Déclarations de MM. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, et Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur le traité de Nice sur la réforme des institutions communautaires et sur ses avancées, à l'Assemblée nationale le 15 mai 2001.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Audition devant la commission des affaires étrangères et la délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale le 15 mai 2001

Texte intégral

Déclaration de M. Hubert Védrine :
Nous étions venus, avec Pierre Moscovici, juste après le Conseil européen de Nice (13 décembre), vous présenter les résultats de la Présidence française, et en particulier la conclusion de la CIG et l'accord qui avait été trouvé sur un nouveau Traité.
Nous vous avions décrit le contexte de cette négociation difficile et les arguments qui nous laissaient penser que l'accord de Nice était le meilleur possible étant donné les positions des pays européens. Nous étions convaincus que ce résultat serait progressivement reconnu à sa juste valeur et qu'il permettrait à l'Union de dépasser des blocages vieux de 10 ans. Je pense en particulier à l'échec d'Amsterdam sur la question institutionnelle. Vous vous rappelez que nous avions alors pris l'engagement de trouver une solution avant l'élargissement aux problèmes institutionnels laissés ouverts à Amsterdam : la composition de la Commission, la pondération des voix, l'extension de la majorité qualifiée. Nous n'étions alors que trois pays (France, Belgique, Italie). Nous avons pu rallier les Quinze à cet objectif et nous avons ensuite assumé la responsabilité de cette négociation compliquée sous notre Présidence, en ajoutant à ces trois questions l'assouplissement du mécanisme des coopérations renforcées, qui nous paraissait être une précaution indispensable dans l'Union élargie.
L'accord de Nice, et d'ailleurs la Présidence française en général, ont ensuite été critiqués, injustement selon nous, principalement par les commentateurs français, un peu en Allemagne, et surtout par le Parlement européen et la Commission.
En revanche, le reste des gouvernements européens et les pays candidats à l'adhésion ont tous marqué leur satisfaction.
Après quelques mois, je crois que les appréciations se sont équilibrées et chacun reconnaît que Nice a permis de franchir une étape dans la construction européenne.
D'abord, il a ouvert la voie à l'élargissement de l'Union. Nous avons observé le déclic qui s'est produit dans les négociations d'adhésion et, grâce au travail accompli depuis le Conseil européen d'Helsinki en décembre 1999 sous Présidence portugaise et sous Présidence française, nous sommes maintenant entrés dans le vif des négociations d'adhésion en traitant les difficultés qui se posent et en trouvant des solutions au fur et à mesure. Tous les Etats membres et tous les pays candidats s'en réjouissent.
Ensuite, grâce à Nice et à la déclaration qui a été adoptée par la CIG, le débat sur l'avenir de l'Union est maintenant lancé. En France, le président de la République et le Premier ministre ont arrêté le dispositif qui permettra à ce débat de se développer et de toucher le plus de Français possible. Nous espérons que l'Assemblée nationale y jouera un rôle important.
Ce débat large et démocratique se poursuivra au moins jusqu'à la fin de l'année. Au Conseil européen de Laeken, sous Présidence belge, nous arrêterons la méthode qui permettra de structurer la réflexion jusqu'à la CIG de 2004.
Sur le fond, vous connaissez le Traité et le projet de loi de ratification qui a été approuvé par le Conseil des ministres le 9 mai.
Je rappellerai juste, avant Pierre Moscovici, les principales réformes institutionnelles que ce Traité prévoit, et qui permettront aux institutions de faire face à l'élargissement :
- l'introduction du principe du plafonnement de la Commission, même si le nombre de commissaires ne sera décidé que plus tard ;
- le renforcement des pouvoirs du président de la Commission sur le collège et nomination de tous les commissaires, y compris du président, à la majorité qualifiée ;
- une nouvelle pondération des voix qui permet de maintenir l'équilibre entre Etats les plus peuplés et les moins peuplés ;
- une nouvelle répartition des sièges au Parlement européen pour permettre l'arrivée des parlementaires des nouveaux Etats membres ;
- une réforme importante de la Cour de Justice et du Tribunal de Première Instance.
Par ailleurs, le Traité assouplit et renforce l'efficacité du fonctionnement de l'Union :
- en étendant la majorité qualifiée à 27 nouveaux domaines, tout en protégeant ce qui nous paraît essentiel (propriété intellectuelle, culture, santé, éducation)
- en assouplissant le mécanisme des coopérations renforcées, qui est également étendu à la PESC.
Je rappelle également les perfectionnements que le Traité apporte sur d'autres questions importantes : amélioration de l'article 7 (mécanisme d'alerte en cas de menace de violation des droits fondamentaux), mise en place du Comité politique et de sécurité, lui permettant d'assurer la gestion d'une crise.
En présentant rapidement le projet de loi de ratification, le gouvernement souhaite répondre à l'engagement pris par le Conseil européen d'Helsinki de mettre l'Union "en mesure d'accueillir de nouveaux Etats membres à partir de la fin de 2002". La plupart des autres pays européens ont engagé les procédures de ratification, qui devront s'achever selon les cas soit avant la fin de l'année, soit dans le courant 2002. Seule l'Irlande a choisi de procéder par un référendum, qui aura lieu le 7 juin.
Si le calendrier que nous envisageons est tenu (Assemblée nationale : 5 juin, Sénat : 28 juin), la France sera parmi les premières à ratifier le nouveau Traité.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 mai 2001)
Déclaration de M. Moscovici :
Messieurs les Présidents,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Chers Amis,
Hubert Védrine vient de présenter le Traité de Nice, en rappelant les grandes étapes de la négociation. Je ne vais donc pas répéter les choses. J'aimerais simplement, si vous le voulez bien, donner un éclairage complémentaire et personnel sur un certain nombre de points, avant que nous passions à la discussion.
D'abord, sur le point de départ, qui est le Traité d'Amsterdam. Nous ne devons pas oublier que les questions qui figuraient à l'ordre du jour à Nice, - à savoir : le format de la Commission ; le champ de la majorité qualifiée ; la repondération - avaient déjà été débattues à Amsterdam, et que les chefs d'Etat et de gouvernement n'avaient pas été en mesure, alors, d'aboutir à un accord. En fait, l'échec était programmé depuis le Conseil européen informel de Noordwijk, qui s'était tenu quelques semaines avant Amsterdam, et qui avait constaté l'impasse des négociations. Ceci pour souligner, d'abord que ces questions étaient déjà bien identifiées, ensuite que chacun en connaissait parfaitement la très grande difficulté.
Nous avions, en ce qui nous concerne, bien mesuré, dès Amsterdam, le problème majeur que poserait, dans la perspective de l'élargissement, l'existence de tels "reliquats". D'où l'idée de la déclaration franco-belgo-italienne, que rappelait Hubert Védrine et qui a permis d'inscrire de façon solennelle, dans un texte annexé au Traité d'Amsterdam, la nécessité de résoudre ces trois questions avant le prochain élargissement.
Les deux assemblées ont elles-mêmes souhaité, - vous-mêmes avez tout particulièrement souhaité - lors du débat de ratification, marquer à nouveau cette préoccupation, ce qui était parfaitement normal. Le gouvernement, les autorités françaises, en ont pleinement tenu compte et nous avons retenu la solution, tout à fait exceptionnelle, d'un article 2 au projet de loi de ratification du Traité d'Amsterdam, visant à rappeler "la nécessité de progrès substantiels dans la voie de la réforme des institutions, préalablement à la conclusion des négociations d'adhésion". Il était clair que le Traité de Nice était nécessaire pour permettre l'élargissement.
Avec le Conseil européen de Cologne en juin 1999, nous avons commencé à poser les jalons des travaux qui allaient conduire à la CIG de 2000. Notre volonté était de procéder par étapes et de régler d'abord et avant tout les trois questions restées sans réponse à Amsterdam. Nous n'avons jamais refusé, par principe, de parler d'autres questions, mais nous avons voulu nous donner les moyens d'atteindre aussi complètement que possible l'objectif fixé par la déclaration franco-belgo-italienne, réaffirmé par le Parlement, et non pas, à travers une hypothétique refondation d'ensemble de l'Union, retarder l'élargissement.
Elargir d'emblée le débat risquait, en effet, de créer une certaine confusion. Ce fut d'ailleurs le cas avec le rapport Dehaene-Weizsäcker-Lord Simon, de fin 1999 parce que nous avons dû alors résister à la tentation de plusieurs de nos partenaires, confortés notamment par le Parlement européen et la Commission, de vouloir traiter nombre d'autres sujets, pour ne pas dire l'ensemble de l'architecture institutionnelle. De tels sujets n'étaient pas sans intérêt, évidemment, et nous allons en traiter maintenant, d'ici à 2004, dans le débat qui s'ouvre sur l'avenir de l'Europe. Mais si nous les avions retenus sous la Présidence française, ils n'auraient pas manqué de fournir, le cas échéant, un habillage commode à un éventuel nouvel échec sur les fameux reliquats, auxquels certains Etats membres auraient, au fond, été très heureux de ne pas toucher. On l'a constaté dans les Etats membres. C'est exactement ce qui s'était passé à Amsterdam et il fallait éviter que le même scénario se reproduise.
Hormis les coopérations renforcées, dont il était évident qu'elles allaient constituer l'outil indispensable à la gestion de la transition vers une Europe élargie nécessairement plus hétérogène, au moins pendant les premières années, aucun autre sujet lourd ne pouvait raisonnablement être inscrit à l'ordre du jour de la CIG, si nous voulions aboutir.
Par ailleurs, nous avions eu la sagesse de retenir une procédure spécifique et totalement nouvelle pour élaborer ce qui apparaîtra, à l'expérience, comme une des avancées conceptuelles majeures de la construction européenne : je veux, bien sûr, parler de la Charte des droits fondamentaux, dont la mise au point - commencée dans un scepticisme assez général, pour ne pas parler d'une certaine hostilité - a fini par être le succès que l'on sait, à la fois sur le fond et dans la méthode.
Je ne reviendrai pas, cela me paraît vain, sur les critiques qui ont pu être adressées à la Présidence française tout au long du deuxième semestre 2000. Un mot seulement sur le Conseil européen de Nice et l'ambiance dans laquelle il s'est déroulé. Là encore, les critiques me semblent à la fois excessives et presque inutiles. Souvenons-nous du Conseil européen d'Amsterdam : il ne s'est pas passé dans de meilleures conditions, ni en termes de durée, ni de climat. L'ambiance était au moins aussi tendue et, en plus, on a fini sur un échec. A Nice, au moins, les objectifs fixés ont été à peu près atteints.
J'en viens à la façon dont nous avons rempli le contrat. Sur la repondération des voix et les coopérations renforcées, nous avons quasiment atteint l'objectif fixé. Et que l'on cesse de parler de la prétendue volonté des grands d'écraser les petits ! Soyons honnêtes. Sans changement, le système de repondération existant aurait conduit l'Union à l'enlisement, même en l'absence d'élargissement.
Sur la Commission, il est pour moi évident que nous aurions voulu et dû faire mieux. La position française, vous le savez, était très claire. Celle de beaucoup de partenaires, qui sont d'ordinaire les plus fervents défenseurs de la tradition communautaire ne nous a, malheureusement, pas aidés (sans parler de la Commission elle-même, qui n'a pas pris un parti aussi net que nous l'aurions souhaité et ne s'est pas suffisamment montrée, en la circonstance, garante, comme c'est son rôle, de l'intérêt supérieur européen. Elle n'a pas insisté sur son resserrement).
Enfin, sur la majorité qualifiée, les résultats sont sans doute insuffisants, je le redis sans détour. Quantitativement, un nombre assez significatif d'articles est passé à la majorité qualifiée. Une approche qualitative, en revanche, met en lumière une certaine insuffisance des résultats. Nous n'avons pas été en mesure d'avancer sur quelques domaines pourtant essentiels. Beaucoup d'Etats membres qui avaient, comme la France avec l'article 133, des difficultés, n'ont pas fait autant d'efforts, loin de là, pour bouger. Nous avons fait montre d'une certaine flexibilité, ce qui n'a pas toujours été le cas de nos partenaires.
Mais, au total, le résultat de la négociation n'est pas mauvais, surtout si l'on considère le rapport de forces qui existait à ce moment-là.
Pour ma part, si vous le permettez, j'ajouterai à ce résumé rapide un motif de satisfaction : la modification apportée à l'article 7, relatif au respect des valeurs et des droits fondamentaux. Vous savez quelle était, en particulier dans le contexte de la situation politique autrichienne, l'importance que j'attachais à ce point.
Et puis, bien sûr, il y a la déclaration sur l'avenir de l'Europe, qui ouvre la porte à un débat plus large, auquel, je l'espère, vous prendrez tous une part active. Il est important que la Commission des Affaires étrangères et la Délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale y soient associées. Je voudrais souligner que nous sommes les premiers parmi les quinze Etats membres à lancer les choses sur une telle échelle ; il faut donc que nous fassions le maximum pour réussir ce débat national. Et votre coopération est indispensable à la réussite de l'exercice.
Quant au fond du débat lui-même, il doit se concentrer sur le fond, non sur les questions qui seules retiennent aujourd'hui l'attention des médias, le "concours de beauté institutionnel", telles que la date d'un discours attendu du Premier ministre, ou les enjeux de cohabitation supposés s'y rattacher. Il s'agit vraiment d'approfondir la réflexion sur l'Europe que nous voulons, sans nous borner aux solutions institutionnelles. Nous n'intéresserons nos concitoyens que si nous traitons de sujets concrets qui les concernent.
Et je m'arrêterai ici pour laisser place à la discussion sur le Traité de Nice.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 mai 2001)