Interview de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la justice et des libertés, à RTL le 4 mars 2010, sur l'application de la législation permettant de lutter contre les phénomènes de violence parmi les supporters sportifs et sur la réforme du code de procédure pénale.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

M. Tronchot.- Des poursuites judiciaires engagées contre dix-huit supporters du PSG, seize d'entre eux placés sous contrôle judiciaire. Est-ce qu'on va vers la tolérance zéro ?

Je pense qu'en la matière, il faut aller vers la tolérance zéro. Il est inadmissible qu'on ne puisse aller voir un match de football avec ses enfants sans être inquiets. Or, il y a une violence qui est entretenue par un tout petit nombre de véritables voyous, je dirais de gens qui sont un peu débiles mentaux d'ailleurs aussi, et qui est intolérable. Et je me réjouis, effectivement, de voir que les dirigeants du PSG ont pris aujourd'hui la mesure des risques pour leur club, pour le football d'une façon générale, qu'ils aient pris de réelles mesures et je me réjouis également des décisions de la Ligue.

Le président du PSG, R. Leproux, dit qu'il ne peut s'en sortir seul. Dans le champ de compétence qui est le vôtre, et après le coup de sifflet du président de la République, hier, en conseil des ministres, qu'est-ce que vous avez envie de lui dire ?

Je vais lui dire : oui, bien sûr, de la même façon que je l'ai toujours dit, l'Etat ne peut agir seul. J'étais la première, quand j'étais ministre de la Jeunesse et des Sports, en 1994, à prendre une loi dite "loi anti-hooligans", créant les interdictions de stade. Quand j'étais ministre de l'Intérieur, j'ai fait durcir un certain nombre de mesures, notamment pour que dès le premier acte de violence, il puisse y avoir des interdictions de stade, pour allonger aussi à toute la saison les interdictions de stade. Et il est évident que comme ministre de la Justice, j'ai aussi donné dans ma circulaire de politique pénale, pratiquement dès que je suis arrivée, aux procureurs, des indications pour qu'effectivement il y ait des poursuites qui soient effectuées. Aujourd'hui, nous avons près de 600 personnes qui sont sous le coup d'interdictions administrative et judiciaire et avec aussi - ça, c'est quelque chose que j'avais rajouté quand j'étais ministre de l'Intérieur - l'obligation de pointer au commissariat au milieu du match pour être sûr qu'ils ne puissent pas tricher par rapport à cette interdiction

La loi sur les bandes appliquée aux supporters, c'est pour quand ?

Elle est d'application immédiate puisque la loi a été publiée, et donc elle sera appliquée.

Continuer à dissoudre certains mouvements ultras, c'est une bonne idée ? C'est symbolique ? Ce n'est pas très efficace.

Je l'ai fait. Je pense que c'est un signal fort et je pense qu'il faut continuer à agir en ce sens. Mais comme vous posiez la question tout à l'heure, il est évident que l'Etat a pris les dispositions législatives. Nous prenons les dispositions d'organisation pour qu'il puisse y avoir des interpellations et des suites judiciaires. Il faut aussi que les responsables des clubs, les responsables de la Ligue et de la Fédération avec lesquelles d'ailleurs, j'ai toujours eu de très bonnes relations, s'impliquent totalement et prennent, eux aussi, des décisions nécessaires.

Aujourd'hui, vous êtes en totale cohérence avec le ministre de l'Intérieur ?

Bien entendu.

Il y a eu des nuages à un moment donné. Il n'y en a plus ?

Non, mais je crois vous savez, il y a toujours des interprétations qui peuvent être faites d'échanges que nous pouvons avoir sur un plan technique. Et c'est vrai qu'à la fois la police et la justice font partie d'une chaîne de la sécurité. Leur entente est indispensable pour la sécurité de nos concitoyens dans tous les domaines, y compris ceux-là.

Madame Alliot-Marie, à peine avez-vous lancé la concertation sur la réforme du code de procédure pénale que le monde judiciaire français appelle à manifester. Comment vous expliquez ça ?

Je dirais, à la fois, que c'est un petit peu normal puisque finalement, les mêmes avaient commencé à critiquer la réforme et le texte de la réforme avant que ce texte ne soit écrit puisque j'ai réuni, pendant quatre mois, un groupe très large avec des magistrats, des avocats, des universitaires, des parlementaires de la majorité et de l'opposition pour l'écrire. Ca a pris un certain temps. Mais avant déjà, il y avait eu des critiques. Donc que ça continue, ça ne m'étonne pas.

On vous fait toujours un procès d'intention en quelque sorte. C'est ça ?

On fait d'autant plus un procès d'intention que j'ouvre la plus vaste concertation qu'il y ait jamais eue sur un texte. Pendant deux mois, tout le monde sera reçu et écouté. Maintenant, ce qu'il faut bien voir, un appel à manifester de toutes les organisations des personnels de la justice, c'est un classique. Depuis vingt ans, dès qu'il y a eu une réforme, il y a eu une action unitaire ou quasi unitaire contre cette réforme, qu'il s'agisse de la loi Toubon, qu'il s'agisse de la loi Guigou, qu'il s'agisse de la loi Lebranchu, qu'il s'agisse de la loi Perben, etc. C'est assez systématique. Je peux comprendre l'inquiétude, dans toute réforme...

Oui, parce que ce n'est tout de même pas que du folklore. Ils vous disent : pour accepter la disparition du juge d'instruction, il faut d'abord garantir l'indépendance du Parquet vis-à-
vis du pouvoir. Et sous tous les régimes, cette indépendance, eh bien ma foi, elle ne va pas toute seule, quoi !

Ce que je veux dire, c'est d'abord, il faut rappeler une chose. C'est que les procureurs sont des magistrats qui, à ce titre, bénéficient de garanties...

Ils manifestent moins...

...Qui vont bien au-delà de celles de tous les fonctionnaires. D'autre part, nous voyons bien que, y compris, quand il y a des juges d'instruction sur le modèle desquels il y a aujourd'hui un point d'accrochage, cela n'empêche pas des affaires comme celle d'Outreau ou un certain nombre d'autres. Donc, ce qu'il faut aujourd'hui, c'est revoir toute la procédure pénale. C'est important pour nos concitoyens de comprendre comment ça se déroule. Le juge d'instruction, il ne s'occupe aujourd'hui que de 3 % des affaires. C'était quelqu'un d'extrêmement important qui voyait toutes les affaires, il y a soixante ans. Au fur et à mesure, il en a été dessaisi. Et aujourd'hui, on a un double système dans lequel les gens ne comprennent plus rien et qui, en plus, présentent des risques. Les gens ne comprennent plus rien parce que tantôt c'est le procureur, tantôt c'est le juge d'instruction. Et d'autre part, il y a un vrai risque parce que dans un cas comme dans l'autre, que ce soit le juge d'instruction, que ce soit le procureur, c'est la même personne qui mène l'enquête et qui est le juge de l'enquête. La garantie que nous allons donner, aujourd'hui, c'est d'avoir d'une part, celui qui mène l'enquête et toutes les enquêtes. Et tous les Français sont traités de la même façon, et il le fait sous le contrôle d'un juge, d'un juge présentant les mêmes garanties d'indépendance que le juge d'instruction aujourd'hui et auquel les parties peuvent s'adresser à tout moment de l'enquête. De plus, ce que nous avons vérifié, effectivement, c'est de veiller, contrairement à certaines critiques, à ce qu'aucune affaire ne puisse échapper à la justice et il y a des avancées considérables, des créations telles que la partie citoyenne - alors, nous n'avons pas le temps de le détailler - et qui est un élément qui permet effectivement de garantir que rien ne puisse échapper à la justice.

Un dernier point, madame Alliot-Marie. Vous aviez demandé une enquête administrative après le suicide en prison de J.-P. Treiber. Où est-ce qu'on en est ?

Cette enquête administrative m'a été rendue effectivement. Cette enquête administrative a montré que monsieur Treiber a été suivi tout au long de sa détention à la fois par des médecins. Il a vu un psychologue, il voyait un médecin chaque semaine. Ni les autorités sanitaires ni les autorités administratives, n'ont décelé la moindre tentation ou tentative suicidaire jusqu'au jour où c'est arrivé.

Vous y croyez ?

Je crois au rapport qui m'a été remis ?

Oui.

Ecoutez, ce rapport est un rapport double fait par l'Inspection générale de la Pénitentiaire et l'Inspection générale du ministère de la Santé. Et les deux donnent, effectivement, ce résultat. Vous savez, déceler le risque suicidaire chez quelqu'un, c'est malheureusement quelque-chose qui se heurte à la volonté d'une personne de dissimuler et nous savons que J.-P. Treiber en matière de dissimulation, effectivement, a déjà prouvé, à un certain nombre de reprises, ce dont il était capable.


Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 5 mars 2010