Déclaration de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur le bilan et les objectifs de l'action extérieure de la France, Paris le 27 août 2010.

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Circonstance : Réunion de la Conférence des Ambassadeurs du 26 au 28 août 2010 à Paris : discours de clôture de Bernard Kouchner le 27

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les ambassadeurs,

Le Président de la République et le Premier ministre vous ont rappelé les lignes stratégiques de notre action pour l'année à venir. Les objectifs sont ambitieux. Ils sont nécessaires. Le résultat dépendra avant tout de notre capacité à convaincre. Cela ne sollicitera pas seulement votre savoir-faire. Cela demandera une évolution de nos manières de faire et de penser. Le monde évolue, nous évoluons, nos méthodes évoluent.
Il y a un an, j'ai résumé cela dans une formule. Je vous ai demandé d'être des « militants de la France ».
Il y a eu beaucoup de réussites : des exemples de courage ; de probité intellectuelle ; de perspicacité dans le jugement ; d'audace dans les propositions, de succès dans les réalisations. Je vous en remercie, collectivement et personnellement.
Je ne peux pas citer tous les exemples, cela serait trop long. Et vous avez renoncé à l'espoir de me voir passer trop de temps à dire que tout va bien. Mais je voudrais rappeler ceci : vos efforts, votre audace, votre imagination, sont toujours remarqués. Vos efforts, votre audace, votre imagination ne sont jamais inutiles.
Tous les efforts sont personnels. Les succès sont collectifs. Ils sont le fruit de la bonne coordination entre vous, au sein de vos équipes, et avec nous à Paris. Etre des militants de la France c'est jouer collectivement, et même collégialement. Je crois que sur ce point nous sommes sur la bonne voie.
Il faut savoir anticiper. Je prends deux exemples très différents et parmi tant d'autres, arbitrairement choisis. Cette année, le Kirghizistan. Il a fallu surmonter bien des obstacles, pour ouvrir là-bas une ambassade. Et quelques semaines après l'arrivée de notre ambassadeur, Thibaut Fourrière, a éclaté la crise que vous savez, les affrontements, les morts, qui menaçaient et qui menacent encore toute la région, et il a fallu y faire face avec des moyens limités. Mais l'Ambassade, notre Ambassadeur, son équipe étaient présents.
Deuxième exemple : le lancement réussi de notre initiative pour défendre la liberté d'expression sur internet. Avec mon homologue néerlandais, nous avons réuni dans cette même salle, le 8 juillet dernier, et ce pour la première fois : les ONG de défense de liberté de la presse et des droits de l'homme, les entreprises de l'internet et les Etats qui partagent notre volonté de lutter contre la répression et la censure sur internet. Prochaine étape : une conférence ministérielle qui se tiendra à Paris mi-octobre pour aller plus loin encore dans la fédération des efforts internationaux - pour mieux défendre les cyber-dissidents, pour mieux contrôler les technologies de brouillage et de filtrage, et pour mieux donner une traduction juridique à l'universalité d'internet.
Nous dépassons - et c'est heureux - les a priori sur ce qui est « noble » et ce qui ne l'est pas ; sur les pays qui comptent et ceux qui ne comptent pas ; sur les problèmes vraiment politiques, et ceux qui ne le seraient pas.
Regardez les catastrophes naturelles. Voilà à l'évidence un problème qui n'est pas perçu comme « noble ». Voilà un problème qui concerne au pire quelques agitateurs écologiques, au mieux les spécialistes de l'humanitaire.
Or que voit-on, aujourd'hui, au Pakistan ? Des inondations gigantesques, des sinistrés par millions, et le risque que les talibans ne gagnent les coeurs et les esprits de ces populations en déshérence ! Le problème n'est plus seulement écologique, il n'est plus seulement humanitaire. Il est profondément politique.
Il est difficile de parler de succès au milieu des tragédies. Mais notre réaction collective au tremblement de terre à Haïti a montré ce que ce Ministère, et ses agents, peuvent donner d'eux-mêmes - y compris lorsqu'ils ont perdu, ceux qu'ils ont de plus cher. Vous pouvez être fiers de votre mobilisation exceptionnelle, dans des conditions extraordinairement difficiles. A Paris grâce au Centre de crise et à ses agents - comme à tous leurs collègues du Département et des autres ministères qui se sont portés volontaires pour y travailler, jour et nuit - ou bien évidemment à Port-au-Prince.
Nous avons aussi connu des succès de plus longue haleine, comme celui de la conférence d'examen du Traité de non-prolifération qui s'est tenue en mai. Nous avons mené un long travail de préparation interministériel piloté au Quai d'Orsay, et mobilisé l'Union européenne. Nous avons obtenu que ce TNP se dote d'une feuille de route ambitieuse, fondée sur une approche équilibrée entre l'usage responsable du nucléaire civil ouvert à tous, le désarmement nucléaire et la mobilisation sur les crises de prolifération nucléaire.
Nous avons, vous le savez, fait preuve dans le dossier iranien d'une détermination et d'une constance sans faille. Nous avons convaincu nos partenaires du groupe des 5+1, puis les membres du Conseil de Sécurité et ceux de l'Union Européenne que des sanctions ciblées mais fortes étaient nécessaires.
Sur l'Afghanistan, les conférences de Londres en janvier et de Kaboul en juillet ont vu la France prendre toute sa place dans les débats, celle d'un partenaire fiable, déterminé de la coalition, qui en paye le prix douloureux. Nous avons, très tôt, posé les termes du débat sur le transfert des responsabilités aux afghans, sur la prise en compte de la dimension régionale du conflit, sur les modalités de la réintégration. Ce sont aujourd'hui les questions clé que nous devons résoudre pour trouver une issue qui serve les intérêts du peuple afghan et de la communauté internationale.
Rien n'est facile en Afghanistan, et je rends hommage au courage de nos forces déployées et à celui de nos agents qui vivent une mission difficile et exposée. Je rends un hommage particulier à la mémoire des victimes. Le Président de la république assistait ce matin aux obsèques de deux d'entre elles, à Fréjus
Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier attendent depuis près de neuf mois leur libération. Ils ne sont pas seuls. Notre mobilisation est totale pour que celle-ci intervienne rapidement. Avec toute la prudence nécessaire, je peux vous dire aujourd'hui mon espérance.

Au Proche Orient, la reprise, la semaine prochaine, des pourparlers entre Israéliens et Palestiniens nous invite à un peu plus d'optimisme au terme d'une année plutôt sombre, ponctuée de crises et au cours de laquelle les espoirs suscités par la médiation américaine ont été longs à se concrétiser.
Un accord de paix doit intervenir d'ici un an ? Nous devons y contribuer, à notre échelle et à celle de l'Europe :

  • d'abord en rappelant de manière équilibrée aux parties la nécessité d'avoir le courage de la négociation, dans le respect des paramètres bien connus du règlement.
  • ensuite en organisant la deuxième conférence d'aide au peuple palestinien, à la suite du succès reconnu par tous qu'avait été sa première édition en décembre 2007. Et elle aura lieu dans ces mêmes murs, comme en 2007.

Il y a aussi des points sur lesquels nous devons faire plus d'efforts.
Est-ce que nos ambassades sont suffisamment devenues des « maisons des droits de l'homme » ? Est-ce qu'on y reçoit, assez nombreux, des représentants de la société civile ? Je l'espère. Vous le savez : il n'y a aucune contradiction entre prendre le temps d'écouter la société civile et mieux informer Paris. Lorsque j'ai besoin de parler à un homologue, je décroche mon téléphone. Mais pour mieux comprendre les sociétés des pays dans lesquels vous êtes en poste, j'ai besoin de vous et de vos équipes. Personne ne peut le faire à votre place. Et j'ai un besoin impératif de vos capacités d'écoute.
Mieux écouter pour mieux agir : être des militants de la France, c'est par exemple venir en aide à la société civile, comme nous le faisons à Téhéran ou ailleurs. C'est par la société civile que les choses vont changer, et pas seulement en Iran, mais aussi en Afrique, en Asie, ou au Maghreb.
Mieux écouter pour mieux convaincre : je vous demande à la fois d'aller loin dans l'accueil et l'écoute mais aussi de continuer à expliquer et à défendre nos politiques, nos conceptions, nos principes.
C'est ainsi que Pierre Lellouche et moi-même souhaitons que vous expliquiez les mesures prises par le gouvernement en matière de lutte contre le trafic d'êtres humains et l'immigration irrégulière. Comme l'a dit le Premier ministre, la tradition humaniste de la France doit aller de pair avec le respect des lois, sans excès ni laxisme.
Pierre Lellouche, depuis qu'il est chargé de l'Europe, sous mon autorité, s'est emparé du problème. Il a reçu tout mon soutien. Il a effectué deux visites en Roumanie. Il a publié, affirmé notre position sur la nécessité de l'intégration dans les pays d'origine et sur la nécessité de respecter le droit européen.
Le Comité pour l'élimination de la discrimination a rendu publiques ses recommandations sur la France ce matin.
Dans la mesure où nous appelons de nos voeux ce type d'examen par des comités d'experts indépendants pour tous les pays, nous avons, bien évidemment, accepté de nous soumettre à cet examen.
Toutefois, les recommandations du comité ne reflètent pas les échanges ayant eu lieu avec la délégation française. Notre Ambassadeur pour les droits de l'homme François Zimeray a détaillé tout à l'heure devant la presse notre réaction à ce rapport. Oui, nous acceptons la critique - comme les félicitations (et il y en a dans ce rapport), non nous n'acceptons pas la caricature.
Non, nous n'acceptons pas les amalgames.
Je vous mentirais et je renierais mon engagement de toute une vie si je vous disais que ces éclats autour des Roms m'ont fait plaisir. D'autant que, comme Secrétaire d'Etat à l'action humanitaire, je m'étais beaucoup occupé d'eux. Comme Ministre des Affaires étrangères et européennes, j'ai lancé l'initiative du Sommet européen sur les Roms, dont le premier a eu lieu pendant la présidence française de l'Union Européenne.
Je sais les rejets, les misères et les difficultés. Je sais les enjeux électoraux et la tentation des excès, j'ai donc regardé avec attention les faits et les mots employés. Jamais le Président de la République n'a stigmatisé une minorité en fonction de son origine.
Non, jamais nous n'accepterons que des personnes soient sanctionnées pour ce qu'elles sont - Mais, oui, la République exige que tous soient responsables de ce qu'ils font. Je compte sur vous pour dissiper ces incompréhensions.
Etre des militants de la France, c'est continuer de faire évoluer notre instrument diplomatique. Je l'ai fait, à travers la réforme de la diplomatie culturelle. Cela fait vingt ans que tout le monde ou presque partageait le constat. Et personne n'avait osé bouger. Cela n'a pas été facile et vous savez combien il y a eu d'obstacles. Mais la réforme en sort renforcée.
Nous en avons longuement parlé ce matin, avec Xavier DARCOS. Je reviens sur ce sujet pour vous dire une chose : la loi a été votée. La première en plus de 20 ans. C'est bien - mais cette réforme n'est pas qu'affaire de textes. Sa réussite dépendra d'abord et avant tout de votre engagement à la faire vivre. C'est votre réforme. Et je sais que je peux compter sur votre engagement collectif pour donner forme à ce qui sera bientôt un nouveau visage de la France à l'étranger.
Cette réforme, vous le savez, s'est faite dans un contexte budgétaire difficile. Je sais que beaucoup parmi vous sont inquiets. Depuis 15 ans le Ministère des Affaires étrangères a participé de manière plus qu'exemplaire à l'effort de redressement des finances publiques. Aujourd'hui, les plus hautes autorités de l'Etat savent qu'on ne peut pas aller plus loin en termes de réduction d'effectifs, sans endommager l'universalité et la qualité de notre réseau.
J'ai obtenu du Premier ministre que la règle du non remplacement d'un fonctionnaire sur deux ne s'applique pas à ce ministère de manière aveugle : ainsi, c'est à peine un fonctionnaire titulaire sur cinq qui ne sera pas remplacé jusqu'en 2013. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : 100 non-remplacements d'agents titulaires du Département sur 530 départs à la retraites.
Le Premier ministre l'a rappelé hier : nous avons obtenu au total 100 millions d'euros additionnels de crédits pour la réforme culturelle, en plus des enveloppes prévues, entre 2009 et 2013.
J'ai obtenu, s'agissant des indemnités de résidence : aucune baisse de l'enveloppe, aucune fiscalisation. Parallèlement, le soutien aux rémunérations et l'accroissement des primes, en particulier pour les agents en centrale, se poursuivra.
Nombre d'entre vous servent dans des postes où l'engagement - et le risque - physique sont présents, tous les jours. Je le sais. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé - et obtenu - que les crédits pour la sécurité diplomatique non seulement ne soient pas soumis à la réduction forfaitaire de tous les crédits de fonctionnement de l'Etat, mais soient de nouveau augmentés.
Je suis à l'écoute de vos inquiétudes. Je sais qu'on vous demande de faire toujours beaucoup avec moins de moyens. Nous devons réfléchir davantage à nos priorités : faire des choix, rééquilibrer, mieux adapter notre outil et notre politique à la réalité du monde. Je demande à la direction collégiale de me faire des propositions à cet égard d'ici la fin de l'année. Cette réflexion ne pourra se passer de votre contribution.
Alors oui je crois que, ces douze derniers mois, nous avons beaucoup travaillé et beaucoup accompli.
Cette mobilisation, nous allons en avoir de plus en plus besoin pour faire face à quatre grands défis.


1/ Le premier défi est lié à la montée en force des pays émergents. Cette nouvelle donne, qui s'est traduite par un recul massif de la pauvreté, par le développement et la modernisation sociale est d'abord une bonne nouvelle. Le défi pour nous consiste à nous adapter à cette nouvelle situation. Pour cela, nous devons mieux comprendre les puissances émergentes, mieux discerner leurs intérêts, mieux analyser leurs perceptions, mieux anticiper leurs évolutions. Pour y parvenir, j'ai besoin de vous. Pour mieux travailler avec nos partenaires, pour mieux rivaliser avec nos concurrents et bien sûr mieux défendre nos intérêts.
Nous avons forgé notre culture diplomatique dans les relations entre nations européennes. Les nations de l'Europe ont entre elles une parenté, une similitude, que nous n'avons pas avec les pays émergents.
Nous sommes confrontés à des acteurs qui n'ont pas la même perception de l'histoire, pas la même mémoire, pas les mêmes points de repère, pas la même vision stratégique. Nous sommes dans le dépassement de la souveraineté. Ils prônent la souveraineté affirmée, parfois exacerbée. Les Européens sont dans la culture du compromis. Ces nouvelles puissances réfléchissent d'abord en termes de rapport de forces.
Les grands émergents ont acquis une puissance nouvelle. Soit. Mais nous commençons à peine à décrypter la manière dont ils vont utiliser cette puissance. Etre conscient de ces différences, ce n'est pas en être prisonnier, c'est au contraire nous donner les moyens de travailler efficacement avec nos partenaires pendant notre présidence du G20.
Nos nouveaux partenaires souhaiteront de plus en plus sortir des schémas où ils considèrent que leur place est insuffisante : la crise de prolifération iranienne nous en a donné un exemple avec l'initiative du Brésil et de la Turquie. Nous leur avons fait connaitre notre réponse sur ce cas précis, mais il n'en demeure pas moins que cette initiative doit nous conduire à nous interroger. Je ne doute pas que ces cas vont se multiplier, peut être quelquefois avec succès, et certainement avec l'approbation de nombreux Etats. C'est une dimension que nous devrons prendre en compte à l'avenir notamment dans le cadre européen. Car c'est à l'échelle de l'Europe que nous pourrons établir de véritables partenariats avec ces nouvelles puissances, fondés sur la réciprocité. Pour cela l'Union européenne doit faire évoluer ses pratiques et définir de nouvelles stratégies. Je souhaite que le Conseil européen du 16 septembre pose les bases d'une véritable gouvernance de l'action extérieure de l'Union comme nous avons su le faire, dans l'adversité, pour la gouvernance économique de l'Europe.
Je compte sur vous pour anticiper des évolutions qui requièrent nécessairement une adaptation non seulement de notre politique étrangère mais aussi de la gouvernance mondiale.


2/ Or le deuxième défi, c'est l'adaptation du système des Nations Unies à cette nouvelle réalité. L'ONU rassemble mal, et la réforme de l'ONU piétine. Je ne vous apprends rien. Tout le monde le sait, et depuis longtemps. Mais derrière la difficulté à réformer le Conseil de Sécurité, il y a un problème plus profond ; c'est celui d'une triple crise, qui touche ses institutions, l'universalité des droits de l'homme et les mécanismes de solidarité.
La crise que traverse l'ONU tient d'abord à une remise en cause de la légitimité mais aussi de l'efficacité de ses institutions. Pour certains, l'organisation n'est plus représentative du monde et de son évolution. Pour d'autres, une suspicion générale pèse sur son efficacité. La négociation sur le climat démontre l'incapacité collective à prendre certaines décisions qui nous coûtent. Il n'y a jamais eu autant de soldats sous casque bleu et pourtant jamais les opérations de maintien de la paix n'ont à ce point suscité d'interrogations. Certains silences en disent long, au Conseil des droits de l'homme ou au Conseil de sécurité.
Alors, comment changer cette situation ? La France explore toutes les possibilités : elle plaide pour que le conseil de sécurité soit plus représentatif, pour que le conseil des droits de l'homme soit plus efficace, pour que les opérations de maintien de la paix soient plus professionnelles et plus responsables encore. Il y aura toujours une part de compromis ; c'est inévitable dans toute action collective. Je sais que nous devons mieux faire et je suis convaincu que nous allons y parvenir.
Un autre danger nous guette : celui qui plane sur l'universalité des droits. Tous les jours nous entendons cette remise en cause : au nom du nationalisme, de spécificités culturelles, de particularités ethniques, géographiques ou même de prescriptions religieuses, certains contestent ce que nous avons en partage et mettent en avant des traits distinctifs qui seraient emblématiques de leurs valeurs, de leurs visions du monde, et de leur représentation de l'Homme.
Comment peut-on concevoir que des condamnations en justice d'un autre âge, comme la lapidation, respectent mieux la dignité des êtres humains parce qu'elles seraient conformes à des justices transcendantes acceptées par des peuples attachés à leurs croyances ! Je veux, une fois de plus, m'élever contre la condamnation en Iran de Sakineh Mohammadi-Ashtiani. J'ai écrit cette semaine à tous mes collègues de l'Union européenne pour que notre mobilisation soit collective et concrète sur le terrain des droits de l'homme comme elle l'est déjà sur le terrain de la prolifération. Je recevrai la semaine prochaine son avocat, aujourd'hui réfugié en Norvège.
Le combat de la France, c'est aussi le combat contre l'impunité. C'est ne pas se résigner face aux massacres de Guinée, en septembre 2009. Tout aurait pu nous porter à la résignation. C'était la voie de la facilité. Et il y avait une deuxième tentation : nous enfermer dans un tête-à-tête entre la France et la Guinée. Nous avons refusé et l'un, et l'autre. Vingt-quatre heures à peine après le massacre, nous avons dépêché des équipes médicales sur place pour venir en aide aux survivants. Nous avons saisi le Secrétaire Général des Nations Unies, et nous avons obtenu la mise en place d'une commission internationale pour enquêter sur les massacres. Il fallait aussi mobiliser l'Union Africaine, la CDAO et les Européens. Nous y sommes parvenus. La France ne s'est pas résignée, elle a su jouer collectivement, et elle a fait la différence. Aujourd'hui, le principal responsable des massacres est poursuivi par la justice. Le pays connaît ses premières élections libres depuis 50 ans.
Je n'ignore pas que se battre en faveur de la justice pénale internationale est une voie périlleuse, comme nous pouvons le voir au Soudan ou au Liban et, comme nous le voyons, le Congo-Kinshasa. Mais je reste convaincu que la recherche de la vérité et la lutte contre l'impunité sont nécessaires à l'établissement d'une paix durable.
Enfin, un troisième risque à l'échelle globale est celui qui ronge année après année le système de la solidarité entre les peuples. La mondialisation risque de nous faire oublier la solidarité. Après les crises que nous avons vécues qui peut dire que l'économie mondiale, de marché, peut à elle seul générer de la solidarité et de la justice ? Les besoins restent immenses mais nos ressources budgétaires demeureront limitées. C'est pourquoi j'ai proposé depuis longtemps, vous le savez, une taxe internationale sur les transactions financières.
L'idée a beaucoup progressé. La prochaine réunion se tiendra à Paris en octobre. Ce sera un de nos chantiers prioritaires pour l'année qui vient. Je demande à chacune et chacun d'entre vous d'y contribuer.


3/ Le troisième défi est celui de la montée du fondamentalisme religieux. Le fondamentalisme n'est l'exclusivité d'aucune religion. Il ne concerne pas seulement l'Islam.
Vous le constatez comme moi, à l'occasion de conflits, de mobilisations politiques ou nationalistes, dans des polémiques sur la liberté religieuse, en matière de prosélytisme, de construction de lieux de culte : tout devient avec une rapidité déconcertante objet de procès d'intention et d'amalgame.
La loi interdisant la dissimulation du visage en est une illustration. Je sais tout ce que vous avez pu entendre sur notre prétendue « islamophobie », je sais combien vous êtes interpellés, sollicités, pour expliquer nos positions qui tendent à préserver la dignité de la femme, l'égalité des sexes devant la loi et les conditions d'une bonne intégration citoyenne. Et j'attends de vous que vous redoubliez d'efforts pour expliquer nos positions sur un sujet qui est souvent l'objet d'incompréhensions, et pas seulement dans le monde musulman. Vous avez reçu, dès les premiers débats au Parlement un argumentaire, que nous enrichissons régulièrement grâce à vos contributions.


4/ Le quatrième défi, le plus important, et en même temps le seul qui dépende uniquement et entièrement de nous : c'est de donner tort à tous ceux qui ne cessent de prédire le déclin de l'Europe.
Le Président de la République l'a redit avant-hier : l'Union européenne a de formidables atouts pour s'imposer comme une puissance globale. Des atouts économiques bien sûr, un marché intégré de 500 millions de consommateurs, mais aussi un formidable potentiel de recherche et d'innovation, un espace démocratique et de solidarité unique. Nos atouts sont puissants. Contrairement à ce que l'on dit parfois, l'Europe est encore attractive. Voilà la situation objective. Dire cela ce n'est pas nier les formidables défis auxquels nous sommes confrontés. Dire cela c'est poser le constat que l'Europe est capable de relever ces défis. Elle a su le faire pour venir massivement en aide à la Grèce et, grâce à une intense coopération franco-allemande, assurer la stabilité financière de l'Europe. Rendez-vous compte : 110 milliards d'Euros dans un plan massif d'aide à la Grèce puis 750 milliards pour le plan de garantie financière de l'ensemble de la zone euro.
Il nous faut maintenant mobiliser l'Europe autour du soutien à l'emploi, à la croissance et à l'innovation, faciliter les dépôts de brevets européen, développer nos programmes industriels.
Relever ces défis, c'est d'abord et encore une question de volonté politique.
Si nous restons européens seulement par acquiescement à l'air du temps et par respect des pères fondateurs, alors ce qui était notre avenir pourrait devenir le tombeau de nos illusions. Lorsque vous représentez la France, vous représentez aussi cette immense aventure qui nous dépasse, l'aventure européenne.
La France a un rôle essentiel pour proposer des initiatives et défendre notre vision de l'Europe. Elle doit pour cela nouer des relations solides, sans exclusive. La relance réussie du triangle de Weimar en est une des illustrations. Comme l'est sa rénovation : lorsque j'ai rassemblé pour la première fois à Paris, avec mes collègues polonais et allemand, notre homologue russe, les résultats furent au rendez-vous
Dans la compétition économique mondiale, pour la réforme du système monétaire international ou face aux menaces terroristes globales, l'Europe a des intérêts à défendre, des valeurs à promouvoir. C'est au travers de l'Europe que nous parviendrons à établir un partenariat d'égal à égal avec les puissances émergentes pour apporter, ensemble des réponses au réchauffement climatique, à la prolifération des armes de destruction massive ou à la volatilité des prix des matières premières.
La mise en place, difficile, mais résolue et patiente des instruments prévus par le traité de Lisbonne nous aidera également à développer une politique étrangère européenne plus cohérente, plus réactive et plus visible. Je m'y suis employé au cours des derniers mois avec Pierre Lellouche et je continuerai de le faire car c'est un chantier vital pour notre diplomatie. Grâce à l'important travail accompli cette année, nous devrions disposer cette année, un an après l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, d'un Service européen pour l'action extérieure au périmètre et aux compétences larges.
L'installation du Service diplomatique européen est à la fois une ambition et un pari que la France a fait il y a déjà de nombreuses années. Ce service ne doit pas être un 28ème service diplomatique. Ce n'est pas une réserve pour spécialistes de l'Europe. Il doit être l'enceinte où travaillent ensemble les diplomates de tous les Etats membres et des institutions européennes. Je souhaite que le service devienne rapidement une affectation naturelle, logique et évidente au même titre que l'on sert à Berlin, Bamako ou Jakarta. La France y prendra toute sa place, à Bruxelles et dans les délégations.
Mais cette politique extérieure commune doit aussi s'appuyer sur des capacités de défense renforcées et la volonté de les employer. Sur ce terrain, nous devons rester lucides. Nous sommes loin de répondre à la fois à l'aspiration des opinions publiques européennes et aux responsabilités qui nous incombent au regard de l'instabilité du monde qui nous entoure.


Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mes chers amis,
J'ai voulu insister sur les défis qui nous font face. Il faut le faire, je crois, sans complaisance, sans fatalisme, mais avec résolution. Sommes-nous prêts ? Cela dépend de nous. De nous seulement. De nous collectivement. Nous avons mis en place les réformes, les structures, les méthodes dont nous avions besoin - dans l'inquiétude parfois. Et c'est inévitable, la remise en cause n'est jamais agréable. Mais elle est toujours nécessaire. Et je le vois parce que les premiers résultats sont déjà là.
Alors vous allez reprendre, dans quelques jours, le chemin de vos pays de résidence. Vous allez retrouver les joies du métier et les difficultés inévitables. Je voudrais que vous emportiez avec vous - et que vous gardiez avec vous toute l'année, sans jamais la perdre - une petite étincelle de chaleur ; une petite parcelle de ce que nous avons essayé de construire ensemble, pendant ces trois jours.
Je suis heureux de cette conférence, de vous revoir et de vous écouter, vous que j'ai visités presque tous un par un. Nos débats ont été sincères et exaltants.
Nous sommes une famille. Mais ne gardez pas seulement le souvenir des retrouvailles - même si cette conférence est aussi une occasion de se retrouver. Pas seulement l'intérêt des idées échangées et la feuille de route de nos objectifs.
J'ai une conviction : notre force, ce fondent sur des principes et des valeurs qui nous rassemblent et qui nous dépassent. Et c'est en faisant vivre ces principes et ces valeurs, dans votre action quotidienne, que vous faites honneur à votre métier et à votre pays.
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, Mes chers amis,
Rudyard Kipling a cette formule que j'aime beaucoup : « tout bien considéré, il y a deux sortes d'hommes dans le monde : ceux qui restent chez eux, et les autres ». Nous tous, ici, nous avons fait le choix de ne pas rester chez nous, pour mieux servir la France.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 août 2010