Interview de M. Eric Besson, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire, à France Inter le 29 septembre 2010, sur le projet de loi sur l'immigration et la nationalité française.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Texte intégral

P. Cohen.- Bonjour, E. Besson.
 
Bonjour P. Cohen.
 
Vous défendez depuis hier à l'Assemblée un nouveau projet sur l'immigration, dont on va parler, mais il y a une phrase de vous qui a marqué les esprits, hier - c'était dans les colonnes du Parisien : vous espérez que votre ministère soit une machine à fabriquer « des bons Français », avez-vous dit. Qu'est-ce qu'un bon Français à vos yeux, E. Besson ?
 
Elle ne mérite pas de marque les esprits, c'est une évidence. Si j'avais dit que nous essayons de fabriquer de mauvais Français, c'est là qu'il fallait m'interroger.
 
Ça c'est l'antiphrase, mais...
 
... mais c'est une antiphrase qui a du sens. Ça veut dire qu'il y a un lecteur du Parisien qui me dit : « Mais, finalement, ces étrangers qui accèdent à la nationalité française, vous n'allez quand même pas les chloroformer et en faire de bons petits Français ? ». Je lui explique ce qu'est notre politique d'intégration et d'accès à la nationalité, je lui dis en quoi ce serait au demeurant choquant que ça devienne de bons Français. Et il faut préciser, ça veut « de bons Français », c'est-à-dire des personnes qui vont respecter les règles de la République : liberté, égalité, fraternité, laïcité, égalité hommes/femmes ; ça veut dire des Français qui vont respecter le pacte républicain avec son équilibre de droits et de devoirs, et j'ajoute, mais ça personne ne l'a repris, qu'en même temps nul n'est supposé renier son histoire personnelle, renier ses origines, et je dis bien que cet enrichissement par les origines, par les cultures, etc. fait partie du patrimoine français, voilà.
 
Non mais, si ça a fait réagir c'est aussi parce qu'on avait le sentiment que c'était le débat sur l'identité nationale qui rentrait par la fenêtre après être sorti par la petite porte.
 
Il m'arrive de répondre à des questions, par exemple celle que vous venez de me poser. Quand un lecteur du Parisien me pose une question j'y réponds. Ca n'est pas moi qui choisissais les thèmes.
 
Alors, je vous assure, parce qu'on a tendu notre micro, on a ouvert nos oreilles hier, je vous assure que cette phrase a quand même marqué les esprits. Il y a eu un communiqué du syndicat des enseignants UNSA qui se dit scandalisé, et puis le hasard a fait qu'on rencontrait hier une grande voix de la littérature francophone, écrivain et poète franco-marocain, Tahar Ben Jelloun, qui a choisi de vous interpeller ainsi, E. Besson, à propos de cette phrase sur les « bons Français ». Il est au micro France Inter de N. Madji.
 
Tahar Ben Jelloun, écrivain : Cette expression de « bons petits Français », ça rappelle de très mauvais souvenirs. Monsieur Besson doit respecter les valeurs de cette société et de la France. Et ces valeurs-là, il les contredit. Il utilise un langage qui est indécent. C'est ridicule, la France c'est un pays, une société, avec ses contradictions, avec ses valeurs, avec ses beautés, avec ses problèmes, avec ses crises, mais ce n'est pas du tout une usine qui va nous faire des Français modèles. Alors, là, on va revenir vraiment à ce que voulait faire certains généraux de la dernière guerre mondiale qui était horrible, c'est-à-dire avoir un espèce de modèle de Français irréprochable. Je pense qu'il a une mission : de virer le plus possible vers l'extrême droite. Donc je pense qu'il est en train de fabriquer des électeurs, de bons petits électeurs.
 
Voilà ce que dit Tahar Ben Jelloun. Réponse, E. Besson.
 
C'est très triste ! Tahar Ben Jelloun mérite mieux au regard de ce qu'il est et de son oeuvre que ce type d'amalgame. D'abord ses références idiotes à la Seconde guerre mondiale et ses amalgames. Qu'un ministre de la République française en charge de l'intégration et de l'accès à la nationalité, répondant à un lecteur qui lui dit : « vous n'allez quand même pas chercher à fabriquer de bons petits Français ? », et lui dise ! « si, monsieur, je préfère de bons petits Français », et qui précise ce qu'est l'histoire de France, les valeurs de la République, ce que doit être le pacte républicain avec l'équilibre de droits et devoirs, qui rappelle que la France est une terre généreuse, une terre qui accorde la nationalité française à 108.000 étrangers par an, c'est-à-dire proportionnellement bien plus que les pays européens, et qui dit en même temps que le vivre ensemble, l'appartenance à une communauté nationale, supposent le respect d'un certain nombre de valeurs, je ne vois pas ce que ça a de choquant. Donc, s'il le faut - et maintenant grâce à Tahar ben Jelloun, on est dans l'outrance et la caricature - alors je persiste et signe.
 
« Outrance et caricature », dites-vous. Sur la dernière parte de son interpellation, pourriez-vous admettre qu'il y a dans votre action, y compris dans cette loi sur l'immigration dont on débat depuis hier à l'Assemblée, pas uniquement le souci de l'intérêt général, mais aussi des préoccupations électorales ?
 
Il y a exclusivement le souci de l'intérêt général...
 
... et aucune préoccupation électorale ?
 
...Mais je vais y venir. Dans la préoccupation électorale, j'ai déjà dit à ce micro, et je vais répéter, moi, j'aimerais que tous les républicains se préoccupent de faire revenir dans le giron et dans le cercle républicain toutes celles et tous ceux qui à un moment ont pu soit être tentés de voter Front national, soit ont voté Front national dans leur vie.
 
Donc, c'est une préoccupation électorale, ça.
 
Je vous ai répondu, mais je précise : moi je n'ai pas oublié le 21 avril 2002, un certain nombre d'électeurs, et je peux vous dire j'en connais dans ma commune, dans la Drôme, dans le sud de la France, qui n'étaient pas tous, loin s'en faut, racistes...
 
... vous aviez eu un tiers de voix Front national chez vous.
 
...racistes ou xénophobes, qui ont voté J.-M. Le Pen le 21 avril 2002, et ça avait éliminé celui qui était pourtant un bon candidat...
 
... qui était le vôtre à l'époque.
 
... qui était L. Jospin. Et le deuxième exemple qu'on a tous en tête, c'est quand même la France votant non au référendum sur le Traité constitutionnel. Donc, il faut essayer de réfléchir une fois pour toutes à ce que sont les préoccupations populaires qui peuvent engendrer de temps en temps des réactions qui peuvent paraître irrationnelles.
 
Préoccupations donc auxquelles vous voulez répondre par une nouvelle loi et par de nouvelles mesures et par des discours et des annonces.
 
Mais pas seulement ! Par l'action, le cadre de vie, le pouvoir d'achat, l'emploi, la sécurité, la régulation de l'immigration, oui, ça fait partie des préoccupations populaires. Et vous ne pouvez pas reprocher à un gouvernement d'avoir le souci de répondre à ces préoccupations populaires. Et j'aimerais, effectivement, que les électeurs potentiels du Front national, notamment ceux qui n'ont rien de racistes et de xénophobes, ça existe...Vous savez vous avez voulu citer ma commune, je connais, je peux mettre des visages sur un certain nombre d'électeurs du Front national, et vous seriez surpris, sur ma commune ce sont le plus souvent d'anciens électeurs du Parti communiste, voire du Parti socialiste. Je le sais d'expérience. Donc, ça mérite débat, ça mérite dialogue.
 
Ils n'ont rien de raciste ou de xénophobe, dites-vous, certains électeurs du Front national, mais ils trouvent qu'il y a trop d'immigrés en France.
 
Non, pas tous !
 
Je vous pose la question, E. Besson, est-ce que... je vous pose la question à vous, est-ce qu'il y a, selon vous, trop d'immigrés en France ?
 
Mais la question est tellement biaisée, tellement caricaturale.
 
Elle est souvent posée par sondage cette question, donc c'est oui/non.
 
Mais oui, mais la politique française c'est la politique européenne, et elles sont bien connues. Nous sommes des partisans de la régulation de l'immigration. Nous pensons que la France doit pouvoir bien accueillir et bien intégrer ceux qui viennent sur son sol, ça veut dire que nous pensons que pour bien intégrer, il faut que l'étranger soit venu légalement - il n'y a pas d'intégration par l'entrée illégale - ; connaisse notre langue, la langue française ; respecte nos valeurs ; ait une chance statistique réelle de trouver un emploi et de trouver un logement. D'un mot, la caractéristique française c'est que les étrangers en situation légale constituent... sont touchés par le chômage pour 25 % d'entre eux. Et le ministre de l'Intégration que je suis doit se préoccuper en permanence de ceux qui ont respecté la règle du jeu et qui sont au chômage. Mon souci c'est de bien les intégrer. Et je sais que, notamment en période de crise, la France ne peut pas ouvrir indéfiniment ses portes.
 
Tout de même, quel sens ça a de revenir tous les deux ans devant le Parlement avec à chaque fois les mêmes discours ? Donc, cinquième projet de loi depuis 2002, sur l'immigration. Il n'y a aucune autre politique publique qui fait l'objet d'une telle obsession législative, comme si les immigrés étaient le problème n° 1 en France.
 
Mais il n'y pas d'obsession, il y a une cohérence : c'est une réponse européenne. La France a voulu, et c'est en 2008, sous présidence française, mon prédécesseur, que les partenaires européens signent un pacte de l'immigration et d'asile.
 
Ça, c'est pour la partie de transposition. On l'a beaucoup expliqué sur Inter, de transposition des directives européennes.
 
Eh bien, très bien ! Mais c'est 85 % de ce texte. Je veux bien qu'on ne parle que des 15 %, et j'assumerai et je ne me défilerai pas, mais permettez-moi quand même de dire que 85 % du texte c'est simplement la mise en cohérence de ce qu'a voulu la France, à savoir que les politiques d'immigration - immigration légale, lutte contre l'immigration illégale, asile, co-développement, développement solidaire - soient partagées par l'Union européenne. Donc, puisque la France veut cela, quand les directives sont adoptées par des États, quelle que soit leur sensibilité politique... puis-je vous dire que les socialistes portugais, les socialistes espagnols, les travaillistes jusque il y a deux mois ou les socialistes grecs, ont adopté les mêmes directives que celles va adopter la France si le Parlement le veut bien. Donc, 85 % du texte c'est la cohérence par rapport à ce que nous faisons en Europe. Et puis, il y a un certain nombre d'amendements que nous ajoutons et dont je suis tout disposé à parler avec vous.
 
Eh ben, on va parler dans quelques des 15 % et des 85 %....
 
... avec plaisir.
 
... avec les questions des auditeurs D'inter. Ce sera juste après la revue de presse.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 30 septembre 2010