Texte intégral
Monsieur le Président,
Messieurs les Ministres,
Le point de notre ordre du jour, c'est en effet la politique française de développement. Avant d'en rappeler les priorités, j'ai souhaité utile d'en préciser un peu le contexte, et singulièrement le contexte international.
Trois éléments méritent d'être ciblés :
- La mondialisation. Laurent Fabius vient d'y faire référence, elle s'impose à tous, elle exige de tous, en contrepartie, un effort de solidarité accrue pour éviter que la fracture Nord-Sud ne devienne insupportable. Les conditions d'une sorte d'explosion sociale planétaire ne sont pas loin d'être réunies, les inégalités sont celles qui ont été décrites, avec un élément nouveau sur lequel j'attire votre attention, c'est la conscience que la mondialisation de l'information apporte désormais aux victimes des inégalités. Le monde est inégal et le monde le sait. Et c'est la grande nouveauté.
- Les conflits. Les conflits qui affectent de nombreux pays en Afrique ; j'étais la semaine dernière un peu en dehors de notre zone, j'étais en Guinée et en Sierra Leone, et j'ai pu, là, prendre la mesure des conséquences que les violences véhiculent pour ses populations, et provoquent l'extraordinaire destruction dans les villes notamment du sud de la Guinée. Une année de conflit interne ou externe, c'est dix ans de perdus pour le développement.
- Enfin le poids croissant de la société civile, ONG et collectivités locales. On pense à Seattle, mais aussi Porto Allegre, où d'ailleurs l'Afrique, et il faut sans doute se donner les mesures de réparer cette insuffisance, était trop peu présente. Nous sommes disposés à regarder avec vous comment faire en sorte que l'Afrique soit davantage présente dans ces grandes enceintes où l'on parle de ces questions essentielles
L'irruption de la société civile à l'international peut constituer un formidable appui au développement, à condition évidemment qu'elle soit maîtrisée et que ce soit bien un partenariat société civile-Etat qui s'instaure et non pas une sorte de guerre que les uns mèneraient contre les autres, au risque d'oublier le besoin d'Etat dans la construction et de la démocratie, et du développement.
C'est dans ce contexte, que nous avons quatre axes d'actions essentielles.
En premier lieu, évidemment la lutte contre la pauvreté et les inégalités. Pour la France, la pauvreté résulte, sans doute d'une inégalité de revenus, mais plus encore d'une inégalité d'accès aux droits les plus élémentaires. Tout le monde pense santé évidemment, formation, environnement, information - le déficit d'accès à l'information est certainement aussi un obstacle majeur au développement - l'accès au crédit, la justice. Nous devons traiter le sous-développement aussi bien dans sa dimension institutionnelle que dans sa dimension économique.
Je vais ici faire une incidente pour me réjouir du jugement rendu par la Haute Cour de Pretoria qui ouvre la porte à l'accès à des traitements moins chers dans les pays en développement. Cette décision récompense un long combat des pays du Sud et montre, si besoin était, que la prise de conscience de cette profonde inégalité d'accès aux soins commence à se faire. Je signale d'ailleurs à cette occasion que la France prépare une conférence internationale qui devrait se tenir, sous l'égide des Nations unies - Kofi Annan en a donné son accord - à Dakar à la fin de cette année, les dates du 30 novembre et du 1er décembre ont été retenues, elle devrait être l'occasion de parfaire ce dialogue engagé entre les industries pharmaceutiques notamment et les Etats, et la société civile concernée par la lutte contre le VIH-Sida.
En second lieu, le développement durable. Il faut aller plus loin qu'une préoccupation environnementale qui est aujourd'hui largement partagée. Pour chaque convention de l'après-Rio, et notamment pour celles qui concernent le climat, la biodiversité, la désertification, nous avons fait pression pour passer d'engagements généraux à des outils économiques et juridiques opérationnels. Notre objectif est évidemment là encore de favoriser sur ces questions l'expression des pays du Sud. Mais il faut bien dire que nous nous heurtons parfois, de la part de certains pays du Sud, à une méfiance certaine face aux exigences de fixation de normes contraignantes, dont je peux comprendre qu'elles sont vécues par les pays du Sud comme autant de contraintes à leur propre développement. Là encore, il faut que la solidarité Nord-Sud soit capable d'intégrer ces aspects normatifs de façon à aider les pays du Sud à se mettre en situation de respecter ces normes qui vont, il faut s'y attendre, continuer à être de plus en plus exigeantes.
En troisième lieu, je veux dire un mot de la création d'un réel partenariat justement entre l'Etat et la société civile. Vous savez l'importance des actions de la France, notamment par le biais du Fonds de solidarité prioritaire, en matière d'appui institutionnel dans des domaines aussi variés que les Droits de l'Homme, la décentralisation, le développement local, la maîtrise par l'Etat de ses fonctions régaliennes : justice, police, finances publiques, et c'est là une sorte de spécificité de la coopération française.
De la même manière, en ce qui concerne l'initiative PPTE sur la dette, je vous rappelle qu'il y a à Paris, au sein de la Commission Coopération Développement, un groupe de travail sur PPTE qui rassemble des représentants des différentes administrations françaises et des ONG. Les ONG pourront d'ailleurs bénéficier tout comme les collectivités locales des ressources disponibles par l'intermédiaire des contrats de désendettement-développement
Enfin, notre quatrième axe. C'est la mise en place d'une régulation équilibrée et d'un monde multipolaire. Je n'y insiste pas, Laurent Fabius y a fait, et il a eu raison d'y insister, une longue référence ; je veux simplement rappeler que nous portons une attention particulière à la défense des préoccupations des pays du Sud dans les relations internationales, qu'il s'agisse de l'Organisation mondiale du commerce, de la dette, des flux financiers ou des conditionnalités de l'aide.
Les accords Union européenne/ACP sont d'ailleurs une bonne illustration de cette action. Nous avons insisté de la même manière pour que le FMI et la BIRD prennent mieux en compte les dimensions sociales du développement.
Les priorités maintenant de la politique française. J'en identifie cinq.
La première, couvrir les besoins de base que sont la santé et l'éducation. Dans le domaine de l'éducation, en particulier, nos actions tendent à la fois au développement de l'enseignement de base et à l'amélioration de la formation des élites. Il nous paraissait dangereux d'opposer ces deux maillons essentiels de la chaîne de la formation.
La seconde priorité est la consolidation de l'Etat de droit et l'enracinement de la démocratie à la fois par des appuis institutionnels aux Etats et par des appuis à la société civile et aux ONG. Je ne reviens pas sur ce que disait le président Gbagbo à l'instant sur le lien évident entre démocratie et développement.
La troisième priorité est de promouvoir des économies plus diversifiées et donc moins vulnérables. Pour relever le défi que représente leur mutation économique, les pays du Sud doivent en effet jouer sur plusieurs axes : l'effort d'épargne intérieure, le développement du secteur privé, le financement d'infrastructures, et le développement rural, base souvent de vos économies. Je n'en dirai pas plus car Laurent Fabius a développé ces différents points, mais la présence à cette table du nouveau directeur général de l'AFD Jean-Michel Severino atteste de l'importance que nous attachons à ces questions. Vous savez le rôle essentiel d'opérateur que joue à cet égard l'Agence française de développement.
La quatrième priorité concerne la gestion des ressources naturelles et l'aménagement du territoire, qui contrairement à ce que d'aucuns pourraient penser ne constituent pas un luxe pour les pays en développement, mais aussi une nécessité.
Enfin, cinquième priorité : l'appui aux processus d'intégration et de coopération régionales. La Zone de solidarité prioritaire (ZSP) que nous avons créée dans le cadre de la réforme de la coopération affirme cette préoccupation. Nous privilégions notamment la convergence des politiques économiques au sein de la zone franc - on est au cur de nos travaux -, les réforme fiscalo-douanières, la prévoyance sociale, les assurances.
Ceci n'était qu'un rappel des grandes orientations de notre politique française de développement. Je voudrais maintenant compléter, si vous le voulez bien, ce que vient de vous dire Laurent Fabius, en disant quelques mots sur les sujets qui ont été au cur de nos débats ce matin.
Je voudrais insister sur un aspect qui me paraît constituer le socle des politiques d'ajustement menées depuis cinq ans : je veux parler de l'assainissement du cadre macro-économique.
Condition sine qua non du développement, cet assainissement est largement engagé. Cependant, il me semble que des efforts importants doivent être encore consentis dans deux directions : une plus grande rigueur dans la gestion des finances publiques, c'est un leitmotiv qui revient à chacune de nos réunions mais je crois qu'il faut le rappeler, et la lutte contre le blanchiment des capitaux. On ne soulignera jamais assez les méfaits pour la stabilité économique et le développement du recyclage de l'argent provenant d'activités criminelles.
Mais avant de revenir un peu plus en détail sur ces deux points, je voudrais vous donner mon sentiment sur les politiques d'ajustement : leur caractère indispensable n'est mis en doute par personne, mais ces politiques ne seront jamais suffisantes en elles-mêmes pour assurer un développement durable.
Beaucoup d'eau a coulé sous les ponts depuis le fameux "consensus de Washington" qui avait formalisé l'accord des responsables du G7 et des experts officiels autour de ces notions de rigueur macro-économique et de libéralisation. Le consensus remonte à 1994. Tout ce qui a été fait dans le cadre de ce consensus n'a pas été négatif, loin s'en faut, et j'en conviens aisément.
Mais il faut se défier de l'esprit de système qui voudrait que tout cela soit suffisant et aboutirait in fine à faire de l'ajustement l'objectif. Comme cela arrive souvent dans la vie des idées, le balancier du débat revient aujourd'hui, et je m'en réjouis, vers des notions telles que le développement humain, le développement social et, surtout, la lutte contre la pauvreté qui reste, quoi qu'on en dise, l'obstacle le plus important au développement. Puis-je ajouter le développement culturel. Nous avons récemment élargi d'ailleurs notre domaine d'intervention dans le domaine des équipements culturels et en particulier dans le lien qu'il faut établir entre développement culturel et développement économique. Je ne veux pas être trop catégorique, mais je tiens l'oubli du développement culturel pour une des raisons probables de certains échecs en matière de développement, je pense que c'est vrai en particulier en Afrique.
En tout cas, l'attention se concentre à nouveau, et il faut s'en féliciter, sur les dimensions sociales et institutionnelles des politiques de développement. Mais la conviction profonde est que la politique de développement doit désormais viser des objectifs plus ambitieux, des objectifs de long terme, allant justement au-delà du simple rétablissement des équilibres macro-économiques. J'entendais tout à l'heure l'un de vous rappeler que la lutte contre la pauvreté devait aussi s'articuler sur la croissance. Mais nous savons aussi qu'il peut y avoir croissance sans réduction des inégalités, et nous savons bien qu'il n'y a pas de développement si une classe moyenne importante ne participe pas à la production des richesses. Je crois que c'est cet équilibre entre lutte contre la pauvreté et croissance, en prenant en compte que les pays pauvres n'ont pas seulement envie d'être moins pauvres, ils veulent être plus riches. Ils veulent être producteurs de richesses. C'est là que le concept de lutte contre la pauvreté doit s'apprécier de manière suffisamment large pour intégrer ces objectifs de croissance que vous évoquiez à l'instant.
La lutte contre la pauvreté est sous les feux de l'actualité et le sera de plus en plus dans les mois qui viennent. C'est cet aspect de lutte contre la pauvreté qui est porté très largement par la société civile, et c'est sans doute en direction de la société civile qu'il faut faire passer le message que la lutte contre la pauvreté, cela veut dire aussi bâtir les moyens de la croissance. Il y a encore sans doute un peu de travail à faire à cet égard. En tout cas, l'idée selon laquelle les bailleurs de fonds n'ont pas le droit de se désintéresser de l'impact de l'aide sur la répartition des ressources à l'intérieur des pays bénéficiaires est désormais acquise. Ensuite, le constat selon lequel les inégalités ne sont pas seulement monétaires, qu'elles se mesurent au travers des écarts d'accès aux besoins fondamentaux, nous l'avons dit, mais qu'elles sont aussi le produit des différences d'accès précisément à la formation, à l'information, à l'expression politique et aux ressources nécessaires à l'activité économique.
Ceci nous conduit à une autre notion, qui est celle de la bonne gouvernance. Un consensus, auquel adhère désormais l'ensemble des partenaires au développement, fait de l'Etat de droit fondé sur des normes juridiques le socle du développement et de la croissance. Une autre idée est-elle aussi admise par tous maintenant : celle qui veut que les dirigeants politiques et économiques aient la responsabilité de transmettre aux générations futures un patrimoine naturel intact, ou du moins capable de se reconstituer. Ces objectifs ne seront atteints que s'ils font l'objet d'une véritable appropriation par la société des pays partenaires. La France fait de ce principe un de ses axes directeurs quand il s'agit de mobiliser l'aide publique au développement.
J'avais l'intention d'insister à nouveau sur les méfaits du recyclage de l'argent provenant d'activités criminelles. Je sais que Jean Pierre Michaud, à l'instant, a fait le point de la lutte engagée ; je veux simplement rappeler que l'arrimage à l'euro intègre la zone franc dans l'économie mondiale, mais la conséquence est aussi l'intensification des flux financiers favorisée par l'apparition des nouvelles technologies d'information. C'est cela aussi qui rend plus urgente encore la mise en place d'un cadre de lutte contre le blanchiment dont tous les pays développés et un grand nombre de pays émergents se sont désormais dotés.
Même si les opérations de blanchiment réalisées dans les pays de la zone franc ne représentent qu'une infime partie de celles qui ont lieu chaque jour dans le monde, je crois qu'il faut se prémunir contre le développement de ces opérations de blanchiment qui pourraient menacer la stabilité des économies de la zone et compromettre leur développement.
Une autre question, et je m'achemine vers ma conclusion. Il s'agit du processus de convergence. Ce matin, le débat qui a été lancé par Baltasar Engonga Edjo, mais aussi Frédéric Korsaga et Makhtar Diop, a permis, là aussi, de dresser un constat de la situation ; si on peut se féliciter du rapprochement des points de vue sur le plan de la réflexion commune, force est de reconnaître que les progrès en matière de convergence sont encore insuffisants. Des différences d'ailleurs très nettes ont été observées ce matin entre la CEMAC, où la consolidation des finances publiques, le redressement de la croissance économique, une amélioration surtout des cours des deux principales spéculations qui les font vivre ont permis incontestablement des progrès ; l'apaisement du climat socio-politique dans les Etats de la sous-zone y contribue aussi. Espérons que les espoirs de paix autour du Congo démocratique vont permettre de consolider encore et d'amplifier ces bons résultats.
S'agissant des pays de l'UEMOA, on a souligné ce matin la détérioration des paiements courants, un nouveau ralentissement de la croissance, mais on a surtout mis en évidence l'importance du rôle de la Côte d'Ivoire au niveau de la statistique de l'UEMOA, et c'est une raison pour nous de souhaiter qu'elle aborde avec vigueur maintenant un processus de sortie de crise.
Je ne sous-estime pas l'ampleur des difficultés et des disparités de situations qui pèsent sur les deux sous-régions du fait de l'environnement international. Je pense, quand même, que le cap doit être maintenu et que les trois règles suivantes devraient être érigées au rang de principe intangible de gestion par les gouvernements des quinze pays de la zone franc :
D'abord la nécessité de mieux maîtriser les dépenses salariales. Je sais bien que parler de cela quant le niveau de salaire est considéré presque partout comme très insuffisant, à la fois pour attirer les meilleurs, et surtout leur donner une motivation suffisante peut apparaître comme un vu pieux. Mais je crois néanmoins que si cette maîtrise des dépenses salariales s'accompagne d'une autre organisation de la fonction publique, car c'est de cela qu'il s'agit, on peut entrevoir une perspective. Le caractère prioritaire des dépenses en capital du fait de leur caractère structurant pour le développement, c'est une règle essentielle ; enfin l'absolue nécessité de lutter contre l'apparition et l'accumulation d'arriérés de créances.
Au risque de me répéter et d'abuser de votre patience, je voudrais encore vous dire que plus que jamais, la politique budgétaire est au cur des processus de réforme des politiques économiques. L'assainissement des finances publiques doit être poursuivi et intensifié de façon à utiliser au mieux, le moment venu, les réallocations de ressources qui vont être dégagées grâce aux allégements de dette qui vont intervenir dans le cadre des contrats de désendettement et de développement. Nous sommes évidemment disposés à mobiliser nos moyens d'expertise pour faire en sorte que ces contrats de désendettement et de développement soient l'occasion d'un partenariat plus vivant encore entre vous et nous. Pour notre part, nous y sommes prêts.
Je vous remercie.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 mai 2001)