Déclaration de Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer, sur le ralliement des Outre-mer aux forces de la France libre et leur contribution aux combats de la Seconde Guerre mondiale, à Angers le 20 juin 2011.

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Circonstance : Inauguration d'une exposition intitulée "La dissidence en Martinique et en Guadeloupe 1940 - 1945", à Angers (Maine-et-Loire) le 20 juin 2011

Texte intégral

Madame la Maire-adjointe, représentant M. Jean-Claude ANTONINI, Maire d’Angers (Mme Silvia Camara-Tombini, Adjointe à la jeunesse et à la citoyenneté, Adjointe du quartier des Hauts de Saint-Aubin),
Mesdames et Messieurs les élus,
Monsieur le Préfet, Cher Richard SAMUEL,
Mmes et MM. les autorités académiques, et professeurs et élèves du collège Félix-Landreau,
Mesdames et Messieurs les présidents d’associations et représentants du Monde combattant,
Mesdames, Messieurs,
J’ai beaucoup de plaisir à être des vôtres aujourd’hui, et je me faisais la réflexion suivante à l’instant. Mon déplacement à Angers, en ma qualité de Ministre chargée de l’Outre-mer, et la chaleur de votre accueil me plongent dans une réalité trop souvent méconnue. Notre pays est immense et, il faut bien me dire, la France est un pays sur lequel le soleil ne se couche jamais totalement.
En ce moment même, n’est-il pas 3h du matin, et donc presque l’aube à Tahiti ? N’es-t-il pas 9h du matin en Martinique, 17h à la Réunion, et déjà minuit en Nouvelle-Calédonie ? Et lorsque ce soir, il sera 23h pour nous tous, bien des habitants de Nouméa auront entamé leur journée de mardi, car il sera alors 8h, et le matin, en Nouvelle-Calédonie.
Cette France du monde, cette France qui étend les frontières de notre pays bien au-delà du seul continent européen doit être mieux connue.
Le Président de la République, M. Nicolas SARKOZY, en a fait l’un des grands chantiers de son quinquennat. En novembre 2009, à l’issue d’un Conseil interministériel tenu au Palais de l’Elysée, il a en effet souhaité que 2011 soit l’Année des Outre-mer. Une année dédiée à une meilleure connaissance des richesses humaines et naturelles de nos onze départements et territoires de la Caraïbe, d’Amérique du sud, de l’Océan Indien, du Pacifique et des Terres antarctiques et australes françaises.
Les six mois qui viennent de s’écouler incitent à l’optimisme et à la détermination. Cette volonté politique est en passe d’être atteinte et 2011 doit être l’année du changement du regard de l’Hexagone sur l’Outre-mer et l’année du changement du regard de nos compatriotes d’Outremer sur l’Hexagone.
C’est la raison de notre rencontre d’aujourd’hui, ici, à Angers.
Après mes déplacements de ces dernières semaines à Bordeaux, pour célébrer les liens nouveaux de cette ville avec l’Outre-mer, et à Lyon, pour rappeler que la traite, l’esclavage et leurs abolitions sont notre histoire et un passé que nous devons connaître, parfois approfondir. Mais qu’ils ne sont pas un temps d’histoire que nous devons nous condamner à porter comme une charge ou comme une douleur.
Aujourd’hui, nous célébrons la part valeureuse de l’Outre-mer dans les combats de la Seconde guerre mondiale. Daniel MAXIMIN, Commissaire chargé de l’Année des Outre-mer, est à mes côtés et je l’en remercie vivement.
Je salue tout autant votre présence, Mme Marie-Claire NOSSOVITCH, en votre qualité de Directrice générale adjointe de l’Office national des Anciens combattants et victimes de guerre, et de représentante d’une institution, gardienne de la Mémoire combattante de notre pays, et gardienne des hommages dus à ces femmes et à ces hommes qui ont été les fers de lance et les âmes d’espoir de notre pays quand tout paraissait le condamner.
La poignante exposition, "La Dissidence en Guadeloupe et en Martinique durant la Seconde guerre mondiale", qui vient de nous être présentée, met en lumière le discernement et l’esprit précoce de dissidence qui vit le jour aux Antilles françaises dès l’été 1940. Elle éclaire une page d’histoire largement méconnue et je remercie avec force mes collègues Claude GUEANT, Ministre de l’Intérieur, et Gérard LONGUET, Ministre de la Défense et des Anciens Combattants, qui ont souhaité la résurgence de cette page d’histoire à travers une exposition et la présentation de celle-ci dans toutes les préfectures, et donc en tous points de notre territoire.
L’histoire de ces Dissidents a le sens de l’histoire de ces jeunes gens, et de ces femmes et de ces hommes plus âgés de l’Hexagone, qui par courage, par clairvoyance et inspirés par une même lucidité extraordinaire refusèrent l’Occupation, refusèrent l’Ignoble et choisirent le parti de la Liberté et la cause de la Libération.
Leur histoire que nous découvrons aujourd’hui est celle de femmes et d’hommes qui en dépit des milliers de kilomètres, des océans et dangers qui les séparaient de la métropole, et en dépit de nouvelles qui arrivaient lentement, par bateau, ou, péniblement, sur des postes de radio crachotant, choisirent de se rallier à la voix d’un homme, celle du Général de Gaulle.
Nous le savons de mieux en mieux aujourd’hui. Les outre-mer réagirent très tôt et de manière tout à fait exceptionnelle.
Dès le 1er juillet 1940, l’avocat guadeloupéen Paul VALENTINO montrait la voie en déclarant lors d’une session extraordinaire du conseil général de la Guadeloupe "Français nous sommes, Français nous voulons rester, et si l’Allemagne règne sur la métropole française, elle ne régnera pas en Guadeloupe, où nous saurons revendiquer les prérogatives que nous accorde la législation française".
Cette éloquence de combat ouvrira les voies de l’engagement. Entre juin 1940 et 1943, des milliers de jeunes Antillais partiront rejoindre les troupes combattantes engagées en métropole.
Ils avaient pour nom Henri Hénélon, Guy Cornély, Passionise Tomé. Je ne citerai que ceux-là, car ils furent des milliers.
On les appela les "dissidents". Par groupe de 5 ou de 6, ils embarquèrent sur des embarcations de fortune, les "gommiers" et voguèrent sur le canal de La Dominique ou de Sainte-Lucie, la nuit, pour déjouer les patrouilles. Par cette traversée éprouvante et incertaine, ils voulaient échapper au déshonneur. Une fois arrivés dans les iles anglaises, ils firent état de leur volonté de s’engager dans les forces françaises combattantes, puis partirent pour New-York et Fort-Dix, le plus vaste camp d’entrainement des Etats-Unis.
Arrivés sur le sol de France, ils connaîtront certains des combats les plus durs dans des unités de renom. Ainsi, le 12 octobre 1943, le bataillon des Antilles n°1 au sein duquel beaucoup auront été enrôlés, débarquera à Casablanca pour être intégré dans la prestigieuse 1ère Division française Libre. Division qui fera toute la campagne de France, jusqu’aux frontières du Rhin. Et jusqu’à la victoire finale.
Au Tchad, au cours de cette même année, l’ancien gouverneur de la Guadeloupe, Félix Eboué, répondra lui aussi, à l’appel de l’homme du 18 juin, et donnera une armée de plus à la France libre.
Le 29 janvier 1941, le Gouverneur Félix EBOUE recevra des mains du Général de Gaulle la croix de l’Ordre de la Libération et il sera présenté comme le Premier résistant de la France d’outre-mer.
Gaston Monnerville, membre du mouvement de Résistance Combat, sous le pseudonyme de "Saint-Just" en hommage à son oncle, et plus tard, Président du Conseil de la République puis du Sénat de 1947 à 1968, dira de lui, lors de son inhumation au Panthéon, en 1949 : " C’est un message d’humanité qui a guidé Félix Eboué, et nous tous, résistants d’outre-mer, à l’heure où le fanatisme bestial menaçait d’éteindre les lumières de l’esprit et où, avec la France, risquait de sombrer la Liberté ".
En septembre 1940, la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie se rangeront du côté des forces françaises libres pour constituer le célèbre bataillon du Pacifique qui affrontera dans la gloire l’Afrikakorps et les troupes italiennes en Afrique du Nord. Ce bataillon prendra part à tous les combats de la 1re Division française Libre (DFL) et notamment en Tunisie, en Italie, en Provence, dans la vallée du Rhône, dans les Vosges et en Alsace.
Le 28 mai 1945, le général de Gaulle lui décernera la croix de la Libération, avec cette citation : "Gardera dans l’histoire la gloire d’avoir représenté l’infanterie coloniale sur les champs de bataille où les Forces françaises libres ont été les premières à reconquérir l’Honneur."
Fin septembre 1940, les iles Wallis-et-Futuna rallieront à la France libre après une déclaration solennelle du roi de ces terres lointaines qui dira : " les soldats de la France libre peuvent compter sur mon loyalisme".
En 1942, ce sera, l’épopée du ralliement de Saint-Pierre et Miquelon. L’Amiral Muselier, commandant des forces navales françaises libres, sans prévenir et contre l’avis des alliés, débarquera à Saint-Pierre, s’emparera des lieux stratégiques sans tirer un coup de feu et prendra possession de l’Archipel au nom du général de Gaulle.
Ce jour là, 450 Saint-Pierrais et Miquelonnais dont une cinquantaine de jeunes femmes signeront un engagement pour la durée de la guerre. Ce sera le "service féminin de la Flotte". Le général de Gaulle dira lors d’un voyage en 1967 : " Voici Saint-Pierre et Miquelon, qui fut soudain le symbole même et l’enjeu de l’indépendance de la France. Quelle émotion je ressens à vous voir ! Rendez les honneurs !".
Il faut aussi citer l’ile de la Réunion. Le 30 novembre 1942, à la suite du débarquement décidé par le contre-amiral Auboyneau, l’ile se ralliera officiellement et avec panache à la France libre.
Quelle succession d’actes de courages et de bravoure !
Rappelons à cet égard, la brutalité sans nom de SORIN, Gouverneur vichyste de Guadeloupe, et de l’Amiral ROBERT, en Martinique. Et rappelons aussi, la détermination inébranlable des forces vives de ces territoires, et de l’Outre-Mer.
Le 24 juin 1943, débutait par exemple à Fort de France, une insurrection qui allait rétablir la République aux Antilles. Ce jour là, la population de Martinique refusa définitivement la défaite et l’armistice de 1940 qu’il n’avait jamais acceptés. C’est cette insurrection qui fera définitivement basculer les Antilles dans le camp de la France libre.
M. le Préfet, Mme NOSSOVITCH, c’est tout le propos de la magnifique exposition "La Dissidence en Guadeloupe et en Martinique ", qui vient de nous être présentée et qui a été réalisée par le Département de la Mémoire combattante de l’Office national des Anciens combattants et victimes de guerre.
Je salue d’ailleurs, Cher Daniel, le concours que tu as apporté au Comité scientifique en ta qualité d’hommes de lettres et d’histoire et de Commissaire de l’Année des Outre-mer.
Mesdames, messieurs, par leur participation exemplaire aux combats de la libération de la France, les ultramarins sont entrés dans la légende sacrée de la seconde guerre mondiale. Ils ont vécu et nous font vivre un destin commun. La Nation toute entière honore leurs choix et leurs sacrifices.
C’est dans de tels engagements au service de la France que les mots "Liberté, Fraternité et Egalité" prennent tout leur sens et toute leur dimension.
Ils étaient des combattants de la paix, des combattants animés par cet idéal de liberté qui est indissociable de l’amour de la patrie. Ils ont fait honneur à la France.
Le Chef de l’Etat que j’ai accompagné samedi 18 juin au Mont-Valérien, a rappelé en juin 2009, lors d’une cérémonie devant le monument aux morts de la ville de Fort-de-France qu’en rendant hommage aux derniers représentants d’une génération de femmes et d’hommes exceptionnels « nous honorons une page injustement oubliée de notre histoire nationale, nous honorons une aventure extraordinaire qui était tombée dans l’oubli. Aujourd’hui, nous réparons une injustice" disait-il.
Le témoignage ardent de ces Dissidents est désormais admirablement consigné dans le documentaire "Parcours de Dissidents" de la réalisatrice martiniquaise Euzhan PALCY. Je vous invite à le visionner si l’occasion vous en est donnée comme j’ai eu le privilège de le faire moi-même samedi à l’Ecole militaire, à Paris, après avoir ravivé la flamme sur la tombe du Soldat Inconnu à l’Arc de Triomphe.
Mesdames et Messieurs, je sais votre attachement à l’histoire de notre pays et votre respect pour ceux qui l’ont servi avec une foi totale dans cette belle République française une et indivisible de par le Monde.
Votre accueil m’a touchée et je sais que vous portez désormais en vous quelques-unes des pages d’histoire vaillamment écrites par les Combattants de la France d’Outre-Mer.
Leur belle histoire s’ajoute aux autres parcours de courage et d’engagement qui ont permis à notre pays de se défaire avec honneur du joug de l’ennemi. Ici à Angers, je pense en particulier aux faits d’armes des réseaux Honneur et Patrie de Victor CHATENAY, à l’organisation secrète de jeunes dirigée par Ancelin non loin d’ici, à Saumur, à Bernard Anquetil, radio du réseau du Colonel Rémy ou encore à Etienne FERRARI qui mourut martyrisé par les nazis.
Combattantes et combattants des heures sombres, toutes et tous appartiennent à l’histoire valeureuse de notre pays.
Je vous remercie.
Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 22 juin 2011