Interview de M. Jean-Marc Ayrault, premier secrétaire du PS, à "France Info" le 30 décembre 2009, sur les raisons de la saisine du Conseil constitutionnel par le PS sur la taxe carbone et sur son appréciation de la décision du Conseil.

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Média : France Info

Texte intégral

B. Thomasson.- Le PS, les députés PS avaient saisi le Conseil constitutionnel sur la taxe carbone. Pourquoi cette saisine ?

Sur l'ensemble de la loi de Finances, et vous l'avez évoqué il y a quelques instants, la plupart des articles ont été validés, sauf celui-ci, qui a été censuré par le Conseil constitutionnel. Pourquoi ? Vous l'avez dit, injustice fiscale et sociale. Et puis, du point de vue des objectifs, c'est-à-dire de réduire la consommation d'énergie pour participer à la lutte contre le réchauffement climatique, un projet qui ne marche pas, puisqu'il y a tellement d'exonérations que les objectifs, de ce point de vue, ne seront même pas atteints. Donc c'est la raison de la censure. Et c'est une bonne décision. Cela veut dire que la méthode Sarkozy, une fois de plus, n'a pas marché. On annonce une réforme, et puis finalement on s'y prend tellement mal, on n'écoute personne, qu'on fait du mauvais travail. C'est un vrai gâchis. Maintenant il faut repartir à zéro. Il faut faire une réforme, effectivement, fiscale, qui soit plus écologique, plus protectrice de l'environnement, mais pour ça il faut l'accompagner aussi d'une réforme fiscale. C'est ce que nous n'avons cessé de dire dans le débat à l'Assemblée nationale. Et le Gouvernement et la majorité n'ont pas voulu écouter. Voilà le résultat. C'est un vrai gâchis.

F. Lefebvre, le porte-parole de l'UMP, parle ce matin, en parlant de vous, "de combat d'arrière-garde". Est-ce que c'est une victoire malgré tout, cette décision de retoquer le projet en l'état ?

C'est une victoire par rapport à des objectifs qui sont essentiels. Moi, j'étais présent à Copenhague, et j'ai, comme beaucoup, souffert du résultat de l'échec de Copenhague. Je crois qu'il ne suffit pas de faire des effets d'annonce, de partir comme ça, la fleur au fusil, à Copenhague comme l'a fait N. Sarkozy en disant "vous allez voir ce que vous allez voir", et arriver à un échec. Avec la taxe carbone, c'est un peu la même chose, c'est de la com'. Quand on fait trop de com' et qu'on ne fait pas une bonne politique, voilà le résultat. C'est pour ça que je parle de gâchis. Donc, nous, nous avons saisi le Conseil constitutionnel, et le Conseil constitutionnel a suivi nos arguments. Du point de vue de la Constitution, il faut que les lois fiscales ne créent pas d'inégalités flagrantes entre les citoyens. Lorsque le remboursement de cette taxe est forfaitaire, quelqu'un qui est payé au SMIC, qui habite loin de la ville et qui doit prendre sa voiture tous les matins, qui est chauffé au fuel, il recevra la même somme que celui qui a un haut revenu, qui habite en ville et qui peut faire des économies d'énergie, qui peut investir dans son appartement, qui va prendre les transports publics. Il y a quelque chose qui ne va pas. Et puis, comme on a exonéré énormément d'entreprises de cette taxe carbone, du point de vue écologique et du point de vue de la réduction de la consommation d'énergie, d'énergie fossile, les objectifs n'étaient pas atteints.

Les entreprises devaient intervenir dans quelques années, enfin d'ici deux, trois ans je crois...

Oui, mais quand on veut faire une bonne réforme, il faut s'inspirer de ce qui a été fait dans d'autres pays qui ont instauré la fiscalité écologique, et pas seulement la taxe carbone. C'est notamment le cas la Suède. Lorsque la Suède s'est lancée dans cette réforme, elle a fait un travail extrêmement précis, elle a cherché le consensus dans le pays, et surtout elle a accompagné cette réforme d'une réforme fiscale, c'est-à-dire que c'est à somme nulle, ce n'était pas plus d'impôt. Là, c'est une taxe de plus. Comme c'est une taxe de plus, ça a été mal ressenti par les Français, et en plus on n'atteint même pas l'objectif écologique. Donc je crois qu'il faut tout reprendre à zéro, mettre en place une fiscalité qui soit... encourageant, je dirais, la consommation vertueuse de l'énergie, et c'est vrai que si on s'y prend bien, ce sera le résultat au bout de quelques années. Et en même temps, on accompagne ça d'une réforme fiscale, qui pèse moins, par exemple, sur la fiscalité du travail. On aurait pu aussi en même temps, comme nous l'avions suggéré, supprimer le bouclier fiscal, supprimer quelques niches fiscales. Tout ça, ça aurait fait une vraie réforme. Mais, vous savez, vraiment, quand on dit qu'il faut que le Parlement retrouve ses droits, moi je constate qu'à chaque fois que nous faisons des propositions, l'opposition socialiste, elles ne sont pas écoutées. Si dans le cas d'espèce elles avaient été écoutées et retenues, je pense qu'on n'en serait pas là.

Vous citez toujours le bouclier fiscal comme un...

...C'est un symbole.

Vous n'avez pas d'autres arguments que ce bouclier fiscal à mettre en avant ?

Non, j'ai dit au passage, mais on n'a pas beaucoup de temps pour s'expliquer, que c'est ce qu'ont fait les Allemands, par exemple, qui ont modifié en même temps qu'ils instauraient cette taxe, cette nouvelle fiscalité écologique, une modification des prélèvements sur le travail. Donc plus de prélèvements sur l'énergie, moins de prélèvements sur le travail. Donc on peut aussi trouver d'autres sources de financement, notamment de la protection sociale. Mais pour ça, ça veut dire un vrai travail, un travail qui prend du temps, un travail qui demande de la concertation, de la négociation, puisqu'il y a beaucoup de partenaires concernés, pour arriver à un bon résultat. Ce qui compte, quand on fait une réforme, c'est qu'elle soit juste et qu'elle soit efficace.

Vous avez évoqué l'Allemagne, vous évoquez la Suède également, est-ce que la France peut mener un tel projet sans les autres pays européens ?

Ça, c'est l'autre dimension. Je pense qu'à Copenhague la France et l'Europe auraient dû parler d'une même voix et beaucoup plus fort, et puis surtout même après l'échec de Copenhague, s'engager à mettre en place des objectifs ambitieux en matière de lutte contre le réchauffement climatique et, si nécessaire, se protéger aux frontières. Ça, c'est quelque chose qui est tout à fait faisable. Le débat est devant nous sur cette question. Mais là il s'agit de la politique française, d'autres pays l'ont fait et de façon unilatérale - c'est le cas la Suède, c'est le cas de l'Allemagne -, je ne vois pas pourquoi la France ne le ferait pas. Mais faut-il qu'elle le fasse de façon efficace et de façon juste. Comme elle ne l'a pas fait de façon efficace et de façon juste, le Conseil constitutionnel - cette décision est rare - a sanctionné lourdement le Gouvernement. Pour lui, c'est un échec.

En même temps, F. Fillon a dit dès hier soir : nouveau projet de loi, proposition qui va prendre en compte les remarques du Conseil constitutionnel dès le 20 janvier. Est-ce que, à nouveau, ça va trop vite ? Qu'est-ce que vous attendez du Gouvernement dans la préparation de ce nouveau texte ?

En tout état de cause, cette fois-ci, j'attends que le Gouvernement change de méthode et qu'il écoute. Qu'il écoute non seulement l'opposition en particulier, puisque les remarques du Conseil constitutionnel, c'est celles que nous avions faites, je le rappelle quand même. Et puis, d'autre part, s'il s'agit d'une réforme d'ampleur, notamment sur le plan fiscal, il faut aussi se concerter avec les partenaires sociaux, je crois que c'est très important, pour créer du consensus dans le pays. Ce n'est pas comme ça qu'on fait les réformes.

Donc le 20 janvier c'est trop tôt ?

Le 20 janvier, c'est le projet du Gouvernement, ce n'est pas le vote de l'Assemblée. Si j'ai bien compris, c'est le Gouvernement présentera un projet au Conseil des ministres, et ensuite on prendra le temps d'en débattre. Il faudra qu'ensuite l'Assemblée nationale, le Parlement, ait le temps d'en discuter. Et j'espère qu'à ce moment-là, la méthode changera. Si vraiment les dirigeants du pays sont sincères, alors ils changeront de méthode. Sinon ils continueront comme avant. Mais, vous savez, je n'ai pas beaucoup d'espoir, parce que ça fait des mois et des mois que nous dénonçons toute une série d'injustices fiscales, de mesures qui ont été prises avant la crise, et le Gouvernement fait comme si il n'y avait pas de crise et continue comme avant. Et c'est ce qui fait qu'aujourd'hui il y a une vraie impopularité du Gouvernement. Il y a la méthode, il y a la politique, il y a l'absence de résultat. Je pense qu'il est temps d'écouter un peu plus le pays.

D'autant moins d'espoir que le Conseil constitutionnel n'a retoqué que la partie taxe carbone, mais vous le disiez, a validé tout le reste de la loi de Finances, dont notamment la taxe professionnelle supprimée. C'est un échec ça pour vous ?

Ce n'est pas un échec, c'est parce que le Conseil constitutionnel juge en droit, ce n'est pas une troisième Chambre, ce n'est pas la troisième lecture d'un projet de loi. Cela n'empêche pas que la réforme de la taxe professionnelle telle qu'elle a été faite est mauvaise. Vous savez qu'elle va quand même coûter 12 milliards d'euros au budget, c'est-à-dire financée par l'emprunt, et elle aura pour conséquence, dans les années à venir, des modifications très profondes des ressources des collectivités locales, au moment où on a besoin qu'elles investissent, et ça risque de se traduire par une augmentation des impôts des ménages. C'est ça la conséquence de la réforme de la taxe professionnelle. Et ça, le Conseil constitutionnel l'a jugé constitutionnel, c'est une autre affaire. Du point de vue politique, la bataille va continuer.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 7 janvier 2010