Texte intégral
Interview à la télévision de Bosnie-Herzégovine le 9 mars 2001:
Q - Monsieur le Ministre, vous venez dans la région des Balkans de nouveau où la stabilité et la sécurité sont perturbées. Quelle est votre opinion sur la situation ?
R - Si nous comparons la situation actuelle avec celle d'il y a quelques années, c'est un immense progrès, avec beaucoup d'espoirs et de choses déjà réalisées mais, évidemment encore des problèmes à résoudre. Je suis revenu en Bosnie-Herzégovine, à Sarajevo où je suis venu plusieurs fois ces dernières années car je voulais voir - dans le nouveau contexte créé par les élections qui ont amené un gouvernement tout à fait orienté autrement, qui essaie de sortir de la spirale infernale extrémiste -, je voulais examiner la situation pour voir comment la France peut aider le mieux possible, comment l'Union européenne peut être la plus utile à partir de cette stratégie que nous avons définie au Sommet de Zagreb. Il faut peut-être encore préciser les choses.
Q - S'il s'agit de la région, y a-t-il un danger de nouveaux conflits ?
R - Je ne pense pas qu'il y ait un danger de nouveaux conflits. Je pense qu'il y a un certain nombre de problèmes qui ne sont pas encore réglés de façon durable, problèmes que tout le monde connaît : la question du Kosovo, les problèmes liés au Monténégro et cette tension plus ponctuelle et préoccupante à laquelle il faut faire attention, ces dernières semaines et ces derniers jours, à la fois à Presevo et sur la frontière de la Macédoine.
La communauté internationale a réagi assez vite, bien et de façon très cohérente et homogène sur cette question de Presevo et de la Macédoine. Il n'est pas question de laisser remettre en cause le travail fait ces dernières années et de laisser porter atteinte à la stabilité et à l'intégrité de la Macédoine. Il n'est pas question de laisser se rouvrir artificiellement un nouveau problème alors que nous devons tous travailler pour avancer. Cela veut dire qu'il faut appliquer la résolution 1244 avec toutes les potentialités qui concernent le Kosovo. Cela veut dire qu'un dialogue politique doit se développer, doit être encouragé entre Belgrade, le Monténégro et également sur l'avenir du Kosovo dans le cadre de la préparation des futures élections générales. Il y a tout un travail à faire qui est positif et il ne peut avoir lieu que parce que tout cela va dans le bon sens. Il ne faut donc pas laisser les accès de fixation ponctuels mettre en cause cet immense progrès pour l'ensemble de la région.
Q - La France était l'un des fondateurs des réunions de l'Union européenne. On entend parler de temps en temps des réformes militaires de l'Union européenne. De quoi s'agit-il ?
R - C'est un très vaste sujet. L'Union européenne en fait se réforme depuis qu'elle existe. Ses institutions ont été réformées et adaptées constamment. L'Union européenne s'est élargie constamment et chaque fois il faut adapter le mode de fonctionnement. Au départ, il y avait 6 pays, puis 9, 10, 12 et maintenant 15 et nous sommes en train de négocier avec 12 pays candidats à l'adhésion. Et après eux, il y en a d'autres qui ne sont pas candidats aujourd'hui mais qui le seront un jour. Nous devons donc à chaque étape adapter l'Union européenne à son fonctionnement.
C'est ce que nous avons fait durant la présidence européenne exercée par la France ce dernier semestre et nous avons conclu cette négociation qui a été très difficile comme toutes les négociations qui portent sur la répartition du pouvoir et sur les modes de décision. Nous l'avons conclue par une série d'améliorations des traités. Il y a un Traité de Nice maintenant qui permet à l'Union européenne de faire face à ce grand élargissement et qui, à terme nous fera passer de 15 pays membres à 27.
Comme l'Europe est très ambitieuse, nous avons déjà un autre rendez-vous pour 2004 où nous avons l'intention de clarifier les compétences entre l'Europe, les Etats nations et les régions. Et comme c'est très ambitieux, nous avons besoin de plusieurs années pour décanter le sujet. Il y aura un grand débat démocratique dans chacun des pays de l'Union et chez les pays candidats. Et ensuite, avant d'arriver à 2004, il y aura de nouvelles conférences pour voir les options qui auront été tranchées par, certainement, un Conseil européen spécial.
Il y a donc à nouveau de grandes ambitions pour l'Europe.
Q - Quelle est la réalité africaine avec laquelle la nouvelle Union européenne se met en marche ?
R - Je crois qu'il faut attendre et observer ce qui se passe en réalité.
Il s'agit de déclarations d'intentions et tout ce qui peut aider l'Afrique à faire face à ses problèmes est une bonne chose évidemment. Et s'il y a plus d'unité en Afrique et que les problèmes sont mieux traités, nous nous en réjouirons. Mais sur le plan de l'organisation des institutions, tout cela est bien compliqué. Il est un peu tôt pour porter un jugement sur l'évaluation.
Q - Certaines personnalités françaises témoignent actuellement devant le parlement français sur les activités qui ont eu lieu en 1995 à Srebrenica. Ces témoignages peuvent-ils aider pour que la situation à Srebrenica soit véritablement éclairée ?
R - Je pense que oui. Le parlement français a pris l'initiative de faire une mission d'information sur cette terrible tragédie survenue en juillet 1995 après qu'il y ait eu un rapport effectué avec les membres du secrétariat général des Nations unies sur le rôle des Nations unies. Le gouvernement français a approuvé cette initiative, le gouvernement français coopère activement avec la mission parlementaire. Les travaux doivent se poursuivre encore quelques mois, cette mission a l'intention de rendre son rapport avant la fin de cette année et je suis tout à fait convaincu que ce rapport aidera à l'établissement complet de la vérité et que peut-être, cela aidera à ce que d'autres drames comme celui-là ne se reproduisent pas ailleurs. Et en même temps, cela aidera beaucoup l'ONU qui est en train de réfléchir à une amélioration de toutes les opérations de maintien de la paix. Je crois que c'est une très bonne chose.
Q - En tant que premier chef de la diplomatie étrangère qui visite la Bosnie-Herzégovine depuis la formation du nouveau gouvernement, quelles sont vos impressions sur les entretiens que vous avez eus ?
R - Mon impression est que nous sommes dans une phase pour ce pays où il y a évidemment la mise en oeuvre des Accords de Dayton. Il faut donc être exigeant et rigoureux par rapport à cela. Tout ce qui est conforme aux Accords de Dayton doit être encouragé et ce qui n'est pas conforme doit être empêché. Et au-delà de cette dimension politique, le nouveau gouvernement fait apparaître un souffle nouveau avec une conception beaucoup plus moderne, beaucoup plus européenne des choses.
Mon autre conviction est que la question économique est essentielle et il faut qu'apparaisse en Bosnie-Herzégovine, une économie moderne qui soit dégagée d'un certain nombre de forces archaïques et tournées vers le passé. C'est ce qui libérera les potentialités de ce pays qui sont réelles, et c'est ce qui convaincra les habitants de ce pays que leur avenir est ici, qu'ils doivent tous travailler. Je souhaite donc que la France et l'Union européenne en général puissent apporter leur contribution à l'apparition de cette économie moderne.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 mars 2001)
____________________________________________________________________________________
Interview au quotidien Oslobodenje le 9 mars 2001:
Q - Monsieur le Ministre, comment évaluez-vous la situation actuelle aux Balkans, surtout au sud, et pourquoi l'occident a-t-il été si bienveillant pendant si longtemps à l'égard de l'UCK ?
R - Je pense que l'occident a été, comme vous dites, relativement bienveillant envers l'UCK car l'occident a été révolté par la politique de Milosevic et par Ses conséquences. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'autres personnes ou d'autres groupes qui ont des responsabilités. Mais, la réaction dominante en occident était le rejet de Milosevic et par conséquent, tous ceux qui le combattaient ou qui lui résistaient étaient vus sous un jour positif. Je vous rappellerai quand même que, chaque fois que le groupe de contact s'est exprimé, chaque fois que le G8 s'est exprimé, chaque fois que le Conseil de sécurité a adopté des textes, nous avons également condamné les actes de terrorisme commis par certains extrémistes albanais. Malgré tout, il y a eu un certain équilibre.
Sur la première partie de votre question, je pense que la situation dans les Balkans est bien meilleure qu'il y a quelques années. C'est vrai qu'il y a encore des problèmes sérieux à régler, concernant le Kosovo, le Monténégro, les problèmes ponctuels immédiats à Presevo et sur la frontière de la Macédoine, mais cela n'a rien à voir avec la situation d'il y a 5 ou 6 ans. Les choses ne vont peut-être pas assez vite mais elles vont globalement dans le bon sens.
Q - L'occident a-t-elle une attitude commune envers la région bouleversée des Balkans, envers l'arrestation d'inculpés de crimes de guerre ?
R - Je crois que l'on peut dire qu'il y a une stratégie commune envers cette région, soit les Balkans, soit le sud-est de l'Europe, comme vous voulez. Cette stratégie commune n'existait pas au début des années 1990. Chaque pays dans le monde a réagi avec sa propre sensibilité, et à partir de la création du Groupe de contact en 1993, une certaine cohésion a commencé à apparaître entre les Etats-Unis, les Européens et même les Russes. Au moment de l'affaire du Kosovo, lorsque le groupe de contact a repris son activité, la cohérence a été totale entre les Européens et les Américains. Pas complètement avec les Russes mais les désaccords étaient beaucoup moins grands que 6 ou 7 ans avant. Il y a donc une stratégie commune.
En ce qui concerne l'Europe, cette stratégie commune s'exprime à travers un instrument qui regroupe les autres, qui est le pacte de stabilité et elle a été marquée politiquement lors du Sommet de Zagreb. Concernant les inculpés pour crimes de guerre, tous les pays occidentaux sont sur la même ligne. Ils coopèrent avec le Tribunal pénal international et considèrent que les personnes inculpées doivent être arrêtées et jugées. C'est donc plutôt un problème de mise en oeuvre concrète qu'un problème de nuances entre les uns et les autres.
Q - Ici, il y a une impression, peut-être est-ce la conséquence de l'héritage de l'Histoire, que les Français ont un relâchement concernant les criminels de guerre ?
R - C'est inexact. Lorsque l'on regarde les criminels de guerre qui ont été arrêtés, on voit que les forces françaises ont arrêté ou participé à l'arrestation des plus importants arrêtés jusqu'à maintenant. En outre, tout cela relève du commandement de l'OTAN. Il n'y a donc pas une politique par zone. Il y a une seule et même politique et la plupart des arrestations qui ont eu lieu ont été faites en coopération entre différents éléments. Il n'y a pas une politique française spéciale et la France est tout à fait ferme.
Q - Concernant l'exposé que vous avez fait au journal "Le Monde diplomatique" à propos de certaines remarques sur la reconstruction de la politique étrangère française, la globalisation et la démocratisation, sur les valeurs occidentales qui pourraient être remises en cause, pouvez-vous nous détailler ce sujet ?
R - Je suis très sensible au fait que vous vous intéressiez à ce que je dis dans mes articles, le problème que j'ai posé est un peu différent. Je n'ai évidemment pas remis en cause le caractère universel des grandes valeurs démocratiques, au contraire. J'y crois tout à fait mais j'ai fait deux remarques : je dis que dans certains cas, l'occident exige le respect de ses valeurs en le mélangeant avec des exigences qui correspondent à des arrière-pensées politiques ou économiques. Et parfois, cela brouille le message démocratique.
J'ai fait une seconde remarque en disant qu'historiquement, la démocratie n'a jamais été instaurée instantanément. Comme je le dis souvent, ce n'est pas comme "faire du café instantané". C'est un long processus qui passe par des étapes souvent difficiles et d'ailleurs, dans l'Histoire des pays occidentaux, cela ne s'est pas fait instantanément.
J'ai donc dit dans cet article : "Au lieu d'exiger tout, immédiatement, et de menacer ceux qui ne sont pas capables de faire tout, tout de suite, essayons d'être positifs et constructifs et d'apporter le mieux possible, à chaque pays, par rapport au stade où il est dans le processus démocratique".
Q - C'est ainsi que nous avons compris votre message. Comment Paris voit-elle aujourd'hui la tragédie de Sebrenica celle-ci aurait-elle pu être empêchée ?
R - Le parlement français a pris l'initiative de créer une mission d'information à ce sujet après le rapport déjà fait pour le Secrétaire général des Nations unies. Le gouvernement français pense que c'est une très bonne initiative. Nous coopérons activement à cette mission d'information qui devrait déposer son rapport d'ici la fin de l'année. Ce qui est arrivé en juillet 1995 est une terrible tragédie. Cela aurait-il pu être empêché ? Honnêtement, je ne le sais pas. Je crois qu'il faut attendre ce rapport notamment et peut-être d'autres investigations complémentaires pour savoir. De toute façon, ce sera très important car il faut connaître la vérité historique pour que des choses comme cela ne se reproduisent pas à l'avenir.
A l'ONU, il y a toute une réflexion sur l'amélioration des missions de maintien de la paix, pour que les soldats de l'ONU ne se retrouvent pas dans des situations où ils sont impuissants. Je souhaite que tout le travail fait sur Sebrenica serve à améliorer la mécanique des opérations de maintien de la paix et à éviter de tels drames à l'avenir.
Q - Vous avez proposé que les Etats-Unis redéfinissent leur politique envers l'Iraq, estimant que les sanctions ne sont pas un bon chemin et qu'elles font souffrir la population civile ?
R - En effet, cela fait plusieurs années que la France pense qu'il faut modifier la politique de sanctions envers l'Iraq. A l'origine, c'était justifié compte tenu de ce qu'avait fait ce régime les années précédentes. Mais nous pensons que, depuis plusieurs années, cela ne marche, pas l'embargo frappe beaucoup plus la population que le régime. Le régime profite de l'embargo grâce au trafic que cela permet et il n'y a plus de contrôle sur place. Aujourd'hui, nous n'avons en fait pas besoin d'une politique de sanctions qui, très souvent, ne marchent pas bien. Elles aboutissent le plus souvent au résultat contraire que l'on a recherché.
Ce dont nous avons besoin par rapport à l'Iraq, c'est d'une politique de contrôle et de vigilance internationale qui ne prend pas en otage la population et qui se concentre sur les éventuels programmes de réarmement par le régime iraquien. Nous pensons cela depuis plusieurs années et nous avons constaté que la nouvelle administration américaine avait déclaré réfléchir à une politique plus intelligente. Si nos idées se rejoignent et si nous pouvons, au sein du Conseil de sécurité changer cette politique, nous en serions très heureux.
Q - L'intervention de l'OTAN au Kosovo va-t-elle rester un cas isolé ?
R - Je voudrais rappeler le contexte dans lequel j'ai dit cela. Lorsqu'avec la Grande Bretagne, - c'est-à-dire, les deux co-présidents de la Conférence de Rambouillet -, nous sommes arrivés à la conclusion que, malheureusement, nous ne pouvions plus rien faire sur le plan diplomatique, tous les pays de l'OTAN ont décidé d'employer la force pour mettre un terme à la politique de Milosevic au Kosovo. Nous avions un problème qui était qu'il n'y avait pas une résolution du Conseil de sécurité demandant l'emploi de la force. Il y avait des résolutions très dures contre Milosevic, condamnant sa politique mais il n'y avait pas la résolution demandant l'emploi de la force parce que les Russes et les Chinois ne le voulaient pas.
Nous avons réfléchi et nous avons conclu que nous devions agir malgré tout. Mais nous préférons que les choses aient lieu avec une résolution du Conseil de sécurité.
Lorsque j'ai dit que cela devait rester un cas isolé, je parlais de la méthode de décision. Mais on ne peut pas du tout exclure qu'à l'avenir la communauté internationale ne décide, de façon parfaitement légitime, d'autres interventions. C'est parfaitement prévu dans le chapitre 7 de la charte. Comme certains diplomates américains avaient dit à l'époque que c'était un précédent qui permettait à l'OTAN d'intervenir n'importe où, sans décision du Conseil de sécurité, la France a répondu "non" car cette méthode de décision est une exception, ce n'est pas un précédent. Voilà l'explication.
Q - Comment évaluez-vous les relations entre la France et la Bosnie-Herzégovine et dans quels domaines la coopération s'est-elle réalisée ?
R - Il y a eu l'engagement très fort de la France à partir de l'indépendance de la Bosnie-Herzégovine, engagement très fort dans la guerre et on sait que 80 soldats français ont perdu la vie pour la Bosnie. Après la guerre, la France est restée très engagée et c'est ce que j'ai voulu confirmer par ma visite. Il me semble que les relations politiques sont bonnes, soit directement, soit à travers la concertation avec l'Union européenne mais il me semble qu'il y a deux domaines qui méritent d'être intensifiés et c'est l'une de mes conclusions de cette visite.
Dans le domaine culturel, il y a manifestement une demande plus grande. J'irai d'ailleurs revoir demain matin notre Centre culturel André Malraux que je connais déjà. Je sais qu'il y a une demande plus vaste et je vais étudier ce problème. Et plus encore, l'aspect économique me paraît très important ; je constate qu'il y a un nouveau climat, que le nouveau gouvernement de Bosnie a une vision moderne, tournée vers l'Europe ; il essaie de sortir du piège où tous les nationalistes avaient mis ce pays. Il y a donc une espérance politique, même si les divers nationalismes n'ont pas disparu encore. Mais il me semble que, pour que cela marche, il faut créer une économie moderne pour la Bosnie-Herzégovine et elle n'existe pas car elle reste sous le contrôle de forces archaïques, elle est fragmentée et toutes les coopérations régionales ont disparu. Donc, beaucoup de gens partent et sont découragés, surtout chez les jeunes. Je vois encore mieux aujourd'hui, à Sarajevo que c'est cela le problème principal. Il faut donc plus de coopérations et des investissements étrangers. Mais le système juridique n'est pas au point, les investissements ont besoin de sécurité. Il y a donc un travail qui doit être fait par le gouvernement de Bosnie-Herzégovine et le président du Conseil des ministres que j'ai vu me paraît très concentré sur ce vrai sujet.
Pour apporter notre contribution, nous allons organiser en France à l'automne, un forum économique pour que les responsables de la Bosnie-Herzégovine puissent rencontrer d'éventuels investisseurs français ; je sais que d'autres pays comme l'Allemagne et l'Italie ont fait plus, malgré les difficultés. Il y a donc moyen de faire plus et si le gouvernement améliore les choses avec de nouvelles lois et avec des réformes, nous ferons encore plus.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 mars 2001)
Q - Monsieur le Ministre, vous venez dans la région des Balkans de nouveau où la stabilité et la sécurité sont perturbées. Quelle est votre opinion sur la situation ?
R - Si nous comparons la situation actuelle avec celle d'il y a quelques années, c'est un immense progrès, avec beaucoup d'espoirs et de choses déjà réalisées mais, évidemment encore des problèmes à résoudre. Je suis revenu en Bosnie-Herzégovine, à Sarajevo où je suis venu plusieurs fois ces dernières années car je voulais voir - dans le nouveau contexte créé par les élections qui ont amené un gouvernement tout à fait orienté autrement, qui essaie de sortir de la spirale infernale extrémiste -, je voulais examiner la situation pour voir comment la France peut aider le mieux possible, comment l'Union européenne peut être la plus utile à partir de cette stratégie que nous avons définie au Sommet de Zagreb. Il faut peut-être encore préciser les choses.
Q - S'il s'agit de la région, y a-t-il un danger de nouveaux conflits ?
R - Je ne pense pas qu'il y ait un danger de nouveaux conflits. Je pense qu'il y a un certain nombre de problèmes qui ne sont pas encore réglés de façon durable, problèmes que tout le monde connaît : la question du Kosovo, les problèmes liés au Monténégro et cette tension plus ponctuelle et préoccupante à laquelle il faut faire attention, ces dernières semaines et ces derniers jours, à la fois à Presevo et sur la frontière de la Macédoine.
La communauté internationale a réagi assez vite, bien et de façon très cohérente et homogène sur cette question de Presevo et de la Macédoine. Il n'est pas question de laisser remettre en cause le travail fait ces dernières années et de laisser porter atteinte à la stabilité et à l'intégrité de la Macédoine. Il n'est pas question de laisser se rouvrir artificiellement un nouveau problème alors que nous devons tous travailler pour avancer. Cela veut dire qu'il faut appliquer la résolution 1244 avec toutes les potentialités qui concernent le Kosovo. Cela veut dire qu'un dialogue politique doit se développer, doit être encouragé entre Belgrade, le Monténégro et également sur l'avenir du Kosovo dans le cadre de la préparation des futures élections générales. Il y a tout un travail à faire qui est positif et il ne peut avoir lieu que parce que tout cela va dans le bon sens. Il ne faut donc pas laisser les accès de fixation ponctuels mettre en cause cet immense progrès pour l'ensemble de la région.
Q - La France était l'un des fondateurs des réunions de l'Union européenne. On entend parler de temps en temps des réformes militaires de l'Union européenne. De quoi s'agit-il ?
R - C'est un très vaste sujet. L'Union européenne en fait se réforme depuis qu'elle existe. Ses institutions ont été réformées et adaptées constamment. L'Union européenne s'est élargie constamment et chaque fois il faut adapter le mode de fonctionnement. Au départ, il y avait 6 pays, puis 9, 10, 12 et maintenant 15 et nous sommes en train de négocier avec 12 pays candidats à l'adhésion. Et après eux, il y en a d'autres qui ne sont pas candidats aujourd'hui mais qui le seront un jour. Nous devons donc à chaque étape adapter l'Union européenne à son fonctionnement.
C'est ce que nous avons fait durant la présidence européenne exercée par la France ce dernier semestre et nous avons conclu cette négociation qui a été très difficile comme toutes les négociations qui portent sur la répartition du pouvoir et sur les modes de décision. Nous l'avons conclue par une série d'améliorations des traités. Il y a un Traité de Nice maintenant qui permet à l'Union européenne de faire face à ce grand élargissement et qui, à terme nous fera passer de 15 pays membres à 27.
Comme l'Europe est très ambitieuse, nous avons déjà un autre rendez-vous pour 2004 où nous avons l'intention de clarifier les compétences entre l'Europe, les Etats nations et les régions. Et comme c'est très ambitieux, nous avons besoin de plusieurs années pour décanter le sujet. Il y aura un grand débat démocratique dans chacun des pays de l'Union et chez les pays candidats. Et ensuite, avant d'arriver à 2004, il y aura de nouvelles conférences pour voir les options qui auront été tranchées par, certainement, un Conseil européen spécial.
Il y a donc à nouveau de grandes ambitions pour l'Europe.
Q - Quelle est la réalité africaine avec laquelle la nouvelle Union européenne se met en marche ?
R - Je crois qu'il faut attendre et observer ce qui se passe en réalité.
Il s'agit de déclarations d'intentions et tout ce qui peut aider l'Afrique à faire face à ses problèmes est une bonne chose évidemment. Et s'il y a plus d'unité en Afrique et que les problèmes sont mieux traités, nous nous en réjouirons. Mais sur le plan de l'organisation des institutions, tout cela est bien compliqué. Il est un peu tôt pour porter un jugement sur l'évaluation.
Q - Certaines personnalités françaises témoignent actuellement devant le parlement français sur les activités qui ont eu lieu en 1995 à Srebrenica. Ces témoignages peuvent-ils aider pour que la situation à Srebrenica soit véritablement éclairée ?
R - Je pense que oui. Le parlement français a pris l'initiative de faire une mission d'information sur cette terrible tragédie survenue en juillet 1995 après qu'il y ait eu un rapport effectué avec les membres du secrétariat général des Nations unies sur le rôle des Nations unies. Le gouvernement français a approuvé cette initiative, le gouvernement français coopère activement avec la mission parlementaire. Les travaux doivent se poursuivre encore quelques mois, cette mission a l'intention de rendre son rapport avant la fin de cette année et je suis tout à fait convaincu que ce rapport aidera à l'établissement complet de la vérité et que peut-être, cela aidera à ce que d'autres drames comme celui-là ne se reproduisent pas ailleurs. Et en même temps, cela aidera beaucoup l'ONU qui est en train de réfléchir à une amélioration de toutes les opérations de maintien de la paix. Je crois que c'est une très bonne chose.
Q - En tant que premier chef de la diplomatie étrangère qui visite la Bosnie-Herzégovine depuis la formation du nouveau gouvernement, quelles sont vos impressions sur les entretiens que vous avez eus ?
R - Mon impression est que nous sommes dans une phase pour ce pays où il y a évidemment la mise en oeuvre des Accords de Dayton. Il faut donc être exigeant et rigoureux par rapport à cela. Tout ce qui est conforme aux Accords de Dayton doit être encouragé et ce qui n'est pas conforme doit être empêché. Et au-delà de cette dimension politique, le nouveau gouvernement fait apparaître un souffle nouveau avec une conception beaucoup plus moderne, beaucoup plus européenne des choses.
Mon autre conviction est que la question économique est essentielle et il faut qu'apparaisse en Bosnie-Herzégovine, une économie moderne qui soit dégagée d'un certain nombre de forces archaïques et tournées vers le passé. C'est ce qui libérera les potentialités de ce pays qui sont réelles, et c'est ce qui convaincra les habitants de ce pays que leur avenir est ici, qu'ils doivent tous travailler. Je souhaite donc que la France et l'Union européenne en général puissent apporter leur contribution à l'apparition de cette économie moderne.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 mars 2001)
____________________________________________________________________________________
Interview au quotidien Oslobodenje le 9 mars 2001:
Q - Monsieur le Ministre, comment évaluez-vous la situation actuelle aux Balkans, surtout au sud, et pourquoi l'occident a-t-il été si bienveillant pendant si longtemps à l'égard de l'UCK ?
R - Je pense que l'occident a été, comme vous dites, relativement bienveillant envers l'UCK car l'occident a été révolté par la politique de Milosevic et par Ses conséquences. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'autres personnes ou d'autres groupes qui ont des responsabilités. Mais, la réaction dominante en occident était le rejet de Milosevic et par conséquent, tous ceux qui le combattaient ou qui lui résistaient étaient vus sous un jour positif. Je vous rappellerai quand même que, chaque fois que le groupe de contact s'est exprimé, chaque fois que le G8 s'est exprimé, chaque fois que le Conseil de sécurité a adopté des textes, nous avons également condamné les actes de terrorisme commis par certains extrémistes albanais. Malgré tout, il y a eu un certain équilibre.
Sur la première partie de votre question, je pense que la situation dans les Balkans est bien meilleure qu'il y a quelques années. C'est vrai qu'il y a encore des problèmes sérieux à régler, concernant le Kosovo, le Monténégro, les problèmes ponctuels immédiats à Presevo et sur la frontière de la Macédoine, mais cela n'a rien à voir avec la situation d'il y a 5 ou 6 ans. Les choses ne vont peut-être pas assez vite mais elles vont globalement dans le bon sens.
Q - L'occident a-t-elle une attitude commune envers la région bouleversée des Balkans, envers l'arrestation d'inculpés de crimes de guerre ?
R - Je crois que l'on peut dire qu'il y a une stratégie commune envers cette région, soit les Balkans, soit le sud-est de l'Europe, comme vous voulez. Cette stratégie commune n'existait pas au début des années 1990. Chaque pays dans le monde a réagi avec sa propre sensibilité, et à partir de la création du Groupe de contact en 1993, une certaine cohésion a commencé à apparaître entre les Etats-Unis, les Européens et même les Russes. Au moment de l'affaire du Kosovo, lorsque le groupe de contact a repris son activité, la cohérence a été totale entre les Européens et les Américains. Pas complètement avec les Russes mais les désaccords étaient beaucoup moins grands que 6 ou 7 ans avant. Il y a donc une stratégie commune.
En ce qui concerne l'Europe, cette stratégie commune s'exprime à travers un instrument qui regroupe les autres, qui est le pacte de stabilité et elle a été marquée politiquement lors du Sommet de Zagreb. Concernant les inculpés pour crimes de guerre, tous les pays occidentaux sont sur la même ligne. Ils coopèrent avec le Tribunal pénal international et considèrent que les personnes inculpées doivent être arrêtées et jugées. C'est donc plutôt un problème de mise en oeuvre concrète qu'un problème de nuances entre les uns et les autres.
Q - Ici, il y a une impression, peut-être est-ce la conséquence de l'héritage de l'Histoire, que les Français ont un relâchement concernant les criminels de guerre ?
R - C'est inexact. Lorsque l'on regarde les criminels de guerre qui ont été arrêtés, on voit que les forces françaises ont arrêté ou participé à l'arrestation des plus importants arrêtés jusqu'à maintenant. En outre, tout cela relève du commandement de l'OTAN. Il n'y a donc pas une politique par zone. Il y a une seule et même politique et la plupart des arrestations qui ont eu lieu ont été faites en coopération entre différents éléments. Il n'y a pas une politique française spéciale et la France est tout à fait ferme.
Q - Concernant l'exposé que vous avez fait au journal "Le Monde diplomatique" à propos de certaines remarques sur la reconstruction de la politique étrangère française, la globalisation et la démocratisation, sur les valeurs occidentales qui pourraient être remises en cause, pouvez-vous nous détailler ce sujet ?
R - Je suis très sensible au fait que vous vous intéressiez à ce que je dis dans mes articles, le problème que j'ai posé est un peu différent. Je n'ai évidemment pas remis en cause le caractère universel des grandes valeurs démocratiques, au contraire. J'y crois tout à fait mais j'ai fait deux remarques : je dis que dans certains cas, l'occident exige le respect de ses valeurs en le mélangeant avec des exigences qui correspondent à des arrière-pensées politiques ou économiques. Et parfois, cela brouille le message démocratique.
J'ai fait une seconde remarque en disant qu'historiquement, la démocratie n'a jamais été instaurée instantanément. Comme je le dis souvent, ce n'est pas comme "faire du café instantané". C'est un long processus qui passe par des étapes souvent difficiles et d'ailleurs, dans l'Histoire des pays occidentaux, cela ne s'est pas fait instantanément.
J'ai donc dit dans cet article : "Au lieu d'exiger tout, immédiatement, et de menacer ceux qui ne sont pas capables de faire tout, tout de suite, essayons d'être positifs et constructifs et d'apporter le mieux possible, à chaque pays, par rapport au stade où il est dans le processus démocratique".
Q - C'est ainsi que nous avons compris votre message. Comment Paris voit-elle aujourd'hui la tragédie de Sebrenica celle-ci aurait-elle pu être empêchée ?
R - Le parlement français a pris l'initiative de créer une mission d'information à ce sujet après le rapport déjà fait pour le Secrétaire général des Nations unies. Le gouvernement français pense que c'est une très bonne initiative. Nous coopérons activement à cette mission d'information qui devrait déposer son rapport d'ici la fin de l'année. Ce qui est arrivé en juillet 1995 est une terrible tragédie. Cela aurait-il pu être empêché ? Honnêtement, je ne le sais pas. Je crois qu'il faut attendre ce rapport notamment et peut-être d'autres investigations complémentaires pour savoir. De toute façon, ce sera très important car il faut connaître la vérité historique pour que des choses comme cela ne se reproduisent pas à l'avenir.
A l'ONU, il y a toute une réflexion sur l'amélioration des missions de maintien de la paix, pour que les soldats de l'ONU ne se retrouvent pas dans des situations où ils sont impuissants. Je souhaite que tout le travail fait sur Sebrenica serve à améliorer la mécanique des opérations de maintien de la paix et à éviter de tels drames à l'avenir.
Q - Vous avez proposé que les Etats-Unis redéfinissent leur politique envers l'Iraq, estimant que les sanctions ne sont pas un bon chemin et qu'elles font souffrir la population civile ?
R - En effet, cela fait plusieurs années que la France pense qu'il faut modifier la politique de sanctions envers l'Iraq. A l'origine, c'était justifié compte tenu de ce qu'avait fait ce régime les années précédentes. Mais nous pensons que, depuis plusieurs années, cela ne marche, pas l'embargo frappe beaucoup plus la population que le régime. Le régime profite de l'embargo grâce au trafic que cela permet et il n'y a plus de contrôle sur place. Aujourd'hui, nous n'avons en fait pas besoin d'une politique de sanctions qui, très souvent, ne marchent pas bien. Elles aboutissent le plus souvent au résultat contraire que l'on a recherché.
Ce dont nous avons besoin par rapport à l'Iraq, c'est d'une politique de contrôle et de vigilance internationale qui ne prend pas en otage la population et qui se concentre sur les éventuels programmes de réarmement par le régime iraquien. Nous pensons cela depuis plusieurs années et nous avons constaté que la nouvelle administration américaine avait déclaré réfléchir à une politique plus intelligente. Si nos idées se rejoignent et si nous pouvons, au sein du Conseil de sécurité changer cette politique, nous en serions très heureux.
Q - L'intervention de l'OTAN au Kosovo va-t-elle rester un cas isolé ?
R - Je voudrais rappeler le contexte dans lequel j'ai dit cela. Lorsqu'avec la Grande Bretagne, - c'est-à-dire, les deux co-présidents de la Conférence de Rambouillet -, nous sommes arrivés à la conclusion que, malheureusement, nous ne pouvions plus rien faire sur le plan diplomatique, tous les pays de l'OTAN ont décidé d'employer la force pour mettre un terme à la politique de Milosevic au Kosovo. Nous avions un problème qui était qu'il n'y avait pas une résolution du Conseil de sécurité demandant l'emploi de la force. Il y avait des résolutions très dures contre Milosevic, condamnant sa politique mais il n'y avait pas la résolution demandant l'emploi de la force parce que les Russes et les Chinois ne le voulaient pas.
Nous avons réfléchi et nous avons conclu que nous devions agir malgré tout. Mais nous préférons que les choses aient lieu avec une résolution du Conseil de sécurité.
Lorsque j'ai dit que cela devait rester un cas isolé, je parlais de la méthode de décision. Mais on ne peut pas du tout exclure qu'à l'avenir la communauté internationale ne décide, de façon parfaitement légitime, d'autres interventions. C'est parfaitement prévu dans le chapitre 7 de la charte. Comme certains diplomates américains avaient dit à l'époque que c'était un précédent qui permettait à l'OTAN d'intervenir n'importe où, sans décision du Conseil de sécurité, la France a répondu "non" car cette méthode de décision est une exception, ce n'est pas un précédent. Voilà l'explication.
Q - Comment évaluez-vous les relations entre la France et la Bosnie-Herzégovine et dans quels domaines la coopération s'est-elle réalisée ?
R - Il y a eu l'engagement très fort de la France à partir de l'indépendance de la Bosnie-Herzégovine, engagement très fort dans la guerre et on sait que 80 soldats français ont perdu la vie pour la Bosnie. Après la guerre, la France est restée très engagée et c'est ce que j'ai voulu confirmer par ma visite. Il me semble que les relations politiques sont bonnes, soit directement, soit à travers la concertation avec l'Union européenne mais il me semble qu'il y a deux domaines qui méritent d'être intensifiés et c'est l'une de mes conclusions de cette visite.
Dans le domaine culturel, il y a manifestement une demande plus grande. J'irai d'ailleurs revoir demain matin notre Centre culturel André Malraux que je connais déjà. Je sais qu'il y a une demande plus vaste et je vais étudier ce problème. Et plus encore, l'aspect économique me paraît très important ; je constate qu'il y a un nouveau climat, que le nouveau gouvernement de Bosnie a une vision moderne, tournée vers l'Europe ; il essaie de sortir du piège où tous les nationalistes avaient mis ce pays. Il y a donc une espérance politique, même si les divers nationalismes n'ont pas disparu encore. Mais il me semble que, pour que cela marche, il faut créer une économie moderne pour la Bosnie-Herzégovine et elle n'existe pas car elle reste sous le contrôle de forces archaïques, elle est fragmentée et toutes les coopérations régionales ont disparu. Donc, beaucoup de gens partent et sont découragés, surtout chez les jeunes. Je vois encore mieux aujourd'hui, à Sarajevo que c'est cela le problème principal. Il faut donc plus de coopérations et des investissements étrangers. Mais le système juridique n'est pas au point, les investissements ont besoin de sécurité. Il y a donc un travail qui doit être fait par le gouvernement de Bosnie-Herzégovine et le président du Conseil des ministres que j'ai vu me paraît très concentré sur ce vrai sujet.
Pour apporter notre contribution, nous allons organiser en France à l'automne, un forum économique pour que les responsables de la Bosnie-Herzégovine puissent rencontrer d'éventuels investisseurs français ; je sais que d'autres pays comme l'Allemagne et l'Italie ont fait plus, malgré les difficultés. Il y a donc moyen de faire plus et si le gouvernement améliore les choses avec de nouvelles lois et avec des réformes, nous ferons encore plus.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 mars 2001)