Texte intégral
Q - Pierre Moscovici, un mot sur Tony Blair. Il n'a pas de souci à se faire. Il va sans doute gagner les élections pour la seconde fois...c'est le rêve de Lionel Jospin, non ?
R - Oui, c'est le rêve de gagner les élections mais la question est de savoir pour quoi faire et dans quel état. Je crois que Tony Blair va gagner les élections parce qu'il a une opposition inexistante, parce qu'il a un bilan. En même temps, il a une image qui est à conforter. Il faudra regarder quel est l'écart entre les Travaillistes et les Conservateurs. Donc, il ne faut jamais considérer qu'une élection est gagnée d'avance. Les sondages, nous l'avons appris au moment des élections municipales, c'est une chose...les élections en sont une autre. La question est de savoir s'il y aura une force motrice qui permettra à Tony Blair de mener à bien son projet historique qui est, je crois, de mettre la Grande-Bretagne en situation de leadership, comme il le dit, dans l'Europe, et notamment si cela lui permet ensuite de lancer un référendum sur l'euro. C'est son intention politique personnelle mais il sait, en même temps, que dans la situation de l'opinion britannique, mettre ce débat au cur de la campagne est sans doute risqué, puisque 65 % de Britanniques sont hostiles à l'euro...J'aimerais que cela soit le bon chiffre, mais à mon avis, il y en a peut-être plus...
Q - On parle à nouveau de l'architecture européenne, de la construction européenne, des propositions allemandes, de Gerhard Schröder. Hier, les socialistes européens étaient réunis à Berlin. Il y a une question que tout le monde se pose : pourquoi Lionel Jospin tarde-t-il tant à s'exprimer, hésite-t-il à parler d'Europe ? Pourquoi ce silence assourdissant ?
R - Il faut peut-être revenir en arrière. Il y a un an, le débat sur l'Europe a été lancé par Joschka Fischer, le ministre allemand des Affaires étrangères. C'était un grand discours, un discours important. Le Président de la République s'est inscrit dans la suite, lors d'une visite d'Etat en Allemagne, par un discours au Bundestag. Le lendemain de cette visite, la Présidence française commençait. Que pouvait faire Lionel Jospin ? Soit il s'alignait, en disant la même chose que Jacques Chirac mais franchement, il ne pense pas la même chose. Un post-gaulliste et un socialiste, c'est différent. Je pense qu'un socialiste est plus engagé dans la construction fédérale de l'Union européenne et on le verra le moment venu. Soit il le contredisait et, à ce moment-là, que n'aurait-on pas dit ! On aurait dit que la France n'était pas capable de parler d'une seule voix pendant la Présidence, qui a été difficile. Donc, je crois que, par discipline dans cette situation de cohabitation, le semestre de Présidence était gelé. C'était implicite et c'était correct...
Q - Mais c'est fini...depuis janvier !
R - Absolument. Ensuite, on est entré dans une autre période qui était la période des municipales et honnêtement, je ne suis pas sûr que nos concitoyens attendaient que l'on relance, dans cette période, le débat sur l'Europe, surtout sur l'architecture institutionnelle. Ils voulaient du local et de la proximité. Alors, est-ce qu'il va parler maintenant ?
Q - Quand ?
R - Je crois, dans les quelques semaines qui viennent.
Q - Autrement dit, avant le débat prévu pour la ratification du Traité de Nice ?
R - Oui, cela me paraîtrait juste. Le débat aurait lieu le 5 ou le 6 juin. Je crois que la date n'est pas encore tout à fait arrêtée. Lionel Jospin ne doit pas interférer avec ce débat, il ne doit pas s'enfermer dans un débat sur un traité qui est important, mais qui, en même temps, n'est peut-être pas le traité de l'avenir. Je souhaite qu'il parle avant, je pense qu'il parlera avant et je suis certain qu'il fera un discours qui fera date, un discours fort, qui ne déparera en rien par rapport à ceux qui ont été faits avant. Il ne faut pas dire que l'on va répondre à tel ou tel. Il ne s'agit pas de répondre à Gerhard Schröder, à Joschka Fischer ou à Jacques Chirac. Il s'agit d'apporter sa propre pierre, ses propres convictions. Je crois que le critère de son expression sera l'intérêt général communautaire et aussi, pardonnez-moi d'y penser un peu, l'intérêt de la France.
Q - Tout de même, on se souvient d'un Lionel Jospin qui n'a jamais été euro-enthousiaste...c'était le point commun avec Jacques Chirac. Au fond, n'y a-t-il pas deux questions ? Lionel Jospin est-il vraiment un Européen convaincu ? N'est-il pas coincé parce qu'au sein de la majorité plurielle, tout le monde est loin de partager votre optimisme ou votre souci de construire l'Europe ?
R - Non, je crois que Lionel Jospin est un Européen qui, selon sa propre formule, n'est pas un Européen tiède. C'est un Européen engagé et son discours ne sera pas fade. Il n'en est absolument pas question. En même temps, il est Premier ministre et je crois qu'il faut prendre en compte deux choses : quel est le meilleur système pour l'Union européenne elle-même, quel est l'intérêt général de l'Union ? Moi, je crois effectivement qu'il s'agit d'une fédération d'Etats-Nations.
Q - C'est ce que dit Jacques Chirac. Vous êtes d'accord avec lui alors ?
R - Oui, Jacques Chirac a emprunté ce terme à Jacques Delors et à Joschka Fischer. Il faut voir ce qu'on met derrière. Un peu de fédération, beaucoup de nation...ou l'inverse. Le discours de Jacques Chirac est important mais en même temps, je crois que ce n'est pas un discours fédéraliste alors que les socialistes, eux, ont une tradition fédéraliste forte que, je crois, ils devront réaffirmer. Dans " fédération d'Etats-nations ", il y a " fédéralisme " et il y a "nation". Il faut à la fois aller dans le sens de l'intérêt général communautaire, rappeler que les pères fondateurs ont voulu plusieurs institutions, certaines qui représentent l'Europe en tant que telle, la Commission, le Parlement européen, d'autres qui représentent les nations, les gouvernements. J'avoue que je vois mal la France être comme l'Arkansas par rapport aux Etats-Unis, avec un président de la République qui siégerait à égalité, par exemple, avec le Premier ministre de Malte, qui, lui, serait représenterait le Wyoming...C'est un peu cela que propose le Chancelier? Certes, je crois qu'il ne faut pas non plus aller trop loin dans la dérive intergouvernementale, ce n'est pas bon...
Q - Il faudrait expliquer ce qu'est la dérive intergouvernementale...
R - J'allais y venir. Ce serait la tentation de faire en sorte qu'on écarte les institutions qui représentent l'Europe : la Commission qui exprime son intérêt général, le Parlement européen qui, comme son nom l'indique, représente le peuple européen, pour autant qu'il existe. Il y a une tendance, chez certains, qui consiste à écarter tout cela et à se dire que l'on va régler les choses entre les gouvernements. Seulement, à ce moment-là, on est sous la tyrannie de l'unanimité. Tout doit être décidé, pesé avec des compromis. Et l'Europe n'avance pas. Donc, il faut aussi avoir des institutions européennes fortes. Mais, en même temps, il ne faut pas tomber dans l'autre sens, c'est-à-dire faire tout remonter à l'Europe, en ignorant que les peuples, les nations souhaitent s'exprimer à travers des gouvernements légitimes. C'est vrai que les Français savent pourquoi ils ont élu Jacques Chirac dans ses fonctions et Lionel Jospin dans les siennes. Mais Romano Prodi, le Président de la Commission, lui n'a pas été élu par un peuple. Donc, on a besoin des gouvernements. Vous avez raison de dire qu'il ne faut pas s'enfermer dans l'architecture institutionnelle. Le discours de Lionel Jospin ne sera pas un discours sur les institutions, mais un discours sur un projet pour l'Union européenne. Vers où va-t-on ? Pour quoi faire ? Il faut rappeler que cette Union européenne va s'élargir, qu'elle comportera une trentaine de membres. Elle se réunifie. Ce sera très différent quand il y aura des Polonais, des Hongrois, des Slovènes, des Estoniens... Jusqu'où doit-elle s'élargir et surtout que doit-elle faire ?
Q - Va-t-il s'embarrasser avec une déclaration sur une fédération avec partage des pouvoirs comme l'a fait Schröder...ou aborder le fond, les objectifs...?
R - Schröder l'a fait aussi ! On parle toujours de ses propositions institutionnelles. Pardonnez-moi mais c'est un peu le "tube à la mode"... Mais le texte de Schröder, c'est 14 pages sur le fond et 2 pages sur la forme, c'est-à-dire les institutions. Quand on regarde le fond, là, il y a des différences. Nous, Français, voulons-nous que l'on mette fin à la politique agricole commune ? Non. Souhaitons-nous qu'on libéralise très vite les services publics ? Nous voulons que cela se fasse mais à un rythme maîtrisé. Souhaitons-nous mettre fin aux politiques régionales, celles qui ont permis de réaliser chez nous des routes, des universités à travers ce qu'on appelle le FEDER (les élus savent très bien ce que c'est) ? Non ! Pourtant, toutes ces choses-là sont envisagées par le texte du SPD. La réponse de Lionel Jospin doit porter sur la forme et sur le fond. Il faut répondre sur l'architecture institutionnelle : quelle architecture institutionnelle, mais pour quelle politique ? Pour faire une bonne politique, il faut de bonnes institutions mais si on a de bonnes institutions sans bonnes politiques, alors cela ne sert à rien. Donc, il faut qu'il dise en quoi l'Europe est un instrument de résistance ou d'organisation dans la mondialisation, et quelles politiques nous voulons mettre en oeuvre, par exemple quelle sécurité alimentaire, quelle sécurité maritime, quelle sûreté en général pour les gens...
Q - Donc, ce sera un discours de fond de Lionel Jospin qui ressemblera à un projet pour l'Europe pour les élections présidentielles ?
R - Vous voyez comment vous êtes !
Q - Ce n'est pas scandaleux de savoir ce que pense Lionel Jospin sur l'Europe avant l'élection présidentielle...
R - Quand il ne parle pas, on dit qu'il est silencieux et qu'il n'a rien à dire et quand il parle, on dit qu'il est candidat à l'élection présidentielle. Non, ce sera un discours de Lionel Jospin, Premier ministre, Lionel Jospin qui est aussi un des leaders socialistes français et un des leaders socialistes européens. Je note d'ailleurs qu'on attend beaucoup qu'il parle en France et en Europe.
Q - On se demande pourquoi il ne parle pas...
R - Mais il parle de l'Europe tous les jours, le gouvernement s'en occupe tous les jours et traite tous les jours les dossiers européens.
(Intervention de Daniel Cohn-Bendit)
Q - Que retenez-vous de ce qu'a dit Daniel Cohn-Bendit ?
R - J'en retiens plusieurs choses. D'abord, qu'il faut que le débat européen soit présent dans l'élection présidentielle. Je suis d'accord. Il est très important que le moment venu, en choisissant un Président de la République et ensuite un gouvernement, puisque maintenant on a l'inversion des élections, les Français sachent aussi dans quelles perspectives européennes ils s'engagent. C'est pour cela qu'il est très important que chacun s'exprime. Jacques Chirac l'a fait.
Q - Il continue...vous avez vu sur le site Internet de l'Elysée, on peut entendre le Président de la République dire : vive l'Europe et la fédération des Etats-Nations...
R - Il y a un débat sur l'Europe qui se lance. Le président de la République y prend sa part. Mais le gouvernement aura la sienne. Peut-être le fait que Lionel Jospin s'exprime bientôt n'est-il pas totalement indifférent à cette nouvelle poussée européenne. On verra. Je répète que sur le fond, je suis persuadé que les socialistes sont plus engagés que les gaullistes et que Lionel Jospin sera plus engagé que Jacques Chirac...
Q - Faut-il attendre pour Nice ?
R - Je crois qu'il faut au contraire avoir la ratification du Traité de Nice le plus tôt possible derrière nous pour pouvoir justement nous tourner vers l'avenir. Je dis cela car je suis,
- contrairement à Daniel Cohn-Bendit, à Jean-Louis Bourlanges ou aux communistes, qui sont parait-il les plus pro-européens du Parlement européen, d'après ce que j'entends de Daniel Cohn-Bendit, - pour le Traité de Nice, non pas parce qu'il est excellent mais parce qu'il est indispensable pour permettre l'élargissement. Donc, ratifions-le vite et passons à autre chose, c'est-à-dire à ce débat sur l'avenir de l'Europe. Mais je retiens dans ce qu'il a dit aussi un aveu et une suggestion. L'aveu, c'est que le projet de Schröder est fédéraliste à l'allemande. Ce n'est pas en soi quelque chose de critiquable mais c'est plaqué à partir des structures allemandes et lié à des échéances électorales. Sa suggestion de proposer un fédéralisme à la française, je la prends au rebond. Je crois qu'il faut proposer une fédération d'Etats-nations qui soit, encore une fois, conforme à l'intérêt général communautaire et aussi qui tienne compte des intérêts nationaux français, qui serait un peu le pendant de ce qu'a dit Joschka Fischer, mais avec d'autres élans, d'autres accents.
Q - Comment fait-on, éternelle question, pour garder son identité et faire progresser l'Europe ? (question d'un auditeur)
R - C'est bien pour cela qu'il faut des institutions qui portent l'intérêt général. La Commission de Bruxelles ne doit pas seulement être un ensemble un peu technique, qui se situe en Belgique, loin des citoyens. Elle doit être responsable devant un Parlement, devant les citoyens. Il faut que le Parlement soit plus fort, plus légitime. Je ne suis pas sûr que tous ceux qui nous écoutent aient voté aux élections au Parlement européen. Je suis même sûr du contraire. Pour cela, il faut peut-être aussi changer le mode de scrutin, faire en sorte que les membres du Parlement européen soient élus dans les régions, et pas uniquement sur des listes nationales, avec des leaders qui, souvent d'ailleurs, ne siègent pas après les élections. Donc je suis pour que l'on change ce mode de scrutin, qu'on rapproche le Parlement des citoyens. Voilà pour l'intérêt général. Mais il faut aussi tenir compte de la diversité des nations et c'est pour cela que je continue de penser qu'il faut un Conseil des ministres européens où chaque gouvernement émet ses soucis et tache de parvenir à des compromis. Mais pour cela il faut aussi que l'on vote dans ce Conseil, c'est-à-dire que toutes les décisions ne soient pas prises à l'unanimité - sinon, c'est le blocage - mais que l'on ait le plus possible de votes à la majorité qualifiée. Si on va dans ce sens-là, on pourra à la fois comprendre la nécessité de s'entendre, bâtir une Europe-puissance, et c'est ce que je veux, et en même temps, tenir compte des diversités nationales. Mais il faut le voter à la majorité car si on laisse, par exemple, la Grande-Bretagne dans sa position un peu spécifique au cur de l'Europe, on risque d'avoir quelques blocages.
Q - Quelle est la logique de la pensée politique du gouvernement qui permet à une entreprise nationale "Gaz de France" d'investir à l'étranger dans des homologues européens, en Espagne ou en Grande-Bretagne, et qui interdit l'ouverture du même capital d'une entreprise nationale, Gaz de France, en France ?
Ces éventuelles sanctions financières qui nous menacent de la part de la Commission européenne, de quel montant sont-elles et pourront-elles être imputées dans le budget de campagne du prochain candidat socialiste à la présidentielle ? (question d'un auditeur)
R - Sur la deuxième question, je n'y crois sincèrement pas ! De toutes façons, cela ferait exploser le budget de n'importe quel candidat. Mais je rappelle que le jugement interviendra sans doute après l'élection présidentielle. Il ne faut pas penser que lorsqu'un contentieux s'ouvre, on l'a forcément perdu. Cela se plaide et ce n'est pas surprenant.
Quant à la logique qui préside à la politique économique du gouvernement en la matière, elle se résume en deux mots : c'est le service public. Nous sommes pour des services publics modernes qui soient ouverts, qui soient compétitifs à l'étranger, mais qui puissent aussi faire face à des concurrences à l'intérieur. Donc, nous sommes pour la libéralisation, l'ouverture, plutôt, des marchés mais il faut le faire en même temps à un rythme maîtrisé, en tenant compte de nos propres structures. Il faut arriver à marier ce qu'on appelle le marché intérieur et les services d'intérêt économique général. C'est ce qu'on a proposé pendant la présidence française. Donc il y a un débat, si vous voulez, entre la Commission, la Présidence du Conseil et nous, qui souhaitons que ce rythme s'exerce d'une façon plus maîtrisée. D'ailleurs, nous avons obtenu gain de cause lors du dernier Conseil européen de Stockholm, ce qui fait que nous pouvons plaider notre cause...
Q - C'est le moyen de dire non à l'Europe libérale...
R - Non, c'est une façon de dire que l'on privilégie l'ouverture par rapport au libéralisme : j'ajoute que l'on peut être ouvert sans revenir forcément sur les statuts des entreprises. Moi, je souhaite qu'elles restent des entreprises publiques, la SNCF, Gaz de France. Peut-être un jour envisagerons-nous d'autres ouvertures du capital, mais il n'y a pas de liens directs entre ouverture du marché et statut de l'entreprise.
Q - Demain, c'est la Journée de l'Europe. Le grand débat français va commencer demain ?
R - Aujourd'hui, c'est le 8 mai. On célèbre la fin de la guerre. Demain, c'est le 9 mai, Journée de l'Europe. Ne faudrait-il pas qu'on aille un jour vers une journée fériée le 9 mai, où l'on fêterait la fin de la guerre, la réconciliation et l'avenir ? Je souhaite que ce 9 mai devienne une très grande journée. Effectivement, demain, les édifices publics seront pavoisés aux couleurs de la France et de l'Europe. Nous irons les uns et les autres parler de l'Europe. Demain matin, je serai avec Bertrand Delanoë, le nouveau maire de Paris, dans un collège du 19ème arrondissement de Paris pour parler de l'Europe avec des enfants. Et demain après-midi, à Dijon avec un Commissaire européen, Michel Barnier, je lancerai ce débat sur l'avenir de l'Europe, débat qui doit associer tous les Français, car je souhaite que cette parole sur l'Europe ne soit pas confisquée par des spécialistes, des politiques, des intellectuels, des experts, les médias mais que tout le monde puisse en parler.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 mai 2001)
R - Oui, c'est le rêve de gagner les élections mais la question est de savoir pour quoi faire et dans quel état. Je crois que Tony Blair va gagner les élections parce qu'il a une opposition inexistante, parce qu'il a un bilan. En même temps, il a une image qui est à conforter. Il faudra regarder quel est l'écart entre les Travaillistes et les Conservateurs. Donc, il ne faut jamais considérer qu'une élection est gagnée d'avance. Les sondages, nous l'avons appris au moment des élections municipales, c'est une chose...les élections en sont une autre. La question est de savoir s'il y aura une force motrice qui permettra à Tony Blair de mener à bien son projet historique qui est, je crois, de mettre la Grande-Bretagne en situation de leadership, comme il le dit, dans l'Europe, et notamment si cela lui permet ensuite de lancer un référendum sur l'euro. C'est son intention politique personnelle mais il sait, en même temps, que dans la situation de l'opinion britannique, mettre ce débat au cur de la campagne est sans doute risqué, puisque 65 % de Britanniques sont hostiles à l'euro...J'aimerais que cela soit le bon chiffre, mais à mon avis, il y en a peut-être plus...
Q - On parle à nouveau de l'architecture européenne, de la construction européenne, des propositions allemandes, de Gerhard Schröder. Hier, les socialistes européens étaient réunis à Berlin. Il y a une question que tout le monde se pose : pourquoi Lionel Jospin tarde-t-il tant à s'exprimer, hésite-t-il à parler d'Europe ? Pourquoi ce silence assourdissant ?
R - Il faut peut-être revenir en arrière. Il y a un an, le débat sur l'Europe a été lancé par Joschka Fischer, le ministre allemand des Affaires étrangères. C'était un grand discours, un discours important. Le Président de la République s'est inscrit dans la suite, lors d'une visite d'Etat en Allemagne, par un discours au Bundestag. Le lendemain de cette visite, la Présidence française commençait. Que pouvait faire Lionel Jospin ? Soit il s'alignait, en disant la même chose que Jacques Chirac mais franchement, il ne pense pas la même chose. Un post-gaulliste et un socialiste, c'est différent. Je pense qu'un socialiste est plus engagé dans la construction fédérale de l'Union européenne et on le verra le moment venu. Soit il le contredisait et, à ce moment-là, que n'aurait-on pas dit ! On aurait dit que la France n'était pas capable de parler d'une seule voix pendant la Présidence, qui a été difficile. Donc, je crois que, par discipline dans cette situation de cohabitation, le semestre de Présidence était gelé. C'était implicite et c'était correct...
Q - Mais c'est fini...depuis janvier !
R - Absolument. Ensuite, on est entré dans une autre période qui était la période des municipales et honnêtement, je ne suis pas sûr que nos concitoyens attendaient que l'on relance, dans cette période, le débat sur l'Europe, surtout sur l'architecture institutionnelle. Ils voulaient du local et de la proximité. Alors, est-ce qu'il va parler maintenant ?
Q - Quand ?
R - Je crois, dans les quelques semaines qui viennent.
Q - Autrement dit, avant le débat prévu pour la ratification du Traité de Nice ?
R - Oui, cela me paraîtrait juste. Le débat aurait lieu le 5 ou le 6 juin. Je crois que la date n'est pas encore tout à fait arrêtée. Lionel Jospin ne doit pas interférer avec ce débat, il ne doit pas s'enfermer dans un débat sur un traité qui est important, mais qui, en même temps, n'est peut-être pas le traité de l'avenir. Je souhaite qu'il parle avant, je pense qu'il parlera avant et je suis certain qu'il fera un discours qui fera date, un discours fort, qui ne déparera en rien par rapport à ceux qui ont été faits avant. Il ne faut pas dire que l'on va répondre à tel ou tel. Il ne s'agit pas de répondre à Gerhard Schröder, à Joschka Fischer ou à Jacques Chirac. Il s'agit d'apporter sa propre pierre, ses propres convictions. Je crois que le critère de son expression sera l'intérêt général communautaire et aussi, pardonnez-moi d'y penser un peu, l'intérêt de la France.
Q - Tout de même, on se souvient d'un Lionel Jospin qui n'a jamais été euro-enthousiaste...c'était le point commun avec Jacques Chirac. Au fond, n'y a-t-il pas deux questions ? Lionel Jospin est-il vraiment un Européen convaincu ? N'est-il pas coincé parce qu'au sein de la majorité plurielle, tout le monde est loin de partager votre optimisme ou votre souci de construire l'Europe ?
R - Non, je crois que Lionel Jospin est un Européen qui, selon sa propre formule, n'est pas un Européen tiède. C'est un Européen engagé et son discours ne sera pas fade. Il n'en est absolument pas question. En même temps, il est Premier ministre et je crois qu'il faut prendre en compte deux choses : quel est le meilleur système pour l'Union européenne elle-même, quel est l'intérêt général de l'Union ? Moi, je crois effectivement qu'il s'agit d'une fédération d'Etats-Nations.
Q - C'est ce que dit Jacques Chirac. Vous êtes d'accord avec lui alors ?
R - Oui, Jacques Chirac a emprunté ce terme à Jacques Delors et à Joschka Fischer. Il faut voir ce qu'on met derrière. Un peu de fédération, beaucoup de nation...ou l'inverse. Le discours de Jacques Chirac est important mais en même temps, je crois que ce n'est pas un discours fédéraliste alors que les socialistes, eux, ont une tradition fédéraliste forte que, je crois, ils devront réaffirmer. Dans " fédération d'Etats-nations ", il y a " fédéralisme " et il y a "nation". Il faut à la fois aller dans le sens de l'intérêt général communautaire, rappeler que les pères fondateurs ont voulu plusieurs institutions, certaines qui représentent l'Europe en tant que telle, la Commission, le Parlement européen, d'autres qui représentent les nations, les gouvernements. J'avoue que je vois mal la France être comme l'Arkansas par rapport aux Etats-Unis, avec un président de la République qui siégerait à égalité, par exemple, avec le Premier ministre de Malte, qui, lui, serait représenterait le Wyoming...C'est un peu cela que propose le Chancelier? Certes, je crois qu'il ne faut pas non plus aller trop loin dans la dérive intergouvernementale, ce n'est pas bon...
Q - Il faudrait expliquer ce qu'est la dérive intergouvernementale...
R - J'allais y venir. Ce serait la tentation de faire en sorte qu'on écarte les institutions qui représentent l'Europe : la Commission qui exprime son intérêt général, le Parlement européen qui, comme son nom l'indique, représente le peuple européen, pour autant qu'il existe. Il y a une tendance, chez certains, qui consiste à écarter tout cela et à se dire que l'on va régler les choses entre les gouvernements. Seulement, à ce moment-là, on est sous la tyrannie de l'unanimité. Tout doit être décidé, pesé avec des compromis. Et l'Europe n'avance pas. Donc, il faut aussi avoir des institutions européennes fortes. Mais, en même temps, il ne faut pas tomber dans l'autre sens, c'est-à-dire faire tout remonter à l'Europe, en ignorant que les peuples, les nations souhaitent s'exprimer à travers des gouvernements légitimes. C'est vrai que les Français savent pourquoi ils ont élu Jacques Chirac dans ses fonctions et Lionel Jospin dans les siennes. Mais Romano Prodi, le Président de la Commission, lui n'a pas été élu par un peuple. Donc, on a besoin des gouvernements. Vous avez raison de dire qu'il ne faut pas s'enfermer dans l'architecture institutionnelle. Le discours de Lionel Jospin ne sera pas un discours sur les institutions, mais un discours sur un projet pour l'Union européenne. Vers où va-t-on ? Pour quoi faire ? Il faut rappeler que cette Union européenne va s'élargir, qu'elle comportera une trentaine de membres. Elle se réunifie. Ce sera très différent quand il y aura des Polonais, des Hongrois, des Slovènes, des Estoniens... Jusqu'où doit-elle s'élargir et surtout que doit-elle faire ?
Q - Va-t-il s'embarrasser avec une déclaration sur une fédération avec partage des pouvoirs comme l'a fait Schröder...ou aborder le fond, les objectifs...?
R - Schröder l'a fait aussi ! On parle toujours de ses propositions institutionnelles. Pardonnez-moi mais c'est un peu le "tube à la mode"... Mais le texte de Schröder, c'est 14 pages sur le fond et 2 pages sur la forme, c'est-à-dire les institutions. Quand on regarde le fond, là, il y a des différences. Nous, Français, voulons-nous que l'on mette fin à la politique agricole commune ? Non. Souhaitons-nous qu'on libéralise très vite les services publics ? Nous voulons que cela se fasse mais à un rythme maîtrisé. Souhaitons-nous mettre fin aux politiques régionales, celles qui ont permis de réaliser chez nous des routes, des universités à travers ce qu'on appelle le FEDER (les élus savent très bien ce que c'est) ? Non ! Pourtant, toutes ces choses-là sont envisagées par le texte du SPD. La réponse de Lionel Jospin doit porter sur la forme et sur le fond. Il faut répondre sur l'architecture institutionnelle : quelle architecture institutionnelle, mais pour quelle politique ? Pour faire une bonne politique, il faut de bonnes institutions mais si on a de bonnes institutions sans bonnes politiques, alors cela ne sert à rien. Donc, il faut qu'il dise en quoi l'Europe est un instrument de résistance ou d'organisation dans la mondialisation, et quelles politiques nous voulons mettre en oeuvre, par exemple quelle sécurité alimentaire, quelle sécurité maritime, quelle sûreté en général pour les gens...
Q - Donc, ce sera un discours de fond de Lionel Jospin qui ressemblera à un projet pour l'Europe pour les élections présidentielles ?
R - Vous voyez comment vous êtes !
Q - Ce n'est pas scandaleux de savoir ce que pense Lionel Jospin sur l'Europe avant l'élection présidentielle...
R - Quand il ne parle pas, on dit qu'il est silencieux et qu'il n'a rien à dire et quand il parle, on dit qu'il est candidat à l'élection présidentielle. Non, ce sera un discours de Lionel Jospin, Premier ministre, Lionel Jospin qui est aussi un des leaders socialistes français et un des leaders socialistes européens. Je note d'ailleurs qu'on attend beaucoup qu'il parle en France et en Europe.
Q - On se demande pourquoi il ne parle pas...
R - Mais il parle de l'Europe tous les jours, le gouvernement s'en occupe tous les jours et traite tous les jours les dossiers européens.
(Intervention de Daniel Cohn-Bendit)
Q - Que retenez-vous de ce qu'a dit Daniel Cohn-Bendit ?
R - J'en retiens plusieurs choses. D'abord, qu'il faut que le débat européen soit présent dans l'élection présidentielle. Je suis d'accord. Il est très important que le moment venu, en choisissant un Président de la République et ensuite un gouvernement, puisque maintenant on a l'inversion des élections, les Français sachent aussi dans quelles perspectives européennes ils s'engagent. C'est pour cela qu'il est très important que chacun s'exprime. Jacques Chirac l'a fait.
Q - Il continue...vous avez vu sur le site Internet de l'Elysée, on peut entendre le Président de la République dire : vive l'Europe et la fédération des Etats-Nations...
R - Il y a un débat sur l'Europe qui se lance. Le président de la République y prend sa part. Mais le gouvernement aura la sienne. Peut-être le fait que Lionel Jospin s'exprime bientôt n'est-il pas totalement indifférent à cette nouvelle poussée européenne. On verra. Je répète que sur le fond, je suis persuadé que les socialistes sont plus engagés que les gaullistes et que Lionel Jospin sera plus engagé que Jacques Chirac...
Q - Faut-il attendre pour Nice ?
R - Je crois qu'il faut au contraire avoir la ratification du Traité de Nice le plus tôt possible derrière nous pour pouvoir justement nous tourner vers l'avenir. Je dis cela car je suis,
- contrairement à Daniel Cohn-Bendit, à Jean-Louis Bourlanges ou aux communistes, qui sont parait-il les plus pro-européens du Parlement européen, d'après ce que j'entends de Daniel Cohn-Bendit, - pour le Traité de Nice, non pas parce qu'il est excellent mais parce qu'il est indispensable pour permettre l'élargissement. Donc, ratifions-le vite et passons à autre chose, c'est-à-dire à ce débat sur l'avenir de l'Europe. Mais je retiens dans ce qu'il a dit aussi un aveu et une suggestion. L'aveu, c'est que le projet de Schröder est fédéraliste à l'allemande. Ce n'est pas en soi quelque chose de critiquable mais c'est plaqué à partir des structures allemandes et lié à des échéances électorales. Sa suggestion de proposer un fédéralisme à la française, je la prends au rebond. Je crois qu'il faut proposer une fédération d'Etats-nations qui soit, encore une fois, conforme à l'intérêt général communautaire et aussi qui tienne compte des intérêts nationaux français, qui serait un peu le pendant de ce qu'a dit Joschka Fischer, mais avec d'autres élans, d'autres accents.
Q - Comment fait-on, éternelle question, pour garder son identité et faire progresser l'Europe ? (question d'un auditeur)
R - C'est bien pour cela qu'il faut des institutions qui portent l'intérêt général. La Commission de Bruxelles ne doit pas seulement être un ensemble un peu technique, qui se situe en Belgique, loin des citoyens. Elle doit être responsable devant un Parlement, devant les citoyens. Il faut que le Parlement soit plus fort, plus légitime. Je ne suis pas sûr que tous ceux qui nous écoutent aient voté aux élections au Parlement européen. Je suis même sûr du contraire. Pour cela, il faut peut-être aussi changer le mode de scrutin, faire en sorte que les membres du Parlement européen soient élus dans les régions, et pas uniquement sur des listes nationales, avec des leaders qui, souvent d'ailleurs, ne siègent pas après les élections. Donc je suis pour que l'on change ce mode de scrutin, qu'on rapproche le Parlement des citoyens. Voilà pour l'intérêt général. Mais il faut aussi tenir compte de la diversité des nations et c'est pour cela que je continue de penser qu'il faut un Conseil des ministres européens où chaque gouvernement émet ses soucis et tache de parvenir à des compromis. Mais pour cela il faut aussi que l'on vote dans ce Conseil, c'est-à-dire que toutes les décisions ne soient pas prises à l'unanimité - sinon, c'est le blocage - mais que l'on ait le plus possible de votes à la majorité qualifiée. Si on va dans ce sens-là, on pourra à la fois comprendre la nécessité de s'entendre, bâtir une Europe-puissance, et c'est ce que je veux, et en même temps, tenir compte des diversités nationales. Mais il faut le voter à la majorité car si on laisse, par exemple, la Grande-Bretagne dans sa position un peu spécifique au cur de l'Europe, on risque d'avoir quelques blocages.
Q - Quelle est la logique de la pensée politique du gouvernement qui permet à une entreprise nationale "Gaz de France" d'investir à l'étranger dans des homologues européens, en Espagne ou en Grande-Bretagne, et qui interdit l'ouverture du même capital d'une entreprise nationale, Gaz de France, en France ?
Ces éventuelles sanctions financières qui nous menacent de la part de la Commission européenne, de quel montant sont-elles et pourront-elles être imputées dans le budget de campagne du prochain candidat socialiste à la présidentielle ? (question d'un auditeur)
R - Sur la deuxième question, je n'y crois sincèrement pas ! De toutes façons, cela ferait exploser le budget de n'importe quel candidat. Mais je rappelle que le jugement interviendra sans doute après l'élection présidentielle. Il ne faut pas penser que lorsqu'un contentieux s'ouvre, on l'a forcément perdu. Cela se plaide et ce n'est pas surprenant.
Quant à la logique qui préside à la politique économique du gouvernement en la matière, elle se résume en deux mots : c'est le service public. Nous sommes pour des services publics modernes qui soient ouverts, qui soient compétitifs à l'étranger, mais qui puissent aussi faire face à des concurrences à l'intérieur. Donc, nous sommes pour la libéralisation, l'ouverture, plutôt, des marchés mais il faut le faire en même temps à un rythme maîtrisé, en tenant compte de nos propres structures. Il faut arriver à marier ce qu'on appelle le marché intérieur et les services d'intérêt économique général. C'est ce qu'on a proposé pendant la présidence française. Donc il y a un débat, si vous voulez, entre la Commission, la Présidence du Conseil et nous, qui souhaitons que ce rythme s'exerce d'une façon plus maîtrisée. D'ailleurs, nous avons obtenu gain de cause lors du dernier Conseil européen de Stockholm, ce qui fait que nous pouvons plaider notre cause...
Q - C'est le moyen de dire non à l'Europe libérale...
R - Non, c'est une façon de dire que l'on privilégie l'ouverture par rapport au libéralisme : j'ajoute que l'on peut être ouvert sans revenir forcément sur les statuts des entreprises. Moi, je souhaite qu'elles restent des entreprises publiques, la SNCF, Gaz de France. Peut-être un jour envisagerons-nous d'autres ouvertures du capital, mais il n'y a pas de liens directs entre ouverture du marché et statut de l'entreprise.
Q - Demain, c'est la Journée de l'Europe. Le grand débat français va commencer demain ?
R - Aujourd'hui, c'est le 8 mai. On célèbre la fin de la guerre. Demain, c'est le 9 mai, Journée de l'Europe. Ne faudrait-il pas qu'on aille un jour vers une journée fériée le 9 mai, où l'on fêterait la fin de la guerre, la réconciliation et l'avenir ? Je souhaite que ce 9 mai devienne une très grande journée. Effectivement, demain, les édifices publics seront pavoisés aux couleurs de la France et de l'Europe. Nous irons les uns et les autres parler de l'Europe. Demain matin, je serai avec Bertrand Delanoë, le nouveau maire de Paris, dans un collège du 19ème arrondissement de Paris pour parler de l'Europe avec des enfants. Et demain après-midi, à Dijon avec un Commissaire européen, Michel Barnier, je lancerai ce débat sur l'avenir de l'Europe, débat qui doit associer tous les Français, car je souhaite que cette parole sur l'Europe ne soit pas confisquée par des spécialistes, des politiques, des intellectuels, des experts, les médias mais que tout le monde puisse en parler.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 mai 2001)