Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur la réforme du cadre financier de l'Union européenne pour 2000 - 2006, la réforme de la PAC, les réserves françaises sur le compromis proposé par le Conseil agriculture le 11 mars et la réforme des fonds structurels, Paris le 17 mars 1999.

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Circonstance : Débat sur l'Agenda 2000 à l'Assemblée nationale le 17 mars 1999

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Rapporteurs,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Notre débat a pour objet dexaminer lensemble constitué par les trois résolutions adoptées - sur ce quon a coutume dappeler lAgenda 2000 - par la Commission de la Production et des Echanges pour deux dentre elles et par la Commission des Finances pour la dernière.
Je souhaite souligner le remarquable travail danalyse et de propositions effectué par la Délégation à lorigine de ces résolutions et les deux Commissions compétentes, ainsi que !es rapporteurs - M. Joseph Parrenin, Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont, M. Gérard Fusch, et Mme Béatrice Marre - qui viennent de vous présenter de façon très complète et précise les résolutions soumises à votre approbation.
Ce débat est nécessaire, car il est important que la représentation nationale soit pleinement associée à la préparation des Conseils européens, et notamment des Conseils européens extraordinaires, dont la pratique tend à se développer, et qui engagent tout particulièrement lavenir de lUnion. Cétait le cas lannée dernière, avec le Conseil européen de Bruxelles qui a pris les décisions nécessaires au passage à la troisième phase de lUnion économique et monétaire. Cest le cas aujourdhui avec le Conseil européen de Berlin qui prendra les décisions relatives à lAgenda 2000.
Ce débat est utile, car nous sommes dans une phase cruciale de la négociation. Le Conseil Agriculture sest séparé le 11 mars dernier avec une proposition de compromis sur la réforme de la PAC, élaborée par la présidence allemande. Le chancelier allemand, Gerhard Schröder, consacrera lessentiel de son temps cette semaine à une tournée des capitales européennes, qui sachèvera vendredi à Paris. Enfin, dimanche et lundi prochain, je serai à Bruxelles avec mes collègues des Quinze pour tenter de bâtir un projet de compromis densemble, avec sans doute plusieurs options ouvertes, quil appartiendra ensuite aux chefs dEtat et de gouvernement de trancher à Berlin les 24 et 25 mars prochains.
Dans ce contexte, il est normal que le gouvernement puisse apprécier la sensibilité de la représentation nationale avant que ne sengage la phase finale des négociations à Berlin, dont la responsabilité incombera au président de la République et au Premier ministre.
1 - La réforme du cadre financier :
La définition des nouvelles perspectives financières pour les années 2000-2006 doit sefforcer de répondre à trois exigences :
· préparer lélargissement tout en veillant à ce que lUnion à Quinze dispose des ressources suffisantes pour la poursuite des politiques communes. Nous avons décidé dès le Conseil européen de Luxembourg, en décembre 1997, le principe de la double programmation des dépenses à Quinze et des dépenses délargissement, qui répond à cet objectif.
· contribuer au succès de leuro, en évitant dalourdir les dépenses publiques européennes à Quinze car cela aurait des conséquences sur notre propre programme de maîtrise des finances publiques à travers lévolution du prélèvement européen. Nous devons être en mesure de financer les réformes indispensables à lintérieur du plafond de 1,27 %, tout en préservant une marge substantielle sous ce plafond. Notre objectif est de parvenir à la stabilisation en volume des dépenses sur lensemble des rubriques du budget communautaire. Cette approche est partagée aujourdhui par un groupe très majoritaire de pays.
· enfin, assurer une répartition plus équitable des charges et des bénéfices du budget communautaire entre les Etats-membres, de manière à répondre aux préoccupations exprimées par lAllemagne.
Je souhaite, à ce propos, dire quelques mots sur cette demande allemande, dont on a pu dire quelle mettait à lépreuve la relation franco-allemande.
Je crois quil faut ramener cette question à de plus justes proportions. En réalité, les analyses française et allemande de cette question sont assez largement convergentes.
Les Allemands reconnaissent, y compris par la voix de leur chancelier, quils resteront le principal pays financeur de lUnion, quel que soit le résultat des discussions en cours. Pour une raison très simple, que lon a parfois tendance à perdre de vue : lAllemagne est, de loin, et restera la principale puissance économique et démographique de lEurope des Quinze. Toutefois, le souhait légitime des Allemands est de mettre un terme à la dérive de leur solde net, qui a atteint 11 Mds deuros en 1997. Il sagit donc pour eux de corriger une tendance défavorable, et certainement pas de transférer une partie de la charge de lAllemagne vers dautres pays. Ce point est essentiel, et il a contribué à létablissement dun dialogue plus serein entre nos deux pays.
De notre côté, nous avons indiqué aux Allemands que la mise sous contrôle de leur solde net passait par la maîtrise de la dépense communautaire. Cest pourquoi la stabilisation budgétaire sur toutes les rubriques - sur la PAC comme sur les fonds structurels - simpose naturellement à nous dès lors que nous voulons manifester notre souhait daller à la rencontre des inquiétudes allemandes. Tout euro supplémentaire sur le budget de lUnion, que ce soit sur la PAC ou sur les fonds structurels, viendrait dégrader en effet le solde net allemand, mais aussi sans doute le nôtre, et nous éloignerait donc dun compromis densemble sur lAgenda 2000.
Nous avons aussi indiqué que le gouvernement français était ouvert à une approche combinant une certaine réorientation géographique de la dépense et des réformes limitées du système des ressources propres de façon à en corriger les imperfections actuelles. Nous avons fait des propositions en ce sens au gouvernement allemand : sur le volet dépenses, un programme spécial en direction des Länder de lEst ; sur le volet ressources, un passage plus rapide à la ressource PNB, plus juste que la ressource TVA, étant entendu quil faut conserver les ressources propres traditionnelles (prélèvements agricoles, droits de douane) qui appartiennent véritablement eh propre à lUnion.
En revanche, nous avons rejeté, nous refusons, et nous continuerons à repousser catégoriquement le cofinancement des aides directes de la PAC, comme toute proposition visant à instaurer un mécanisme décrêtement généralisé des soldes nets. Ces propositions sont foncièrement mauvaises, lune comme, lautre, car elles marqueraient une régression de lUnion européenne.
Le cofinancement des aides directes sassimilerait, en fait, à une renationalisation de la politique agricole commune, lune des plus anciennes politiques communes de lUnion. I1 est absurde de penser que lon peut préparer lavenir en remettant si profondément en cause les acquis de plus de quarante années de construction européenne.
Quant à lécrêtement généralisé des soldes nets, il consacrerait une logique de juste retour, qui était celle de Mme Thatcher à Fontainebleau en 1984, mais qui ne peut pas être la nôtre tant elle est manifestement contraire à lintérêt communautaire. Dans ce domaine, lesprit européen commande de travailler à la disparition - sans doute partielle et progressive dun avantage britannique qui nest plus justifié aujourdhui, plutôt que de chercher à le généraliser.
2 - La réforme de la Politique agricole commune
Le compromis présenté, le 11 mars, par la présidence du Conseil Agriculture, ne constitue pas un accord sur la réforme de la Politique agricole commune. En effet, le Conseil européen de Vienne avait confirmé avec clarté que le paquet Agenda 2000 était un tout. Par conséquent, lensemble des éléments qui constituent ce paquet - la réforme de la PAC, la réforme des fonds structurels et la définition du cadre financier - sera approuvé par les chefs dEtat et de gouvernement à Berlin pour autant quils estimeront équilibré et satisfaisant ce paquet densemble.
Je tiens néanmoins à souligner que, dores et déjà, des points positifs, notamment par rapport au point de départ de la négociation, ont été obtenus par Jean Glavany la semaine dernière :
· la confirmation de la constitution dun deuxième pilier de la PAC avec lintégration du développement rural, outil de réorientation vers lemploi, laménagement du territoire et lenvironnement ;
· sur la viande bovine, une baisse de prix limitée à 20 % (la proposition initiale de la Commission était à 30 %) et une bonne compensation pour le troupeau allaitant extensif ;
· sur le lait, les quotas, menacés de suppression dès mars 2000, sont sauvegardés, au moins jusquen 2006. Quant à la baisse des prix que la Commission souhaitait instaurer dès 2000, elle naurait lieu quen 2003 ;
· sur les céréales, le soutien spécifique au maïs est sauvegardé, essentiel pour léquilibre de régions fragiles ;
· sur les oléagineux, même si les dispositions ne sont pas totalement satisfaisantes, le passage à une aide identique à celle des céréales ne sera pas immédiat comme le voulait la Commission, mais étalé sur 3 ans. En tout état de cause, une clause de rendez-vous est prévue dans deux ans pour évaluer la situation du secteur.
· enfin, sur le vin, cest une réforme positive avec une possibilité dextension du vignoble à travers des droits de plantation, à un niveau satisfaisant avec un soutien sur fonds communautaires à la restructuration du vignoble, y compris pour les jeunes, avec linterdiction de la vinification des moûts importés et la consolidation du régime français des interprofessions.
Il reste que cette proposition de compromis devra être remise sur le métier, car elle dépasse de près de 7 Mds deuros sur la période le mandat budgétaire reçu des chefs dEtat et de gouvernement lors du Sommet informel de Petersberg le 26 février dernier. Le chancelier Schröder lui-même sétait engagé personnellement à Petersberg sur un chiffre annuel de dépenses de 40,5 Mds deuros, hors développement rural. Il a répété encore à Copenhague avant-hier que le respect de cette enveloppe budgétaire simpose et quil faudra donc bien revenir, à Berlin, sur la proposition de compromis agricole.
Pour ma part, je considère que la présidence allemande doit tenir compte des quatre réserves inscrites à la demande de la France au procès verbal des débats du Conseil Agriculture. Je ne doute pas que le président de la République et le Premier ministre auront un échange de vues approfondi avec le chancelier Schröder lorsquils le recevront à Paris vendredi, sur ces réserves, que je rappelle :
· une réserve liée à la globalité des négociations, qui ne permettent pas un accord partiel sur la réforme de la Politique agricole commune, conformément aux conclusions du Conseil européen de Vienne des 12 et 13 décembre 1998 ;
· une réserve, ad référendum, dans lattente, dans ce cadre, dune décision du président de la République et du chef du gouvernement français ;
· une réserve liée à la nécessité datteindre un accord respectant le cadre dune dépense agricole stabilisée ;
· enfin, une réserve liée à la nécessité de réorienter les dépenses agricoles dans le cadre du deuxième pilier de développement rural de la politique agricole commune.
3 - La réforme des fonds structurels :
Au Conseil européen de Vienne du 12 décembre dernier, nous avons pu enregistrer un certain nombre daccords techniques, portant notamment sur les réformes de gestion indispensables pour simplifier et améliorer les procédures de gestion des fonds structurels européens.
La nouvelle programmation devra ainsi faire lobjet dun document unique de programmation par zone, ce qui permettra dobtenir une claire lisibilité de laction européenne dans le domaine du développement local et régional.
Par ailleurs, dans les zones dobjectif 2 (zones rurales fragiles et zones en reconversion industrielle), les DOCUP devront désigner le fonds européen responsable du programme, ce qui doit permettre déviter les interventions croisées du FSE, du FEDER et du FEOGA-Orientation, sources de lourdeurs administratives inutiles.
Le partenariat local sera amélioré en renforçant les comités de suivi, organes de consultation et dassociation traditionnelle des partenaires locaux pour le suivi des projets.
Enfin, tout récemment, au Conseil Affaires générales du 25 janvier 1999, nous nous sommes mis daccord sur une « réserve de performance », à hauteur de 4 % de lenveloppe des fonds structurels, idée que soutient la Commission de la production et des échanges, à condition de rester vigilants sur les modalités de gestion de cette réserve.
Actuellement, nous avons deux débats essentiels, qui touchent à la concentration géographique des futurs objectifs 1 et 2 et à lenveloppe financière globale, et deux débats un peu plus résiduels je dis résiduels non pas parce quils ne seraient pas importants mais parce quils sont en voie dêtre tranchés. Ces deux derniers débats concernent le dispositif de « phasing out » pour les régions sortant des objectifs 1 et 2 dune part, la question du Fonds social européen et de lobjectif 3 dautre part.
Quelques mots sur ces deux dernières questions :
· Sur le « phasing out », notre souhait est dobtenir un dispositif assez généreux de sortie sur 4 ans à partir de lan 2000, et qui soit identique pour les régions dobjectif 1 et les régions dobjectif 2 (et ex-5b). Par ailleurs, il est pratiquement acquis que les régions dobjectif 1 basculeront automatiquement dans lobjectif 2 au terme de leur « phasing out » dès lors quelles satisferont aux critères déligibilité de lobjectif 2. Ce devrait être le cas de nos deux régions métropolitaines concernées : la Corse et le Hainaut.
· Quant au futur objectif 3, il est acquis quil sera consacré exclusivement à lemploi et la cohésion sociale, et quil sera non zoné, ainsi que nous le souhaitons. Le Fonds social européen interviendra en totalité désormais dans le cadre de cet objectif 3, et sera réformé en conséquence.
Les régions dobjectif 1 devraient normalement être exclues du bénéfice du FSE, puisquelles bénéficient de programmes de développement intégré.
En revanche, nous avons demandé et obtenu que les régions dobjectif 2 puissent continuer à bénéficier dun accompagnement, par le FSE, de leurs actions de reconversion.
Dans toutes les autres régions, le FSE pourra intervenir dans toutes les actions à contenu social, menées dans les zones urbaines notamment.
Jen viens maintenant aux deux débats principaux qui alimentent actuellement les discussions des Quinze :
· La concentration géographique des fonds structurels tout dabord :
Lorientation générale de la Commission, affichée dans ses propositions initiales, était de réduire la couverture géographique générale des fonds structurels, lobjectif étant de revenir dun taux de 51 % à un taux de lordre de 35 % - 40 % de la population communautaire couverte par les différents zonages. Nous avons toujours indiqué que nous souscrivions à cette orientation. Mais nous avons toujours dit également que nous souhaitions que la concentration sapplique de manière équitable entre objectif 1 et objectif 2. Cette condition déquilibre général doit être respectée, sans préjudice pour les futurs zonages dobjectif 2.
· Le deuxième débat fondamental que nous avons actuellement est, bien entendu, le débat sur lenveloppe budgétaire globale :
Nous souhaitons le maintien de leffort budgétaire consenti au titre de la période précédente du paquet Delors II, soit 200 Mds euros. Cette position correspond à la déclinaison de notre concept général de stabilisation budgétaire, que nous appliquons à toutes les rubriques du budget communautaire pour les prochaines perspectives financières, sur les fonds structurels comme sur la PAC.
A cet égard, je voudrais faire deux observations pour quil ny ait pas de méprise, et jen terminerai par là :
· Ma première observation, cest que cette position de stabilisation réunit aujourdhui une large majorité de pays. Seuls les pays de la cohésion, fortement bénéficiaires nets du budget communautaire, et lItalie et la Belgique y demeurent opposés pour le moment.
· Ma seconde observation, cest que cette position est absolument impérative - je le répète - pour ne pas aggraver lampleur du solde net allemand, et pour lui apporter un début de solution.
En conclusion, je souhaite insister sur lessentiel. LAgenda 2000 est un tout, et il ne peut être question de découper la négociation en morceaux. La Présidence allemande travaille dans cet esprit tout en sattachant à faire progresser les convergences sur les différents volets du paquet.
Je crois quelle progresse sur la voie dun compromis densemble, et nous verrons vendredi autour du président de la République et du Premier ministre les propositions quelle entend faire pour parvenir à un accord satisfaisant et équilibré à Berlin.
Nous devons contribuer fortement à lélaboration du compromis final, en refusant avec force jusquau dernier jour toute tentation de bouclage financier par lécrêtement des soldes ou par le cofinancement, mais en sachant aussi évoluer vers la présidence lorsque cela ne remet pas en cause nos intérêts essentiels. Le président de la République et le Premier ministre ne signeront pas nimporte quel accord à Berlin, soyez-en assurés. Mais chacun saura aussi mesurer le coût dun non-accord à Berlin, qui ajouterait un blocage financier aux autres sources de difficultés que traverse actuellement lUnion européenne.
Je vous remercie de votre attention./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 mars 1999)