Interview de Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'Etat à l'écologie, sur la perspective d'un système harmonisé de taxation énergie et carbone au niveau européen et sur les conséquences du nuage volcanique consécutif à l'éruption du volcan islandais.

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Média : France Inter

Texte intégral

E. Delvaux.- On va parler bien sûr du volcan. D'abord, quelques questions sur le Grenelle de l'environnement. La Commission européenne vient de trancher, elle ne proposera pas de taxe carbone aux frontières de l'Union européenne en juin. N. Sarkozy avait pourtant dit que c'était un préalable avant de l'appliquer en France. Comment ne pas croire que cette taxe carbone est bel et bien enterrée ?
 
De toute façon, in fine, la décision appartient toujours aux Etats, parce que c'est vrai que la Commission est chargée de proposer mais il y a plusieurs Etats qui seraient favorables à un tel dispositif. Et puis, par ailleurs, on parle là de la taxe carbone aux frontières, il y a aussi les taxes carbone au sein des pays. C'est-à-dire des mécanismes de taxation et compensation sur l'énergie et sur le carbone. Et là, la Commission souhaite proposer une directive, un texte de directive qu'on va pouvoir examiner, notamment dès le mois de juin/juillet à peu près. Et dans ce texte, il y a bien l'idée d'avoir aussi, au niveau européen, au sein des pays, un système harmonisé, en tout cas un minimum harmonisé, de taxation énergie et carbone.
 
Mais la Commission européenne qui dit non à cette taxe aux frontières de l'Europe... N. Sarkozy n'avait pas un peu survendu le projet ?
 
Non. On savait absolument que de toute façon, ce serait extrêmement difficile parce qu'en fait, il y a une vision par la Commission européenne de cette taxation aux frontières comme un outil protectionniste. Ce n'est pas un problème de commerce, c'est un problème essentiellement d'environnement, et entre guillemets de "fuite de carbone". Puisque si on a des dispositifs, comme on a actuellement, de quotas d'émissions de gaz à effet de serre au sein de l'Europe sur les grandes entreprises et que celles-ci passent la frontière, qu'elles se délocalisent, pour certains secteurs c'est possible. De fait, en termes d'émissions de gaz à effet de serre, on ne gagne rien et on perd tout en termes d'emploi et d'économie. Donc c'est plus un problème de fuite de carbone et d'environnement que purement un problème de protectionnisme. Mais là, c'est un vieux débat qu'il y a au sein de la Commission européenne et avec les Etats membres, avec des positions très partagées entre les Etats.
 
La taxe poids lourds reportée au moins jusqu'à la fin 2012, pour ne pas dire aux calendes grecques. Comment vous vivez finalement toutes ces brèches de plus en plus importantes dans le Grenelle de l'environnement ?
 
On a l'obligation de faire face, on a l'obligation, de toute façon, de poursuivre. Il y a quand même des choses qui avancent évidemment, heureusement d'ailleurs positivement. On a le texte d'ailleurs du Grenelle 2 qui va passer à l'Assemblée nationale à compter du 5 mai, et là, c'est un texte énorme. C'est-à-dire que c'est très difficile de vous le présenter en quelques mots puisqu'il fait 250 articles, six titres et il touche à peu près tous les domaines, effectivement, de notre pays. Ce qui fait que c'est normal que ça coince quand on touche à peu près à tous les domaines. Donc ce n'est jamais très simple mais il faut continuer à avancer. Pour moi, la priorité des priorités, c'est de faire passer ce texte et de conserver son esprit et ses principales dispositions.
 
Et pour refermer provisoirement ce dossier, "un ministre ça ferme sa bouche ou ça démissionne", disait J.-P. Chevènement. Vous êtes d'accord avec ça ?
 
C'est une vision un petit peu caricaturale. On peut avoir des convictions et continuer à agir.
 
Des corridors à partir de ce matin entre les aéroports du Sud et la capitale. Pourquoi est-ce que ça a pris autant de temps à mettre en place ?
 
Simplement parce que là, on parle d'avions. Dans les avions, il y a 200 à 300 personnes. On est sur un phénomène... Alors, les particules, il faut savoir que jusqu'à présent, mais il y a des spécialistes qui s'exprimeront mieux que moi, ont considéré que la tolérance des avions aux particules était égale à zéro - quasiment égale à zéro.
 
Quand vous dites "ont", c'est qui ?
 
Les experts. Donc évidemment, personne n'a pris le risque de faire voler des avions dans ces nuages. Et puis, on avait quand même l'histoire de plusieurs avions qui avaient eu des difficultés sérieuses - quatre moteurs arrêtés, enfin bon...
 
Dans les années 80...
 
Dans les années 80. Donc on a quand même une connaissance du phénomène. Première étape. Deuxième étape, comme l'épisode dure, évidemment on fait quand même des vols pour voir - des vols à vide - pour voir s'il y a des difficultés et si les moteurs présentent ensuite, entre guillemets, "des failles". Et là on s'aperçoit effectivement...
 
Pas d'incident.
 
...Qu'a priori, il n'y a pas d'incident. Attention, en même temps, en Finlande, il y a un F16 et un F18 qui ont traversé un nuage et eux ont eu des incidents. Donc ça ne veut pas dire que les particules sont sans risque. Cela veut dire que ça dépend de la densité pour l'essentiel, pour simplifier. Donc on teste, on se coordonne avec les autres pays européens, parce qu'on appartient à un espace européen et ce qui se passe en France doit être coordonné avec ce qui se passe à Bruxelles ou ce qui se passe en Allemagne. Et là, on dit qu'on va ouvrir quelques corridors mais c'est très limité, ce n'est pas une reprise du trafic normal.
 
On a bien compris que même dans les autres pays d'Europe ce matin, ça ferme encore...
 
Même dans les autres pays d'Europe, quelques corridors. Dans ces corridors donc depuis Paris, on fait voler un avion qu'on vérifie toutes les quatre heures, six heures et on envoie des avions, là des avions, entre guillemets, "pleins", des avions commerciaux. Donc on a quand même un système de test permanent, c'est-à-dire que toutes les quatre ou six heures, on décortique un avion, des moteurs d'avions pour vérifier bien qu'il n'y a pas de difficultés.
 
Mais la question des compagnies aériennes qui constatent qu'elles vont le payer cher, pourquoi est-ce qu'on n'a pas envoyé ces avions renifler plus tôt ?
 
On l'a fait relativement tôt, mais si "ces avions renifleurs", entre guillemets, étaient tombés, je pense qu'on nous l'aurait aussi vite reproché. Dans le domaine de l'aviation, il y a un principe simple : c'est d'abord la sécurité, ensuite le commerce.
 
Les compagnies aériennes émettent des doutes sur la dangerosité du nuage, que savez-vous de cette dangerosité ce matin ?
 
Sur la dangerosité du nuage, on doit tous reconnaître qu'on est face à un phénomène inédit de fermeture globale des aéroports, qu'on n'avait pas connue depuis 45. On est sur un nuage dont on est en train, effectivement, de continuer l'analyse de la composition et de la densité. Donc pour les avions, c'est dangereux. Pour la population, ce sont des particules. Donc là, pour l'instant, effectivement, il est en hauteur. Il n'y a pas d'épisode de pollution de l'air. Qui retombe... S'il descend, c'est un épisode de pollution aux particules comme on peut en connaître, comme on en connaît assez régulièrement d'ailleurs chaque année, pour lequel on aura des messages d'alerte et qui là touchent des personnes plutôt fragiles, type les nourrissons, les personnes qui ont des problèmes d'asthme ou d'allergie respiratoire, à qui on demandera soit d'augmenter leur traitement, de ne pas faire d'effort violent, enfin les consignes. Mais là, on a un système d'alerte qui est bien rodé. Et puis surtout, en France, on est le pays où il y a le plus de capteurs en Europe sur la qualité de l'air.
 
Sur la coordination ou plutôt même le manque de coordination au niveau de l'Europe, cinq jours avant de pouvoir organiser une conférence téléphonique avec vos partenaires européens, ce n'est pas un retard à l'allumage ça ?
 
La coordination se fait sur le plan technique essentiellement depuis Londres et c'est Londres, effectivement, qui diffusait les cartes et qui laissait aux Etats, le soin de prendre les décisions de fermeture et jusqu'où ils prennent les décisions de fermeture. C'est coordonné au plan technique. Ensuite, il y a eu cette décision qui est une décision politique hier, qui n'est pas une décision simple, de dire on rouvre quand même des corridors dans des lieux où on sait qu'il y a des particules en densité plus faible.
 
D'accord sur la prise de décision mais cinq jours avant de se coordonner, c'est long, cela paraît long !
 
Pendant ces cinq jours, on n'est pas restés les bras croisés. Il y a eu quand même les jours des vols tests, ensuite décortiquer les moteurs des avions pour bien vérifier qu'il n'y a pas de difficulté, ensuite renvoyer des avions faire des contrôles laser sur l'épaisseur du nuage.
 
Non mais ce que j'essaie de vous dire, c'est qu'en fait de coordination ou de concertation...
 
Pour moi, cinq jours, ce n'est jamais trop long parce que jusque-là, il n'y a pas un avion qui est tombé. Jusque-là, il n'y a pas un avion qui est tombé. On était partis sur un phénomène dont on disait les avions, c'est tolérance zéro à l'égard des particules. Ce n'est quand même pas des décisions qu'on prend facilement. D'ailleurs, cela se voit puisque l'ensemble des pays européens était dans la même situation de doute à l'égard de ce nuage et de ces particules. Et à mon avis, ce n'est pas terminé non plus. Le volcan a repris son activité, une partie des espaces aériens est en train de se refermer au Nord. Ce n'est pas terminé.
 
On va regarder ça encore.
 
Je crois que chacun doit réaliser que là, on est sur un phénomène qui est un phénomène radicalement nouveau et personne ne peut dire quand le volcan va s'arrêter, comment est-ce que les vents vont précisément évoluer. On est vraiment sur quelque chose, c'est la puissance de la nature qui s'exprime à plein.
 
Et pourquoi N. Sarkozy, d'habitude si prompt à réagir sur les évènements, est cette fois-ci plus discret ?
 
Sauf erreur de ma part, il n'a pas la capacité d'arrêter le volcan.
 
Mais il réagit souvent avant de... Il donne son commentaire forcément bien plus souvent qu'une solution à apporter.
 
Mais là, on est dans une question très technique, gestion de crise. Objectivement, que voulez-vous que le président de la République dise ?
 
On l'a vu réagir sur des sujets beaucoup moindres...
 
Effectivement, une prudence maximum dans ce domaine-là puisqu'il s'agit de vies humaines et qu'un avion, c'est quand même 200 à 300 personnes. C'est un sujet ensuite extrêmement technique sur lequel on est tous, nous sommes, nous, pieds et poings liés par les décisions des experts qui nous disent voilà l'état du risque.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 29 avril 2010