Déclaration de M. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, sur les exportations agricoles et agro-alimentaires et la création d'un Conseil supérieur destiné à favoriser leur développement, Paris, le 5 juin 2001.

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Circonstance : Présentation du Conseil supérieur des exportations agricoles et agro-alimentaires à Paris, le 5 juin 2001

Texte intégral

Mesdames, Messieurs
Jean Glavany vient de dresser un panorama très juste et très perspicace des forces, elles sont nombreuses, et des faiblesses, elles sont plus rares, de notre agriculture et de nos industries agro-alimentaires à l'exportation.
Je souscris largement aux objectifs qu'il vient d'esquisser, comme à l'esprit dans lequel il souhaite voir ce Conseil travailler, en un mot à l'impulsion qui vient d'être donnée aux travaux du CSEAA auquel nous avons décidé de donner une sorte de seconde naissance.
Je voudrais, si vous le permettez, profiter de ce très bref discours d'ouverture pour répondre à une question toute simple qui pourra guider, d'une manière ou d'une autre, les travaux de ce Conseil.
Pourquoi ce Conseil ? Pourquoi créer une instance particulière aux exportations agricoles et agro-alimentaires ?
Je pourrais poser la question d'une autre manière. S'il est assez généralement acquis, et j'ajouterais que c'est vrai pour la plupart des pays membres de l'OMC, qu'il existe une spécificité agricole, existe-t-il pour autant une spécificité des exportations agricoles ?
Il s'agit, à mon sens, d'une question cruciale. Je constate en effet que le caractère spécifique de la production de denrées agricoles a fait, et fait encore, l'objet de nombreuses études économiques. Cette spécificité fondamentale n'est pas vraiment niée, même par les pays dits du groupe de Cairns qui ne remettent pas tant en cause le caractère particulier de l'activité agricole que les instruments économiques qui lui sont consacrés. En revanche, la question de la spécificité de nos exportations agricoles n'a pas été l'objet du même intérêt. Et c'est dommage, car je crois que cette problématique doit être au cur de nos réflexions, surtout, et j'insiste sur ce point, si nous ne voulons pas être réduits à une stratégie purement défensive.
A l'évidence, on pourrait dire que les succès enregistrés, que Jean Glavany vient très justement de rappeler, fondent à eux-seuls la spécificité française de l'exportation agro-alimentaire. Quel autre secteur économique, en effet, peut se targuer d'enregistrer, depuis si longtemps, un taux de couverture supérieur à 130% ? Et de contribuer pour plus de 11% aux 2000 milliards de francs de nos exportations ?
Mais cela constituerait une bonne raison pour édifier un monument, pas pour réunir un Conseil qui, je crois, doit être davantage motivé par la prise en compte des problèmes spécifiques aux exportations agricoles et agro-alimentaires.
A ce stade de ma réflexion qui s'appuie autant sur les témoignages que je reçois à chacun de mes déplacements à l'étranger que sur les entretiens que j'ai régulièrement en France, avec les chefs d'entreprise concernés, je vois quatre bonnes raisons de créer ce CSEAA, ce qu'on pourrait appeler quatre grandes spécificités, quatre traits distinctifs, des exportations agricoles. Il en existe sans doute d'autres, produit par produit, spécialité par spécialité, mais il s'agit là de quatre spécificités propres au secteur agricole dans son ensemble.
Le premier de ces traits distinctifs concerne les barrières à l'entrée. Certes, l'agriculture n'en a pas l'exclusivité : les exportations de produits industriels ou de services doivent également faire face à un appareil réglementaire très compliqué. Mais, dans le cas des produits agricoles, les barrières à l'entrée peuvent se mettre en place très rapidement, beaucoup plus rapidement que pour les produits industriels ; qui plus est, ces barrières peuvent être plus restrictives que nécessaire, on l'a vu encore récemment avec la mise en place d'embargos à la suite de l'apparition de foyers de fièvre aphteuse en Europe.
Surtout, la mise en place de barrières peut entraîner la perte des produits en instance de dédouanement, puisqu'il s'agit, souvent, de produits périssables.
La première spécificité du secteur tient donc, à mon avis, à sa plus grande vulnérabilité à des réglementations visant à limiter l'accès aux marchés.
Notre dispositif doit en tenir compte, à travers une activité quotidienne de veille, et de contact avec les autorités locales chargées des questions sanitaires. Ce Conseil sera, naturellement, amené à formuler des recommandations en la matière, s'il le juge utile. En tout état de cause, il s'agit là d'un dossier prioritaire pour notre action extérieure. Pour ne citer qu'un exemple : la création conjointe, l'an dernier, par le Ministère de l'agriculture et par la Direction des relations économiques extérieures, d'un poste d'attaché vétérinaire régional, basé au poste d'expansion économique de Beyrouth, montre bien toute l'importance que nous accordons à cette question.
La seconde originalité du secteur tient à la forte identité propre à chaque marché, parce que c'est indéniablement dans le domaine de l'alimentation que les habitudes de consommation sont les moins standardisées, et culturellement les plus marquées. Pour les exportations en général, les marchés peuvent être particuliers, ils sont rarement aussi " typés ". Un exemple, si vous permettez, pour me faire bien comprendre. Pour vendre une voiture au Royaume-Uni, vous devez positionner le volant à droite : cela fait à mon sens du marché britannique le seul marché automobile réellement typé. Les autres marchés sont des marchés particuliers : certains modèles y rencontrent plus de succès que d'autres, 4X4 aux Etats-Unis, décapotables rouges et chromées en Italie, mais il est rare qu'un constructeur destine un modèle à un marché précis.
Cette forte identité propre à chaque marché, qu'il faut apprendre à déchiffrer, constitue une difficulté commune, à mon sens pour les exportations de produits agricoles et alimentaires, et justifie à elle seule l'existence d'un dispositif d'appui de conseil et de promotion spécifique.
Le troisième trait distinctif du secteur tient tout simplement au fait qu'il s'agit de produits fortement substituables, surtout pour les matières premières. Il est par conséquent plus difficile de conserver des marchés, qui ont tendance à ne réagir qu'au seul signal des prix. Or nous ne gagnerons pas dans une concurrence uniquement fondée sur les prix.
Pour contrer ce risque, il faut différencier les produits, Jean Glavany l'a déjà souligné, par des stratégies qui passent par la qualité, la traçabilité, les marques, les indications d'origine, le conditionnement, autant de méthodes qui permettent de capter et de garder les marchés et d'échapper à la seule dictature des prix.
Je note d'ailleurs que la structure de nos exportations montre d'ores et déjà que la qualité des produits est un argument de plus en plus fort sur les marchés extérieurs. En tous cas, l'avantage comparatif des produits français à l'exportation est bien celui de la qualité: loin d'être l'apanage des vins et spiritueux, il vaut aussi pour les céréales. Sur les marchés étrangers, la qualité des céréales panifiables est devenue un élément aussi déterminant que le prix.
La quatrième originalité de nos exportations agricoles tient, en dernier lieu, à la concentration du secteur exportateur. Alors même que la production, tant d'ailleurs de produits agricoles que de produits transformés, est répartie sur l'ensemble du territoire national, les exportations restent très concentrées, beaucoup plus en tout cas que dans les autres secteurs de l'économie. On rappellera ainsi qu'à peine 1% des entreprises agricoles et 5% des industries agro-alimentaires sont exportatrices, contre 22% des entreprises des autres industries. Trente groupes réalisent près des 2/3 des exportations agricoles et agro-alimentaires, alors que, tous secteurs confondus, la proportion s'inverse, les 30 premiers groupes français réalisant 1/3 de nos exportations.
En citant ces chiffres, je ne porte absolument pas un jugement de valeur sur le fait de savoir si cette concentration est une bonne ou une mauvaise chose. C'est d'ailleurs, sans doute, une bonne chose pour l'exportation de produits agricoles, les sociétés de négoce ou les coopératives ayant développé un métier et un savoir-faire qu'aucun producteur individuel ne peut envisager d'acquérir. En revanche, dans le domaine de l'agro-alimentaire, cette concentration montre a contrario, qu'il existe encore en France un réservoir sans doute très important d'exportateurs potentiels. Je crois en effet que beaucoup de PME qui présentent une spécialité de qualité doivent se faire connaître et apprécier hors de nos frontières.
C'est pourquoi je suis très sincèrement convaincu que ce Conseil supérieur des exportations agricoles et alimentaires peut rendre d'immenses services. Ensemble, grâce à votre expérience d'entrepreneurs, nous pourrons réfléchir à l'évolution de nos exportations dans les années à venir, mais aussi participer, en nous appuyant sur votre perception des marchés, à l'élargissement de notre base exportatrice.
Comme tout bon parrain, je serai très attentif à vos travaux et je veux vous assurer ce matin de mon soutien personnel, mais surtout de l'engagement à vos côtés de tous les personnels du réseau d'appui au commerce extérieur.
Je vous remercie.
(Source http://www.commerce-exterieur.gouv.fr, le 11 juin 2001)