Déclaration de M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication, sur la réforme de l'administration territoriale et les enjeux culturels pour les territoires notamment la protection du patrimoine et l'archéologie préventive, Paris le 1er septembre 2010.

Prononcé le 1er septembre 2010

Intervenant(s) : 

Circonstance : Rencontre avec les préfets de région à Paris le 1er septembre 2010

Texte intégral

Madame et Messieurs les Préfets de région,
Monsieur le Secrétaire Général du ministère de l'Intérieur,
Madame et Messieurs les directeurs généraux,
C'est pour moi un grand plaisir de vous accueillir aujourd'hui au ministère de la Culture et de la Communication. Si j'ai souhaité vous rencontrer pour échanger avec vous sur les grands enjeux culturels de nos territoires, c'est que j'accorde une extrême importance aux services déconcentrés de mon ministère qui sont placés sous votre autorité. Je connais le rôle fondamental que vous, Préfets de région, jouez sur le territoire afin de coordonner l'ensemble des politiques de l'Etat.
1- Je souhaite en préambule évoquer les grands chantiers de réforme qu'a connu le ministère de la Culture et de la Communication.
A - La révision générale des politiques publiques a été une véritable "révolution copernicienne" pour le ministère de la Culture et de la Communication qui, de 10 directions, est passé à 4 grandes entités : un secrétariat général et trois grandes Directions générales - des patrimoines, de la création artistique et, enfin, des médias et des industries culturelles. L'objectif est clair : il s'agit de de recentrer l'administration centrale sur ses missions de pilotage et de stratégie; et parallèlement, vous l'aurez compris, de renforcer le rôle de l'échelon déconcentré du ministère pour la mise en oeuvre des politiques culturelles.
B - Cette transformation profonde s'est inscrite dans la réforme plus large de l'administration territoriale de l'Etat (REATE). avec le maintien des DRAC parmi les huit directions placées auprès de vous.
a) Cette réforme traduit la reconnaissance de la spécificité culturelle de notre pays, mais aussi l'importance des questions liées à la culture et la place de cette dernière dans le développement économique et social des territoires. Ce positionnement des DRAC devra favoriser le travail interministériel. Ce dernier est essentiel pour l'action de mon ministère en région, notamment avec les autres services déconcentrés de l'Etat.
b) La Réforme de l'Administration Territoriale de l'Etat (REATE) se traduit aussi par la réunion au sein d'un seul échelon déconcentré des DRAC et des Services Départementaux de l'Architecture et du Patrimoine (SDAP), désormais dénommés Services Territoriaux de l'Architecture et du Patrimoine (STAP). Cette évolution doit permettre une action renforcée au service des politiques patrimoniales et de promotion de la qualité architecturale, urbaine et paysagère en région. Elle permettra une meilleure cohérence et une plus grande efficacité de l'action, en articulant les stratégies de la DRAC en matière patrimoniale et en mutualisant les moyens.
J'évoquerai rapidement les projets de service des DRAC : leur réalisation en concertation avec vous se traduira par une plus grande transversalité au sein des directions régionales et par une approche territoriale plus fine.
L'outre-mer, pour sa part, fera l'objet d'un décret d'organisation des services de l'Etat spécifique de nature interministérielle qui paraîtra d'ici la fin de l'année.
Quant à la mutualisation des moyens en matière d'immobilier, je souhaite que les DRAC et les STAP puissent continuer de fonctionner dans des locaux qui illustrent nos objectifs en matière de réutilisation de lieux patrimoniaux et notre savoir-faire en matière de restauration et d'aménagement, point sur lequel j'ai également sensibilisé France Domaine.
C - Outre les réorganisations de l'administration centrale et territoriale, j'ajoute qu'une mesure RGPP est exclusivement consacrée à « l'amélioration du fonctionnement des DRAC », avec par exemple un objectif comme le fléchage moins contraignant des crédits déconcentrés par l'administration centrale, et des notifications de crédits au programme et non plus à l'action. Sous votre autorité, c'est bien l'autonomie, la souplesse de gestion et la responsabilité qui sont recherchées.
2- Je souhaite maintenant aborder les enjeux culturels prioritaires pour les territoires, au premier rang desquels se situe l'ambition de la « Culture pour chacun ».
A - La crise économique et sociale que nous traversons pose à nouveaux frais la question du « faire société ensemble » alors même que s'accentue l'individualisation des pratiques, y compris les pratiques culturelles. Face à ce constat, la « Culture pour chacun » se veut une mobilisation des acteurs non seulement pour l'élargissement des publics mais aussi pour une adaptation de l'offre aux évolutions de notre société et au numérique. Je veux diriger résolument les efforts du ministère vers une culture partagée et diversifiée qui ne laisse à l'écart aucun territoire, aucun groupe social, aucune classe d'âge. Il ne peut y avoir de démocratisation culturelle sans créer les conditions pour une appropriation des oeuvres par le public.
Au-delà d'actions fortes réalisées depuis plusieurs années, - l'éducation artistique et culturelle ou la gratuité pour les jeunes dans les musées - j'entends mener un travail de fond. Vous êtes au coeur de cette ambition, car vous êtes les chefs d'orchestre sur le territoire de l'ensemble des politiques de l'Etat. La culture doit être reconnue comme un facteur essentiel du développement local, comme l'a rappelé le Président de la République à Metz récemment. C'est grâce à vous que les expériences les plus novatrices pourront être valorisées.
Un Forum national de la culture pour chacun sera organisé en début d'année prochaine, dont le contenu sera nourri des forums régionaux que je souhaite voir organisés en région cet automne. Je vous remercie par avance de l'appui que vous apporterez à leur réalisation, qui permettra de reconnaître et de mettre en réseau ceux qui font de la culture un horizon partagée et une ambition collective.
J'ajoute qu'un plan d'action pour le monde rural est en cours de réalisation dans le cadre du Conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel que je préside.
B - D'autres enjeux se posent avec acuité pour le ministère, qui rejoignent tous deux la priorité d'une culture pour chacun. L'un concerne l'enseignement supérieur artistique, l'autre la réforme du spectacle vivant.
a) Concernant l'enseignement supérieur artistique, l'objectif partagé avec les collectivités territoriales consiste à favoriser la création d'établissements d'envergure nationale et internationale, insérés dans les trois grades européens licence-master-doctorat (LMD). Cela implique une réforme des diplômes allant dans ce sens - d'ores et déjà engagée pour l'architecture et le patrimoine, la musique et la danse, en cours de mise en route pour les écoles d'arts plastiques -. Il faudra également faciliter les regroupements d'écoles les plus pertinents, dans la logique des pôles de recherche et d'enseignement supérieur et des campus d'excellence. Une réforme de cette ampleur exige une volonté partagée et une large concertation : une note vous a été transmise le 13 juillet dernier, qui précise les actions restant à conduire en lien avec les collectivités, pour accompagner la transformation de ces établissements en EPCC, en particulier pour les écoles d'arts plastiques dont le changement de statut doit pouvoir s'opérer d'ici la fin de l'année.
Pour l'enseignement supérieur du spectacle vivant, la mise en place de pôles d'enseignement supérieur avance dans tous les domaines artistiques, avec le soutien financier du ministère de la culture, en concertation avec les professionnels et les élus. Cet effort doit être également poursuivi dans le cadre juridique et partenarial des EPCC. Répertoire et création sont les deux versants d'une même ambition pour nos formations artistiques.
b) Pour sa part, le spectacle vivant appelle une réforme dont la réussite repose autant sur l'évaluation des interventions de l'Etat dans le domaine culturel que sur notre capacité de concertation pour rallier nos interlocuteurs à nos priorités en termes d'aménagement du territoire, de marges de manoeuvres préservées pour les artistes ou encore d'attention aux formes artistiques émergentes.
Deux leviers seront mis à la disposition des DRAC dès la rentrée : tout d'abord, à la suite des Entretiens de Valois, un cahier des charges rénové pour les institutions culturelles labellisées, centré sur les coproductions et le développement des réseaux de diffusion, à propos duquel une circulaire vous sera adressée dans les prochains jours. Les directeurs régionaux des Affaires culturelles disposeront également d'un mandat de révision des interventions de l'État dans le domaine de la création artistique, afin de favoriser des rapprochements entre institutions et dégager des marges de manoeuvre. Les résultats obtenus feront partie de l'évaluation de l'action de chaque DRAC. Dans l'esprit de la culture pour chacun, il s'agit de favoriser une péréquation non seulement entre régions mais également au sein des territoires d'une même région : il ne doit plus y avoir de « déserts culturels » alors qu'existent parfois des doublons et des concurrences.
Pour que ces leviers fonctionnent, votre implication dans un dialogue renforcé entre Etat et collectivités territoriales, que vous avez commencé à engager en créant les conférences régionales du spectacle vivant, s'avérera essentielle. D'autres outils de dialogue ont vocation à voir le jour prochainement, sur les équipements, la commande publique en matière artistique et les centres d'art.
Dans le domaine du spectacle vivant, à quelques mois de la renégociation du protocole d'assurance chômage, il importe de rester très attentifs aux préoccupations concernant la structuration professionnelle du secteur. Je salue à ce titre le travail remarquable que certaines régions, grâce à votre implication personnelle, ont pu entamer avec les conférences du spectacle vivant. L'accord ADEC du spectacle vivant pourra également constituer pour vous un outil important, à mobiliser avec les partenaires sociaux et les régions, pour la structuration du secteur.
C - Je souhaite maintenant aborder le renouvellement des politiques patrimoniales du MCC. Celles-ci constituent un enjeu majeur en matière de développement de nos territoires.
Les politiques patrimoniales ont profondément évolué : elles élargissent chaque jour davantage leur champ d'action, de manière à mieux répondre aux exigences et aux besoins des usagers et des autres acteurs publics.
Ainsi, les ZPPAUP sont appelées à disparaître au profit des AVAP (Aires de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine).
Mon ministère a consenti d'importants efforts pour limiter les conflits qui s'attachaient à certaines de ses politiques. La mise en place des AVAP permet d'intégrer pleinement les nouvelles exigences environnementales issues des travaux des Grenelle I et II. Il faudra dans un délai de cinq ans réexaminer tous les règlements de ZPPAUP pour organiser cette mutation.
Les ABF ont vécu des moments difficiles lors de la préparation de cette loi et lors des discussions menées au sein du groupe de travail que j'ai constitué il y a un an avec les parlementaires et représentants d'association afin de trouver une solution d'entente sur leur rôle dans les AVAP. Leur avis conforme a été maintenu, mais la procédure de recours auprès du préfet de région a été simplifiée et ses délais raccourcis.
L'absence de réponse du préfet vaudra désormais annulation de l'avis de l'ABF, la protection du patrimoine en zone protégée reposera donc largement sur votre diligence et votre engagement.
Il en sera de même pour les recours sur les avis d'ABF en abords des monuments historiques et en secteurs sauvegardés. Ils ont été modifiés par la même loi, dans laquelle de surcroît l'évocation ministérielle a été supprimée, alors qu'elle était jusqu'alors possible avant même que l'ABF n'ait rendu son avis. Utilisé avec parcimonie par mes prédécesseurs cet outil permettait de démêler des situations locales sensibles. Je vous demande donc, ainsi qu'aux DRAC de ne pas hésiter, sur ces dossiers, à alerter les services de la Direction générale du patrimoine afin de travailler le plus en amont possible. Il s'agit bien de prévenir les situations conflictuelles, et de mettre en pratique une réflexion collégiale des ABF sur les dossiers difficiles. Il faut en finir avec les soupçons qui pèsent sur un ABF travaillant dans sa « tour d'ivoire ». Il convient de concilier expertise et transversalité, anticipation et clarification.
D - Pour conclure, je souhaiterai évoquer des dossiers qui me semblent essentiels, en commençant par (a) l'archéologie préventive, sujet sensible localement s'il en est et qui appelle à une conciliation souvent délicate, dont les Préfets ont in fine la charge, entre intérêts scientifiques et intérêts économiques. Je suis particulièrement attaché à cette politique de conciliation entre la protection du patrimoine et la connaissance scientifique et les exigences du développement territorial de notre pays. Le dispositif d'archéologie préventive issu des lois de 2001 et 2003/2004 a fait ses preuves : la découverte du temple de Mithra à Angers en avril, ou celle du village gaulois de la Cougourlude en juillet peuvent en témoigner. Le nombre de prescriptions de diagnostic est établi au plus juste : sur 3 000 dossiers de diagnostics, 500 seulement sont suivis de fouilles. Tous les acteurs, élus, aménageurs, préfets, citoyens, doivent faire preuve de patience et de responsabilité pour permettre la mise au jour de vestiges et de connaissances scientifiques. Je tiens à vous remercier pour votre action dans ce domaine. Ce dispositif - sans lequel ces vestiges seraient à jamais perdus, avec le savoir dont ils sont porteurs - n'a encore que cinq ans d'existence et nécessite encore des ajustements, sur lesquels nous travaillons avec les autres ministères concernés, afin de réduire les délais de réalisation et d'améliorer l'aide de l'Etat aux aménageurs.
b) Je voudrais également revenir sur la sécurité dans les musées publics labellisés « Musées de France », à la suite des récents événements survenus dans des musées parisiens. Sous votre couvert, en juin dernier, j'ai précisé par circulaire à l'ensemble des responsables des musées de France les règles applicables en matière de sécurisation des établissements. Je sais pouvoir compter sur le soutien des services du ministère de l'Intérieur dans cette action de nature pédagogique à l'attention des collectivités et de nature dissuasive à l'attention des voleurs d'oeuvres d'art et des pilleurs de sites archéologiques.
c) J'évoquerai en outre le déploiement de la télévision numérique terrestre (TNT), pour lequel je salue votre forte implication dans les premières régions concernées. Certains d'entre vous ont réuni les commissions départementales de transition vers la télévision numérique, parfois avec l'intervention des représentants du GIP France télé numérique. Les DRAC pourront jouer un rôle dans les commissions TNT pour exercer une veille sur le secteur de la presse et des médias. Vous avez bien senti l'importance de la télévision comme outil majeur de diffusion culturelle : elle permet de toucher des publics très éloignés de la culture et du savoir.
d) Enfin, je souhaite instaurer une « nouvelle donne » dans le dialogue avec les collectivités territoriales. Elles sont devenues depuis une vingtaine d'années des acteurs majeurs de la culture. Le contexte global de crise et de diminution des ressources nous amène à faire des choix et à renforcer nos partenariats. Je souhaite refonder et approfondir ces partenariats pour renforcer la convergence des politiques culturelles.
Vous travaillez en étroite relation avec les élus locaux de votre territoire, vous en connaissez les réalités, les dynamiques et les fragilités. Vous devez agir en créant au niveau local des instances qui favorisent le dialogue et la concertation, suivant la même dynamique que celle des Conférences régionales du spectacle vivant. Je ne saurais donc trop vous encourager à en étendre le champ d'action à l'ensemble des domaines culturels. Vous avez la légitimité de mettre tous les partenaires autour de la table et, en lien avec vos DRAC, de définir des stratégies partagées et des objectifs concertés. J'ai confié à Jérôme Bouet une mission sur le renouvellement des partenariats entre l'Etat et les collectivités territoriales : j'attends ses conclusions pour la fin du mois et ne manquerai pas de vous en tenir informés.
Je mesure combien le contexte actuel de réforme des collectivités territoriales et les évolutions du texte au fil des discussions parlementaires peuvent inquiéter les élus locaux. Je souhaite réaffirmer clairement la position du Président de la République : la clause générale de compétence des collectivités territoriales dans le domaine culturel est et sera préservée. C'est à ce titre qu'a été déposé un amendement gouvernemental en juin dernier visant à spécifier cette exception culturelle.
Le Sénat est revenu en deuxième lecture sur la rédaction antérieure de l'article 35, renvoyant à une loi ultérieure la question des répartitions de compétences entre niveau de collectivités. Je serai pour ma part très vigilant, lors du second examen du projet de loi à l'Assemblée nationale, afin que la spécificité culturelle dans le nouveau dispositif institutionnel soit préservée.
Pour conclure je souhaiterais vous parler du budget. La présentation du projet de loi de finances sera faite en Conseil des ministres à la fin du mois : je peux d'ores et déjà affirmer que le budget de la culture sera globalement épargné. Cependant, je sais que les difficultés financières et le retrait de certaines collectivités territoriales auront des conséquences sur l'offre culturelle en région et sur la santé économique des opérateurs.
Beaucoup d'acteurs culturels vont se retourner vers l'Etat : écoute et dialogue seront nécessaires. La procédure budgétaire s'amorce, notamment pour les directions régionales, avec la préparation des conférences budgétaires ; et nous finalisons la nouvelle directive nationale d'orientation, qui présentera les priorités pour le prochain triennal. Je souhaite en conclusion, redire l'importance de la dimension culturelle dans les stratégies de l'Etat en région. C'est moins de « l'Etat culturel » dont il est question ici que de la réponse à apporter aux besoins et aux nouvelles pratiques culturelles de nos concitoyens. L'ère numérique bouleverse l'accès à la culture, et l'action des pouvoirs publics doit aujourd'hui s'adapter à ces nouveaux modes d'accès. C'est là l'ambition de la culture pour chacun : la démocratisation culturelle n'est possible que si l'on agit ensemble sur les conditions d'appropriation des oeuvres et des biens culturels par le public - par tous les publics.
Je vous remercie.Source http://www.culture.gouv.fr, le 21 septembre 2010