagasse soit rémunérée à sa juste valeur. Je sais que vous en avez beaucoup discuté. Le gouvernement a pris ses responsabilités et je présenterai tout à l'heure nos propositions et nos décisions sur le terrain devant les acteurs de la filière mais enfin chacun aura compris que c'est dans l'esprit du développement de la filière canne, sucre, bagasse.
Il faut évidemment miser sur la mer et sur les ressources que nous procurent les océans. Mais là aussi il faut tirer toutes les conséquences de l'effacement relatif de la France en tant que puissance maritime. Pourquoi est-ce qu'avec cette tradition, avec cette zone économique considérable, pourquoi est-ce que la France n'occupe pas suffisamment les premiers rangs s'agissant de la mer ? C'est aussi parce que pendant très longtemps, on s'est refermés sur nous-mêmes et qu'on a laissé notre système se bloquer avec des ports qui ne fonctionnaient pas, avec des armements qui s'en allaient à l'extérieur et avec des activités en matière de pêche qui étaient encadrées de telle façon qu'elles ne pouvaient pas se développer. On a commencé à bouger. Les ports français, tout doucement, tout doucement, bien trop doucement, sont en train de sortir de l'archaïsme dans lequel ils étaient enfermés. On commence à avoir des grands armateurs qui se développent et qui misent à fond sur la mer et sur le transport maritime. On a encore beaucoup d'efforts à faire s'agissant de la pêche.
Et puis il y a le tourisme. Franchement, que le tourisme ne se développe pas suffisamment à la Réunion, c'est incompréhensible. Je vous le dis, c'est incompréhensible ! Et ne pensez pas que le tourisme, c'est une industrie de pays sous-développés. C'est quoi les deux pays touristiques, les deux plus grands pays touristiques du monde ? Ce sont les États-Unis et la France les deux plus grands pays touristiques du monde. Donc l'industrie touristique, c'est une industrie à part entière, c'est une industrie qui crée de la richesse, qui crée des emplois, qui crée de la valeur ajoutée et c'est une industrie qui a beaucoup changé depuis ces vingt dernières années. Désormais, c'est une industrie qui est beaucoup plus respectueuse de l'environnement, qui est beaucoup plus respectueuse des traditions, qui s'inscrit complètement dans le schéma du développement durable. Donc il y a vraiment un effort considérable à faire à la Réunion en matière de tourisme. Peut-être qu'en disant ça, j'enfonce une porte ouverte mais enfin j'ai l'impression qu'il faut le répéter.
Il faut naturellement, pour développer l'emploi privé, avoir une vision prospective des besoins des filières. Il faut se battre pour l'acquisition des savoirs de base et donc lutter contre l'illettrisme, j'y reviendrai. Il faut aussi adapter la formation initiale et la formation professionnelle aux besoins des entreprises et puis il faut mettre en place des systèmes d'accompagnement des personnes dans l'emploi. Vous avez évoqué cette question de la compétition au fond un peu inégale en termes de recrutement mais il faut donner des atouts supplémentaires (certains appelleraient ça de la discrimination positive) à ceux qui en ont besoin parce que c'est ça l'égalité.
La vraie égalité, ce n'est pas de mettre tout le monde sur la même ligne de départ en disant : le premier arrivé a gagné. C'est d'essayer de donner à chacun la possibilité de gagner la compétition. Puis il faut développer la mobilité.
Sur le développement durable, je pense que la Réunion a une grande avance. Vous avez une vision à long terme de votre développement qui n'est pas issue simplement de ces derniers mois. Sur laquelle la Réunion a une vraie histoire. Eh bien cette vision de long terme, je trouve qu'elle transparaît dans les travaux des États généraux, notamment au travers des enjeux d'utilisation, de gestion et de protection du territoire. C'est une des richesses fondamentales de l'île, il faut la préserver. De même vous avez pris à bras-le-corps la question des énergies avec un effort exceptionnel en faveur des énergies renouvelables. Je vais avoir l'occasion tout à l'heure de m'exprimer sur ce sujet. C'est une priorité absolue. Vous avez eu parfaitement raison de vous engager dans cette voie. Il faut qu'on aille jusqu'au bout de la démarche.
J'ai compris qu'il y avait un sujet important s'agissant du foncier. Et c'est normal que cette ressource sur une île montagneuse soit une question difficile. L'essentiel, c'est que vous ayez une vision d'ensemble du développement et que vous puissiez mettre au service de cette vision d'ensemble des outils en matière de gestion du foncier. Enfin je voudrais aborder la question du développement endogène et du confortement des filières locales. Au-delà du constat, je pense que les travaux que vous avez conduits permettent de faire émerger plusieurs pistes. D'abord, la valorisation des produits frais et la transformation sur place des produits pays pour mettre en place des filières de production locale qui soient susceptibles d'exportation et donc susceptibles d'améliorer la balance. J'ai noté aussi l'utilisation accrue des produits locaux dans la restauration collective. J'ai bien entendu parlé de réglementation. Franchement, s'il faut adapter la réglementation, on adapte la réglementation, il n'y a aucune difficulté. Le code des marchés publics, ça peut s'adapter pour donner une plus grande place aux produits locaux comme aux produits qui sont les plus respectueux de l'environnement. Enfin, il y a la réduction de la production des déchets pour garantir une île propre et favoriser l'émergence d'une filière de recyclage.
Je voudrais finir par ce qui aurait dû être le début de mon propos, c'est-à-dire la question de l'égalité des chances. L'égalité réelle a été, tout au long de ces États généraux et tout au long de cette crise en réalité, une demande extrêmement forte qui s'est exprimée partout outre-mer. Cette égalité, d'abord, c'est la question de la formation des prix. Les travaux que vous avez menés ont dressé un constat d'ensemble sur les causes de la vie chère. Ils ont présenté de façon très claire les dysfonctionnements (je pense à certaines situations quasi monopolistiques dans la distribution, je pense aussi à certaines dérives tarifaires concernant, par exemple, les services Internet ou les services bancaires). Il y a une mission essentielle de l'État qui est de contrôler la concurrence, qui est de contrôler la formation des prix, qui est de contrôler la qualité des services et des produits mis sur le marché. Eh bien cette mission, elle est et elle restera au coeur de la lutte contre la vie chère. Elle est indispensable pour vérifier la transparence dans la fixation des prix. Et s'il y a un domaine où je suis prêt à renforcer un service public, c'est bien dans celui-là parce que je suis convaincu que l'effort que nous ferons en termes de transparence aura des conséquences immédiates pour le consommateur.
Vous avez évoqué également, s'agissant de cette question de la vie chère, les pistes fiscales. Le sujet de l'octroi de mer a été au coeur de beaucoup de discussions. Baisser l'octroi de mer, ce n'est pas une mauvaise idée en soi. Je veux simplement dire que la diminution de ressources qui en résultera devra être compensée. Et vous conviendrez avec moi que créer de nouveaux impôts, ce n'est pas la décision la plus adaptée, la plus simple, la plus facile aujourd'hui pour les collectivités publiques.
Donc il faut engager ce débat en ayant bien à coeur de chercher en même temps comment est-ce qu'on peut compenser cette perte de la ressource de l'octroi de mer.
L'égalité, c'est ensuite l'accès au logement. Sur cette question du logement, je ne vais pas revenir sur ce que j'ai eu l'occasion de dire hier pour l'inauguration de la route des Tamarins. L'État fait en ce moment sur le logement un effort sans précédent. Le nombre de logements mis en chantier, les crédits qui sont mis en oeuvre, c'est sans précédent par rapport à ce qui se faisait dans les années précédentes et on peut remonter loin. Mais les besoins sont considérables. Et donc on voit bien que non seulement les moyens doivent être accrus mais les mécanismes - et là je m'adresse à vous élus locaux, responsables en matière de construction de logements - les mécanismes qui fonctionnent ici ne sont pas suffisamment performants pour permettre la consommation de ces crédits au rythme où ils devraient l'être. Donc il y a une amélioration considérable à apporter au circuit de financement du logement pour faire en sorte qu'entre le moment où on met en place les financements et le moment où les Réunionnais rentrent dans le logement qui a été construit, il s'écoule moins de temps. Il faut sans doute trouver plus d'opérateurs. Il faut sas doute faire appel plus à l'initiative privée. Toutes les solutions en tout cas sont sur la table. Le gouvernement est totalement disponible pour vous aider à les mettre en oeuvre.
L'égalité, c'est ensuite l'accès aux savoirs. L'acquisition des savoirs de base, la lutte contre l'illettrisme mérite d'être au coeur des régulations de l'offre de services en matière de formation initiale et continue. Il faut adapter cette offre aux perspectives et aux trajectoires professionnelles. Là aussi j'ai retenu plusieurs idées que vous avez évoquées, notamment celle qui consiste à mieux utiliser l'alternance quitte à changer les règles qui sont actuellement celles qui prévalent dans notre système éducatif, peut-être de manière expérimentale à la Réunion pour regarder comment les choses fonctionnent. Et je voudrais simplement prendre l'exemple de l'université pour dire comment est-ce qu'on peut expérimenter. On a voulu que les universités soient autonomes. Ce n'est pas pour qu'elles continuent à faire exactement, toutes, la même chose, sinon ce n'était pas la peine de les rendre autonomes. Ce qui compte pour nous, c'est qu'il y ait des diplômes qui soient tous les mêmes (des diplômes nationaux) et donc des programmes qui soient les mêmes pour arriver à ces diplômes. Le reste après, la manière dont vous arrivez à ces diplômes et à faire en sorte que ces programmes soient assimilés par les étudiants, j'ai envie de dire c'est votre affaire, c'est l'affaire maintenant des universités. Et si à la Réunion on estime qu'il faut adapter le rythme, si la première année doit être modifiée pour aller plus loin que le plan licence qui a été proposé par le ministre de l'Enseignement supérieur, moi, je n'y vois que des avantages et je suis prêt à soutenir une expérimentation dans ce domaine. D'ailleurs, d'une façon plus générale, notre système éducatif doit fonctionner comme ça. Pourquoi est-ce qu'on a décidé une fois pour toutes que tous les jeunes devraient arriver au même résultat dans le même temps ? I n'y a pas d'autre exemple dans la vie où on raisonne de la même façon. Chacun a son rythme, ses spécificités, ses handicaps, ses atouts et il n'y a rien de choquant à ce qu'il faille plus de temps à un jeune pour atteindre le même niveau qu'un autre. Notre objectif, ça doit être de donner à chacun les chances pour aboutir au résultat. Et c'est pour ça que notre système éducatif doit être réformé encore bien plus profondément qu'il ne l'a été. Là aussi je demande qu'on regarde parfois un tout petit peu ce qui se passe autour de nous. Il y a des pays en Europe qui réussissent bien mieux, qui ont beaucoup moins d'échec scolaire. Qu'est-ce qu'on constate ? Qu'il y a moins d'heures de cours. C'est drôle quand même, c'est bizarre. Il y a moins d'heures de cours, il y a de meilleurs résultats ! Qu'il y a moins de foisonnement d'options mais qu'on est plus concentré sur l'essentiel et surtout qu'on est plus concentré sur la personne. Qu'on met en place des systèmes qui sont adaptés aux besoins de chacun : du tutorat (si quelqu'un a plus de difficulté, alors on fait des classes avec moins d'élèves).
Alors vous allez me dire : « mais il faut plus de monde pour faire des classes avec moins d'élèves ». Oui, mais si on a moins d'heures de cours et si on ne se laisse pas aller à un luxe égoïste en matière d'options, alors on peut offrir à chacun la maîtrise des savoirs fondamentaux qui constitue un des droits de tout citoyen dans la République.
Enfin l'égalité, c'est la culture. Je retiens votre souhait que les pratiques culturelles et la langue créole qui nourrissent votre identité soient mieux mises en valeur. Je vous dis que je ne peux qu'approuver ce souhait. C'est d'ailleurs ce gouvernement qui a inscrit dans la Constitution de la République française la reconnaissance des langues régionales. Après avoir été considérées pendant longtemps comme un élément de dislocation de la République, il faut maintenant considérer que c'est un élément de valorisation du patrimoine national. Et c'est ce à quoi je vous invite et ce à quoi nous sommes prêts à travailler ensemble. Je voudrais aussi vous dire qu'il faut promouvoir, sans le figer, le modèle réunionnais de tolérance, de respect et de solidarité, que vous avez raison d'être fiers de poser en exemple pour la France toute entière face aux écueils de tous les ghettos qui menacent l'identité même de la République, la cohésion de la République (les ghettos religieux, les ghettos ethniques, les ghettos sociaux ou culturels). Eh bien je pense que ce modèle, c'est un phare qui doit nous guider et nous conduire.
Vous avez émis le souhait d'un urbanisme respectueux de l'environnement et de vos pratiques culturelles. Vous avez parfaitement raison. Il faut mettre en place un véritable plan d'inventaire de votre patrimoine en tenant compte de sa singularité, de sa dimension vivante et immatérielle et un programme concerté de sauvegarde et de valorisation. Et puis j'adhère à votre souhait de porter un effort tout particulier sur la diffusion des arts vivants, de votre littérature (orale et écrite), de votre musique, de votre danse contemporaine ou traditionnelle, de vos arts visuels. Vous devez être notre pôle culturel de l'Océan Indien.
Voilà, Mesdames et Messieurs, quelques réflexions qui, vous avez pu le constater, ne sont pas des conclusions mais qui sont, au fond, mes réflexions et mes commentaires sur les travaux que vous avez conduits. Tout à l'heure, vous avez résumé, Monsieur Avril, un proverbe réunionnais dans une phrase d'une langue que je ne comprends pas et qui est la langue anglaise. Moi, je vais vous la résumer d'une autre façon. On dit en France : les seules batailles perdues sont celles qu'on ne livre pas. Alors moi, je voudrais qu'on livre ensemble cette bataille pour le développement et pour l'avenir de la Réunion et je voudrais simplement, en terminant, vous dire que j'ai confiance parce que je constate que la Réunion ne manque pas de projets. C'est à nous maintenant, à nous tous (l'ensemble de la collectivité nationale) de lui permettre de les mettre en oeuvre pour offrir un avenir à la jeunesse réunionnaise et pour porter très haut les valeurs de la République française dans l'Océan Indien.
Source http://www.gouvernement.fr, le 15 juillet 2009
Alors je voudrais revenir sur le contexte de ces États généraux. C'est la crise qui nous a conduit, avec le président de la République, à lancer ce travail de concertation, d'écoute, de dialogue pour essayer de voir comment apporter des réponses différentes, des réponses nouvelles aux problèmes qui se posaient outre-mer. Vous savez que nous nous sommes, avec le président de la République, engagés quand nous avons reçu, au début de cette crise, les parlementaires représentant l'outre-mer sur trois choses. On s'est d'abord engagés sur des mesures d'urgence comme en particulier la mise en place du RSTA, c'est-à-dire d'une adaptation du Revenu de Solidarité Active aux conditions de l'outre-mer et de la crise. Ensuite sur le vote de la LODEOM. Je rappelle que cette loi permet de transposer dans notre législation toute une série d'engagements qui avaient été pris par le président de la République dans sa campagne présidentielle et en particulier les zones franches globales. Il s'agit, à travers ce texte, d'établir les fondements d'un développement économique - et c'est un point que vous avez tous, d'une façon ou d'une autre, évoqué - qui repose davantage sur les productions et sur les filières locales. Donc on a voulu, à travers ce texte, lever des obstacles, donner des atouts supplémentaires aux départements d'outre-mer pour qu'ils puissent développer les productions et les filières locales. Et puis le troisième engagement, c'était le lancement de ces États généraux qui constituent la consultation la plus vaste qui ait jamais été engagée sur l'avenir de l'outre-mer.
Je trouve que ce calendrier, au fond, correspond assez bien à ce qui est en train de se passer dans le monde avec la crise économique. En effet, cette crise économique mondiale, elle va rebattre les cartes, elle va avoir des effets, qu'on n'est pas encore aujourd'hui capable de mesurer, sur la hiérarchie des puissances économiques mondiales. Dans toutes les grandes crises - et celle-ci est la plus importante depuis un siècle donc ce n'est pas une crise qu'on peut négliger, dont on peut négliger les effets à long terme, on s'est aperçu qu'il y a eu des perdants, il y a eu des gagnants, c'est-à-dire qu'il y a des nations qui sont entrées dans la crise en étant fortes et qui en sont sorties faibles et il y en a d'autres qui étaient des nations en voie de développement qui avaient des handicaps, qui avaient des faiblesses et qui ont profité de la crise pour acquérir des nouveaux marchés, pour acquérir de nouvelles positions dans le monde. Cette crise, elle va donc rebattre les cartes. Et il est très important que nous saisissions cette occasion pour nous interroger sur l'efficacité de notre système économique et de notre système social au plan métropolitain comme au plan des outre-mer.
Et d'ailleurs, je voudrais, en m'éloignant un instant de la Réunion et des sujets qui viennent d'être évoqués, vous dire que la France mène, dans le cadre de cette crise, un combat qui est un combat qui nous place en pointe de tous les pays développés. Nous avons été les premiers à dire : on ne doit pas laisser passer cette crise sans en profiter pour réformer le système financier international. C'est la France qui le demande. C'est la France qui a été en pointe du combat pour réunir les puissances développées puis ensuite élargir au G20. La discussion se poursuit en ce moment même en Italie. Elle va continuer aux États-Unis à l'automne. Nous ne lâcherons pas le morceau. On veut que les enseignements soient tirés de la crise financière. Alors il y en a qui se moquent, qui disent : « Ah oui ! Mais la France n'y arrivera jamais ou alors c'est juste comme ça pour... » Non, on va aller jusqu'au bout. On veut la suppression des paradis fiscaux. On veut des règles financières qui responsabilisent les acteurs. On ne veut plus que les rémunérations des opérateurs financiers les poussent à faire n'importe quoi. Voilà, ce combat-là, on le mène, on va continuer à le mener et c'est un combat qui nous concerne tous. C'est un combat qui est très important pour la suite des choses et donc pour l'avenir de la Réunion comme de tous les territoires.
Et puis deuxièmement, on est les premiers, les Français, à réclamer la réforme de la gouvernance mondiale parce qu'on voit bien, quand il y a une crise comme cela, on ne peut plus se réunir avec les huit pays les plus riches pour décider de ce qu'on va faire, de l'organisation du monde alors qu'il y a des puissances nouvelles qui sont apparues depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et qu'on ne prend pas en compte. Comment peut-on aujourd'hui discuter de l'avenir du monde sans la Chine, sans l'Inde, sans l'Amérique latine, sans que l'Afrique soient au coeur du débat, sans qu'il y ait des pays représentants le monde arabe qui expriment leur position. Cette réforme de la gouvernance mondiale, c'est le deuxième combat que la France mène. Et d'une certaine façon, j'en suis fier parce que ça veut dire que la France est toujours à la tête d'un combat pour des valeurs universelles. La France ne se bat pas seulement pour elle-même, elle se bat pour projeter à travers le monde son image d'un monde plus juste, d'un monde plus équitable.
Sur la gouvernance mondiale, ça peut avoir des effets très concrets sur la vie quotidienne. Ce ne sont pas seulement des sujets pour des sommets de chefs d'État. Je vais prendre juste un exemple. On a, avec le Premier ministre britannique, défendu l'idée que désormais, les prix du pétrole soient négociés sur des contrats de long ou de moyen terme avec les pays producteurs pour éviter les à-coups dans les augmentations ou dans les baisses. C'est l'intérêt de tout le monde. Les pays producteurs n'ont pas intérêt à ce que le prix du pétrole baisse trop, parce que quand il baisse trop, ils se trouvent dans une situation impossible pour leur propre fonctionnement et leur propre développement. C'est ce qui s'est produit notamment ces derniers mois. Et puis les pays, les autres pays sont complètement asphyxiés quand le prix du pétrole explose brutalement comme ça a été le cas en 2008. Donc il y a un intérêt commun à fixer non pas un prix du pétrole mais en tout cas au moins une fourchette de prix avec des contrats sur dix-huit mois, deux ans, trois ans pour essayer d'avoir une certaine visibilité, une certaine stabilité pour les produits, et les pays producteurs et pour les pays consommateurs. Voilà un sujet qui est au coeur de la question de la gouvernance mondiale.
Puis enfin dernier point, la lutte contre les changements climatiques. Qui peut penser que cette lutte contre les changements climatiques ne passe que par des initiatives nationales ou des initiatives même européennes ? Nous les Européens, nous avons pris la tête de ce combat. Nous avons, notamment pendant le Présidence Française de l'Union européenne, avec bien des difficultés, fait adopter aux vingt-sept États membres de l'Union européenne des objectifs extrêmement ambitieux, les plus ambitieux qu'aucun groupe d'États ne se soit jamais imposé en termes de protection de l'environnement.
Mais maintenant, il faut naturellement que ces objectifs soient partagés par les États-Unis, par la Chine, par l'Inde, par l'ensemble des pays qui sont les plus émetteurs de gaz à effet de serre et c'est tout le combat que nous avons engagé.
Je sais que vous êtes une île au milieu de l'océan Indien mais en l'occurrence, là vous êtes au coeur du monde, vous êtes au coeur de la mondialisation, vous êtes au coeur de la problématique qui est celle de ce débat sur la réforme du système financier ou sur la réforme de la gouvernance mondiale. Alors je reviens sur les États généraux pour vous dire d'abord que ces États généraux, ce n'est pas un scénario écrit à l'avance. J'ai entendu plusieurs d'entre vous me dire : « On espère qu'on sera respectés. On espère que ce qu'on va proposer sera bien restitué. On espère qu'il y aura des suites. » Je vous dis : ce n'est pas un scénario écrit à l'avance. Aujourd'hui, on entre dans l'achèvement de la phase de consultation locale. Une restitution nationale est prévue à la rentrée et nous réunirons, avec le président de la République, un Conseil interministériel de l'outre-mer pour marquer le temps des décisions. Ces décisions n'étant pas la fin du processus puisqu'on sait bien que c'est important de prendre des décisions mais il faut surtout les mettre en oeuvre. Et donc on a décidé, le président de la République l'a annoncé lors de son voyage aux Antilles, qu'on mettrait en place un comité de suivi pour avoir un suivi précis et régulier des engagements qui ont été pris. Si vous en étiez d'accord, le comité d'organisation des États généraux pourrait se transformer en comité de suivi, doté de moyens appropriés, par exemple, pour examiner régulièrement des questions comme la formation des prix, comme les indicateurs économiques, comme les indicateurs sociaux. Et moi, je propose qu'il y ait un rendez-vous annuel entre les comités de suivi et le gouvernement pour faire le point de la mise en oeuvre des décisions qui auront été prises dans le cadre des États généraux.
Sur le fond maintenant des États généraux que vous avez conduits à la Réunion, je voudrais retenir trois idées fortes. Je ne cherche pas à conclure, je cherche simplement à vous dire comment, pour l'instant, je vois, j'entends, je comprends ce que vous avez émis. D'abord, je retiens une première idée, c'est une demande de transparence dans la gouvernance. Ensuite le souhait d'un développement économique, c'est-à-dire d'une création d'emplois massive et d'un développement durable. Et puis enfin une profonde aspiration à l'égalité.
Alors je commence par le premier sujet, c'est-à-dire au fond la gouvernance, c'est-à-dire celui par lequel on a terminé ou presque. S'agissant de la gouvernance, je pense qu'on peut dire qu'il y a deux sujets : il y a un sujet institutionnel et puis il y a un sujet dialogue social. Sur le côté institutionnel, j'ai entendu avec beaucoup de force le cri : « La Réunion dans la République ! » Et je relève le voeu que les institutions locales de l'île continuent de correspondre à celles de la métropole. C'est votre souhait, c'est votre demande, il n'y a pas de débat sur cette question. C'est vous qui décidez, c'est vous qui souhaitez que les institutions de la Réunion restent les mêmes que les institutions métropolitaines, il n'y aura pas de débat sur cette question. J'y ajoute une quête de proximité parce que ça ne veut pas dire quand même que vous soyez parfaitement satisfaits du fonctionnement du système.
Donc vous demandez plus de proximité, vous demandez plus d'éthique, vous demandez plus de transparence dans la gouvernance locale. J'ai envie de vous dire que vous n'êtes pas très différents en ce sens des habitants de la Sarthe, de la Corrèze ou du Maine-et-Loire ou de la Bretagne ou de la Corse qui demandent aussi plus de transparence, plus d'éthique, plus de proximité. Et donc vous allez vous inscrire parfaitement dans le débat que nous avons engagé sur la modernisation de l'organisation du territoire national (le rapport Balladur, le travail que nous sommes en train de faire de dialogue avec les associations d'élus locaux, avec le Parlement) pour aboutir, à l'automne, à une proposition de loi-cadre sur la modernisation de l'organisation du territoire.
Qu'est-ce qu'on veut faire ? On veut d'abord simplifier l'organisation du territoire - et je parle naturellement de l'ensemble du territoire métropolitain - parce que ce territoire aujourd'hui est organisé d'une façon trop complexe et la complexité génère des coûts. Pas seulement des coûts directs, elle génère surtout beaucoup de coûts indirects. Plus il y a de complexité, plus c'est difficile de créer. Plus c'est difficile de créer une entreprise, plus c'est difficile de prendre une initiative, plus c'est difficile d'avoir une réponse, plus il y a de bureaucratie. Il faut impérativement que nous simplifiions notre organisation du territoire et donc nous allons aller dans ce sens. Et je pense que les propositions qui vous seront faites sont des propositions qui correspondent assez bien, même s'il peut y avoir ici ou là des adaptations à faire, aux demandes qui sont les vôtres.
Naturellement, cette réforme de l'organisation des collectivités territoriales, elle doit aller de pair avec une réforme profonde des services territoriaux de l'État. Cette réforme des services territoriaux de l'État, elle est déjà engagée. Elle est déjà engagée de façon assez radicale puisqu'on a décidé de réduire le nombre des organisations de l'État sur le territoire, avoir un plus petit nombre sous l'autorité du préfet qui doit pouvoir mobiliser l'ensemble des moyens de l'État pour répondre aux attentes qui sont celles des citoyens. Donc ça veut dire plus d'État dans sa fonction d'arbitre et de contrôle. Je ne suis pas là pour prendre des décisions immédiates sur les sujets que vous avez évoqués mais je vais quand même en prendre une. Le FISAC sera déconcentré à la Réunion. Franchement, ça va de soi. Sur le tribunal de commerce, vous allez me permettre de regarder les choses d'un peu plus près mais je vois bien la difficulté, elle est identifiée et on va essayer de la résoudre.
Vous voulez les mêmes institutions qu'en métropole. Vous allez donc suivre la réforme de l'organisation du territoire que nous allons conduire, qui va être débattue et décidée par le Parlement. Ça ne veut pas dire pour autant qu'il n'y a pas des spécificités réunionnaises qui sont évidentes. Et plusieurs d'entre vous ont manifesté un désir d'explorer toutes les possibilités d'expérimentation que la Constitution autorise et d'appliquer de façon concrète l'article 299-2 du Traité de l'Union européenne. Donc j'ai dit hier combien j'étais parfaitement favorable à ces expérimentations tant sur le plan constitutionnel que s'agissant des textes européens. Je demande donc à Marie-Luce Penchard de mettre en place, dans le cadre du ministère de l'Outre-Mer, les moyens nécessaires pour vous accompagner, vous aider, vous apporter le soutien logistique dont vous avez besoin pour conduire ces expérimentations. Mais je veux simplement vous rappeler que les expérimentations, elles ne peuvent partir que de vous. Ce n'est pas l'État qui va vous proposer des expérimentations, c'est à vous de dire les sujets sur lesquels vous voulez des expérimentations. On les met en oeuvre, on met en place les systèmes d'évaluation et puis on décide, au bout du temps nécessaire, de leur poursuite.
L'atelier sur la rénovation du dialogue social a fait une constatation qui n'est pas nouvelle : on est, outre-mer et à la Réunion, davantage sur un système d'affrontement social que sur des mécanismes de dialogue. Bon,il faut relativiser les choses. C'est aussi un peu le cas en métropole, il faut quand même le dire. La France, ce n'est pas un pays modèle en matière de dialogue social. Si on regarde l'ensemble des pays européens, si on regarde comment, aujourd'hui, le dialogue social s'y déroule, on a des progrès à faire parce qu'on est restés sur un modèle d'affrontement social et on a du mal à passer à un vrai modèle de dialogue. Alors il y a des tas de sujets derrière tout ça. Il y a d'abord des habitudes culturelles, politiques. Il y a aussi des questions de structure, des questions de représentativité. Quelle est la représentativité des partenaires sociaux ? Comment cette représentativité est-elle mesurée ? Comment sont-ils élus ? Comment s'articule le dialogue entre le Parlement (représentant de la souveraineté populaire) et les organisations syndicales ?
On a engagé un travail pour moderniser la représentativité, pour faire sauter des règles anciennes qui n'avaient plus aucun sens et qui figeaient pour toujours le nombre des organisations syndicales, pour permettre un meilleur dialogue dans les entreprises en déportant vers l'entreprise des sujets qui peuvent être discutés dans l'entreprise et qui n'ont pas besoin forcément d'être discutés de la même façon au plan d'une branche ou au plan national parce que les règles dans les petites entreprises ne sont pas forcément les mêmes que dans les grandes (je parle naturellement dans un cadre global de justice sociale qui doit être respecté), parce qu'il y a des entreprises qui ont des contraintes qui sont différentes des autres. Donc il faut continuer dans ce domaine. Il faut essayer de sortir d'un mode de relations sociales qui est fondé presque exclusivement sur la conflictualité.
Je prends souvent un exemple. Je sais qu'il est... Comment dirais-je ? Explosif puisqu'il s'agit des retraites. Comment expliquer que dans la quasi-totalité des pays européens, il y ait eu des accords de l'ensemble des partenaires sociaux sur des réformes ambitieuses des régimes de retraite et pas chez nous ? C'est quand même une question que personne ne peut éluder. On peut raconter tout ce qu'on veut, on peut s'inventer des histoires en expliquant qu'il y a des solutions miracles que seuls les Français vont trouver mais enfin vous savez, la solution miracle à l'allongement de la durée de la vie, il n'y a pas une solution allemande, espagnole, italienne, hollandaise et française. Il y a une seule solution que tous les autres ont mise en oeuvre d'une façon ou d'autre autre mais qu'ils ont mise en oeuvre. Pourquoi est-ce qu'en Allemagne, en Suède, au Danemark... ? Alors vous allez me dire ce sont des pays du nord, ils sont plus calmes. Mais alors je vais vous prendre des exemples : en Espagne, en Italie, on est arrivé à des accords entre les partenaires sociaux, entre les forces politiques pour se mettre d'accord sur une évolution de nos régimes de retraite qui s'est traduite dans tous les cas par un allongement de la durée du travail. Je veux souligner à quel point nous avons des progrès à faire dans notre pays en matière de dialogue social. Alors on pourrait s'inspirer, notamment ici à la Réunion, peut-être des expériences de prévention des conflits qui ont été conduites dans des grandes entreprises nationales (je pense à ce qui a été fait à la RATP ou à la SNCF).
J'en viens maintenant à la création d'emploi et au développement durable. Tous les ateliers des États généraux quasiment ont exprimé une demande de création massive d'emplois dans l'île. Et comment ne pas le faire quand on voit quelle est la situation en matière de chômage à la Réunion ? Je pense d'abord qu'il faut que les choses soient très très claires. C'est du côté de l'emploi privé que se trouve la solution au problème du chômage à la Réunion comme d'ailleurs sur l'ensemble du territoire national. Moi, je ne veux pas cacher les choses, je ne veux pas qu'on se raconte des histoires, je ne veux pas rester avec vous dans l'ambiguïté. Ce n'est pas dans la création des emplois publics et ce n'est pas dans l'assistanat. La création des emplois publics, nous sommes un pays qui a le record, le record de tous les pays développés en matière d'emplois publics. Nous sommes le pays en Europe, avec la Suède, qui a le plus fort taux de prélèvements obligatoires. Le plus fort taux de prélèvements obligatoires. Et malgré ça, on a une dette qui est absolument exceptionnelle. Donc quels que soient les gouvernements qui dirigeront la France dans les vingt ans qui viennent, quels qu'ils soient (qu'ils soient de gauche ou qu'ils soient de droite), je vous le dis (je suis prêt à prendre les paris, à revenir devant vous dans vingt ans), ils réduiront la dépense publique parce qu'ils n'auront pas d'autres choix. Parce qu'emprunter pour quinze ou vingt ans pour payer les dépenses de fonctionnement, ça ne peut pas durer très longtemps. Alors je sais bien que ça dure depuis trente ans et que tous les Français qui ont moins de trente ans pensent que ça marche comme ça. Et tous les Français qui ont plus de trente ans se disent : si a duré trente ans, ça va bien durer encore quelques années de plus.
Mais la vérité, c'est que la dette, elle s'accumule et surtout, et surtout que la compétitivité de l'économie française par rapport à ses voisines (les Allemands, les Hollandais, les Danois mais aussi les Italiens), elle s'érode en raison de cette charge qui est une charge que le pays ne peut plus supporter.
Donc personne, honnêtement, ne peut vous dire que l'avenir de l'emploi à la Réunion passe par l'emploi public ou par l'assistanat. Ça ne veut pas dire naturellement qu'il n'y a pas des besoins. Ces besoins, il faut les combler. Mais il n'y aura pas d'augmentation de l'emploi public. Il faut donc s'appuyer sur l'emploi privé. Pour ça, il faut évidemment d'abord développer les filières traditionnelles qui ont un très fort potentiel de développement : vous avez évoqué la pêche, vous avez évoqué l'agriculture. Il faut aussi développer les filières innovantes : vous avez fait un effort considérable, vous avez lancé un effort considérable dans le domaine des énergies renouvelables. Et j'ai envie de dire que la synthèse entre la tradition et la modernité, c'est la filière canne, sucre, bagasse. Il faut pour ça que la bagasse soit rémunérée à sa juste valeur. Je sais que vous en avez beaucoup discuté. Le gouvernement a pris ses responsabilités et je présenterai tout à l'heure nos propositions et nos décisions sur le terrain devant les acteurs de la filière mais enfin chacun aura compris que c'est dans l'esprit du développement de la filière canne, sucre, bagasse.
Il faut évidemment miser sur la mer et sur les ressources que nous procurent les océans. Mais là aussi il faut tirer toutes les conséquences de l'effacement relatif de la France en tant que puissance maritime. Pourquoi est-ce qu'avec cette tradition, avec cette zone économique considérable, pourquoi est-ce que la France n'occupe pas suffisamment les premiers rangs s'agissant de la mer ? C'est aussi parce que pendant très longtemps, on s'est refermés sur nous-mêmes et qu'on a laissé notre système se bloquer avec des ports qui ne fonctionnaient pas, avec des armements qui s'en allaient à l'extérieur et avec des activités en matière de pêche qui étaient encadrées de telle façon qu'elles ne pouvaient pas se développer. On a commencé à bouger. Les ports français, tout doucement, tout doucement, bien trop doucement, sont en train de sortir de l'archaïsme dans lequel ils étaient enfermés. On commence à avoir des grands armateurs qui se développent et qui misent à fond sur la mer et sur le transport maritime. On a encore beaucoup d'efforts à faire s'agissant de la pêche.
Et puis il y a le tourisme. Franchement, que le tourisme ne se développe pas suffisamment à la Réunion, c'est incompréhensible. Je vous le dis, c'est incompréhensible ! Et ne pensez pas que le tourisme, c'est une industrie de pays sous-développés. C'est quoi les deux pays touristiques, les deux plus grands pays touristiques du monde ? Ce sont les États-Unis et la France les deux plus grands pays touristiques du monde. Donc l'industrie touristique, c'est une industrie à part entière, c'est une industrie qui crée de la richesse, qui crée des emplois, qui crée de la valeur ajoutée et c'est une industrie qui a beaucoup changé depuis ces vingt dernières années. Désormais, c'est une industrie qui est beaucoup plus respectueuse de l'environnement, qui est beaucoup plus respectueuse des traditions, qui s'inscrit complètement dans le schéma du développement durable. Donc il y a vraiment un effort considérable à faire à la Réunion en matière de tourisme. Peut-être qu'en disant ça, j'enfonce une porte ouverte mais enfin j'ai l'impression qu'il faut le répéter.
Il faut naturellement, pour développer l'emploi privé, avoir une vision prospective des besoins des filières. Il faut se battre pour l'acquisition des savoirs de base et donc lutter contre l'illettrisme, j'y reviendrai. Il faut aussi adapter la formation initiale et la formation professionnelle aux besoins des entreprises et puis il faut mettre en place des systèmes d'accompagnement des personnes dans l'emploi. Vous avez évoqué cette question de la compétition au fond un peu inégale en termes de recrutement mais il faut donner des atouts supplémentaires (certains appelleraient ça de la discrimination positive) à ceux qui en ont besoin parce que c'est ça l'égalité.
La vraie égalité, ce n'est pas de mettre tout le monde sur la même ligne de départ en disant : le premier arrivé a gagné. C'est d'essayer de donner à chacun la possibilité de gagner la compétition. Puis il faut développer la mobilité.
Sur le développement durable, je pense que la Réunion a une grande avance. Vous avez une vision à long terme de votre développement qui n'est pas issue simplement de ces derniers mois. Sur laquelle la Réunion a une vraie histoire. Eh bien cette vision de long terme, je trouve qu'elle transparaît dans les travaux des États généraux, notamment au travers des enjeux d'utilisation, de gestion et de protection du territoire. C'est une des richesses fondamentales de l'île, il faut la préserver. De même vous avez pris à bras-le-corps la question des énergies avec un effort exceptionnel en faveur des énergies renouvelables. Je vais avoir l'occasion tout à l'heure de m'exprimer sur ce sujet. C'est une priorité absolue. Vous avez eu parfaitement raison de vous engager dans cette voie. Il faut qu'on aille jusqu'au bout de la démarche.
J'ai compris qu'il y avait un sujet important s'agissant du foncier. Et c'est normal que cette ressource sur une île montagneuse soit une question difficile. L'essentiel, c'est que vous ayez une vision d'ensemble du développement et que vous puissiez mettre au service de cette vision d'ensemble des outils en matière de gestion du foncier. Enfin je voudrais aborder la question du développement endogène et du confortement des filières locales. Au-delà du constat, je pense que les travaux que vous avez conduits permettent de faire émerger plusieurs pistes. D'abord, la valorisation des produits frais et la transformation sur place des produits pays pour mettre en place des filières de production locale qui soient susceptibles d'exportation et donc susceptibles d'améliorer la balance. J'ai noté aussi l'utilisation accrue des produits locaux dans la restauration collective. J'ai bien entendu parlé de réglementation. Franchement, s'il faut adapter la réglementation, on adapte la réglementation, il n'y a aucune difficulté. Le code des marchés publics, ça peut s'adapter pour donner une plus grande place aux produits locaux comme aux produits qui sont les plus respectueux de l'environnement. Enfin, il y a la réduction de la production des déchets pour garantir une île propre et favoriser l'émergence d'une filière de recyclage.
Je voudrais finir par ce qui aurait dû être le début de mon propos, c'est-à-dire la question de l'égalité des chances. L'égalité réelle a été, tout au long de ces États généraux et tout au long de cette crise en réalité, une demande extrêmement forte qui s'est exprimée partout outre-mer. Cette égalité, d'abord, c'est la question de la formation des prix. Les travaux que vous avez menés ont dressé un constat d'ensemble sur les causes de la vie chère. Ils ont présenté de façon très claire les dysfonctionnements (je pense à certaines situations quasi monopolistiques dans la distribution, je pense aussi à certaines dérives tarifaires concernant, par exemple, les services Internet ou les services bancaires). Il y a une mission essentielle de l'État qui est de contrôler la concurrence, qui est de contrôler la formation des prix, qui est de contrôler la qualité des services et des produits mis sur le marché. Eh bien cette mission, elle est et elle restera au coeur de la lutte contre la vie chère. Elle est indispensable pour vérifier la transparence dans la fixation des prix. Et s'il y a un domaine où je suis prêt à renforcer un service public, c'est bien dans celui-là parce que je suis convaincu que l'effort que nous ferons en termes de transparence aura des conséquences immédiates pour le consommateur.
Vous avez évoqué également, s'agissant de cette question de la vie chère, les pistes fiscales. Le sujet de l'octroi de mer a été au coeur de beaucoup de discussions. Baisser l'octroi de mer, ce n'est pas une mauvaise idée en soi. Je veux simplement dire que la diminution de ressources qui en résultera devra être compensée. Et vous conviendrez avec moi que créer de nouveaux impôts, ce n'est pas la décision la plus adaptée, la plus simple, la plus facile aujourd'hui pour les collectivités publiques.
Donc il faut engager ce débat en ayant bien à coeur de chercher en même temps comment est-ce qu'on peut compenser cette perte de la ressource de l'octroi de mer.
L'égalité, c'est ensuite l'accès au logement. Sur cette question du logement, je ne vais pas revenir sur ce que j'ai eu l'occasion de dire hier pour l'inauguration de la route des Tamarins. L'État fait en ce moment sur le logement un effort sans précédent. Le nombre de logements mis en chantier, les crédits qui sont mis en oeuvre, c'est sans précédent par rapport à ce qui se faisait dans les années précédentes et on peut remonter loin. Mais les besoins sont considérables. Et donc on voit bien que non seulement les moyens doivent être accrus mais les mécanismes - et là je m'adresse à vous élus locaux, responsables en matière de construction de logements - les mécanismes qui fonctionnent ici ne sont pas suffisamment performants pour permettre la consommation de ces crédits au rythme où ils devraient l'être. Donc il y a une amélioration considérable à apporter au circuit de financement du logement pour faire en sorte qu'entre le moment où on met en place les financements et le moment où les Réunionnais rentrent dans le logement qui a été construit, il s'écoule moins de temps. Il faut sans doute trouver plus d'opérateurs. Il faut sas doute faire appel plus à l'initiative privée. Toutes les solutions en tout cas sont sur la table. Le gouvernement est totalement disponible pour vous aider à les mettre en oeuvre.
L'égalité, c'est ensuite l'accès aux savoirs. L'acquisition des savoirs de base, la lutte contre l'illettrisme mérite d'être au coeur des régulations de l'offre de services en matière de formation initiale et continue. Il faut adapter cette offre aux perspectives et aux trajectoires professionnelles. Là aussi j'ai retenu plusieurs idées que vous avez évoquées, notamment celle qui consiste à mieux utiliser l'alternance quitte à changer les règles qui sont actuellement celles qui prévalent dans notre système éducatif, peut-être de manière expérimentale à la Réunion pour regarder comment les choses fonctionnent. Et je voudrais simplement prendre l'exemple de l'université pour dire comment est-ce qu'on peut expérimenter. On a voulu que les universités soient autonomes. Ce n'est pas pour qu'elles continuent à faire exactement, toutes, la même chose, sinon ce n'était pas la peine de les rendre autonomes. Ce qui compte pour nous, c'est qu'il y ait des diplômes qui soient tous les mêmes (des diplômes nationaux) et donc des programmes qui soient les mêmes pour arriver à ces diplômes. Le reste après, la manière dont vous arrivez à ces diplômes et à faire en sorte que ces programmes soient assimilés par les étudiants, j'ai envie de dire c'est votre affaire, c'est l'affaire maintenant des universités. Et si à la Réunion on estime qu'il faut adapter le rythme, si la première année doit être modifiée pour aller plus loin que le plan licence qui a été proposé par le ministre de l'Enseignement supérieur, moi, je n'y vois que des avantages et je suis prêt à soutenir une expérimentation dans ce domaine. D'ailleurs, d'une façon plus générale, notre système éducatif doit fonctionner comme ça. Pourquoi est-ce qu'on a décidé une fois pour toutes que tous les jeunes devraient arriver au même résultat dans le même temps ? I n'y a pas d'autre exemple dans la vie où on raisonne de la même façon. Chacun a son rythme, ses spécificités, ses handicaps, ses atouts et il n'y a rien de choquant à ce qu'il faille plus de temps à un jeune pour atteindre le même niveau qu'un autre. Notre objectif, ça doit être de donner à chacun les chances pour aboutir au résultat. Et c'est pour ça que notre système éducatif doit être réformé encore bien plus profondément qu'il ne l'a été. Là aussi je demande qu'on regarde parfois un tout petit peu ce qui se passe autour de nous. Il y a des pays en Europe qui réussissent bien mieux, qui ont beaucoup moins d'échec scolaire. Qu'est-ce qu'on constate ? Qu'il y a moins d'heures de cours. C'est drôle quand même, c'est bizarre. Il y a moins d'heures de cours, il y a de meilleurs résultats ! Qu'il y a moins de foisonnement d'options mais qu'on est plus concentré sur l'essentiel et surtout qu'on est plus concentré sur la personne. Qu'on met en place des systèmes qui sont adaptés aux besoins de chacun : du tutorat (si quelqu'un a plus de difficulté, alors on fait des classes avec moins d'élèves).
Alors vous allez me dire : « mais il faut plus de monde pour faire des classes avec moins d'élèves ». Oui, mais si on a moins d'heures de cours et si on ne se laisse pas aller à un luxe égoïste en matière d'options, alors on peut offrir à chacun la maîtrise des savoirs fondamentaux qui constitue un des droits de tout citoyen dans la République.
Enfin l'égalité, c'est la culture. Je retiens votre souhait que les pratiques culturelles et la langue créole qui nourrissent votre identité soient mieux mises en valeur. Je vous dis que je ne peux qu'approuver ce souhait. C'est d'ailleurs ce gouvernement qui a inscrit dans la Constitution de la République française la reconnaissance des langues régionales. Après avoir été considérées pendant longtemps comme un élément de dislocation de la République, il faut maintenant considérer que c'est un élément de valorisation du patrimoine national. Et c'est ce à quoi je vous invite et ce à quoi nous sommes prêts à travailler ensemble. Je voudrais aussi vous dire qu'il faut promouvoir, sans le figer, le modèle réunionnais de tolérance, de respect et de solidarité, que vous avez raison d'être fiers de poser en exemple pour la France toute entière face aux écueils de tous les ghettos qui menacent l'identité même de la République, la cohésion de la République (les ghettos religieux, les ghettos ethniques, les ghettos sociaux ou culturels). Eh bien je pense que ce modèle, c'est un phare qui doit nous guider et nous conduire.
Vous avez émis le souhait d'un urbanisme respectueux de l'environnement et de vos pratiques culturelles. Vous avez parfaitement raison. Il faut mettre en place un véritable plan d'inventaire de votre patrimoine en tenant compte de sa singularité, de sa dimension vivante et immatérielle et un programme concerté de sauvegarde et de valorisation. Et puis j'adhère à votre souhait de porter un effort tout particulier sur la diffusion des arts vivants, de votre littérature (orale et écrite), de votre musique, de votre danse contemporaine ou traditionnelle, de vos arts visuels. Vous devez être notre pôle culturel de l'Océan Indien.
Voilà, Mesdames et Messieurs, quelques réflexions qui, vous avez pu le constater, ne sont pas des conclusions mais qui sont, au fond, mes réflexions et mes commentaires sur les travaux que vous avez conduits. Tout à l'heure, vous avez résumé, Monsieur Avril, un proverbe réunionnais dans une phrase d'une langue que je ne comprends pas et qui est la langue anglaise. Moi, je vais vous la résumer d'une autre façon. On dit en France : les seules batailles perdues sont celles qu'on ne livre pas. Alors moi, je voudrais qu'on livre ensemble cette bataille pour le développement et pour l'avenir de la Réunion et je voudrais simplement, en terminant, vous dire que j'ai confiance parce que je constate que la Réunion ne manque pas de projets. C'est à nous maintenant, à nous tous (l'ensemble de la collectivité nationale) de lui permettre de les mettre en oeuvre pour offrir un avenir à la jeunesse réunionnaise et pour porter très haut les valeurs de la République française dans l'Océan Indien.
Source http://www.gouvernement.fr, le 15 juillet 2009