Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les Députés,
Depuis fin février le Parlement a entamé l'examen du projet de loi sur l'archéologie préventive adopté lors du conseil des ministres du 5 mai dernier. L'examen de ce texte par la représentation parlementaire constitue l'heureuse conclusion d'un dossier ouvert il y a maintenant quelque vingt ans.
L'intervention de cette loi donnera enfin un cadre juridique clair et incontestable à la pratique de l'archéologie préventive. Elle contribuera à modifier en profondeur l'organisation et les modes de fonctionnement de cette discipline scientifique dont le développement spectaculaire repose pour l'essentiel, sur le dynamisme et la persévérance des agents en charge de l'archéologie au sein du ministère ainsi qu'au soutien que leur ont apporté les archéologues de toutes origines attachés à la préservation des " archives du sol ".
Sans trop m'étendre sur le passé, je crois utile, en quelques mots de revenir sur les circonstances qui ont conduit le Gouvernement à proposer ce projet de loi.
A partir des années 1960, le développement des équipements publics et la mise en place de politiques d'urbanisme, notamment dans les centres villes, ont provoqué de graves destructions de notre patrimoine archéologique. Pour y faire face, de trop rares opérations de sauvetage étaient pratiquées par un petit nombre d'agents du ministère de la culture avec l'aide de bénévoles, mais insuffisantes face à l'ampleur des bouleversements. Aussi, en 1974, la création par l'Etat d'une association para-administrative -l'A.F.A.N.- a permis de répondre -mais en dehors des règles de la comptabilité publique- aux demandes de crédits de sauvetage. Dans le même temps l'Etat s'est progressivement doté d'instruments réglementaires permettant la prise en compte du risque archéologique dans les opérations d'aménagement. Ce dispositif juridique s'est toutefois révélé d'une efficacité limitée notamment parce qu'il ne comportait aucune disposition légitimant réellement les modes d'intervention de l'Etat. C'est dans ce contexte que les services archéologiques du ministère prirent l'initiative de mettre en place une " politique contractuelle " avec les divers responsables de l'aménagement du sol.
Ce système de convention avec les aménageurs s'est depuis généralisé. Ceux-ci apportent l'essentiel des financements nécessaires à la réalisation de la fouille. De leur côté, l'Etat et son opérateur, l'A.F.A.N, s'engagent à ce que l'opération archéologique soit effectuée dans des délais compatibles avec la réalisation des projets de l'aménageur et, sauf découverte exceptionnelle, à ce que cette intervention permette la levée de " l'hypothèque archéologique ". Ce dispositif mis ainsi en place a permis un développement significatif de l'archéologie préventive. La croissance de l'activité de l'A.F.A.N. en témoigne : quelques dizaines de salariés, tous contractuels à durée déterminé dans ses premières années d'existence, plus de 1200 agents en 2000 , dont près de 80% bénéficient désormais d'un statut d'agent permanent. Cependant, ce système butait toujours sur l'inadaptation de la loi du 27 septembre 1941 utilisée comme fondement juridique de l'intervention de l'Etat, sur la question du financement et sur celle de la légitimité de l'A.F.A.N. en tant qu' " opérateur public disposant de fait d'un quasi monopole d'intervention. " Ces questions ont donné lieu à de nombreuses études et propositions depuis 1990 mais la volonté politique d'aboutir faisait sans doute défaut. Cette discipline scientifique est ainsi entrée dans la crise que l'on sait.
Le nombre d'interventions diverses émanant de la représentation nationale témoigne d'ailleurs de la préoccupation de beaucoup d'entre vous.
Saisi de ce dossier en 1997, Catherine Trautmann s'est employée à le résoudre. C'est sur la base des travaux de Messieurs Demoule, Poignant et Pêcheur que le ministère de la culture et de la communication en concertation étroite avec le ministère chargé de la recherche et bien sûr en liaison avec les autres ministères techniques concernés a élaboré le projet de loi qui a été soumis à votre examen en première lecture les 22 et 23 février dernier. Il me revient ce soir de représenter le Gouvernement pour débattre de ce projet de loi en deuxième lecture.
Le projet qui vous est soumis diffère très sensiblement de celui que vous aviez adopté.
Le Sénat, en effet, en a modifié très sensiblement l'économie mais j'observe cependant, pour m'en réjouir, qu'un certain nombre de points ne semblent plus poser problème.
Ainsi, une large unanimité s'est manifestée, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, sur la nécessité, et même l'urgence, qu'il y avait à légiférer sur l'archéologie préventive afin de donner à cette discipline scientifique un véritable statut juridique.
Sur plusieurs points les avis se sont rapprochés. Ainsi plus personne ne conteste que :
- l'archéologie préventive est une activité de service public à caractère scientifique constituant une chaîne d'opérations indissociables couvrant notamment la prescription, l'opération de terrain, l'exploitation scientifique des résultats, voire leur diffusion ;
- l'Etat, en s'appuyant sur les avis des commissions scientifiques compétentes, dispose du pouvoir de désignation du responsable d'opération, de prescription, de contrôle et d'évaluation des opérations d'archéologie préventive ;
- la compétence de l'Etat s'étend à la confection et à la mise à jour de la carte archéologique nationale, les informations qu'elle contient ayant vocation à être portées à la connaissance des tiers intéressés ;
- l'établissement public à caractère scientifique, à l'administration duquel participe l'ensemble des acteurs de l'archéologie préventive, se substitue à l'AFAN pour la réalisation des opérations de fouilles et l'exploitation de leurs résultats ;
- le financement de cet établissement public est assuré par voie de redevances présentant le caractère d'imposition de toute nature, calculées selon des modalités qui permettent d'assurer une juste participation des aménageurs soumis à une opération d'archéologie préventive ;
- des dispositifs d'exonération ou de plafonnement des redevances doivent éviter la remise en cause des politiques gouvernementales du logement ;
- les contestations relatives à la détermination de la redevance doivent pouvoir être arbitrées par une commission réunissant des personnalités représentatives des intérêts en présence.
- les collectivités territoriales dotées de service archéologique sont associées, par principe, aux opérations d'archéologie préventive menées sur leur territoire ;
- les archéologues du CNRS, des universités, des collectivités locales, des associations et autres structures qualifiées sont partie prenante des opérations d'archéologie préventive et plus généralement des travaux scientifiques menés par l'établissement public, Sur un sujet aussi sensible que l'archéologie préventive, félicitons-nous de cette convergence de vue. Elle n'était sans doute pas imaginable il y a encore quelques mois !
Ce consensus trouve bien sûr ses limites.
Il bute sur un des éléments essentiels du dispositif proposé par le Gouvernement, et que vous aviez adopté lors de votre vote du 23 février. Le Sénat a en effet apporté une modification au statut de l'établissement. Qualifié d'administratif, doté de droits exclusifs dans la version issue des délibérations de votre assemblée, l'établissement public chargé de la réalisation des opérations préventives a reçu du Sénat le caractère industriel et commercial ouvrant ainsi la discipline à la concurrence. Le gouvernement a marqué son désaccord total avec le point de vue adopté dans la Haute Assemblée.
Quelle est aujourd'hui la position du gouvernement sur le projet de loi tel qu'il nous revient ? Je rappelle en premier lieu que le gouvernement avait donné son accord à la plupart des amendements proposés par votre rapporteur au nom de votre commission à l'occasion de la première lecture de ce texte à l'Assemblée nationale.
Dès lors, la position du Gouvernement ne peut être que très nuancée sur les amendements apportés par le Sénat.
Le gouvernement a donc été très attentif au travail mené ces derniers jours par la commission des affaires culturelles et par son rapporteur qui par une série d'amendements redonne à ce projet de loi sa cohérence initiale sans manquer également d'en améliorer la lisibilité et d'en enrichir le contenu.
Sans attendre la discussion article par article du projet, je souhaite apporter quelques commentaires sur les amendements adoptées par le Sénat et qui remettent en question le dispositif dont le Gouvernement souhaite voir la mise en uvre. Je pense en particulier aux modifications concernant les ouvertures à la concurrence commerciale.
Sur ce point, essentiel pour le Gouvernement, les choses sont particulièrement nettes. Analysant le fonctionnement a priori de l'AFAN et de ses modes d'intervention, le conseil de la concurrence, consulté par le gouvernement, avait conclu que, au regard du droit de la concurrence national et européen, les opérations archéologiques de terrain constituent une activité économique soumise aux règles du droit de la concurrence.
Mais les études entreprises par le Gouvernement visant à mesurer les conséquences pratiques et juridiques d'une telle approche ont conduit à écarter cette option. Un système basé sur la mise en concurrence économique s'avérait d'une lourdeur incompatible avec les impératifs de réponse rapide au risque archéologique inhérents aux activités d'archéologie préventive. Mais aussi sur le plan des objectifs poursuivis -sauvegarde du patrimoine, qualité scientifique de la recherche- il est apparu dangereux car susceptible de donner la priorité aux considérations économiques sur l'objectif scientifique. Enfin, l'opération de terrain n'est pas dissociable de la recherche, elle en est partie intégrante. Ecartant ce risque de dérive, le projet de loi opte pour la création d'un établissement public national de recherche, seul habilité à exécuter les opérations d'archéologie préventive.
Cette création ne signifie pas pour autant enfermement et exclusion. Comme je l'ai rappelé au cours de mon intervention, tous les acteurs de l'archéologie -les chercheurs du CNRS et de l'université, les archéologues des collectivités territoriales, les structures privées qualifiées- collaborent avec l'établissement dans l'exercice de chacune de ses missions et notamment sur les opérations de terrain.
Seul l'établissement public, en revanche, a l'obligation et les moyens de garantir les interventions archéologiques nécessaires -diagnostics et fouilles- en tout temps, en tout lieu, et sur des champs couvrant la totalité des périodes chronologiques, à des conditions identiques sur l'ensemble du territoire et compatibles avec les contraintes propres aux aménageurs, notamment en matière de délais.
Pour l'ensemble de ces raisons le Gouvernement est tout à fait opposé au dispositif adopté par le Sénat, lequel, au demeurant ne lui paraît pas répondre aux préoccupations exprimées par les acteurs de l'archéologie préventive, qu'il s'agisse des archéologues ou des aménageurs, particulièrement en matière de délais qui, si des dispositifs de mise en concurrence étaient retenus, seraient considérablement allongés.
S'inscrivant dans une démarche dynamique, le Gouvernement souhaite chaque fois que cela est possible ou nécessaire, l'amélioration des projets de loi soumis à la discussion. Le Gouvernement entend y apporter sa part.
Le projet de loi dans son article 1er bis adopté par votre assemblée dispose qu'il appartient à l'Etat de veiller à la conciliation des exigences respectives de la recherche scientifique, de la conservation du Patrimoine et du développement économique et social. Je ne doute pas que le travail accompli par votre assemblée permettra d'y parvenir.
(source http://www.culture.gouv.fr, le 25 mai 2000)