Texte intégral
Cinq ans après la loi de 1996 sur l'adoption, c'est avec beaucoup d'humilité que je me suis à nouveau interrogé sur l'accouchement sous X et l'accès aux origines personnelles. J'ai rencontré les professionnels et les associations concernées et je veux rendre hommage tant aux familles adoptives qu'aux personnes en quête de leurs origines qui ont, les unes comme les autres, contribué à faire évoluer les mentalités.
Il n'y a pas de bonne solution à un problème qui repose sur un drame, l'abandon d'un enfant par sa mère. Je suis convaincu qu'on ne peut effacer de sa mémoire le fait d'avoir été abandonné, c'est-à-dire nié dans son existence. On peut comprendre que le besoin de savoir qui, pourquoi, comment conduise à une recherche douloureuse, parfois obsessionnelle, comme une âme incapable de trouver le repos.
J'avais déjà perçu cela en 1995. A l'époque, j'avais pensé à une structure de médiation, mais comme vous l'avez rappelé, Madame Neiertz, les mentalités n'étaient pas encore prêtes. Nous avions insisté sur la nécessité, au moins, d'obtenir des éléments non identifiants. Je suis choqué que certains décrets d'application de dispositions votées ici à l'unanimité il y a cinq ans ne soient toujours pas publiés. Madame la ministre, vos propos m'ont en partie rassuré mais de grâce, ne relâchez pas votre vigilance.
La pratique de l'accouchement sous X ne date pas d'hier. Souvenons-nous de Saint Vincent de Paul et des fours de couvents, des dispositions prises par les révolutionnaires après 1789 concernant l'organisation des droits de gésine. Nous pourrions remonter jusqu'à Moïse abandonné au fil de l'eau dans son berceau...
Les choses ont bien changé mais il reste le conflit entre deux droits tout aussi légitimes, celui d'une femme et celui d'un enfant.
Le droit d'une femme qui choisit la vie plutôt que l'avortement, sans pour autant vouloir reconnaître l'enfant. Faut-il mettre cette femme hors-la-loi ? Faut-il exiger son nom ? Faut-il prendre le risque de la rejeter dans la clandestinité quand elle est déjà perdue, sans repères ? Faut-il qu'elle ait pour seul choix l'infanticide ou l'abandon dans un lieu public ? Nous savons tous le mystère définitif qui entoure les enfants trouvés. Ne faut-il pas au contraire accueillir cette femme, l'écouter, lui parler et peut-être la convaincre de changer d'attitude, l'inviter à donner les prénoms de l'enfant ?
L'accouchement sous X ne peut être interdit, mais il ne doit être qu'un ultime recours. Il permet de placer la mère et l'enfant dans les meilleures conditions sanitaires, d'assurer à la mère l'accompagnement psychologique dont elle a besoin et de donner à l'enfant le plus de chances d'être adopté rapidement.
Je ne peux pas accepter certains arguments avancés en faveur de la suppression de l'accouchement sous X.
On invoque l'article 7 de la Convention des droits de l'enfant. Mais il dit bien que c'est dans la mesure du possible " qu'un enfant a droit " à connaître son père et sa mère et à être élevé par eux ". En outre, il ne dit pas s'il s'agit du père et de la mère biologiques : les parents adoptifs peuvent bel et bien prétendre aux titres de père et de mère. Enfin, l'ONU n'a évidemment pas voté cette Convention pour répondre au problème des accouchements sous X. Si la plupart des pays en voie de développement y ont souscrit, c'est pour s'opposer aux séparations liées aux exodes, déportations et autres déplacements de population.
On accuse la France et le Luxembourg d'être les deux seuls pays à accepter les accouchements sous X. Ce n'est pas exact, et un mouvement de légalisation se dessine aujourd'hui. L'Italie l'admet depuis longtemps ; l'Allemagne vient d'organiser les " boîtes à bébés " ; la Suisse vient d'ouvrir la " fenêtre des bébés " à quarante kilomètres de Zürich, qui a un site Internet ; l'Autriche accepte les " nids de bébés " et l'on vient de s'ouvrir dans un grand hôpital de Vienne ; la Belgique s'apprête à légiférer sur le sujet, en constatant que les femmes belges viennent accoucher sous X à Lille.
L'enfant, lui, a le droit de connaître ses origines. Tout doit être fait pour mettre fin à des pratiques insupportables -actes de naissance mensongers, dossiers hermétiques, silences convenus... Il est heureux que la culture du secret diminue, et avec elle le nombre d'accouchements sous X, passé depuis 1995 de 700 à 400. Mais il faut aller plus loin et c'est pourquoi ce texte est bienvenu.
Il faut inciter les femmes, tout en respectant leur volonté, à comprendre la nécessité pour l'enfant de connaître un jour, s'il le désire, l'identité de sa mère ; organiser la médiation, aider les recherches, faciliter les rencontres, et surtout homogénéiser les pratiques d'un département à l'autre ; enfin, exclure les conséquences en termes de filiation et de responsabilité.
Il faut aussi être conscient des dangers de l'accouchement sous X. C'est un comportement facile après la naissance d'un enfant trisomique, par exemple. J'ai raconté en commission le cas d'une femme qui a accouché sous X d'un enfant qui avait un bec-de-lièvre et gardé son jumeau... Quant à l'homme qui apprend qu'il est le père d'un enfant dont la mère a accouché sous X et qui veut le prendre en charge, il se heurte à un mur juridique. Enfin, l'accouchement sous X est un moyen de détourner l'interdiction des mères porteuses.
Une question me paraît importante. Faut-il, si une femme a laissé son identité, accepter que très longtemps après, on vienne la relancer ? Je réponds oui, à deux conditions. La première est qu'elle ait été clairement informée de cette éventualité au moment de l'accouchement.
Deuxième condition, la relance doit respecter la vie privée de la mère qui, vingt ans plus tard, a peut-être une famille et n'a pas dit son secret. Ne prenons pas le risque de briser une famille pour briser un secret.
Je me suis beaucoup interrogé sur les limites que devait avoir la quête de la vérité. Quelles que soient vos convictions sur le don de gamètes, il paraît difficile de revenir sur l'anonymat des donneurs. L'exemple suédois a montré que leur démarche n'avait rien à voir avec la recherche d'une paternité.
Il faut aussi respecter la mort. L'idée qu'on puisse attendre la mort d'une personne qui a toujours gardé le silence pour lui extorquer son secret, l'idée d'une vérité en viager me paraît inacceptable.
Je suis préoccupé par cette nouvelle tyrannie du biologique, cette quête de l'identité biologique à tout prix. C'est un généticien qui vous le dit, n'oublions pas que nous sommes d'abord le fruit de notre éducation et de l'amour qu'on nous a porté. Le père et la mère sont bien ceux qui ont accueilli, entouré, aimé l'enfant, même si celui-ci a un patrimoine biologique différent du leur.
Je veux remercier Mme Neiertz pour la qualité du travail accompli en commission. Nous avons retrouvé, à front renversé, la même complicité que pour l'élaboration de la loi de 1996 sur l'adoption.
Je souhaite que l'équilibre du texte soit respecté jusqu'au bout, ce qui me permettra de voter ce projet.
(source http://www.jean-francoismattei.com, le 21 juin 2001)
Il n'y a pas de bonne solution à un problème qui repose sur un drame, l'abandon d'un enfant par sa mère. Je suis convaincu qu'on ne peut effacer de sa mémoire le fait d'avoir été abandonné, c'est-à-dire nié dans son existence. On peut comprendre que le besoin de savoir qui, pourquoi, comment conduise à une recherche douloureuse, parfois obsessionnelle, comme une âme incapable de trouver le repos.
J'avais déjà perçu cela en 1995. A l'époque, j'avais pensé à une structure de médiation, mais comme vous l'avez rappelé, Madame Neiertz, les mentalités n'étaient pas encore prêtes. Nous avions insisté sur la nécessité, au moins, d'obtenir des éléments non identifiants. Je suis choqué que certains décrets d'application de dispositions votées ici à l'unanimité il y a cinq ans ne soient toujours pas publiés. Madame la ministre, vos propos m'ont en partie rassuré mais de grâce, ne relâchez pas votre vigilance.
La pratique de l'accouchement sous X ne date pas d'hier. Souvenons-nous de Saint Vincent de Paul et des fours de couvents, des dispositions prises par les révolutionnaires après 1789 concernant l'organisation des droits de gésine. Nous pourrions remonter jusqu'à Moïse abandonné au fil de l'eau dans son berceau...
Les choses ont bien changé mais il reste le conflit entre deux droits tout aussi légitimes, celui d'une femme et celui d'un enfant.
Le droit d'une femme qui choisit la vie plutôt que l'avortement, sans pour autant vouloir reconnaître l'enfant. Faut-il mettre cette femme hors-la-loi ? Faut-il exiger son nom ? Faut-il prendre le risque de la rejeter dans la clandestinité quand elle est déjà perdue, sans repères ? Faut-il qu'elle ait pour seul choix l'infanticide ou l'abandon dans un lieu public ? Nous savons tous le mystère définitif qui entoure les enfants trouvés. Ne faut-il pas au contraire accueillir cette femme, l'écouter, lui parler et peut-être la convaincre de changer d'attitude, l'inviter à donner les prénoms de l'enfant ?
L'accouchement sous X ne peut être interdit, mais il ne doit être qu'un ultime recours. Il permet de placer la mère et l'enfant dans les meilleures conditions sanitaires, d'assurer à la mère l'accompagnement psychologique dont elle a besoin et de donner à l'enfant le plus de chances d'être adopté rapidement.
Je ne peux pas accepter certains arguments avancés en faveur de la suppression de l'accouchement sous X.
On invoque l'article 7 de la Convention des droits de l'enfant. Mais il dit bien que c'est dans la mesure du possible " qu'un enfant a droit " à connaître son père et sa mère et à être élevé par eux ". En outre, il ne dit pas s'il s'agit du père et de la mère biologiques : les parents adoptifs peuvent bel et bien prétendre aux titres de père et de mère. Enfin, l'ONU n'a évidemment pas voté cette Convention pour répondre au problème des accouchements sous X. Si la plupart des pays en voie de développement y ont souscrit, c'est pour s'opposer aux séparations liées aux exodes, déportations et autres déplacements de population.
On accuse la France et le Luxembourg d'être les deux seuls pays à accepter les accouchements sous X. Ce n'est pas exact, et un mouvement de légalisation se dessine aujourd'hui. L'Italie l'admet depuis longtemps ; l'Allemagne vient d'organiser les " boîtes à bébés " ; la Suisse vient d'ouvrir la " fenêtre des bébés " à quarante kilomètres de Zürich, qui a un site Internet ; l'Autriche accepte les " nids de bébés " et l'on vient de s'ouvrir dans un grand hôpital de Vienne ; la Belgique s'apprête à légiférer sur le sujet, en constatant que les femmes belges viennent accoucher sous X à Lille.
L'enfant, lui, a le droit de connaître ses origines. Tout doit être fait pour mettre fin à des pratiques insupportables -actes de naissance mensongers, dossiers hermétiques, silences convenus... Il est heureux que la culture du secret diminue, et avec elle le nombre d'accouchements sous X, passé depuis 1995 de 700 à 400. Mais il faut aller plus loin et c'est pourquoi ce texte est bienvenu.
Il faut inciter les femmes, tout en respectant leur volonté, à comprendre la nécessité pour l'enfant de connaître un jour, s'il le désire, l'identité de sa mère ; organiser la médiation, aider les recherches, faciliter les rencontres, et surtout homogénéiser les pratiques d'un département à l'autre ; enfin, exclure les conséquences en termes de filiation et de responsabilité.
Il faut aussi être conscient des dangers de l'accouchement sous X. C'est un comportement facile après la naissance d'un enfant trisomique, par exemple. J'ai raconté en commission le cas d'une femme qui a accouché sous X d'un enfant qui avait un bec-de-lièvre et gardé son jumeau... Quant à l'homme qui apprend qu'il est le père d'un enfant dont la mère a accouché sous X et qui veut le prendre en charge, il se heurte à un mur juridique. Enfin, l'accouchement sous X est un moyen de détourner l'interdiction des mères porteuses.
Une question me paraît importante. Faut-il, si une femme a laissé son identité, accepter que très longtemps après, on vienne la relancer ? Je réponds oui, à deux conditions. La première est qu'elle ait été clairement informée de cette éventualité au moment de l'accouchement.
Deuxième condition, la relance doit respecter la vie privée de la mère qui, vingt ans plus tard, a peut-être une famille et n'a pas dit son secret. Ne prenons pas le risque de briser une famille pour briser un secret.
Je me suis beaucoup interrogé sur les limites que devait avoir la quête de la vérité. Quelles que soient vos convictions sur le don de gamètes, il paraît difficile de revenir sur l'anonymat des donneurs. L'exemple suédois a montré que leur démarche n'avait rien à voir avec la recherche d'une paternité.
Il faut aussi respecter la mort. L'idée qu'on puisse attendre la mort d'une personne qui a toujours gardé le silence pour lui extorquer son secret, l'idée d'une vérité en viager me paraît inacceptable.
Je suis préoccupé par cette nouvelle tyrannie du biologique, cette quête de l'identité biologique à tout prix. C'est un généticien qui vous le dit, n'oublions pas que nous sommes d'abord le fruit de notre éducation et de l'amour qu'on nous a porté. Le père et la mère sont bien ceux qui ont accueilli, entouré, aimé l'enfant, même si celui-ci a un patrimoine biologique différent du leur.
Je veux remercier Mme Neiertz pour la qualité du travail accompli en commission. Nous avons retrouvé, à front renversé, la même complicité que pour l'élaboration de la loi de 1996 sur l'adoption.
Je souhaite que l'équilibre du texte soit respecté jusqu'au bout, ce qui me permettra de voter ce projet.
(source http://www.jean-francoismattei.com, le 21 juin 2001)