Interview de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, à Europe 1 le 27 octobre 2011, sur l'accord concernant le plan de stabilisation économique et financière de la zone euro.

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Circonstance : Sommet des chefs d'Etat et de gouvernement de la zone euro, à Bruxelles le 26 octobre 2011

Média : Europe 1

Texte intégral

Q - Monsieur le Ministre, finalement la réunion d’hier s’est finalement résolue, le blocage a été levé. C’est un sentiment de soulagement ?
R - C’est un beau succès, c’est même un moment important pour l’avenir de l’Europe et, de façon plus générale, pour la situation économique mondiale. Je voudrais souligner le fait que la France et le président Sarkozy tout particulièrement ont atteint les objectifs qu’ils s’étaient fixé.
Ce que nous voulions d’abord, c’est ne pas laisser tomber la Grèce, d’abord pour une raison morale, il y a une solidarité entre les États membres de la zone euro, mais aussi pour une raison économique parce que l’effet de contagion sur d’autres États membres était très élevé.
L’objectif est atteint, une nouvelle tranche d’aide à la Grèce va être mise en place en contrepartie des efforts très importants que ce pays consent et, surtout, une partie de la dette est allégée grâce à la décision qui a été prise par les banques.
Le deuxième objectif, c’était de renforcer la force de frappe du Fonds européen de stabilité financière et, là aussi, je ne vais pas citer les chiffres que vous connaissez mais l’objectif est également atteint.
Nous pensions aussi qu’il fallait renforcer les fonds propres des banques pour leur permettre de faire face à la situation, du moins pour celles qui sont les plus concernées et, là aussi, la décision a été prise.
Et puis enfin, comme vous le savez, depuis longtemps la France souhaite que le gouvernement économique de la zone euro, c’est-à-dire les mécanismes de décisions soient améliorés. Et, de ce point de vue, tout ce qui avait été proposé par la France et l’Allemagne au mois d’août dernier a été pris en compte, notamment des réunions plus fréquentes du Conseil des chefs d’État et de gouvernement de la zone euro, une présidence de la zone euro. Bref, un pas en avant tout à fait décisif avec également l’inclusion dans les Constitutions des États membres de la règle d’or.
Donc, l’objectif est atteint, la première réaction des marchés est favorable et je pense que nous allons pouvoir désormais franchir une nouvelle étape de redressement et de soutien à l’activité économique dans la zone euro.
Q - Un gouvernement économique européen, cela veut-il dire un abandon de souveraineté de la part de la France ?
R - Non, cela veut dire une intégration plus forte de nos responsabilités. Quand on a fait une monnaie ensemble, il faut la gérer ensemble. Il y a donc une logique qui est de renforcer cette intégration sur le plan budgétaire, nous sommes en train de le faire, sur le plan fiscal et une des belles idées avancées par la France et l’Allemagne, c’est de créer, d’ici 2013, le même impôt sur les sociétés dans nos deux pays. Je crois qu’aujourd’hui, la voie est ouverte pour une percée supplémentaire et, pour ma part, je pense qu’il nous faut aller jusqu’à une forme d’euro fédération dont la France et l’Allemagne pourraient être les piliers mais que nous pourrions proposer à l’ensemble de nos partenaires de la zone euro.
Q - Aujourd’hui, il va falloir trouver de l’argent, la Chine est sollicitée. Va-t-elle faire en Europe ce qu’elle a fait aux États-Unis comme racheter les dettes ?
R - Vous savez, aujourd’hui la crise est mondiale. On parle beaucoup de la crise européenne mais les États-Unis ne sont pas en très bonne forme, la croissance stagne et le chômage est élevé. Le Japon également est dans une situation difficile notamment après le drame de Fukushima et la Chine a ses propres problèmes parce que la croissance est ralentie alors qu’elle a besoin d’une croissance très élevée pour donner du travail aux centaines de millions de Chinois qui sont encore tout à fait en dehors du progrès et du développement économique. Nous sommes solidaires et le fait que la Chine soit prête à s’engager est, je crois, le signe de cette solidarité.
Q - On va donc faire appel aujourd’hui aux Chinois, au FMI ?
R - L’ensemble des partenaires sont mobilisés pour ce qui est une sorte de révolution économique mondiale. Tout a changé, nous sommes dans un nouveau monde où les rapports de force ne sont plus les mêmes. Nos pays européens ont atteint les limites du surendettement, on ne peut pas aller plus loin. On ne nous prêtera pas si nous voulons aller plus loin. Il est donc impératif de remettre de l’ordre dans nos finances et, en particulier, de réduire nos déficits parce que la source du surendettement, c’est le déficit. Mais d’un autre côté, la Chine doit aussi réorienter son modèle de croissance qui, jusqu’ici, a été entièrement tourné sur l’exportation avec une main-d’œuvre à très bas prix. Aujourd’hui, les Chinois ont envie de changer. Ils ont aussi envie d’avoir un système de santé, un système de retraite. Les salaires augmentent très sensiblement en Chine, année après année. Là aussi, un rééquilibrage est nécessaire et ce sera tout l’enjeu du G20 que de présenter une stratégie de croissance de l’ensemble des grandes puissances du monde.
Vous savez, les 20 pays du G20, c’est 85 % de la richesse mondiale et donc le rendez-vous de Cannes, c’est aussi un rendez-vous tout à fait stratégique. Ce qui s’est passé hier à Bruxelles dégage l’horizon pour que Cannes soit un succès.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 novembre 2011