Interview de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, à Europe 1 le 13 décembre 2010, sur le bilan de la conférence de Cancun (Mexique) sur le changement climatique.

Prononcé le

Texte intégral

J.-P. Elkabbach.- M.-O. Fogiel : Elle est partie sauver la planète, enfin essayer. Nous pendant ce temps-la, on avait froid. N. Kosciusco-Morizet à votre micro J.-.P. Elkabbach.
 
Eh bien, après Copenhague, Cancun devait marquer la mort de la stratégie de l'ONU sur le climat. N. Kosciusco-Morizet, bonjour.
 
Bonjour.
 
Eh bien non, vous revenez de Cancun en effet, que Viva Mexico, c'est une résurrection, hein ?
 
Oui, on a évité la faillite du système multilatéral des négociations sur le climat. Et il faut dire qu'il y avait un flottement depuis Copenhague, la crise aidant, les climato-sceptiques, il y a beaucoup de délégations qui sont arrivées à Cancun en se disant qu'on y allait pour enterrer les négociations. Eh non, on a réussi à les sauver et c'est une bonne nouvelle pour la planète...
 
Grâce à une Mexicaine, un Indien...
 
Oui, il y a eu deux bons génies dans la conférence : la Présidente mexicaine - en fait c'est la ministre des Affaires étrangères mexicaine...
 
Patricia...
 
P. Espinosa, elle présidait la conférence. Une main de fer dans un gant de velours, elle a réussi à faire en sorte que tout le monde se parle avec quand même l'autorité qu'il faut, mais elle a été formidable. Et puis...
 
Et l'indien J. Ramesh
 
L'indien Ramesh, le ministre de l'Environnement. Il a fait évoluer à la fois les positions de fond de son pays qui, historiquement, n'était pas du tout sur la lutte contre le changement climatique, et en plus, il a réussi à être actif dans les négociations, il a fait des propositions sur lesquelles les pays du monde se sont ralliés, sur des choses aussi compliquées...
 
Et il a eu le courage de s'engager parce que dans son pays, on lui tapait dessus.
 
Et dans son propre pays pendant ce temps-là, il était attaqué dans la presse. Ça a été vraiment je veux dire une personnalité supérieure, c'est grâce à ces deux personnes qu'il y a eu un accord à Cancun pour sauver la planète du désastre.
 
Et grâce à 2 journées de négociations ininterrompues et rudes entre près de 200 pays, le scepticisme a perdu à Cancun la manche.
 
Oui, les climato-sceptiques ont perdu à Cancun. On a réussi après 3 nuits blanches...
 
On va y revenir, on va y revenir. Vous êtes en charge des Transports, du Logement et de l'Environnement, comment vous allez affronter votre première tempête de neige, comment éviter la pagaille de la semaine dernière ?
 
On va l'affronter avec beaucoup de vigilance, je pense qu'on peut... et on y travaille, il y a eu une réunion de retour d'expérience chez T. Mariani la semaine dernière, il y a une réunion demain autour du Premier ministre, on peut améliorer la coordination, avec les moyens existants on doit pouvoir être plus efficaces dans l'enchaînement des prises de décision...
 
Est-ce qu'on a les équipements suffisants ?
 
Dans les retours d'expérience qu'on a faits, ce n'est pas un problème d'équipement. Là où on aurait probablement pu être un peu meilleurs, c'est sur le moment où on a arrêté la circulation des poids lourds. On aurait pu le faire un peu plus tôt, avec une difficulté cependant qui est que c'est facile de le dire après coup, mais quand on arrête la circulation des poids lourds...
 
Et cette fois-ci, vous pouvez le recommander ?
 
Mais ce n'est pas ça le problème, on peut le faire plus tôt, le problème c'est que derrière il y a des coûts économiques considérables. Il faut réussir à le faire suffisamment tôt pour que les poids lourds ne soient pas bloqués sur la chaussée, ce qui empêche les dé-neigeuses et les saleuses de passer. Donc ce n'est plus une question de matériel une fois que les poids lourds sont bloqués sur la chaussée. Et en même temps, il faut le faire à un moment auquel ça a vraiment un sens, si on le fait trop tôt on met en difficulté économique toutes sortes d'entreprises, il faut le savoir.
 
Mais vous pensez qu'on n'est pas désarmés face à ce qui va arriver et qui est prévu, cette fois-ci on peut anticiper ?
 
On peut anticiper, il faut savoir que nos équipements sont calés sur des épisodes moyens, sur le genre de climat qu'on a par chez nous, donc c'est vrai que ce n'est pas calé sur un climat scandinave. Est-ce qu'il faut vraiment investir plus pour avoir des équipements qui correspondent à un épisode d'une intensité d'une fois tous les 15 ans...
 
Vous diriez non ?
 
Moi, je vous dirai comme élue d'Ile-de-France : je préfère qu'on investisse ces moyens-là dans le développement des lignes de bus, des lignes RER. Il y a un moment où il faut...
 
Dans les transports publics. Il faut aussi être raisonnable. Et puis il y a une dernière chose, moi, qui me préoccupe, c'est que je pense qu'on a un tout petit peu banalisé les alertes. Je pense qu'il y a trop de Français qui, quand ils entendent « alerte orange » dans leur département, ne se sentent pas concernés. Et probablement c'est notre faute, c'est-à-dire qu'il faut qu'on redise...
 
On a banalisé l'alerte.
 
A quoi ça correspond... qu'on redise à quoi ça correspond, qu'on redise à quel genre de contraintes ou quels seront les conseils en fait qu'on donne dans ces cas-là, peut-être qu'il faut qu'on soit plus précis.
 
Et si c'est la pagaille la semaine prochaine, est-ce que les ministres français adoptent le précédent écossais, Hara-Kiri ?
 
Le précédent écossais avec un nom japonais, écoutez...
 
Oui.
 
On va essayer que ce ne soit pas la pagaille tout simplement.
 
On a une vision et une conception universelle, et puis vous devez le voir vous qui revenez de Cancun. Alors les grands noms de la planète ont félicité le Mexique et les négociateurs. J'ai vu qu'Obama et H Clinton, le japonais N. Kan, Ban Ki-Moon, les Indiens, Barrosso, l'Anglais Cameron. N. Sarkozy a été plus prudent, presque sceptique, il dit « ce n'est qu'une étape ». Est-ce que vous allez lui expliquer dans le détail, à lui comme peut-être à d'autres, ce qui s'est passé à Cancun ?
 
Mais il n'a besoin de rien qu'on lui explique, il a raison, c'est une étape. On a sauvé le système de lutte contre le changement climatique, le système multilatéral et en même temps ce n'est pas la fin de l'histoire. Et N. Sarkozy veut plus...
 
Veut que ça aille plus loin !
 
Veut plus parce qu'il est très engagé sur la lutte contre le changement climatique. On n'a pas encore l'accord dont on rêve, dont la France rêve, avec des réductions d'émissions et des engagements contraignants pour tous les pays du monde...
 
Mais on a déjà quelques mesures...
 
Mais on a quelques mesures...
 
Et on va les prendre très, très vite, dans l'esprit de Copenhague, plus d'efforts pour limiter la hausse de la température, comment ?
 
En fait, les mesures qui sont prises à Cancun, elles permettent d'aider les pays en développement à prendre un sentier de développement qui soit propre, à prendre un sentier de développement qui ne soit pas celui des pays du Nord. Aujourd'hui, si les Chinois et même encore les Africains se développaient sur le rythme des Américains, la planète explose. Les mesures prises à Cancun c'est du transfert de technologies, parce que les technologies propres elles existent, il faut que ces pays qui doivent se développer puissent les utiliser tout de suite et pas dans une deuxième étape. Et c'est le Fonds vert, donc c'est des financements pour les accompagner...
 
Et c'est pourquoi cette fois, la Chine et l'Inde ont accepté de prendre des engagements. Et vous dites un Fonds vert...
 
Et attendez, la Chine et l'Inde ont accepté de prendre des engagements aussi... enfin ont été beaucoup plus pro-actives dans cette négociation, parce que je crois qu'elles prennent enfin leurs responsabilités, ça va avec leur caractère de pays émergent...
 
N. Kosciusco-Morizet...
 
Elles prennent enfin une responsabilité à la hauteur de leur poids économique...
 
Un Fonds vert...
 
C'est une très bonne nouvelle.
 
Pour aider les pays pauvres et les îles menacées, ce sera combien et à partir de quand ?
 
Alors ce sera 100 milliards de dollars par an...
 
A partir de 2020 ?
 
A partir de 2020, et pour commencer...
 
Et en attendant.
 
Et tout de suite, il y a ce qu'on appelle « les financements précoces », 10 milliards par an. Dans ces 10 milliards, la France contribue à hauteur de 420 millions d'euros par an, nous sommes un des pays les plus engagés dans la lutte contre le changement climatique aussi au niveau mondial. Et nous faisons ça beaucoup avec des transferts de technologies, c'est ça l'autre volet. L'autre volet c'est de faire en sorte que les pays du Sud puissent se développer tout de suite propres. C'est intelligent, ça a l'air simple mais ça fait depuis la Convention Climat à Rio, au sommet de la terre, en 1992 qu'on en parlait et j'ai le plaisir de vous dire que c'est la France qui a présidé le groupe de négociations...
 
La France, la France, la France...
 
Sur ce sujet-là...
 
La France, vive la France.
 
Ben écoutez...
 
Un système...
 
Ben écoutez, moi j'étais fière et heureuse de le faire.
 
Un système aussi pour éviter la disparition des forêts et des arbres, chaque année c'est vrai que c'est l'équivalent de la Grèce qui s'en va. Combien ça coûte, qui contrôle, qui va payer ? La France, la France...
 
La déforestation, c'est entre 15 et 20 %...
 
Et ce serait d'ailleurs très bien.
 
La déforestation c'est entre 15 et 20 % des émissions de gaz à effet de serre. La France y est très engagée et dans les 420 millions d'euros par an dont je vous parlais, il y a 20 % qui est réservé exclusivement à la lutte contre la déforestation, comme il y a 20 % qui est réservé à l'adaptation des pays du Sud pour le changement climatique.
 
Est-ce qu'on va taxer pour autant les transports et les transactions d'argent ?
 
Moi je le souhaite, moi je pense qu'on ne sortira pas des questions lutte contre le changement climatique sans financement innovant. Et le financement innovant, c'est soit la taxe sur les transactions financières soit la taxe sur différents produits, différents mouvements...
 
Nathalie, la suite en 2011 avec un sommet en Afrique du Sud à Durban, Greenpeace a dit « bravo, Cancun a sauvé le processus de l'ONU mais pas encore le climat ».
 
Bien sûr, à Durban... Greenpeace a raison là-dessus, à Durban il faut qu'on ait un accord engageant pour tout le monde. Et je précise aussi qu'en 2012 à Rio, il y aura les 20 ans du Sommet de la terre ; et c'est un Français, Brice Lalonde, qui va être chargé de l'organisation de tout ça. Donc on a un créneau là pour faire des choses, pour pousser nos idées, et par exemple l'Organisation Mondiale de l'Environnement...
 
Ça a donc progressé. Vous allez recevoir les partis politiques et les Verts pour décortiquer Cancun ?
 
Bien sûr, on travaille de manière permanente ensemble, et je voudrais les associer à la préparation des travaux sur l'Organisation Mondiale de l'Environnement. Je trouve que c'est un sujet qui doit dépasser les clivages politiques, donc je voudrais pouvoir associer tous les partis sur l'Organisation Mondiale de l'Environnement.
 
Dernière remarque, chez vous à Longjumeau il y a des musulmans qui prient dans les rues. Qu'est-ce que vous avez pensé de la phrase "archi" connue de M. Le Pen ? Je ne voudrais pas lui faire de la pub, elle n'en a pas besoin...
 
M.O. Fogiel : C'est notre problème ce matin...
 
J.-P. Elkabbach : Mais tout de même, vous avez peut-être votre jugement !
 
Comme dans beaucoup de villes d'Ile-de-France, à Longjumeau dans ma mairie, il y a une salle de prière et parfois elle ne suffit pas. Et donc parfois et assez souvent même, il y a des gens qui prient dans la rue. Et c'est vrai que ça choque, ça surprend, ça met mal à l'aise... le voisinage, les gens voudraient que ça se passe autrement.
 
Mais alors...
 
Ils se posent la question...
 
Mais elle a raison M. Le Pen ?
 
Des capacités d'accueil. Mais elle n'a certainement pas raison de faire les parallèles qu'elle fait et qui sont évidemment complètement absurdes. Et en plus, ça ne sert à rien de stigmatiser nos concitoyens musulmans, je veux dire, je trouve qu'elle a une obsession. En fait c'est quoi cette obsession, c'est une obsession qui est teintée de fantasme en quelque sorte...
 
C'est de la xénophobie ça ?
 
Bien sûr que c'est de la xénophobie, ce n'est pas comme ça qu'on résoudra le problème. C'est un problème que les gens prient dans la rue...
 
Merci d'être venue...
 
Il ne faut pas qu'ils prient dans la rue.
 
Préparez-vous à la neige.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 13 décembre 2010