Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, à RTL le 27 juin 2001, sur l'exclusion des raves-parties du projet de loi sur la sécurité quotidienne et sur la pratique des fonds secrets dans le fonctionnement des cabinets ministériels.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Elkrief - La loi ne réglementera pas les rave parties. Apparemment, les députés socialistes ne les mentionneront pas dans la loi sur la sécurité publique. Vous le regrettez ?
- "C'est un extraordinaire exercice de lâcheté générale qui fait que, parce qu'on a peur d'un soi-disant ou d'un prétendu vote jeune, on refuse ..."
Comme J.-P. Chevènement, vous pensez qu'ils ont fait du jeunisme ?
- "Oui. Pour organiser un bal avec un accordéon dans un village des Pyrénées, vous êtes obligé de le dire à l'avance, de le déclarer pour des raisons de sécurité élémentaire. Et puis, pour des rave parties dont tout le monde sait - il n'y a qu'à lire les journaux - que des drogues dures y sont en vente libre, à la criée, on refuse d'obliger à annoncer à l'avance où elles vont avoir lieu. On s'installe chez des personnes sans leur avis, sans leur accord et on laisse les lieux dans un état absolument dramatique."
L'avez-vous dit avant ? La droite a été très divisée. Elle ne s'est pas tellement montrée offensive sur ce terrain. Elle aussi a entendu les voix des jeunes.
- "Je ne parle pas de la droite en général. J'essaye de dire ce qui me paraît être le sentiment de responsabilité. La responsabilité devrait être de dire qu'il y a des règles de sécurité qui, dans un pays normal, doivent s'appliquer sans avoir peur de le dire et de le faire. Ces jeunes-là, on les abandonne ! On fait semblant d'être gentil avec eux. En réalité, on les lâche et on les abandonne."
Les députés socialistes ont entendu apparemment leurs enfants. Vos enfants - vous en avez six - ne vous ont-ils pas parlé de rave parties ?
- "S'ils m'en avaient parlé, je leur aurais dit ce que je vous dis. Mais je crois qu'ils auraient été d'accord. Je pense qu'il y a beaucoup de jeunes, une majorité de jeunes, qui sont de cet avis-là."
Il y a une polémique sur les fonds secrets depuis quarante huit heures, après la découverte de voyages du Président de la République payés en liquide. Il y aura des suites judiciaires. Evidemment, sur le plan politique, le Gouvernement se dit prêt à légiférer. Vous qui êtes un quasi candidat - non déclaré officiellement - à la présidentielle, pensez-vous que cela peut fausser les règles du jeu, puisqu'on pourrait avoir un candidat à l'Elysée, un candidat à Matignon qui pourraient disposer de fonds secrets ?
- "J'avais employé un jour - il y a quelques mois - l'expression de "crise politique et morale" pour la France. C'était à ce genre de choses que je songeais. On vit en France dans un Etat qui ne s'applique pas à lui-même les règles élémentaires qu'il passe son temps à imposer aux autres. L'idée qu'en effet des fonds secrets soient distribués sans déclaration aucune..."
Ce n'est pas nouveau. Vous avez été ministre, vous avez participé à la vie politique depuis des années.
- "Cela dure depuis cinquante ans. Tous les ministères le font mais c'est quelque chose qui, pour moi, est devenu désormais absolument insupportable. On doit opposer une rupture à cet archaïsme français."
Qu'est-ce que vous proposez ? Légiférer, contrôler ?
- "Il faut en finir et interdire ceux des fonds secrets qui servent à l'Etat ordinaire : payer les cabinets, les ministres, les primes pour les membres de cabinet. Pour ma part, je dis qu'il faut deux règles simples : la première est de déclarer l'ensemble des primes pour tout ce qui est le financement de la politique et la transparence pour ce qui est des personnes. Il faut la transparence dans les primes et leur déclaration. Sinon, comment expliquer qu'en France - le seul pays dans lequel ce genre de choses ait lieu - les puissants vivent avec des libertés, des privilèges qu'aucun citoyen ne se voit reconnaître et accepter. On ne peut pas continuer comme cela..."
Mais ces primes servent à quelque chose ?
- "Je propose deux règles simples pour un assainissement de la vie publique en France."
Vous êtes "Monsieur Propre" ?
- "Pas du tout. Tout transparent, tout déclarer. Je proposerai à tous les candidats à la présidentielle, tous ceux qui auront recueilli les 500 signatures et qui seront sur la ligne de départ ..."
... dont vous ferez partie.
- "Je proposerai à tous les candidats que nous signions ensemble ce pacte. La France va tourner une page ; qu'on arrête de vivre avec ces privilèges, ces scandales souterrains, ce cheminement d'argent liquide, et qu'on passe à quelque chose de sain, comme toutes les démocraties du monde ! Il n'y a pas une seule démocratie dans le monde..."
Vous étiez ministre de l'Education nationale entre 1993 et 1995. Combien avez-vous reçu de fonds secrets ? Comment les avez-vous utilisés ?
- "Le ministère de l'Education nationale, hier, aujourd'hui et demain, comme tous les ministres, si l'on ne fait rien, continuera à vivre avec une enveloppe de primes - de 50 000 à 100 000 francs par mois - pour les membres du cabinet."
Donnée en liquide aux ministres ?
- "Donnée en liquide au ministère, pour les membres du cabinet, pour les directeurs de cabinet, pour le ministre. On ne peut pas continuer à vivre comme cela."
Qu'en aviez-vous fait ? Vous ne les aviez pas utilisés ?
- "Je fais comme tout le monde, puisque tout le monde vit comme cela aujourd'hui. Comme on ne paye pas suffisamment les membres de cabinet ou les ministres, on leur donne des primes en liquide. Je ne suis pas ennemi de l'idée qu'on les paye comme il faut les payer. Il suffit qu'on prenne la moyenne des salaires européens pour tous les ministres et qu'on l'applique en France. Mais l'idée qu'on continue à vivre avec des pratiques pour les puissants, qui sont interdites à tous les autres citoyens français, est à mon avis quelque chose que l'on ne peut pas continuer à faire."
N'y a-t-il pas un risque de démagogie ? Finalement, les fonds secrets sont utiles. F. Hollande, qui était là, hier, disait que cela sert pour les services secrets, les missions particulières ...
- "Tout ce qui sert pour les services secrets, qu'on le contrôle, qu'il y ait des parlementaires assermentés, ou la Cour des comptes, et qu'ils vérifient que leur usage est bon. Tout ce qui est pour l'Etat souterrain, qu'on le supprime."
Dans quel délai ? Après la présidentielle ?
- "Ces pratiques, qu'on vit en France depuis des décennies, sont interdites à tous les autres citoyens français. Il est interdit à un cadre d'entreprise, un chef d'entreprise, un fonctionnaire- heureusement - de le faire. Vous voyez bien de quoi il s'agit : les puissants se donnent à eux-mêmes des privilèges, comme si on était encore une monarchie où aucun contrôle du peuple n'était accepté. Quand je disais "crise politique et morale, c'est à cela que je pensais. Il faut que cette page se tourne et qu'on entre dans une pratique saine, élémentaire, transparente comme toutes les autres démocraties dignes de ce nom dans le monde. Je pense que cela doit faire l'objet d'un pacte où tout le monde s'engage."
(source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 27 juin 2001)