Déclaration de M. Alain Marleix, secrétaire d'État à l'intérieur et aux collectivités locales, sur la réforme de la carte électorale pour l'élection des députés, à l'Assemblée nationale le 13 octobre 2009.

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Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Le Gouvernement vous invite aujourd'hui à ratifier l'ordonnance n° 2009-935 du 29 juillet 2009 portant répartition des sièges et délimitation des circonscriptions pour l'élection des députés. Cette ordonnance a été prise à partir de l'habilitation que vous lui avez donnée par l'article 2 de la loi du 13 janvier 2009, dont vous aviez débattu il y a près d'un an.
Il s'agit de la dernière étape de l'ajustement de la carte électorale commencé il y a maintenant environ dix-huit mois. Le Président de la République a confié au Gouvernement cet exercice extrêmement difficile, et politiquement délicat, parce que le Conseil constitutionnel l'a demandé à plusieurs reprises aux gouvernements qui se sont succédés depuis 1997 : la loi adoptée en 1986, lors du retour au scrutin majoritaire, leur imposait cependant d'y procéder depuis 1999, année du deuxième recensement général de population intervenu depuis la précédente délimitation, fondée sur celui de 1982. Ils ne l'ont pas fait.
Fidèles à la politique de réformes conduite depuis l'élection de Nicolas SARKOZY en mai 2007, nous ne pouvions pour notre part, quelle que soit la complexité et les risques de la tâche, laisser se creuser davantage les écarts démographiques importants apparus entre les 577 circonscriptions législatives : 35 794 habitants pour la circonscription la moins peuplée (la 2nde circonscription de la Lozère), 213 421 habitants pour la plus peuplée (la 6ème du Var), soit un rapport dans la représentation de ces circonscriptions qui s'étend de 1 à 6.
L'objet même de la réforme à accomplir, qui vous concerne directement, et l'extraordinaire difficulté des questions à résoudre justifiaient le recours à la procédure des ordonnances : ce faisant, nous sommes d'ailleurs dans la tradition de la Vème République, cette procédure ayant été employée en 1958 comme en 1986, même si l'ordonnance a alors été transformée au dernier moment en projet de loi.
Les dispositions de l'ordonnance doivent prendre effet lors du prochain renouvellement général de l'Assemblée nationale ; sa ratification expresse donnera force de loi à ce qui reste pour l'instant un acte administratif.
Il vous appartient donc aujourd'hui, mesdames et messieurs les députés, de vous prononcer, conformément aux dispositions de l'article 38 de notre Constitution, sur le texte qui a été élaboré par le Gouvernement sur la base de la délégation, encadrée avec précision, que vous lui avez donnée. C'est ce qu'a fait votre commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République en vous invitant à adopter l'ordonnance dans une version conforme à celle du Gouvernement.
Au fond, vous ne sauriez ici discuter du tracé de telle ou telle circonscription, surtout s'il s'agit de votre propre secteur d'élection : comme le disait ici même, le 24 mars 1910, le socialiste auvergnat Alexandre VARENNE rapportant un projet de loi procédant à un ajustement partiel, pour refuser de procéder par voie législative à un redécoupage général qui aurait pourtant été nécessaire : « vous serez obligé de l'opérer ici publiquement, après des tractations dans les couloirs, et vous donnerez alors au pays le spectacle d'une Chambre dont les élus s'occupent à échanger entre eux des cantons, le canton « rhubarbe » contre le canton « séné » ».
Vous êtes en effet, mesdames et messieurs les députés, dans une situation singulière, qui ne vous est pas familière parce que sans aucun précédent depuis 1936 :
celle de devoir débattre et voter d'un texte qui peut affecter directement vos conditions d'élection. Une situation de conflit d'intérêt en quelque sorte, qui conduit en général des élus d'une assemblée à « se déporter », afin de ne pas entacher le vote exprimé de la moindre suspicion d'intérêt personnel. Vous qui êtes chargés de faire la loi et d'exprimer par là même, selon la formule consacrée, la volonté générale, vous ne sauriez naturellement encourir un tel reproche : la délimitation qu'il vous est proposée d'adopter n'est d'ailleurs pas destinée au seul scrutin de 2012, mais à au moins deux élections législatives, voire davantage.
La question qui vous est posée est, plus simplement, de savoir si le travail effectué depuis un an par le Gouvernement correspond ou non, globalement, à la mission que vous lui avez confiée et s'il peut en quelque sorte lui en être donné quitus, comme l'ont la Commission constitutionnelle de contrôle ainsi que le Conseil d'Etat.
Afin d'éclairer votre position, il m'appartient de vous donner les raisons des choix que nous avons faits pour accomplir notre mission, dans le respect des critères que vous nous aviez fixés dans la loi d'habilitation, critères qui ont été éclairés et parfois complétés par la décision du Conseil constitutionnel du 8 janvier dernier.
Ces choix concernaient :
1)en premier lieu les chiffres de recensement à prendre en compte,
2)en deuxième lieu les modalités de la répartition des sièges de députés entre les départements et les collectivités d'outre-mer,
3)en troisième lieu la délimitation des circonscriptions dans les départements et collectivités dont le nombre de sièges varie, ainsi que dans ceux dont certaines circonscriptions ont une population trop éloignée de la population moyenne départementale,
4)et, enfin, la création de sièges destinés à la représentation des Français établis hors de France et la délimitation des circonscriptions correspondantes.
Ces quatre opérations, sur lesquelles je vais maintenant revenir en détail, ont été conduites, conformément à la volonté exprimée par le Premier ministre le 16 septembre 2008, lorsqu'il a reçu les responsables des groupes et des formations politiques représentés dans votre assemblée et au Sénat, dans la plus grande transparence. C'est à moi qu'il a confié cette mission. J'ai reçu un très grand nombre de parlementaires et toutes celles et tous ceux qui le souhaitaient ont pu, comme je m'y étais engagé, accéder aux locaux du ministère de l'intérieur dans lesquels se trouvaient les cartes et les chiffres du recensement.
Et, je tiens à le souligner ici très clairement, chacun des courriers que j'ai reçus sur ce sujet a été étudié avec la plus grande attention.
1. Il me faut tout d'abord vous dire un mot des éléments démographiques sur lesquels nous nous sommes fondés
Comme nous sommes en matière électorale, le chiffre de population à prendre en considération est la population municipale, et non la population totale, comme le prévoit l'article R. 25-1 du code électoral :
-les derniers chiffres authentifiés, pour les départements de métropole et les départements d'outre-mer, comme pour les collectivités de Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon, sont ceux issus du décret du 30 décembre 2008, pris en application de la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité, que nous devons au gouvernement de Monsieur Lionel JOSPIN : dans cette nouvelle méthode de recensement glissant, effectuée chaque année, les chiffres publiés fin 2008 sont réputés être ceux constatés au 1er janvier 2006. Ce décalage a soulevé de nombreuses questions, puisque des communes, à la date à laquelle le chiffre de leur population a été publié, disposaient de chiffres plus récents, du fait de recensements intervenus en 2007 ou en 2008 ! Cette méthodologie voulue par le gouvernement Jospin ne facilite pas la tâche ...
-Pour la Nouvelle-Calédonie et les collectivités d'outre-mer, les chiffres authentifiés sont ceux issus de leur dernier recensement global, puisque la loi de 2002 a maintenu pour ces territoires un recensement général de population tous les cinq ans.
Il en résulte une anomalie pour la Nouvelle-Calédonie, dont le recensement date de 2004 et pour laquelle un nouveau comptage de population vient d'être réalisé : alors que la population de la Polynésie française, recensée en 2007, dépasse le chiffre qui lui donne droit à trois sièges de député, contre deux jusqu'à présent, la Nouvelle-Calédonie n'a pas droit à ce troisième siège au vu de sa population recensée en 2004, même si elle l'obtiendrait à coup sûr avec les résultats du recensement en voie de publication... Il nous faudra certainement, une fois certifiés les chiffres de ce recensement, étudier comment remédier à ce traitement injuste.
-Dans les deux cas, départements et collectivités d'outre-mer, la population recensée comprend à la fois les ressortissants français et les étrangers, alors même que nos députés sont censés représenter la Nation. Le Conseil constitutionnel a en effet censuré l'amendement, déposé par votre collègue René Dosière et adopté à l'unanimité par votre assemblée, qui aurait permis de prendre en compte la situation particulière de territoires où la population étrangère est très forte : ce faisant, il n'a pas condamné a priori une méthode fondée sur la comptabilisation de la seule population française, mais il a considéré que nous ne pouvions y recourir sans le faire de façon uniforme dans le pays. Je ne vous cache pas mon étonnement de constater que ce raisonnement nous conduit à attribuer un siège supplémentaire de député à Mayotte : en effet, celle-ci compte 186 452 habitants selon le recensement qui y a été effectué en 2007, soit plus que la population donnant certes droit à deux sièges. Mais l'INSEE a confirmé officiellement que plus d'un tiers de la population de Mayotte est étrangère et que plus de 40 000 personnes y vivent en situation irrégulière ... comme l'avait signalé Monsieur René DOSIERE, sans cet « apport » on est en-dessous de l'attribution du deuxième siège.
-En ce qui concerne les Français établis hors de France, vous aviez prévu, faute de disposer d'un recensement exhaustif de la population concernée, analogue à ceux effectués en métropole ou outre-mer, de « prendre en compte » les personnes immatriculées dans nos consulats, ce qui laissait une certaine souplesse d'interprétation. Mais, saisi par le groupe socialiste, le Conseil constitutionnel a imposé, dans sa décision du 8 janvier dernier, de calculer le nombre de leurs futurs députés et de délimiter leurs circonscriptions d'élection sur la base de la totalité de ces immatriculations, ce qui a augmenté le nombre de sièges à leur attribuer : nous en avions envisagé 7 et 9, il a fallu en prévoir 11.
Dans le souci de respecter l'égalité de traitement entre les Français vivant sur le territoire national et ceux établis à l'étranger, ce sont les chiffres des personnes immatriculées au 1er janvier 2006 qui ont été la référence pour effectuer ces opérations.
2. J'en viens maintenant à la répartition des 577 sièges de députés :
Vous avez décidé, lors de la révision constitutionnelle de l'an dernier, de plafonner le nombre des membres de votre Assemblée à 577, nombre résultant de la réforme de 1985. Pour la première fois, un ajustement de la carte électorale s'est donc fait sans augmentation du nombre du nombre de sièges : je rappelle en effet que, sous le Second Empire, la Chambre est passée de 430 à 490 députés, que la IIIème République a débuté avec 526 et fini avec 598 députés et qu'en 1985 et 1986, le nombre de députés s'est accru de 491 à 577.
C'est évidemment une des difficultés majeures à laquelle nous avons été confrontés que d'effectuer cette révision de la carte électorale à nombre constant de sièges, et même avec un effectif diminué compte tenu de la création de sièges pour les collectivités de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin et pour les Français de l'étranger.
La population française globale s'établissait, au 1er janvier 2006, à 65 195 877 habitants : 63 185 925 habitants dans les départements, 741 424 habitants en Nouvelle-Calédonie et dans les collectivités d'outre-mer et 1 268 528 ressortissants immatriculés à l'étranger.
Une répartition strictement proportionnelle conduirait donc à attribuer un siège de député pour 112 991 habitants.
Nous devions cependant tenir compte des petites collectivités d'outre-mer, qui peuvent faire l'objet des seules exceptions à la règle de la répartition sur des bases essentiellement démographiques admises par le Conseil constitutionnel : celui-ci a en effet permis, dans sa décision du 9 janvier dernier, d'attribuer un siège à une collectivité d'outre-mer de faible population dès lors qu'elle est très éloignée de tout autre département ou collectivité :
-les collectivités de Saint-Pierre-et-Miquelon (6 125 habitants) et de Wallis-et-Futuna (13 484 habitants) justifient, par leur éloignement de toute autre terre française, que leur soit maintenu le siège de député dont elles ont constamment bénéficié depuis 1958 ;
-en revanche, et c'est un point auquel vous étiez particulièrement attachés, les nouvelles collectivités de Saint-Barthélemy (8 255 habitants) et de Saint-Martin (35 263 habitants), créées par la loi organique du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer mais sans que soit pourvu immédiatement le siège de député attribué à chacune d'elles, ne peuvent, du fait de leur proximité, être chacune représentée par un député à l'Assemblée nationale. Faute de pouvoir rétablir la 4ème circonscription de la Guadeloupe, qui comprend à l'heure actuelle ces deux collectivités, car cela mettrait en cause une répartition fondée sur le respect des frontières départementales, nous avons choisi de leur prévoir un siège de député commun.
Ces trois sièges étant attribués, les 574 sièges de députés ont pu être répartis, proportionnellement aux populations que je viens de citer, à raison de 556 pour les départements (soit 14 de moins qu'en 1986), 7 pour les autres collectivités d'outre-mer (soit 10 au total, et 3 de plus qu'en 1986) et 11 pour les Français de l'étranger.
Les 556 sièges des départements ont ensuite été attribués aux 100 départements en fonction de leur population respective, selon la méthode traditionnelle dite « de la tranche », apparue en 1885 et adoptée à nouveau en 1958 comme lors de l'introduction de la proportionnelle en 1985 et du retour au scrutin majoritaire en 1986 : en 1985, elle était présentée par Pierre JOXE, ministre de l'intérieur, comme « le mode de répartition le plus simple et le plus compréhensible ». Le montant de la tranche a été porté de 108 000 à 125 000 habitants, pour tenir compte de l'augmentation générale de la population. Le choix de cette méthode de répartition, qui a été soumis à la commission de contrôle prévue par l'article 25 de la Constitution et sur lequel celle-ci a donné un avis favorable, est justifié par les éléments suivants :
-son caractère traditionnel pour la répartition des sièges : introduite par la loi électorale du 16 juin 1885, elle a constamment été utilisée depuis lors et elle régit aujourd'hui la répartition des sénateurs entre les départements ;
-son impact est plus faible sur la situation actuelle que les autres méthodes de répartition, ce qui a paru adapté à une réforme qui se veut plus un ajustement qu'une véritable refonte de la carte électorale : précisément 42 départements touchés contre 50 avec une répartition proportionnelle au plus fort reste et 60 avec le système de la plus forte moyenne ;
-les effets de la méthode de la tranche sont limités sur la représentation des petits départements, dont deux seulement (la Creuse et la Lozère) se retrouvent au-dessous du seuil donnant droit à deux députés. Or, nous nous devions de regarder de près le nombre de départements auquel le calcul ne donnerait qu'un député, car la décision du Conseil constitutionnel du 8 janvier 2009 a condamné la règle attribuant à tous les départements, quelle que soit leur population, deux députés par département : ce nombre serait en effet beaucoup plus élevé (14) si l'on choisissait la méthode de la répartition proportionnelle, que ce soit à la plus forte moyenne ou au plus fort reste, ou même la méthode dite « de Sainte-Laguë ». Outre les départements que je viens de citer, j'indique ceux qui n'auraient droit qu'à un député : les Alpes-de-Haute-Provence, les Hautes-Alpes, l'Ariège, le Cantal, la Corse-du-Sud et la Haute-Corse, le Gers, le Lot, la Haute-Marne, la Meuse, le Territoire de Belfort et la Guyane. Pour nous, et je pense que vos collègues des départements concernés seront d'accord - ils sont 13 de l'opposition, 11 de la majorité -, il s'agit d'un élément déterminant : notre mode de scrutin, qui reste un scrutin d'arrondissement, ne peut conduire à des circonscriptions au territoire trop étendu.
C'est ce que nous n'avons pu éviter pour la Creuse et pour la Lozère, départements auxquels seule une révision constitutionnelle permettrait de conserver deux députés, conformément à une tradition républicaine maintenue par le Gouvernement de Monsieur FABIUS lors du passage au scrutin proportionnel en 1985, et approuvée par tous les groupes politiques ;
-dernière raison de notre choix : le Conseil constitutionnel, dans sa décision de janvier, n'a pas condamné, bien au contraire, cette méthode de répartition, employée systématiquement sous les IIIème, IVème et Vème Républiques.
Au vu de leurs chiffres de population, le nombre de sièges a ainsi été modifié dans 42 départements :
-il est diminué dans 27 départements, qui perdent une, deux, voire trois circonscriptions : ces départements comptent actuellement 195 circonscriptions et, on ne l'a pas suffisamment souligné jusqu'à présent, ces 195 sièges sont répartis à raison de 106 pour la gauche, soit 54 %, et de 89 pour la majorité, soit exactement l'inverse du rapport de forces dans votre Assemblée tout entière. Je me demande si, dans ses calculs sur les effets supposés du découpage, le parti socialiste a bien pris en compte cet élément, alors que bien évidemment, dans la réduction de 33 circonscriptions frappant ces 27 départements, une formation est d'autant plus exposée à en perdre qu'elle en détient beaucoup aujourd'hui : c'est le constat que font d'ailleurs d'imminents observateurs, dont j'ai pu lire les articles ;
-à l'inverse, le nombre de sièges est augmenté en Polynésie française, à Mayotte et dans 15 départements, qui comptent ensemble 101 circonscriptions.
La répartition issue de ces calculs a donné lieu à un avis favorable de la commission indépendante prévue par l'article 25 de la Constitution, qui a été installée le 22 avril dernier dans la composition prévue par l'article 1er de la loi d'habilitation du 13 janvier 2009 : trois magistrats des plus hautes juridictions, choisis par leurs pairs, et trois personnalités désignées, après avis d'une des commissions des lois des assemblées parlementaires ou des deux réunies, par les plus hautes autorités de l'Etat.
Et chacun sait que l'une de ces trois personnalités avait, au moment de sa nomination, des responsabilités dans une des formations politiques de l'opposition.
3. Il me faut maintenant aborder la façon dont nous avons-nous re-délimité les circonscriptions :
De nouvelles circonscription ont dû tout d'abord être délimitées dans les 42 départements et les quatre collectivités d'outre-mer qui ont, soit perdu une, deux ou trois circonscriptions, soit en ont gagné une ou deux (c'est ce que j'ai appelé le « redécoupage ») ; il en a été de même dans 25 autres départements de métropole et d'outre-mer, dont les inégalités de population apparues entre les circonscriptions doivent être réduites, et qui ont fait l'objet d'un simple « remodelage ».
Le nombre de ces départements n'était que de 12 dans la version initiale de l'ordonnance soumise à la commission : en effet, le parti que nous avions retenu au départ dans les départements à nombre de sièges inchangé était de remédier seulement aux écarts les plus importants, sans modifier la carte des circonscriptions lorsque la population de celles-ci ne dépassait pas de plus ou moins 20 % la population moyenne départementale, limite qui avait déjà été retenue en 1986. Ce choix était conforme aux engagements pris devant vous et aux termes mêmes de l'habilitation que vous nous aviez donnée.
Mais la commission, suivie d'ailleurs par le Conseil d'Etat, a considéré qu'il fallait réduire, encore davantage dans ces départements également, les inégalités les plus flagrantes. Le Gouvernement a donc suivi leur avis pour 13 autres départements.
C'est pour respecter au mieux la portée de votre habilitation de ne pas élaborer une nouvelle carte électorale complète que nous avions de même été conduits à ne pas modifier, dans les départements dont le nombre des députés varie, les circonscriptions qui n'avaient pas à l'être : ce sont des circonscriptions dans lesquelles, pour reprendre les termes employés en 1927 lors du rétablissement du scrutin uninominal, « se sont, pendant plus de vingt ans, cristallisés, polarisés l'action électorale et l'exercice du suffrage universel ».
Toutefois, suite à la recommandation de la Commission ou, après elle, du Conseil d'Etat, qui ont tous deux eu la même préoccupation « conservatrice » mais en ont relativisé la portée par rapport aux écarts démographiques, les limites de certaines de ces circonscriptions ont dû être modifiées de façon beaucoup plus rigoureuse.
Le nombre de circonscriptions dont les limites sont inchangées, qui était initialement de 264 sur 577, a ainsi été ramené à 238.
Les critères de délimitation que vous nous aviez fixés, repris des critères utilisés en 1986 et complétés par l'interprétation du Conseil constitutionnel, ont été scrupuleusement respectés :
-les écarts de population entre circonscriptions passent grosso modo, si l'on exclut les petites collectivités d'outre-mer, d'un rapport de 1 à 6 à un rapport de 1 à 2,4 sur l'ensemble du territoire (de 60 903 habitants pour la 2nde circonscription des Hautes-Alpes à 146 025 habitants pour la 6ème circonscription de la Seine-Maritime). Le progrès est notable par rapport à 1986, où les populations variaient au départ de 34 485 à 123 765 habitants, soit un rapport de 1 à 4 à l'époque.
A peine plus de 6 % des circonscriptions dépassent de plus de 20 %, en excédent ou en déficit, la moyenne nationale dans les départements, contre 9 % en 1986 et 17 % en 1958. La marge d'écarts au sein d'un même département est le plus souvent limitée entre + et - 15 % par rapport à la moyenne : alors qu'en 1986, le nombre de circonscriptions où l'écart était supérieur à 17,5 % était de 7, il est aujourd'hui réduit à zéro. La limite de + ou - 20 % n'est franchie que pour les circonscriptions des Français de l'étranger, ce que le Conseil constitutionnel a expressément autorisé.
La nouvelle délimitation constitue donc sur ces deux plans un incontestable progrès : jamais, pendant les presque 130 années où notre République aura connu le scrutin majoritaire uninominal, la recherche de l'équilibre démographique n'aura été poussée aussi loin.
Les distorsions étaient en particulier beaucoup plus importantes avec le scrutin d'arrondissement de la IIIème République, parce que les populations des arrondissements étaient devenues très disparates avec le temps et que la notion d'écart par rapport à la moyenne départementale n'a été introduite qu'en 1986.
-2ème critère, la continuité des circonscriptions : les solutions retenues sur ce point en 1986 ont été maintenues et les exceptions peuvent être justifiées, au cas par cas, par des considérations géographiques, liées notamment à l'existence d'enclaves ; le Nord, les Pyrénées-Orientales, le Vaucluse, les Hautes-Pyrénées, etc ...
-3ème critère, l'unité des cantons : les cantons présentant une solution de continuité ont été soit inclus dans une seule circonscription, soit répartis conformément à leur discontinuité. Nous nous étions par ailleurs imposé la règle du respect des limites cantonales, comme le Gouvernement l'avait fait en 1986, ce qui n'était nullement obligatoire : vous me permettrez de souligner que 133 découpages cantonaux ont été réalisés par des gouvernements socialistes entre 1982 et 2000, et que la carte cantonal ne peut donc être imputée à la majorité actuelle. Or, si l'on excepte la ville de Marseille où cette règle n'est pas imposée, moins d'un quart des cantons de plus de 40 000 habitants (exactement 42) ont été partagés, l'objectif étant de réduire les écarts démographiques entre des circonscriptions voisines. Les 52 secteurs d'élection des membres de l'Assemblée des Français de l'étranger ont, quant à eux, été intégralement inclus dans une même circonscription ;
-4ème critère, l'unité des communes : conformément aux dispositions législatives, plusieurs communes de moins de 5 000 habitants ont été réunifiées au sein d'une même circonscription : deux d'entre elles ont conduit à des remodelages départementaux pour cette seule raison (dans l'Isère et dans l'Yonne).
D'autres principes généraux ont présidé aux choix retenus pour ajuster la carte électorale : suppression des circonscriptions dans l'ordre croissant de leur population, pas de respect systématique de la carte de l'intercommunalité en raison de son caractère fluctuant (et parce qu'il ne s'agit pas de collectivités territoriales ni de circonscriptions électorales), retour au découpage de 1958 lorsque la démographie le permettait.
Les projets de redécoupage ou de remodelage ont été soumis à la commission indépendante prévue par l'article 25 de la Constitution.
Ils ont été validés pour l'essentiel et, j'y reviendrai dans un instant, rendus conformes à l'avis de la commission dans un grand nombre de cas.
4. J'en viens enfin aux circonscriptions destinées à la représentation des Français de l'étranger :
La création des onze sièges dédiés à nos compatriotes établis hors de France conduisait à « découper le monde » en onze circonscriptions. Ce découpage sans précédent n'a pas été arrêté sans concertation : j'ai en effet tenu à consulter les associations et les sénateurs représentant les Français de l'étranger, ainsi que le ministère des affaires étrangères. La délimitation est inspirée d'un projet commun aux sénateurs de la majorité et de l'opposition (pour 7 circonscriptions sur 11). Elle privilégie la géographie plutôt que le strict respect de l'égalité démographique des circonscriptions : trois des onze nouveaux secteurs électoraux (les deux d'Amérique et celui d'Asie - Océanie) présentent d'ailleurs un écart par rapport à leur moyenne de plus de 20 %, afin de maintenir une relative cohérence de leurs limites. Enfin, six circonscriptions ont été délimitées en Europe, y compris la circonscription de Méditerranée qui s'étend jusqu'à Israël, ce qui correspond au poids des Français établis en Europe (un peu plus de la moitié de nos expatriés).
J'ajoute à ce sujet qu'en application du II de l'article 3 de la loi d'habilitation, une ordonnance a été adoptée le 29 juillet dernier pour prévoir des dispositions spécifiques à l'élection des onze députés des Français de l'étranger. Cette ordonnance, indispensable pour permettre en pratique leur élection et qui sera suivie dans les prochains mois d'un décret d'application, a également été élaborée en étroite concertation avec les représentants des Français de l'étranger. Elle fait l'objet d'un projet de loi de ratification déposé dans votre assemblée en même temps que le projet que je vous présente aujourd'hui.
Monsieur le Président,
Monsieur le rapporteur,
Mesdames et Messieurs les députés,
L'ordonnance dont il vous est proposé la ratification a fait l'objet d'un contrôle sans précédent lors de son élaboration : je l'affirme ici aujourd'hui sans crainte d'être démenti, aucun des onze autres découpages réalisés depuis l'instauration du scrutin uninominal en 1815, n'avait été entouré d'autant de garanties.
L'examen de notre projet par le Conseil d'Etat, qui a disposé d'un mois pour le faire, a en effet été précédé de son étude exhaustive par la commission indépendante prévue par l'article 25 de la Constitution. Celle-ci a été placée dès sa création au niveau d'une institution de la République, comme l'avait souhaité dans son rapport le comité sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République présidé par Monsieur Edouard BALLADUR. Elle a été constituée peu de temps après le vote de la loi fixant sa composition et ses règles d'organisation et de fonctionnement : l'annonce de sa composition, équilibrée, n'a fait l'objet d'aucune critique. Elle a consacré 24 séances à la mission qui lui était confiée, a examiné les projets dont elle était saisi ainsi que les correspondances qui lui ont été adressées, et a rendu à deux reprises un avis sur ces projets, avis dont chacun a pu prendre connaissance au Journal officiel. Le Gouvernement a pris en compte ses propositions, en totalité ou en partie, dans 23 départements ; la délimitation qu'il a retenue ne s'écarte de celle prévue pour les circonscriptions « montrées du doigt » parce que trop ou insuffisamment peuplées que pour 23 d'entre elles, soit 4 % du total des circonscriptions. Les raisons détaillées pour lesquelles Le Gouvernement n'a pas suivi l'avis de la commission ont été fournies au votre commission des lois, pour chacune de ces 23 circonscriptions.
Après ce double examen complet, absolument sans précédent en matière de découpage électoral, la question est finalement celle-ci : l'ordonnance respecte-t-elle les exigences de la Constitution et de la jurisprudence du Conseil constitutionnel relatives à l'élection de l'Assemblée nationale « sur des bases essentiellement démographiques, selon une répartition des sièges de députés et une délimitation des circonscriptions respectant au mieux l'égalité devant le suffrage » ?
Ce sera bien la question qui sera soumise au Conseil constitutionnel si, comme il paraît probable au vu des déclarations que j'ai entendues ici ou là, il est saisi de la loi de ratification ; or, vous savez comme moi que la haute juridiction constitutionnelle a déjà jugé en la matière qu'elle ne disposait pas d'un pouvoir d'appréciation aussi large que le votre et qu'elle ne pourrait censurer un découpage électoral que s'il méconnaissait manifestement les exigences de la Constitution.
Je n'ai pas le sentiment que le nombre de sièges affecté à chaque département comme à chaque collectivité d'outre-mer, ou que la délimitation retenue pour chacune de leurs circonscriptions respectives, encourent un tel reproche. Le groupe socialiste vous affirmera sans doute que le nouveau découpage ne permet pas à une majorité de voix de gauche d'obtenir toujours une majorité de sièges : j'attends toujours qu'il nous le démontre sérieusement.
Je me souviens encore des critiques de même nature portées contre le découpage si décrié de 1986 : comme l'avait montré une étude publiée par le journal « Le Monde » dès le 9 octobre 1986, il n'en était rien et les élections de juin 1988 donnèrent à la gauche 303 sièges sur 577 ; le découpage n'empêcha pas plus l'alternance aux élections législatives de 1997.
Et c'est bien finalement ce qu'a dû estimer le Conseil d'Etat quand il a donné un avis favorable au présent projet de loi de ratification.
Je voudrais pour terminer faire deux observations plus générales, tirées du travail que nous venons d'accomplir :
-la première est liée aux fondements mêmes de notre méthode de recensement de la population et aux leçons que nous en tirons en matière électorale. Alors que chacun de vous représente la Nation, le nombre de sièges affecté à chaque partie de notre territoire - ce n'est évidemment pas le cas pour les députés élus par les Français installés à l'étranger - est calculé en tenant compte de la population étrangère, ce qui conduit à attribuer aujourd'hui un siège supplémentaire à Mayotte, comme un autre le sera probablement à la Guyane, qui connaît également une très forte immigration venue des pays voisins.
Il résulte deux conséquences paradoxales de ce décalage croissant entre population et électeurs : une partie de la population est prise en compte dans le calcul de sièges pour l'attribution desquels elle ne peut cependant avoir aucune influence, faute d'avoir le droit de vote ; les députés des circonscriptions où sont présents un grand nombre d'étrangers, comme celles de certains départements de la région parisienne par exemple, sont élus par un nombre d'électeurs beaucoup moins important que ceux des autres circonscriptions. La Creuse avec plus de 100 000 électeurs inscrits, va désormais peser deux fois moins que certaines circonscriptions de Paris ou de la banlieue qui en ont 50 000. La IIIème République, qui a parfois pris en compte les électeurs et non la population pour calculer le nombre de députés de chaque département, n'était-elle finalement pas plus respectueuse de l'égalité du suffrage ?
C'est une question sur laquelle il faudra, me semble-t-il, nous interroger à l'avenir ;
-Seconde observation : nous en sommes au douzième découpage depuis l'instauration du scrutin majoritaire uninominal en 1815 et 29 chambres sur 41 ont été élues depuis lors selon ce mode de scrutin auquel les Français sont très attachés. Chacune de ces douze opérations a balancé entre la recherche de l'équilibre démographique optimal, quitte à susciter des soupçons, voire des polémiques, sur les choix retenus dans la délimitation des circonscriptions pour y parvenir, et l'appui sur une circonscription administrative traditionnelle, le canton ou, pendant très longtemps, l'arrondissement, pour éviter les conflits, quitte à obtenir un déséquilibre plus important dans les populations des circonscriptions, comme c'était le cas sous la IIIème République qui conserva pendant soixante ans les limites d'environ 40 % des circonscriptions.
Comment concilier au mieux à l'avenir l'équilibre démographique, les entités géographiques, une rigoureuse équité politique et la nécessité d'un ajustement périodique, puisque la méthode du recensement glissant, que j'ai évoquée il y a un instant, risque de nous conduire à effectuer des ajustements permanents de notre carte électorale ? On ne pourra donc plus attendre 25 ans pour modifier la carte électorale qui vous est proposée. Je sais que le président de votre commission des lois s'est tout récemment soucié d'éviter une automaticité de ces modifications, impossible en pratique compte tenu de la difficulté de la tâche (et le retard de l'ajustement demandé depuis dix ans par le Conseil constitutionnel le prouve), en renvoyant à la commission indépendante de contrôle le soin de tirer en quelque sorte la sonnette d'alarme en cas d'aggravation des écarts de population.
Et je me demande, pour tout vous dire, s'il ne faut pas envisager, comme pour les commissions de délimitation en Grande-Bretagne ou la Commission des circonscriptions en Allemagne, d'attribuer une compétence plus large à la commission que le Premier ministre a mise en place il y a six mois.
Voilà deux sujets sur lesquels, bien au-delà de la question du découpage dont il est question aujourd'hui, je vous invite, mesdames et messieurs les députés, à réfléchir dans les prochains mois.
Je vous remercie pour votre attention.Source http://www.interieur.gouv.fr, le 20 octobre 2009