Déclaration de M. Bruno Le Maire, ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche, sur l'avenir de la politique de la pêche, le résultat des assises de la pêche, le développement de l'aspect nutritionnel dans les mesures à prendre, Brest le 1er décembre 2009.

Prononcé le 1er décembre 2009

Intervenant(s) : 

Texte intégral

Monsieur le maire de Brest, cher François,
Monsieur le Président du Conseil régional, cher Jean-Yves LE DRIAN,
Monsieur le Président du Conseil général,
Messieurs les Préfets,
Messieurs les Présidents
Cher Pierre-Georges DACHICOURT,
Mesdames et Messieurs les élus, cher Alain Cadec, cher Philippe BOENNEC,
Messieurs les amiraux, qui participez tant au développement de la ville de Brest et de ses environs, j'ai une pensée particulière pour l'Ecole navale où il m'est arrivé de passer quelques heures agréables en compagnie d'amis qui aimaient la mer et la fête ! Les deux peuvent aller ensemble très souvent,
Mesdames et Messieurs, chers représentants du Marin et des Echos, que je félicite pour cette initiative,
Chers amis,
Deux remarques générales tout d'abord, avant de parler de pêche, de l'avenir de la pêche en France et du lien entre la pêche française et Bruxelles.
Un premier mot pour vous dire tout le plaisir que j'ai d'être à Brest, dans cette ville qu'on dit du bout de la terre ou du début de la mer si l'on préfère, et pour tout vous dire cette ville dans laquelle j'ai un de mes premiers souvenirs de marin. J'ai une expérience de marin, je me souviens d'avoir embarqué de façon aventureuse dans une flottille d'Optimist à l'âge de 8 ou 9 ans dans la rade de Brest : un coup de vent, tous les Optimist ont dessalé. J'en ai tiré la conclusion que c'était le bateau qui portait le plus mal son nom dans la flotte française. Ca ne m'empêche pas de n'avoir aucune rancune pour Brest et d'aimer profondément cette ville et la Bretagne dans son ensemble.
Une deuxième remarque avant de vous parler de la pêche, pour vous dire ma conviction profonde que la mer est un atout français majeur. C'est un atout économique, c'est un atout environnemental, c'est un atout social. Le Premier ministre vous le dira demain sans doute mieux que moi, en clôturant ces Assises. Je suis convaincu également que nous tous, Français, nous sommes un peu marins au moins dans le coeur. Nous avons donc tous vocation à défendre cette économie, cette société de la mer. La mer, je tiens à la rappeler aussi, c'est une évidence, mais il y a des évidences qui sont parfois bonnes à rappeler, la mer ce sont aussi les pêcheurs. Je pense que si les Français peuvent être fiers de leur mer, fiers de leurs côtes, ils doivent aussi être fiers de leurs pêcheurs, fiers de leur activité de pêche, et donc tout faire, par conséquent, pour la défendre.
La pêche est en effet un secteur stratégique pour la France. Vous le savez tous ici, ce n'est pas à des bretons que je vais apprendre cela. Je rappelle juste quelques chiffres qu'il est bon d'avoir présents à l'esprit. La pêche c'est plus d'un milliard d'euros de chiffre d'affaires, c'est plus de 16 000 emplois de marins embarqués - sans compter les emplois indirects qui y sont liés - c'est plus de 5 000 navires actifs et 2 400 dans les départements d'outre-mer qu'il ne faut pas oublier. C'est donc une contribution majeure à l'animation et au développement économique et social des territoires littoraux, en métropole et en outre-mer. La pêche c'est également - et c'est un point que l'on oublie de mentionner alors que c'est à mon sens l'un des débouchés essentiels et qu'il faut aider à cultiver - la pêche c'est également un élément essentiel de notre alimentation. Je vous rappelle que pour la première fois, vous avez un ministre qui est d'abord ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche. Ce n'est pas un simple gadget, c'est une façon de donner un sens politique à l'activité agricole comme à l'activité de la pêche. Et dans le cadre du projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche sur lequel nous avons travaillé depuis plusieurs semaines avec les professionnels, avec Pierre-Georges DACHICOURT, nous ferons de la mise en place d'une politique publique de l'alimentation l'objectif politique majeur de l'agriculture et de la pêche en France. Nous le ferons avec des objectifs chiffrés. Nous le ferons avec des objectifs nutritionnels. Nous le ferons avec ces objectifs nutritionnels dans le cadre de la restauration collective, et je sais que les conseils régionaux et les collectivités territoriales travaillent déjà dans ce sens. Ce sera un choix politique majeur à la fois pour les citoyens français et pour les 500 millions de citoyens européens.
De ce point de vue-là, je crois que les produits de la pêche mériteront d'être mieux étiquetés, de façon à ce que le consommateur sache à quel type de poisson il a à faire, comment est-ce qu'il a été conditionné, comment il a été pêché, comment il se retrouve sur son étal. Et nous devrons valoriser, précisément dans cette politique publique de l'alimentation la qualité nutritionnelle exceptionnelle du poisson. Je pense bien sûr à la présence d'oméga 3 dans le poisson, ça empêche le vieillissement - pour moi, il est toujours temps de m'en préoccuper. Puis, il y a aussi le phosphore qui est bon pour l'intelligence - ça ne peut nuire à personne. Tout cela mérite, à mon sens, dans le cadre de cette politique de l'alimentation, d'être valorisé. Je le dis pour les produits de la pêche, je le dis aussi pour les produits de l'ostréiculture.
Je voudrais vous dire un mot à ce sujet là pour vous dire à quel point je suis déterminé à aider le monde ostréicole pour passer dans les meilleures conditions possibles l'année 2009 difficile qu'il a eue à vivre. L'aider en prenant compte de ses difficultés de trésorerie. L'aider en lui permettant de développer de nouvelles souches, et d'introduire de nouvelles souches qui soient plus résistantes. Vous savez tous les difficultés qu'ont eues les jeunes huîtres de moins d'un an qui ont eu du mal à survivre les années passées. Il faut aider à développer de nouvelles souches pour le monde ostréicole. L'aider à mettre en place, comme je m'y suis engagé auprès du monde ostréicole, au 1er janvier 2010 un nouveau test physico-chimique en remplacement du test de la souris garantissant la même sécurité sanitaire au consommateur mais dans des conditions d'expertise plus acceptables pour les professionnels.
L'avenir de la pêche, vous l'avez dit tout à l'heure Monsieur le Président, se joue d'abord en Europe. Et si le Président de la République et le Premier ministre ont choisi de mettre à ce poste un spécialiste des questions communautaires et de la diplomatie européenne, ce n'est pas un hasard. C'est parce que les intérêts des pêcheurs français se défendent d'abord à Bruxelles. Pour que nous nous défendions bien, il faut que nous soyons à la tête de la réforme de la Politique Commune de la Pêche. J'ai fixé comme ambition à la pêche et à l'agriculture françaises d'être à la tête de la Politique Commune de la Pêche et d'être à la tête de la Politique Agricole Commune. Nous l'avons fait pour la pêche dans le cadre des Assises. Nous le ferons pour l'agriculture dès le 10 décembre en réunissant à Paris l'ensemble des ministres de l'agriculture européens intéressés à la régulation des marchés agricoles pour que nous prenions la main, nous en France, sur la Politique Agricole Commune. La France, sur la pêche comme l'agriculture, n'a pas vocation à suivre les autres Etats membres, elle a vocation à entrainer les autres états européens, à faire des propositions et à être en initiative.
De ce point de vue, j'estime que ce qui a été fait dans le cadre des Assises de la pêche est un véritable modèle et un cas d'école. Nous avons organisé les Assises de la pêche, nous avons ouvert pendant plusieurs semaines une vaste consultation sur la réforme de la Politique Commune de la Pêche. Nous avons construit ensemble avec les professionnels, avec les associations, avec les organisations non gouvernementales, avec les élus locaux la position française pour la réforme de la Politique Commune de la Pêche. Nous avons désormais un temps d'avance sur les autres états européens. Nous sommes unis. Nous sommes solidaires sur nos positions. Nous pourrons, comme je l'ai fait hier avec mon homologue espagnole, présenter une position française qui est une position forte, qui est une position claire et qui en même temps est un position innovante, qui n'est pas en arrière de la main mais qui est en avance sur les autres Etats.
Je voudrais profiter de ces Assises pour remercier très sincèrement tous les acteurs de ces Assises de la pêche. Je pense en premier lieu aux professionnels, et je veux remercier encore une fois Pierre-Georges DACHICOURT pour la manière dont il a conduit ces travaux, les syndicats qui ont participé aussi activement à ces travaux, les élus locaux comme les élus nationaux, je voudrais remercier Philippe BOENNEC pour le travail qu'il a accompli et qu'il continue dans le cadre de la mission qui lui a été confiée sur le pêche en eaux profondes, les élus européens, je suis en contact avec Alain CADEC quasiment toutes les semaines pour faire le point sur la position du Parlement européen sur la réforme de la politique de la pêche - vous savez que dans le cadre du traité de Lisbonne le Parlement européen sera codécisionnaire donc il est essentiel de l'associer à tous nos travaux - les organisations non gouvernementales, qui pour la première fois se sont rassemblées dans une plateforme commune pour donner plus de poids à leur position, ce qui nous a permis de les intégrer de manière plus facile, et aussi évidemment les experts de l'administration, des institutions spécialisées, des établissements publics placés sous mon autorité et la direction générale de la pêche, dont le directeur Philippe MAUGUIN est présent et que je tiens à remercier. Grâce à ce travail, encore une fois, exemplaire, je pourrai porter à Bruxelles une position française claire, novatrice et déterminée sur l'avenir de la Politique Commune de la Pêche.
Cette position, elle tiendra en quatre grandes orientations que je voudrais vous présenter ce matin.
La première orientation, c'est celle d'une pêche durable et responsable. Il est évident, cela a été rappelé tout à l'heure, qu'il n'y a pas de pêche sans gestion intelligente des ressources halieutiques. Gestion intelligente, ça veut dire qu'il ne faut pas mettre tous ses oeufs dans le même panier et il ne faut pas confier à une seule personne, à une seule institution, la définition de ce qu'est une gestion intelligente. Je pense au contraire qu'il faut savoir confronter plusieurs intelligences et plusieurs expertises. Il faut que les scientifiques, les pêcheurs, les organisations non gouvernementales puissent confronter leurs avis de façon à présenter une expertise qui soit la plus large et la plus stable possible. Ne laissons pas une seule personne décider pour tous les autres. C'est dans la confrontation sereine des expertises que nous aurons la meilleure évaluation des ressources halieutiques, c'est-à-dire une évaluation qui soit partagée par tous et donc acceptée par tous. Sortons de cette opposition stérile entre scientifiques, organisations non gouvernementales et pêcheurs. Apprenons à travailler ensemble. Chacun a son expérience. Chacun a son expertise. Chacun a sa science liée à sa propre valeur. Si en les confrontant ensemble, si en les réunissant dans le cadre d'une nouvelle institution qui sera créée dans la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche que nous trouverons les meilleurs solutions.
Deuxième élément de cette pêche durable et responsable : il est impératif naturellement que nous traitions des impacts réciproques des différentes activités. La pêche doit minimiser ses impacts sur l'environnement, c'est une certitude qui est partagée par les pêcheurs eux-mêmes. Mais la pêche subit aussi l'impact d'autres activités, et il est essentiel notamment en matière de lutte contre la pollution que nous en tenions le plus grand compte pour aider les pêcheurs. Enfin, nous devons avoir conscience que les pêcheurs ont un rôle utile, pour reprendre l'expression de Pierre-Georges DACHICOURT, de « sentinelles de la mer ». Là encore, permettez-moi de rappeler quelques évidences que vous partagez tous ici, mais mes propos dépassent le cadre de cette salle, pour dire tout simplement que les pêcheurs sont tous les jours en mer. Etant tous les jours en mer, ils restent les meilleurs observateurs de la mer. Ils peuvent rapporter des données tous les jours. Ils peuvent rapporter des observations sur les niveaux de pollution, sur la modification de l'environnement, sur la disparition ou l'épuisement de certaines espèces. Tenons compte de l'expérience des pêcheurs, de leur présence en mer et du rôle qu'ils peuvent jouer en matière d'information et d'observation. A partir de là et à partir de cette évidence, je suis favorable à l'encouragement de toutes les expérimentations qui peuvent être proposées pour que là aussi nous ayons un temps d'avance, pour que nous ne restions pas en recul par rapport aux attentes de la société, ni en recul par rapport aux autres propositions européennes.
Je tiens à ce sujet-là citer deux exemples d'expérimentations qui me paraissent utiles et particulièrement profitables. La première, c'est l'idée qui a été avancée par les organisations non gouvernementales et qui me paraît intéressante, des unités d'exploitation et de gestion concertées. Ces unités d'exploitation et de gestion concertées des écosystèmes seront mises en place sur 6 sites pilotes, c'est l'engagement du Grenelle. Et je pense que c'est une façon d'avoir une vue beaucoup plus globale de la gestion de la ressource, qui est une vue qui ne tient pas seulement compte de l'évolution de la ressource en langoustines ou en coquilles pour prendre l'exemple de ces espèces, mais qui tient aussi compte de ce qui entoure les langoustines et les coquilles en termes d'environnement, de bio-environnement et de sécurité même de cet environnement. Cela me paraît donc une expérimentation utile à conduire.
Deuxième exemple, et j'en ai parlé tout à l'heure avec le président du Conseil général, parce que je crois qu'on peut toujours progresser dans la mise en place de ces expérimentations, ce sont les aires marines protégées. Le parc marin de l'Iroise est de ce point de vue tout à fait exemplaire, puisqu'il associe directement la protection de l'environnement et le développement d'une pêche responsable. Je tiens à rappeler ici notre engagement à développer dans le cadre du Grenelle la protection de 20% de nos eaux françaises sous forme d'aires marines protégées, mais je voudrais y apporter une précision importante qui n'est pas simplement une précision rhétorique, mais qui est un vrai choix politique qui vaut pour les aires marines protégées comme pour la pêche française dans son ensemble, comme pour l'agriculture française dans son ensemble. Je souhaite que cet objectif de 20% de protection des eaux françaises dans des aires marines protégées soit porté à l'échelle européenne. Je souhaite donc que 20% des eaux communautaires soient elles-aussi placées dans les mêmes délais en aires marines protégées. Je souhaite que la pêche communautaire, que la Politique Commune de la Pêche reconnaisse officiellement et juridiquement le statut d'aires marines protégées. Pourquoi ? Tout simplement pour que tout le monde en Europe soit soumis aux mêmes contraintes. Je pense qu'il est bon que la France prenne la tête de la pêche durable. Je pense qu'il est bon et souhaitable que la France prenne la tête de l'agriculture durable. Et je pense qu'il tout aussi nécessaire que la France fasse en sorte qu'à l'échelle communautaire que les mêmes règles s'appliquent pour tous, de façon à ce que ni nos pêcheurs ni nos agriculteurs n'aient à subir des contraintes plus importantes que nos voisins qui sont dans le même marché, qui vendent les mêmes espèces, qui vendent les mêmes produits et qui pourront le faire avec des conditions moins drastiques, moins contraignantes. Voilà l'objectif que je fixe donc sur ces expérimentations : avancer le plus loin possible, avancer dans les meilleurs délais possibles compatibles avec les contraintes économiques des pêcheurs, et le faire en veillant à ce que tous nos partenaires européens soient soumis aux mêmes règles et aux mêmes contraintes de façon à ce que nous prenions l'initiative et que nous créions un véritable mouvement dans ce sens. Pour être durable en effet, faut-il encore que la pêche garde sa rentabilité, et qu'on lui permette d'évoluer dans le sens de cette rentabilité.
J'ai écouté attentivement ce que disait le président du Conseil régional tout à l'heure sur la question du renouvellement de la flotte. C'est une question sur laquelle nous travaillons, qui suscite toute mon attention et sur laquelle nos devons faire des propositions nouvelles. J'ai proposé à Michel ROCARD et à Alain JUPPE lorsque j'ai été auditionné par la Commission du Grand Emprunt que nous consacrions une partie du Grand Emprunt à la question de la modernisation et du renouvellement de la flotte de pêche française en expérimentant notamment de nouvelles motorisations moins polluantes et en investissant dans les motorisations moins polluantes. Cette orientation a été retenue par Alain JUPPE et par Michel ROCARD dans le cadre du Grand Emprunt. Je souhaite, les arbitrages ne sont pas encore rendus, le Président de la République et le Premier ministre portent aussi toute leur attention à cette proposition également, qui doit nous permettre là aussi d'avoir un temps d'avance, qui doit nous permettre de renouveler la flotte dans un sens qui soit économiquement plus rentable et en matière de développement durable plus respectueux de l'environnement.
La deuxième orientation que je porterai par conséquent à Bruxelles, elle va de soi, c'est une défense forte des intérêts économiques de la pêche française. Comment est-ce que je compte défendre ces intérêts économiques ? Je pense qu'il faut savoir fixer des lignes rouges qui soient le plus claires possible de façon à ce que nos partenaires européens sachent où se trouve la France, jusqu'où elle est prête à ne pas aller.
Première remarque : je reste attaché au principe des quotas de captures. Je crois que ces quotas de captures sont, pour tous les pêcheurs français, une sécurité et une garantie. Ces quotas de captures doivent être gérés de manière intelligente, c'est-à-dire de manière collective par les organisations de producteurs. C'est à mon sens la meilleure façon de gérer les quotas de captures, et je le dis ici en Bretagne, dans une région qui a pris l'initiative en la matière. J'ai reçu il y a quelques jours la coopérative Pêcheurs de Manche et de l'Atlantique. Nous avons discuté longuement de leur gestion des quotas. Je crois que la gestion collective qu'ils en font est une gestion intelligente, d'abord parce qu'elle préserve les intérêts des pêcheurs eux-mêmes et en même temps parce qu'elle n'interdit pas une individualisation bateau par bateau en fonction de l'état des ressources et en fonction de la pêche flottille par flottille. Je crois que, de ce point de vue là, ce que fait la coopérative Pêcheurs de Manche et de l'Atlantique me semble un modèle en matière de gestion de la ressource et de régulation des marchés, car ce n'est qu'avec des quotas de capture collective que nous mettrons en place une régulation intelligente du marché, c'est-à-dire une meilleure valorisation de la ressource. Parce qu'il y aura une meilleure valorisation de la ressource, il y aura un revenu plus stable et plus élevé pour les pêcheurs qui doit naturellement être notre objectif.
Dans le même sens, je suis contre les quotas de captures individuels transférables. Je crois ces quotas de captures individuels transférables nous conduiraient inévitablement à concentrer les moyens au profit de quelques grandes unités de production. Ce modèle là, cette concentration des moyens, ce n'est pas le modèle agricole français, et ce n'est pas le modèle de pêche française. Ma vision de la pêche française est une vision dans laquelle on peut avoir une pêche développée et une pêche artisanale, et où chacun trouve sa place sur les côtes françaises. Je ne suis pas favorable au développement de quelques grandes unités de production de pêche isolées et concentrées dans deux ou trois points des côtes françaises. Ce n'est pas conforme à ma vision de la pêche française et ce n'est pas conforme à mon sens ni aux intérêts des pêcheurs ni à ce qu'est la réalité des côtes françaises aujourd'hui et depuis plusieurs décennies.
Je suis également défavorable à une gestion des quotas par l'effort de pêche. Je crois que c'est une idée qui est séduisante sur le papier, mais qui dans la pratique risque d'amener deux effets pervers. Le premier effet pervers, c'est qu'elle va naturellement concentrer la pêche sur les espèces les plus valorisées. Si vous laissez la liberté à chaque pêcheur pendant une durée limitée, vous faites ce que vous voulez pendant 3 jours ou 4 jours par mois et après c'est fini, il est évident que les pêcheurs vont se concentrer sur les espèces les plus valorisées, la sole, le cabillaud, avec tous les problèmes que cela posera en terme d'effort de pêche et en terme de quotas. La deuxième conséquence, elle a été observée par l'IFREMER, par tous les instituts spécialisés, par les responsables des pêches, ce que si vous avez des contraintes fortes, une limitation forte tonneaux de jauge, vous n'avez pas de sortie de flotte, vous n'avez pas de renouvellement de la flotte, et vous avez un problème de vieillissement des bateaux qui appelle directement des problèmes de sécurité pour les marins-pêcheurs. Là aussi de ce point de vue là, ça ne me paraît pas conforme à notre objectif de renouvellement et de modernisation, et pas conforme non plus à l'objectif, qui a été rappelé par Jean-Yves LE DRIAN, de sécurité des navires et donc de sécurité des hommes en mer.
Troisième élément que je souhaite porter à Bruxelles après la défense des intérêts économiques et de la pêche durable, c'est la réforme de la gouvernance de la Politique Commune des Pêches. Je voudrais juste pour commencer sur ce point là, vous faire part d'une expérience personnelle. Il y a quelques semaines, trois semaines très précisément, mon conseiller technique chargé de la pêche et mon directeur des pêches sont venus me voir en me disant « Voilà, il y a un règlement technique pêche qui est en discussion à Bruxelles, et il comporte un certains nombre de mesures qui seront terriblement contraignantes pour les pêcheurs ». Ce sont des mesures qui élargissaient mécaniquement pour toutes les pêcheries la taille du maillage des filets, ou des mesures qui préconisaient par exemple de ne plus emporter qu'un seul filet de pêche par navire. Le navire partait à la pêche avec son filet unique, et s'il ne trouvait pas les poissons qu'il pouvait pêcher avec ce type de filet, il n'avait plus qu'à revenir à terre, chercher le bon type de filet, repartir en mer, en espérant bien sûr que les poissons ne soient pas partis entre temps. Ce genre de proposition technique, éloigné de la réalité du terrain, proposée sans réelle concertation avec les organisations professionnelles, sans étude d'impact sérieuse, sur l'impact économique que cela pouvait avoir sur les pêcheries européennes, m'a semblé tout à fait inacceptable. Nous avons donc constitué en trois semaines, avec l'Espagne, avec le Portugal, avec l'Italie - et c'est là qu'il est important d'avoir un ministre de la pêche qui soit un diplomate - une minorité de blocage pour nous opposer à ce règlement technique pêche. Je vais vous dire, ce n'est pas quelques chose que je fais de bon coeur. Je suis un européen convaincu et j'essaie toujours de trouver des solutions européennes constructives. Quand je vois que les lignes rouges sont franchies et quand je vois que les intérêts économiques de la France sont directement menacés, je dis « stop ». Et donc nous avons bloqué l'adoption du règlement technique pêche, parce que je crois qu'il avait été fait suivant une mauvaise méthode et qu'il aurait menacé les intérêts économiques français. Et bien j'aimerais, comme européen convaincu, ne pas avoir à revivre ce genre d'expérience, ne pas avoir à constituer de minorité de blocage, ne pas avoir à empêcher l'adoption d'un texte, je préférais de loin avoir à modifier de façon constructive un texte qui a été élaboré par les pêcheurs en premier lieu, élaboré par les professionnels en premier lieu, consulté auprès des professionnels en premier lieu, qui ensuite seulement remonte au niveau de la Commission et au niveau des Etats membres et des ministres qui les représentent.
Je souhaite donc que nous arrêtions avec le micro-management technique au niveau européen et Joe BORG le précédent commissaire européen en était lui-même tout à fait convaincu. Il n'est pas normal que des ministres passent des heures, jusqu'à 2 ou 3 heures du matin, en Conseil agriculture et pêche, au niveau des ministres à discuter des millimètres de mailles de filets comme s'ils étaient des spécialistes. Je ne suis pas un spécialiste des mailles de filets et je ne suis pas payé par le citoyen français pour l'être. Je suis payé pour défendre les intérêts économiques français à Bruxelles et je le ferai bien si les professionnels, avant que je me réunisse avec mes homologues européens ont décidé, de ce qui été bon en terme de maillage de filets pour la pêche française, pour la pêche européenne et pour le respect de la ressource halieutique.
Il faut donc impérativement renverser l'ordre des choses en matière de gestion de la pêche en Europe, que nous arrêtions avec une idée qui vient du haut et qui s'applique vers le bas pour aller vers une pêche européenne qui soit élaborée par les pêcheurs et les professionnels eux-mêmes pour ensuite remonter vers les Etats et vers les commissions qui prendront des arbitrages politiques. De ce point de vue là, je souhaite que nous nous appuyions davantage sur des propositions des conseils consultatifs régionaux je souhaite d'ailleurs que ces conseils ne soient plus des conseils consultatifs mais des conseils véritablement opérationnels force de proposition. Je propose donc de rebaptiser ces conseils consultatifs régionaux pour en faire des comités de pêche européens qui auront une véritable force de proposition, qui associeront les professionnels, les experts, les scientifiques qui seront dotés de nouveaux moyens qui pourront mener des études d'impact approfondies et qui permettront tout simplement au commissaire européen et aux ministres en charge de la pêche en Europe de faire correctement leur travail c'est-à-dire de ne pas se substituer aux pêcheurs et aux professionnels mais de rendre des arbitrages politiques. Ces comités de pêche européens, je souhaite que dans le cadre de la futur politique commune de la pêche ils leur soient donnés toute la force de proposition et d'expertise nécessaires.
Enfin un quatrième point que je défendrai à Bruxelles, c'est le volet social. Le volet social c'est une propriété et une particularité de la France, ce n'est pas parce que c'est une particularité de la France qu'il faut en rougir. Je pense au contraire qu'il faut en être fier. Aucun autre Etat sinon la France, ne pensera au volet social de la politique commune de la pêche raison de plus pour défendre avec beaucoup de convictions ce volet social et pour le porter haut et fort à Bruxelles. Qu'est ce que ca veut dire ce volet social ? Ca veut dire d'abord une harmonisation européenne des conditions de travail des marins pêcheurs. Le droit du travail français protège les marins pêcheurs. Je souhaite qu'il ne soit plus perçu par la filière, comme une contrainte et comme un facteur de concurrence déloyale pour que les autres pêches européennes permettent aux marins pêcheurs d'être aussi bien protégés que le sont les marins pêcheurs français. Je souhaite également que tous les instruments dont disposent les autres marins qui ne sont pas des marins pêcheurs puissent être ouverts aux pêcheurs eux-mêmes. Comment pouvons-nous accepter par exemple qu'en matière de formation la convention sur la formation des gens de mer s'applique à tout le monde en mer sauf aux pêcheurs. Je pense qu'il est temps que cette convention sur la formation des gens de mer qui ont la possibilité de formations, de reclassements beaucoup plus faciles pour tous les marins s'applique également aux pêcheurs de façon à ce qu'ils puissent disposer de ces possibilités là.
Je porterai ce dossier dans les négociations d'échelle internationale avec Jean-Louis BORLOO qui est responsable du droit du travail maritime et je profite de cette incidence pour vous dire que et vous rassurer sur ce point là, il n'y a entre, Jean-Louis BORLOO et moi-même, pas l'épaisseur d'une feuille de papier à cigarette. Je crois qu'il est très bon d'avoir un ministre de la mer et d'avoir un ministre de la pêche, nous défendons chacun les intérêts qui sont ceux qui nous ont été confiés par le Président de la République et par le Premier ministre mais nous discutons, nous échangeons, nous trouvons toujours des solutions de compromis et c'est précisément parce que nous dialoguons régulièrement que nous arrivons à chaque fois à trouver des solutions de compromis. Philippe BOENNEC le sait bien quand nous avons du mettre sur pied une mission sur la pêche en eaux profondes, nous en avons discuté ensemble parce que c'est un sujet très sensible, comment faire pour maintenir la pêche en eaux profondes sans abîmer les fonds marins, en respectant les écosystèmes, en respectant le développement durable. C'est en échangeant avec Jean-Louis BORLOO que nous avons eu cette idée de mission que nous avons confié à Philippe et que nous arriverons comme cela à progresser mais il n'y a pas au sein du gouvernement, le Premier ministre le rappellera demain, ni rivalité ni opposition ni même susceptibilité. Je ne suis pas quelqu'un de susceptible je cherche d'abord à faire avancer les choses de la manière la plus constructive possible.
Voilà les éléments que nous porterons pour la politique commune de la pêche. Je dois vous dire pour terminer que je suis à la fois fier et heureux du travail qui a été accompli. Je suis fier parce que je suis toujours fier lorsque la France plutôt que de rester dans son coin, plutôt que d'adopter des positions défensives est capable de prendre la main, est capable dans des délais très courts de constituer une position nationale forte consolidée entre les professionnels, les associations, les élus, qu'elles présentent ensuite à l'ensemble de ses partenaires. Les quatre points de la position française feront l'objet d'un mémorandum que je transmettrai à mes collègues européens. Nous nous réunirons avec eux dans les semaines à venir, avec tous les Etats européens qui ont une pêche importante et les propositions françaises parce qu'elles seront les premières, parce qu'elles auront la forme d'un mémorandum, parce qu'elles auront été concertées entre tous les acteurs seront des propositions qui feront référence pour la définition de l'avenir de la politique commune de la pêche. Et puis, je suis heureux comme ministre que nous soyons arrivés à ce résultat parce que tout ce qui permet de défendre l'activité des pêcheurs, tout ce qui permet de défendre l'avenir de la mer qui occupe une place si importante, ici à Brest et en Bretagne, ne peut rendre que heureux le ministre de l'agriculture et de la pêche que je suis.
Merci à tous.
Source : http://agriculture.gouv.fr, le 8 décembre 2009