Interview de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la justice et des libertés, à France Info le 29 juin 2010, sur les conséquences possibles des affaires de fraude fiscale et de financement des partis politiques dans lesquelles serait éventuellement impliqué M. Eric Woerth, à la fois ministre du gouvernement et trésorier de l'UMP.

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Média : France Info

Texte intégral

R. Duchemin.- Bonjour, M. Alliot-Marie.
 
Bonjour.
 
Merci d'être en direct avec nous, ce matin, sur France Info, pour évoquer l'actualité. Et l'actualité, c'est bien sûr d'abord, l'affaire Woerth. Etes-vous, comme les autres membres du Gouvernement, solidaire d'E. Woerth, aujourd'hui, M. Alliot-Marie ?
 
Bien entendu. E. Woerth est un bon ministre, personne ne le conteste. E. Woerth est également quelqu'un qui est droit, et ça non plus personne ne le conteste. E. Woerth est aussi un ministre qui a en charge un dossier lourd, difficile mais essentiel pour les Français, pour l'avenir de leur retraite, pour préserver le versement des pensions aux retraités, et il mérite toute notre solidarité et notre soutien.
 
Mais pensez-vous que compte tenu de la complexité de la situation, comme A. Juppé l'a demandé, hier, par exemple, qu'il faudrait qu'il clarifie davantage en quittant l'un de ses deux postes, soit le ministère, soit peut-être la trésorerie de l'UMP ?
 
Ecoutez, E. Woerth est trésorier de l'UMP depuis 2002. Il n'était pas ministre à l'époque, il a été ministre quelques mois dans le gouvernement Raffarin, il ne l'a plus été par la suite. Il a fait énormément de travail pour assainir les finances de l'UMP, pour les redresser. Il a établi des liens de confiance avec les personnes et je crois que c'est ça, ce qui a voulu être continué, un trésorier c'est aussi, quelqu'un qui doit avoir la confiance à l'intérieur et à l'extérieur. Et comme il a toujours été très strict, sur les dépenses de l'UMP, je crois que c'est ça aussi qui a justifié qu'on lui demande de continuer à assumer ce qui n'est certainement pas un plaisir, mais sûrement une lourde charge.
 
Vous savez comme moi, que si cette double casquette pose problème aujourd'hui, c'est à cause de ce qui a été dit dans les fameux enregistrements effectués au domicile de L. Bettencourt où on entend parler justement d'argent versé par l'héritière de L'Oréal à l'UMP, à V. Pécresse, à E. Woerth, mais aussi à N. Sarkozy. Est-ce que vous allez, M. Alliot-Marie, vous, demander à ce qu'une enquête soit menée sur ces financements ?
 
D'abord, la première chose que je voudrais dire, il faut éviter un certain nombre d'erreurs. Que je sache, aujourd'hui, personne n'a jamais dit qu'il y aurait eu des versements faits à N. Sarkozy. Deuxièmement, il y a une loi, qui dit dans quelles conditions des versements peuvent être effectués à des partis politiques ou à des personnes politiques. Et c'est dans le cadre de la loi, personne ne l'a non plus contesté...
 
Les fameux 7500 euros...
 
Exactement, que ces versements tout à fait légaux ont été faits. Et c'est un gros progrès, par rapport à ce qui se passait autrefois, je vous le rappelle, que ces limitations et la clarification de ces mesures. Enfin, troisième point, on parle aujourd'hui d'écoutes dont personne ne sait effectivement dans quel cadre exactement elles se sont faites, si elles sont exactes, dont la véracité des propos n'est en rien avérée, et de toute façon, je vous rappelle qu'il ne s'agit pas de propos qui viendraient directement de telle ou telle personne, mais de propos qui seraient rapportés par d'autres personnes. Vous voyez bien que face à tout ceci, il faut aussi raison garder, et je crois que dans des affaires comme celle-ci, et dans l'ambiance que certains souhaitent créer autour de ceci, il faut revenir à des choses qui soient d'abord certaines, qui soient vérifiées, et d'autre part les voir aussi avec le recul et le souci de vérité nécessaire.
 
Précisément pour que ce souci de vérité soit établi, qu'est-ce que vous allez faire, vous, M. Alliot-Marie ? Est-ce que vous allez demander des éclaircissements notamment au Parquet, au Procureur ?
 
Alors il faut bien distinguer, encore une fois. Vous parliez de versements politiques, ces versements politiques visiblement ont été faits en toute légalité et en toute clarté. Donc je ne vois pas pourquoi il y a ça.
 
Mais il n'y a pas que ça dans ces écoutes ?
 
Deuxièmement, si vous voulez parler des problèmes éventuels de fraudes fiscales, je voudrais rappeler une chose, c'est qu'il y a des règles, il y a des lois, il y a des procédures. Et le ministre de la justice ne peut pas aller contre la loi. Je n'ai pas le droit d'ouvrir directement une enquête. Les textes précises bien que le Parquet ne peut ouvrir une enquête que lorsqu'il est saisi par une commission qui relève du ministère du Budget, et c'est cette commission qui doit donner un avis favorable à la poursuite et éventuellement des actions qui sont soupçonnées d'être fraudes fiscales. Chaque année, on nous dénonce, cette commission nous dénonce environ un millier de situations et dans tous les cas, le Parquet poursuit.
 
Alors dans les extraits qui ont été diffusés, rendus publics, on entend que l'affaire pose problème aussi sur un autre point : il y aurait eu visiblement une intervention dans cette procédure, intervention directe, d'un conseiller, le conseiller Justice de l'Elysée, qui aurait servi en quelque sorte d'intermédiaire entre L. Bettencourt et justement le Parquet. Est-ce que vous avez, là, sur ce point précis, vous, aujourd'hui, l'intention de demander des explications au Parquet sur une éventuelle intervention ?
 
Non, mais encore une fois, je ne vois pas qu'est-ce que je pourrais demander au Parquet. Que je sache, effectivement, il n'y a eu aucune intervention en la matière, et encore une fois...
 
Monsieur de Maistre dit...
 
Encore une fois, je pense qu'il faut faire très attention, dans la mesure où il s'agit de propos qui auraient été rapportés par un tiers et encore une fois, le problème des écoutes - et je l'ai vu également quand j'étais ministre de l'Intérieur, le problème des écoutes...
 
Mais ces écoutes peuvent être tout à fait prises en compte par le Parquet, aujourd'hui ?
 
Le problème des écoutes, c'est effectivement qu'il n'est pas possible de vérifier leur véracité. Il est très difficile de vérifier leur véracité en tant que telle.
 
Mais vous savez comme moi, que c'est pris en compte en général, une écoute, dans un Tribunal aujourd'hui ?
 
Vous savez comme moi, peut-être, sans doute, qu'on peut prendre en compte certaines choses, mais que cela ne peut pas être utilisé comme un élément de preuve, justement dans aucun cas, justement parce qu'il n'y a pas de certitude, il n'y a pas d'éléments techniques qui permettent d'en avoir une garantie à elle seule. Il faut donc d'autres éléments, même lorsque, quel que soit le procès, cela peut-être pris en compte.
 
Donc quand on entend dans ces enregistrements parler de la date du 3 septembre, pour que le Procureur classe l'affaire, sans suite, ce qui a été fait, effectivement le 3 septembre, ce n'est pas troublant, M. Alliot-Marie ?
 
Ecoutez, le problème n'est pas là ! Le problème, c'est qu'il y a un certain nombre de règles et moi, mon rôle, c'est aussi de faire appliquer ces règles. Je tiens à ce que la justice soit respectée dans notre pays. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle je mène des réformes et des réformes importantes en matière de procédures pénales, en matière également d'indépendance des magistrats, du Conseil Supérieur de la Magistrature. Tout ceci est destiné effectivement, à avoir une situation dans lesquelles il puisse y avoir une véritable relation de confiance des citoyens à l'égard de la justice.
 
Puisque vous évoquiez la procédure pénale, où en est-on ? On a entendu N. Sarkozy dire que ça se ferait. Vous aviez avancé des dates, je crois avant l'été, où en sommes-nous aujourd'hui ?
 
Oui, effectivement, il doit y avoir... nous avons travaillé sur ce texte, il y a eu 10 semaines de concertations, plus de 500 propositions d'amendements et de modifications qui ont été faites par les 45 associations et syndicats qui ont participé à cette réunion. Nous avons intégré tout ceci, j'ai transmis ce texte à Matignon, pour les derniers arbitrages et je pense que nous allons dans les prochains jours communiquer au Conseil d'Etat, le texte sur la première partie, c'est-à-dire l'enquête jusqu'à la transmission aux juridictions de jugements. Ce qui, dès que nous aurons le retour du Conseil d'Etat et je pense avant la fin de l'été, permettra de faire passer le texte en Conseil des ministres.
 
M. Alliot-Marie, vous êtes une gaulliste, on cite souvent le Général en exemple, notamment quand il s'agit de parler de moralisation. On vient de voir que N. Sarkozy veut donner un tour de vis ; le Général, lui, c'était l'homme qui payait sa note d'électricité à l'Elysée. Il y a eu trop d'affaires, trop de dérapages ces temps-ci ?
 
Je crois, effectivement, et c'est ça le sens aussi de mon engagement, que le gaullisme c'est une certaine idée de la politique, comme une certaine idée de la France. Et moi, je considère comme logique et comme normal, que l'on veille à ce que chaque euro qui est confié à un ministre soit utilisé le mieux possible et totalement au service de nos concitoyens. Donc cela me paraît normal, effectivement, que l'on fixe et surtout dans cette période, où on demande à chacun des efforts, un certain nombre de règles, pour vérifier que ces euros soient utilisés le mieux possible. C'est une situation qui est une avancée considérable par rapport à ce qui pouvait exister par exemple, dans les années 80. Mais aujourd'hui, ça paraît aussi quelque chose qui est en phase avec notre société, et avec ce besoin quand on demande des efforts à chacun, pour faire face à une situation économique, européenne, mondiale même, que l'Etat lui-même, donne l'exemple.
 
Et c'est justement, le but pour vous, c'est remettre le gaullisme au centre de la vie politique aujourd'hui, avec votre association notamment ?
 
Le gaullisme représente un certain nombre de valeurs qui se sont incarnées à un moment donné, dans le Général de Gaulle, mais qui sont valables à toute époque. Le fait de ne jamais baisser les bras devant les difficultés ; autrefois, c'était la guerre, aujourd'hui, ce sont les difficultés financières et économiques. Le fait de toujours prendre en considération d'abord les hommes et les femmes, comme le sens d'une politique ; ce qui compte, ce n'est pas des logiques simplement commerciales, financières, c'est d'aider chacune et chacun à davantage s'épanouir, avoir ce dont il a besoin, et à le valoriser. C'est aussi, une certaine idée de la France, qui a un rôle à jouer et le président de la République a montré, avec aussi bien la présidence française de l'Union européenne, qu'aujourd'hui, dans le cadre des difficultés qu'il y a, comment la France peut jouer ce rôle d'entraîneur européen et mondial. Et ça je pense que ce sont, effectivement, des valeurs qui sont celles du gaullisme.
 
Merci, M. Alliot-Marie, d'avoir été l'invitée de France Info, ce matin.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 29 juin 2010