Déclaration de M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique de la réforme de l'Etat et de la décentralisation, sur le développement des services dans l'administration, les relations entre l'administration et l'usager et la continuité du service public dans l'espace et dans le temps, Paris le 8 avril 1999.

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Circonstance : 22ème Forum d'Iéna du Conseil économique et social, intitulé "Le service public à l'heure de la société de services", à Paris le 8 avril 1999

Texte intégral

Seul le discours prononcé fait foi.
Monsieur ROCHEFORT a ouvert les travaux en brossant un tableau de lentrée de la France dans la société de service. Pour ladministration, cest un regard inversé que je voudrais vous proposer pour ma part : car ladministration a pour raison dêtre le service, au point que longtemps lessentiel du service à lusager a été son quasi-monopole, soit quelle le gère elle-même, soit quelle en ait la tutelle. Mais si elle avait ainsi un métier très particulier lorsque la société était avant tout industrielle, elle se voit désormais rejointe sur son terrain par une partie grandissante du monde économique. Elle ne peut quen être profondément transformée, car le client de lentreprise de service cest aussi lusager de ladministration. Ce quil trouve auprès de lentreprise en matière daccueil, de rapidité dexécution, de qualité, il veut légitimement le trouver aussi dans le service public. Et pour lui ce qui compte nest pas que le service public soit industriel et commercial ou administratif, quil soit géré par lÉtat ou par une autre personne morale, de droit public ou non : dans tous les cas, il entend obtenir une prestation de niveau comparable.
1/ Ladministration doit se maintenir au niveau dexcellence dans la « société de services ».
Cest cette nouvelle exigence, née de larrivée dun système économique fondé sur le développement des services, qui constitue pour ladministration le défi quelle doit relever.
Il lui est désormais devenu indispensable de se moderniser en permanence, de se doter de nouvelles techniques de gestion pour améliorer la qualité du service rendu, de présenter à lusager des procédures plus simples. Elle doit apprendre à se considérer prioritairement comme prestataire dun service à un usager qui, même sil nest pas à proprement parler son « client », est bel et bien son payeur, puisque chaque usager est aussi un contribuable. Et cela la conduit à apprendre à évaluer sa propre action pour la rendre toujours plus efficace et améliorer sa qualité.
Je ne vous parle pas là dun rêve de ministre, je vous parle bien de leffort constant, réel et présent de ladministration, qui apprend à faire de la prospective notamment dans le cadre des plans pluriannuels de modernisation préparés en ce moment par chaque ministère, qui sapprête à améliorer la coopération interministérielle sur le terrain grâce à laction en cours pour la réforme du fonctionnement des services déconcentrés et qui se dote dun nouvel organisme dévaluation plus réactif, plus ouvert avec le Conseil national de lévaluation mis en place en février dernier. Je vous parle de notre administration française, qui na pas à rougir de ce quelle est, même si beaucoup reste à faire et nous nous y employons. Car notre public est doublement exigeant.
2/ Elle y est poussée par les demandes de son public...
Lors des travaux vous avez évoqué une question de vocabulaire qui a son importance, surtout pour les services publics industriels et commerciaux, et qui consiste à choisir entre le terme « usager » et le terme « client ».
Pour ma part, je souhaite plutôt développer une autre question qui ne se borne pas, elle non plus, uniquement à choisir un mot, car elle est dimportance : pour ladministration, chaque personne qui vient à elle est à la fois un usager et un citoyen. Or, comme usager dune part, comme citoyen dautre part, celui quon appelait naguère « ladministré » ne présente pas forcément la même demande.
2/-a) Soit quon considère la demande de lusager
Lusager, instruit par ses rapports avec les services quil trouve sur le marché, souhaite plus de simplicité, de transparence, dinnovation. Ladministration les lui doit et elle sattache à les lui fournir. Tout récemment, le Sénat a, sur ma proposition, adopté en première lecture le projet de loi sur les droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, qui apporte précisément simplification et transparence. Ainsi, tous les services publics administratifs y compris ceux gérés par des entreprises privées, fourniront aux usagers le nom de lagent chargé du dossier, verront réduit de quatre à deux mois le délai de naissance dune décision implicite, retransmettront eux-mêmes une demande mal dirigée. Ainsi encore, les diverses procédures autorisant la consultation ou la communication de documents administratifs seront harmonisées.
Quant à linnovation, ladministration daujourdhui sen fait un devoir constant. Il est vrai quelle na pas toujours su utiliser au mieux les progrès technologiques. Je cite souvent lexemple de la carte bancaire, dont ladministration a enfin, désormais, généralisé lusage (et je men réjouis) mais avec un retard dommageable par rapport au reste de la société. Nous nen sommes heureusement plus là. Aujourdhui ladministration, comme le lui a demandé dès 1997 le Premier Ministre, utilise massivement internet. Chaque ministère a ouvert son site, de nombreux services déconcentrés, de nombreuses collectivités territoriales en ont fait autant. Ces sites informent les usagers sur leurs droits, diffusent de précieuses informations de toutes sortes : culturelles comme météorologiques, locales comme nationales, et désormais on y trouve des services en ligne. Ainsi, par exemple certaines préfectures sont reliées avec des concessionnaires automobiles pour gérer par téléprocédure les demandes de cartes grises. Ce progrès ne cessera pas, car lusager internaute demande sans cesse des innovations à ladministration : comme prestataire de service public, on lui demande la dématérialisation des procédures ; comme régulateur, on attend quelle produise une réglementation adaptée à lutilisation dinternet. Lusager de ladministration est un partenaire dinnovation et de modernisation. Les collectivités territoriales le savent bien, il ny a dailleurs que quelques jours que jai remis à la région dAlsace et à son Président le prix Territoria pour récompenser son initiative de créer avec les usagers de la SNCF des comités locaux danimation de ligne.
2/-b) Soit quon souhaite répondre aux demandes du citoyen
1-b) En matière de continuité territoriale
Mais cest aussi un citoyen, cest-à-dire une personne dotée de droits et soucieuse de les préserver. Et pour lui ladministration, ce nest pas seulement un service rendu, cest aussi une présence permanente. Dans notre pays, où lÉtat est le garant du pacte républicain, le moteur de lintégration et de légalité, le citoyen est attaché à la proximité dun lieu où « son » État se matérialise même si dans le terme « État » il inclut très largement tous les aspects du service public. Son souci cest la continuité territoriale du service public. Et celui-ci, quil soit en butte à lintroduction de la concurrence ou quil soit tout simplement gestionnaire économe des deniers publics, doit savoir répondre aux demandes de présence sur le terrain sans pour autant laisser gonfler sa dépense. Aussi, doit-il, encore une fois, inventer pour sadapter, par exemple en utilisant les méthodes contractuelles. Ainsi, La Poste a passé contrat avec lÉtat pour assurer sur tout le territoire un service de qualité même si lobligation de rentabilité qui lui est faite par la concurrence la contraint à se redéployer. Les communes qui souhaitent conserver une agence postale pourront quant à elles le faire par la signature dune convention permettant de créer une agence postale communale. Ou bien encore, lorsque la population saccroît et réclame que le service public vienne sinstaller au plus près, divers prestataires de service public pourront, par convention, décider de regrouper en un même lieu une série de services, offrant ainsi une administration de proximité polyvalente sans accroître les dépenses de fonctionnement, grâce à la création dune maison des services publics.
2-b) En matière de continuité dans le temps
Cette demande légitime du citoyen présente toutefois un deuxième aspect qui, lui, est préoccupant : en effet la continuité du service public ne se décline pas seulement dans lespace, mais aussi dans le temps. Je viens de combattre devant le Parlement une proposition de loi visant à instaurer un service minimum en cas de grève dans les services publics. Jai combattu cette proposition car à mes yeux le service minimum cest un service de qualité inférieure et cela nest pas une solution. Mais il ne faudrait pas en conclure que la continuité du service public nest pas pour moi un objectif majeur. Noublions pas quil sagit là dune de ses trois caractéristiques classiques. Sans continuité, pas de service public. Alors comment faire ? Je crois quil nous faut travailler à un dialogue social permanent et sérieux. La grève est une arme de dernier recours et elle doit le rester. Les employeurs publics et les syndicats représentant les agents publics doivent la prendre comme telle. Il sagit de négocier et de résoudre les conflits avant la grève et non pas de faire la grève pour attirer lattention. Cela nest pas le signe de rapports sociaux majeurs dans une entreprise publique ou dans un ministère. Aussi, je propose à mes partenaires sociaux de réfléchir dans cette direction, car la question est bel et bien posée et il faudra la résoudre. La RATP a réussi à faire des progrès notables par la négociation et la contractualisation. Je pense que ladministration et tous les services publics doivent pouvoir sen inspirer pour éviter que les conflits avec leurs salariés ne se retournent contre le public.
3/ Le service public repose sur lagent public
Cela mamène à insister brièvement, pour finir, sur un point qui me tient à coeur. Lorsquon parle de société de services, on parle dun système qui repose entièrement sur les personnes, et non plus sur les machines, et non pas seulement sur les organisations. Pour ladministration cela nécessite quelle se penche avec attention sur sa façon de gérer ses ressources humaines. Ce nest pas encore son domaine dexcellence, je le reconnais, et je memploie à faire un saut qualitatif dans cette matière. Il sagit de donner aux fonctionnaires toute la mobilité qui est aujourdhui nécessaire, aussi bien aux services qui les emploient, quà eux-mêmes pour acquérir de lexpérience. Il sagit encore de bien évaluer et de former les agents, de les employer au mieux de leurs capacités et de leurs compétences. Il sagit aussi de donner aux cadres la formation nécessaire et de valoriser les emplois dencadrement et de gestion du personnel. Le statut de la fonction publique renferme des souplesses inexploitées, il nest pas, comme on le dit parfois, un obstacle à ces évolutions nécessaires. Ce qui peut lêtre, cest lémiettement de ce statut en de trop nombreux statuts particuliers et les éventuelles dérives corporatistes qui en découlent. Je suis, comme ministre de la fonction publique, fier de la qualité des agents publics et je nhésite jamais à le dire, notamment quand je compare notre pays à dautres. Pour autant, je nhésiterai pas non plus à combattre ce qui fait obstacle aux nécessaires améliorations de la gestion de son personnel par lÉtat. Je pense que lavenir du service public repose sur sa modernisation, notamment dans ce domaine.
A ces conditions, je pense que nous pouvons ensemble, par des voies diverses mais avec des objectifs communs, participer à lessor de notre pays qui continuera à tenir sa place dans un environnement en évolution, parmi ses partenaires en Europe et dans le monde.
(Source http ://www.fonction-Publique.gouv.fr, le 12 avril 1999)