Entretien de M. Jean de Leonetti, ministre des affaires européennes, avec RTL le 22 août 2011, sur la situation politique en Libye et sur la crise de la Zone euro.

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Texte intégral

Q - Puisque vos attributions relèvent du quai d’Orsay, pouvez-nous nous donner des nouvelles de la Libye, savez-vous par exemple, où en est Mouammar Kadhafi ; est-il toujours à Tripoli, est-il prisonnier, avez-vous repéré sa trace ?
R - Je n’ai aucune information sur la situation de M. Kadhafi. Nous avons par contre suffisamment d’éléments convergents pour penser que le régime est en bout de course. On ne peut que se réjouir d’une situation qui fait que des libyens qui ont vécu 40 ans de dictature, accèdent enfin à la démocratie, à la liberté. C’est en même temps une victoire de l’OTAN et de la France avec, dans cette affaire, la détermination et la lucidité du chef de l’Etat, Nicolas Sarkozy et d’Alain Juppé.
Q - 40 ans de dictature et pourtant, que de complaisance vis-à-vis de Kadhafi.
R - On est passé d’un monde arabe dans lequel on avait l’impression qu’il n’y avait que deux solutions : ou bien il y avait des régimes forts, voire dictatoriaux, ou bien il y avait le risque d’une islamisation et d’un fanatisme. Aujourd’hui, on voit qu’il y a une autre voie, c’est la voie de la démocratie...
Q - En êtes-vous certains, savez-vous qui va remplacer Kadhafi ?
R - Ecoutez, c’est un beau risque à courir. En tout cas, ce que la France fait en Afrique et avec les pays arabes, c’est qu’elle accompagne ses mouvements vers la liberté et la démocratie et qu’elle le fait avec clarté. Je dirais même que la France est en avant-garde, comme en Côte d’Ivoire, où nous avons fait respecter le droit et la démocratie, ou en Libye. Alain Juppé est très allant sur le fait de mettre la pression à l’international, avec l’Europe, sur le Syrie. Je crois que c’est une nouvelle politique de la France dans le continent africain.
Q - La France et l’Europe doivent s’impliquer en Libye pour s’assurer qu’il y aura des élections libres et une vraie démocratie ? Ou bien cela va devenir l’affaire des Libyens ?
R - Je crois que les Libyens sont maintenant maîtres de leur destin. Pour autant, nous devons les accompagner. Nous les avons accompagnés dans le retour à la liberté et à la démocratie, nous devons les accompagner maintenant sur le plan démocratique mais aussi sur le plan économique. Je pense que la France et l’Europe doivent jouer un rôle majeur dans cette deuxième phase. En même temps, l’appel que nous pourrions faire aussi, c’est l’appel à la modération des nouveaux dirigeants, de faire en sorte qu’ils soient capables de réconcilier un peuple qui a été déchiré par une guerre civile et qui peut maintenant, et qui doit maintenant respecter les droits de l’Homme dans cette avancée vers la démocratie.
Q - Vous êtes ministre chargé des Affaires européennes, vous constatez comme nous la dégringolade des bourses européennes et l’inquiétude qui grandit autour des banques, y compris les banques françaises, tous ces établissements fragilisés par la dette des Etats.
Redoutez-vous, Jean Leonetti, la poursuite cette semaine d’une dégringolade des marchés financiers ?
R - Vous savez, les marchés financiers ont une logique du cours terme, une logique de la rentabilité à court terme. Ils sont fébriles et réagissent de manière quelquefois exagérée à des situations. Vous avez vu d’ailleurs la réaction inconsidérée vis-à-vis de la dégradation de la note américaine. Le politique, face à cette situation irrationnelle, doit apporter de la rationalité, de la lucidité, de la stabilité. Je me réjouis donc que le président de la République et Angela Merkel aient pris une initiative sur des points forts qui marquent une stabilité de la Zone euro qui, par ailleurs, est une zone plutôt stable.
Q - On ne peut pas dire que ce discours ait séduit les opérateurs financiers qui s’inquiètent plutôt du long terme, puisqu’ils disent qu’ils risquent de ne pas trouver dans dix ans, l’argent prêté aujourd’hui.
R - Ils réagissent beaucoup au cours terme, mais il faut effectivement construire un long terme. Lorsque Nicolas Sarkozy et Angela Merkel disent, en même temps, on fait une harmonisation fiscale, on applique aux dix-sept pays de la Zone euro la règle d’or et on met en place la première pierre d’un gouvernement économique européen, ils sont bien dans le long terme. L’Europe évolue généralement par crise et là on a une chance inespérée de faire évoluer l’Europe vers plus d’intégration économique.
Q - Vous avez quand même constaté, là aussi comme nous, l’échec de ce sommet de mardi dernier. On n’a pas compris ce qu’était par exemple un gouvernement économique. C’est quoi ?
R - Ce n’est pas forcément le fait de nommer un ministre des Affaires économiques de l’Europe. Les Français ont bien compris une chose : on a une monnaie unique, comment peut-on avoir une monnaie unique et une divergence des politiques économiques et fiscales ?
Q - Qui va décider pour tout le monde alors ? C’est un gouvernement économique on imagine ?
R - L’Europe fonctionne toujours à peu près de la même façon, c’est-à-dire qu’il y a une initiative franco-allemande ; pourquoi franco-allemande ? Parce que c’est, d’une part, la tradition et, d’autre part, parce que la France et l’Allemagne représente 50 % du Produit intérieur brut de la Zone euro. Ensuite on essaie de convaincre l’ensemble des autres partenaires et on abouti finalement, on a un résultat.
Vous évoquiez tout à l’heure Jacques Delors qui parlait du gouffre qui menace l’euro. Je rappelle que l’euro est une monnaie forte et que le déficit de la zone euro cumulé représente à peine 4,5 % du Produit intérieur brut, alors qu’il représente 10 % aux Etats-Unis et au Japon.
Q - Ouvrez les yeux disait Jacques Delors, vous ne refusez pas de les ouvrir ce matin ?
R - Ouvrir les yeux, c’est poser les bases d’une nouvelle Europe. On a assisté à une Europe naïve, à une Europe qui s’élargissait et qui faisait rentrer dans la Zone euro des gens qui n’étaient peut-être pas totalement préparés à cette Zone euro. Maintenant, nous passons à une Europe réaliste avec des droits et des devoirs, avec une solidarité affichée - l’Europe l’a montrée avec la Grèce - mais en même temps avec une discipline.
Q - Mais vous n’avez pas répondu à ma question : vous redoutez cette semaine encore une dégringolade des marchés financiers ou vous pensez que la confiance va revenir ?
R - Je pense que progressivement la confiance va revenir. Le fait qu’en septembre et octobre les décisions qui ont été proposées par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel vont pouvoir être mises en œuvre, vont être des éléments qui vont rassurer à moyen et à long terme.
Q - Selon Frédéric Oudéa, président directeur général de la Société générale hier dans le Journal du Dimanche, la société générale morfle ces jours-ci : les marchés attendent des décisions politiques qui tardent ! C’est votre faute.
R - Non. Je pense que les marchés attendent des décisions politiques et elles ont été proposées pendant la période de l’été. Les marchés aimeraient bien que l’on fasse une mutualisation de la dette et qu’ils puissent tranquillement échanger leurs obligations portugaises contre des obligations européennes. Mais l’intérêt des marchés, ce n’est pas l’intérêt des Etats et ce n’est pas l’intérêt général. Pour une fois, on a un retour du politique sur du solide, du concret et du long terme.
Q - Vous avez un peu d’humour Jean Leonetti ?
R - J’essaie.
Q - Vous êtes spécialiste de fin de vie, on vous a nommé aux Affaires européennes, c’est un signe ?
R - C’est un signe que je sois cardiologue et que j’ai beaucoup réanimé de gens qui sont encore vivants et qui me disent : grâce à vous je suis encore vivant. Peut-être que si l’Europe est encore vivante dans quelque temps, on l’attribuera plus au cardiologue qu’au médecin de fin vie.
Q - Mais là le malade est quand même dans un sale état.
R - Le malade est toujours dans un sale état quand la politique cède le pas à l’économique ou au financier. Et aujourd’hui la volonté du président de la République, c’est que la politique revienne au premier plan.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 août 2011