Texte intégral
Quelques jours après avoir rencontré informellement les rapporteurs des commissions des deux assemblées qui suivent plus particulièrement les crédits du ministère des Affaires étrangères et européennes, je me réjouis de pouvoir vous présenter aujourd’hui les crédits pour 2012 de la mission «Action extérieure de l’État».
Cette question des moyens de notre diplomatie me tient particulièrement à coeur, tant il est vrai qu’il n’y a pas de politique étrangère ambitieuse sans les moyens de la mener à bien. À de nombreuses reprises au cours des dernières années, j’ai ainsi eu l’occasion d’indiquer les raisons pour lesquelles notre outil diplomatique devait se voir garantir des dotations à la hauteur des ambitions de notre pays dans le monde.
Cette position, je l’ai défendue aussi lors des travaux du Livre blanc, comme lorsque ce ministère s’est trouvé en butte à des critiques - voire des attaques - dont je considère qu’elles ont injustement altéré la confiance de notre pays dans l’efficacité de son outil diplomatique et, par voie de conséquence, la confiance de nos propres agents dans l’efficacité de leur action.
Certains d’entre vous me diront que cette fragilisation de notre outil diplomatique n’est pas nouvelle et qu’elle résulte d’un lent et douloureux processus de décroissance des moyens humains et budgétaires affectés à cette action. Je ne peux que souscrire à ce constat : depuis de nombreuses années - et en tout état de cause bien avant le lancement de la Révision générale des politiques publiques (RGPP) - le ministère des Affaires étrangères s’est vu imposer une cure d’austérité d’une particulière rigueur. Celle-ci est manifeste lorsqu’on se penche sur l’évolution de ses emplois, réduits de près de 20 % depuis quinze ans. Elle l’est tout autant pour nos moyens de fonctionnement, qui ont enregistré une baisse corrélative au cours de cette période.
Légitime dans son principe, cette contribution à l’effort d’assainissement de nos finances publiques s’est révélée d’autant plus douloureuse que les attentes formulées à l’égard de ce ministère n’ont, dans le même temps, cessé de s’accroître. Alors que notre réseau diplomatique et consulaire se redéploie en permanence pour s’adapter aux évolutions du monde, alors que la croissance très vive des communautés françaises à l’étranger accroît chaque année les attentes de nos compatriotes, il a fallu faire preuve de toujours plus d’inventivité pour affronter des défis croissants avec des dotations en diminution.
Dès ma prise de fonction, j’ai ainsi fait de la question des moyens l’une de mes priorités, tout en faisant remarquer à mes collaborateurs que je n’étais pas doté d’une baguette magique. Dans le contexte budgétaire que nous connaissons, ce ministère ne peut en effet se soustraire à l’exigence de discipline qui impose à chacun de contribuer à l’effort collectif. C’est donc avec un double objectif apparemment contradictoire - renforcer notre outil diplomatique tout en contribuant à cet effort collectif d’économie - que nous avons engagé la préparation de ce projet de loi de finances (PLF). Bien que très délicate, cette équation a pu être résolue et le projet de budget qui vous a été transmis concilie du mieux possible ces deux impératifs.
S’agissant de la discipline budgétaire, les crédits 2012 du ministère respectent les plafonds du triennal 2011-2013 et les engagements de maîtrise des dépenses pris dans le cadre de la RGPP. Ce respect se vérifie pour la mission «Action extérieure de l’État», dont relèvent les programmes 105, 151, 185 et 332, comme pour la mission «Aide publique au développement» (APD), dont relève le programme 209.
Cependant, le ministère des Affaires étrangères est en mesure d’amorcer en 2012 une correction de trajectoire, à la faveur de marges de manoeuvre budgétaires dont nous avons obtenu la restitution à force de pugnacité, le ministère des Finances n’ayant généralement pas pour réaction spontanée de laisser les marges de manoeuvre à la disposition des ministères au sein desquels ces économies sont constatées.
L’ensemble de nos dépenses pourra ainsi être financé grâce à une évolution favorable de nos contributions obligatoires. D’un montant de 40 millions d’euros, cette diminution recouvre plusieurs mouvements de sens contraire.
Tout d’abord, une baisse de l’ordre de 65 millions d’euros du budget des opérations de maintien de la paix. Cette baisse procède à la fois de la fermeture de la Mission des Nations unies en République centrafricaine et au Tchad (MINURCAT) en 2011, qui se solde par une diminution de 40 millions d’euros non prévue au moment du triennal, de la diminution des besoins pour d’autres opérations et d’une hypothèse de change dollar/euro plus favorable en 2012 qu’il n’était initialement prévu. Sur ce dernier point, il ne s’agit pas d’un choix du ministère des Affaires étrangères, mais de l’hypothèse retenue pour le volet dépenses du projet de loi de finances.
Ensuite, une hausse d’environ 25 millions d’euros des contributions au budget des organisations internationales et de la justice internationale. Sur ce point, le triennal était sous-calibré et nous devons faire face à des dépenses exceptionnelles non anticipées, par exemple pour la rénovation du siège de la Cour pénale internationale. Au total, avec 841 millions d’euros consacrés aux contributions internationales et européennes obligatoires en 2012, ce poste représente 40%, hors dépenses de personnel, de la mission «Action extérieure de l’État». Nous ne sommes évidemment jamais à l’abri d’une évolution des opérations de maintien de la paix qui rendrait ce budget insuffisant, mais je rappelle que la règle constante et partagée avec le Budget veut toutefois que nous ne provisionnions pas d’opérations nouvelles.
Ces marges de manoeuvre, nous avons tout d’abord souhaité les consacrer au financement de dépenses insuffisamment budgétées dans le cadre du triennal 2011-2013.
Conformément aux engagements pris à l’égard de nos compatriotes résidant à l’étranger, ce budget confortera les crédits d’aide à la scolarité - bourses et prise en charge -, dans le respect des orientations retenues à l’issue du rapport parlementaire de Mmes Colot et Joissains. La dotation prévue dans le triennal ayant été, de l’avis de tous, sous-calibrée, ce sont ainsi 13,5 millions d’euros qui sont redéployés au profit de cette dépense d’aide à la scolarité. Je sais qu’elle suscite chez vous peu d’enthousiasme et voudrais rappeler qu’elle a été limitée aux trois classes du lycée et cristallisée au niveau des années 2007-2008. Il faut au ministre chargé des Français de l’étranger beaucoup de ténacité pour résister à l’amicale pression des sénateurs représentant ces derniers, qui ne cessent de demander la décristallisation ou l’extension à d’autres niveaux d’enseignement. Nous tenons bon et je suis heureux d’avoir le soutien de votre commission dans ce combat.
Dans cette enveloppe d’aide à la scolarité, ce sont les bourses qui connaissent la dynamique la plus forte, la mesure de plafonnement introduite par le législateur en loi de finances initiale pour 2011 ayant permis de stabiliser le coût de la prise en charge des frais de scolarité, qui représente 31,9 millions d’euros en 2012 contre 33,7 millions d’euros en 2011. L’enveloppe des bourses évolue quant à elle de 84 à 93 millions d’euros entre 2011 et 2012, du fait de plusieurs facteurs de progression : dynamique de croissance des communautés, paupérisation de certaines familles sous l’effet de la crise, augmentation des frais de scolarité. Il convient enfin de noter que l’instauration de la prise en charge de la scolarité (PEC) a incité certaines familles à déposer pour la première fois des demandes de bourses sur critères sociaux.
Une part importante des économies constatées en 2012 a en outre été redéployée au profit de notre masse salariale. Essentiellement lié à la couverture de l’effet change-prix, cet effort représente 17 millions d’euros sur la mission «Action extérieure de l’État» et 6 millions d’euros sur la mission «Aide publique au développement». Je précise à cet égard que nous respectons strictement nos plafonds de masse salariale, hors effets change-prix qui sont financés en exécution et pris en compte dans les projets de loi de finances avec un décalage de deux ans : le PLF 2012 intègre ainsi l’effet change-prix constaté en 2010.
Au-delà de ces dépenses obligatoires, nos marges ont permis de faire un effort sur certains secteurs prioritaires et ciblés.
Au titre de notre politique d’influence et d’attractivité en direction de nos partenaires méditerranéens et des pays émergents, ce budget prévoit une augmentation de l’enveloppe dédiée aux bourses. Initialement prévu à 3,3 millions d’euros, cet effort complémentaire sera ramené à 2 millions d’euros en raison de la contribution du ministère au plan d’économies du gouvernement, dit « rabot », de 1 milliard d’euros.
Ensuite, dans un contexte international très incertain, l’impératif de sécurisation de nos implantations dans les zones sensibles nous a en outre conduits à prévoir une hausse de 3 millions d’euros des crédits dédiés à ces dépenses - je pense en particulier à nos postes dans le Sahel, qui font l’objet de menaces très précises.
Enfin, le financement des échéances électorales de 2012 a justifié, compte tenu de l’enjeu qui s’attache à l’organisation des premières élections législatives à l’étranger, un effort d’ajustement de nos dépenses. Outre 8 millions d’euros de crédits transférés du ministère de l’Intérieur, l’effort engagé en 2012 à ce titre par le ministère des Affaires étrangères sera complété par 1 million d’euros affecté aux actions d’information et de communication à destination des communautés françaises.
Je tiens à rappeler mon attachement à ce que la trajectoire prévue par le triennal pour les dépenses de fonctionnement, très pénalisante pour un ministère dont le réseau est soumis à de multiples contraintes, soit corrigée. Si la contribution du budget des Affaires étrangères à l’effort de maîtrise des finances publiques doit être globalement conforme à la norme gouvernementale de baisse des crédits de fonctionnement de 10 % sur trois ans, il convient de noter qu’elle se heurte à certaines difficultés.
Tout d’abord, les crédits de coopération de défense et de sécurité sont stabilisés à 35 millions d’euros sur le triennal en raison des priorités d’action que nous avons définies pour le Sahel et des opérations de maintien de la paix, en Afrique notamment. Ensuite, certains de nos services, notamment le centre de crise et le service du protocole, sont extrêmement sensibles aux aléas de l’actualité internationale et diplomatique et ne peuvent absorber sans dommages une telle diminution de leurs dotations. Enfin, les dépenses de fonctionnement des postes à l’étranger sont soumises à des facteurs non maîtrisables, tels que la hausse des loyers locaux, des dépenses d’énergie et de fluides ou bien encore des tarifs aériens qui affectent le coût des transports statutaires.
Ce constat nous a conduits à renoncer à une nouvelle diminution des budgets de fonctionnement des postes en 2012, qui resteront donc au même niveau qu’en 2011, à défaut de pouvoir faire plus. Ce choix est contrebalancé par un effort sur d’autres dépenses plus aisées à encadrer : crédits de communication, informatique, frais de représentation et de mission et dotation de fonctionnement des établissements culturels. Sur ces lignes, l’effort du ministère des Affaires étrangères ira au-delà de la norme gouvernementale.
J’ai également souhaité que la trajectoire du ministère soit corrigée pour ce qui concerne l’évolution des effectifs dédiés à notre action diplomatique. J’ai ainsi demandé au Premier ministre qu’il soit pris acte des efforts déjà consentis, notamment en 2010 où une avance avait été prise, et que les suppressions d’emplois programmées pour 2011, 2012 et 2013 en tiennent compte. Le Premier ministre m’ayant donné raison sur ce point, les suppressions d’emplois prévues en 2011-2013 ont ainsi pu être revues à la baisse : alors que 160 suppressions d’équivalents temps plein (ETP) étaient programmées en 2011, l’arbitrage obtenu a ramené ce chiffre à 75. En 2012, l’effort sera de 140 suppressions d’ETP contre 226 initialement prévues.
Pour répondre à l’étonnement exprimé par l’un des rapporteurs spéciaux, au cours de contacts préliminaires, devant le fait que le ministère des Affaires étrangères était exonéré de la norme du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux, je rappelle que notre effort en la matière précédait de beaucoup la mise en uvre de la RGPP. Au total, la réduction des effectifs a été de 20% au cours des quinze dernières années. Par ailleurs, nous avions - par un geste peut-être trop vertueux, mais lié essentiellement au calendrier de gestion des postes diplomatiques - pris de l’avance en 2010. Malgré les réticences du Budget, qui ne voulait initialement pas tenir compte de cette anticipation des réductions de postes, le Premier ministre a rendu un arbitrage tout à fait satisfaisant pour nous.
Ce bref tour d’horizon de notre budget 2012 serait incomplet si je n’évoquais pas la contribution du ministère des Affaires étrangères aux mesures anti-déficit annoncées par le Premier ministre le 24 août dernier. Comme tous les ministères, il prendra sa part de l’effort de 1 milliard d’euros attendu sur le volet dépenses du PLF 2012. L’APD ayant été exonérée de ce «coup de rabot», il se trouve dans une situation relativement favorable.
L’effort attendu de la mission «Action extérieure de l’État» n’en est pas moins significatif. Au terme de longues discussions avec nos interlocuteurs du Budget, j’ai obtenu que notre contribution soit limitée à 13 millions d’euros, afin que soit prise en compte la part que représentent les dépenses obligatoires - contributions, opérations extérieures ou aides à la scolarité.
Conformément au souhait du gouvernement de soumettre au Parlement des économies mettant à contribution les opérateurs, 6 de ces 13 millions d’euros seront imputés sur les subventions à l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) et à l’Institut français. Je précise à cet égard que les fonds de roulement des deux établissements sont assez confortables pour que ce prélèvement exceptionnel ne remette pas en cause leur niveau d’activité.
S’agissant du solde, au-delà d’une contribution symbolique du programme 151 «consulaire», d’un montant de 100 000 euros, le gouvernement proposera 2,4 millions d’euros d’économies sur nos crédits d’intervention culturelle (programme 185) et 4,5 millions d’euros d’économies qui limiteront les redéploiements prévus au profit de nos dépenses d’entretien immobilier et de fonctionnement.
Pleinement solidaire de la politique gouvernementale et de la recherche d’économies, je n’en souligne pas moins que nous avons désormais touché «l’os» et que, faute de marges de manoeuvre, la prochaine réduction de crédits remettra en cause des missions. De fait, certains de nos postes consulaires atteignent des taux de productivité exceptionnels : un agent consulaire à Shanghai traite ainsi 7 000 visas par an pour une moyenne communautaire bien inférieure, et ce au moment même où l’on demande une vigilance particulière dans l’octroi de ces visas. Ce n’est du reste pas sans conséquences : au-delà du manque à gagner - car les visas rapportent de l’argent -, les demandeurs de visas vont s’adresser à d’autres pays de l’espace Schengen, de telle sorte que les masses de touristes qui voulaient visiter la France aboutissent à Francfort, loin des vignobles du Bordelais si prisés des Chinois ou d’autres sites de notre pays.
Je ne suis pas venu me plaindre, mais il me semble que les efforts de rigueur consentis par ce ministère doivent être salués.
Q - (concernant les moyens affectés aux élections du printemps prochain)
R - Madame la Rapporteure pour avis, j’ai en effet évoqué la pression que subissent nos services consulaires. L’organisation des élections accroît considérablement la charge de travail : au total, 750 bureaux de vote seront ouverts, contre 550 lors de l’élection de 2007. Cet effort sera assumé par un réseau consulaire à effectif constant, avec pour seules ressources complémentaires des personnels vacataires. En 2011, 350 mois-vacations ont été attribués aux postes diplomatiques et consulaires, pour un coût global de 590 000 euros. Cet effort sera poursuivi et sans doute amplifié en 2012. Ces éléments sont intégrés dans nos prévisions budgétaires.
Sur les 17,5 millions d’euros prévus, 5 millions d’euros relèvent du ministère des Affaires étrangères et 12,5 millions d’euros sont pris en charge par le ministère de l’Intérieur. L’organisation, quant à elle, incombe en totalité aux services de mon ministère.
Q - (concernant le budget affecté à la Présidence française du G20 et du G8)
R - Pour ce qui concerne le G8 et le G20, il est vrai que le Sommet de Deauville a coûté 31 millions d’euros pour une prévision initiale de 20 millions. Ce surcoût s’explique par l’élargissement du sommet, au-delà de l’Égypte et de la Tunisie, à des délégations des «printemps arabes» et il a par ailleurs fallu installer un centre de presse dans des structures temporaires. Le coût du Sommet de Cannes est évalué à 28 millions d’euros pour 33 délégations. La location du Palais des festivals est chère, mais ce lieu permettra d’accueillir l’ensemble des participants. Les dépenses hors sommet, notamment les voyages et les réunions préparatoires, ainsi que les dépenses de communication, seront finalement moins importantes que prévu. Nous bénéficierons par ailleurs d’un fonds de concours de la Banque de France, qui permettra d’alléger le coût des manifestations organisées par le ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie. Nous avons donc ainsi bon espoir de tenir le budget prévu pour cette Présidence française du G8/G20.
Q - (concernant les crédits destinés aux systèmes d’information et de télécommunication)
R - Il est exact que nous allons contenir les crédits informatiques : ils s’élevaient à 37,1 millions d’euros en 2011 et devaient être de 37,5 millions d’euros en 2012, mais le coup de rabot les ramènera à peu près au niveau de 2011, soit 37 millions. Cette dotation permettra de renforcer la sécurité globale de l’informatique, déployer des outils nomades sécurisés et parvenir à une version complète de Schuman, notre application de traitement des télégrammes diplomatiques, afin notamment de traiter les informations confidentielles et classées secret défense. Je ne suis pas certain que Schuman soit particulièrement performant et sa mise en place été marquée par des difficultés que nous sommes en train de surmonter.
Q - (concernant la prise en charge des frais de scolarité à l’étranger)
R - Pour ce qui est de la prise en charge des frais de scolarité, j’applique la loi. Le législateur peut bien entendu la changer.
Conscients des risques de dérive, nous avons gelé cette mesure en la limitant aux trois classes du lycée, alors qu’elle était initialement annoncée pour l’ensemble du parcours secondaire, et en la cristallisant aux valeurs de 2007, ce qui n’a pas été sans susciter des demandes reconventionnelles. La dépense se stabilisera donc l’année prochaine, passant de 33,7 millions d’euros à 31,9 millions d’euros. Il ne s’agit donc pas, à ce stade, de dérive.
Je revendique en revanche l’augmentation des bourses, qui représente un transfert vertueux. Les bourses étant attribuées sous condition de ressources, elles sont en effet plus justes qu’une prise en charge généralisée.
Q - (concernant la réforme du réseau culturel et d’influence)
R - Notre réseau culturel et d’influence sera bien évidemment affecté par les économies complémentaires. Avec plus d’argent, nous aurions fait plus. Bien que la ponction sur les fonds de réserve puisse être interprétée comme une pénalisation de la bonne gestion - même s’il s’agit parfois d’argent qui dort et qu’il vaudrait mieux investir -, l’AEFE et l’Institut français seront en mesure de faire face à cette économie sans que leur niveau d’activité soit remis en cause. Comme vous l’avez dit, la réforme liée à la création de l’Institut français semble démarrer dans de bonnes conditions et nous en verrons les résultats au terme de l’expérimentation prévue.
Q - (concernant le développement de la politique d’attractivité de la France à l’égard des étudiants étrangers)
R - Un retard important a été pris par rapport au calendrier initial du lancement de CampusFrance. Il a en effet fallu mettre d’accord tous les acteurs concernés, notamment le CNOUS, et redéfinir le modèle économique de cet établissement public résultant du rapprochement de plusieurs structures. Un rapport des inspections du ministère des Affaires étrangères et du ministère de l’Enseignement supérieur a été réalisé pour expertiser les modalités d’intégration des activités internationales du CNOUS et un long débat a été engagé sur le nombre d’ETP nécessaires au nouvel opérateur pour reprendre la gestion des 15 000 bourses actuellement suivies par le réseau du CNOUS. Nous espérons aboutir très prochainement à un accord sur le nombre d’emplois à transférer et aurons au besoin recours à l’arbitrage du Premier ministre. La création effective de CampusFrance interviendra au 1er janvier 2012, avec intégration des activités internationales du CNOUS au 1er septembre 2012, c’est-à-dire au début de l’année universitaire. L’accueil des étudiants étrangers est un facteur d’influence considérable, que j’évoque souvent avec mon collègue ministre de l’Intérieur.
En matière d’accueil des étudiants étrangers, la France se situe assez bien par rapport aux autres pays. Sur un million d’étudiants en France, 200.000, soit 20%, sont étrangers et européens : c’est un chiffre considérable, qui a eu tendance à augmenter régulièrement depuis plusieurs années, même s’il se stabilise actuellement. Nous attribuons actuellement 15 000 bourses du gouvernement français, ce qui est loin d’être négligeable.
Q - (concernant le coût des opérations extérieures)
R - Quant au coût des opérations extérieures, nous nous trouvons à cet égard, je l’espère, dans une phase de réduction : les troupes françaises se retirent progressivement d’Afghanistan, l’opération Licorne est terminée en Côte d’Ivoire et les effectifs sont en réduction, tandis qu’un accord de défense avec le Tchad est en cours de renégociation afin de réduire notre dispositif.
Q - (concernant les moyens du ministère des Affaires étrangères et européennes)
R - Dans le texte que vous avez longuement cité, M. Védrine et moi-même parlions en connaissance de cause, car cette attrition progressive des moyens du ministère des Affaires étrangères date de 1994-1995 : nous avons tous, à des degrés divers, été en responsabilité à cette période et la responsabilité est donc collective. Ce phénomène n’est d’ailleurs pas propre à notre pays : le Foreign Office, qui possède le réseau diplomatique le plus développé, avec celui de la France, parmi les pays de taille comparable, a lui aussi connu une violente cure d’austérité, avec une réduction de 20% de ses moyens et le gel de tous les recrutements depuis cinq ans. La rigueur budgétaire touche tout le monde.
Nous ne sommes donc pas si mauvais, car avec des moyens en réduction, l’influence de la France augmente. Il est incontestable que la cohérence de la diplomatie française et la force des positions prises par le président de la République ont beaucoup accru notre influence et notre rayonnement dans le monde arabe depuis plusieurs mois. Dans la recherche d’une solution au conflit du Moyen-Orient, la seule proposition innovante lors de l’Assemblée générale des Nations unies a été l’initiative française présentée par le président de la République. En Afrique, notre action est également très saluée. La Présidence française du G8 et du G20 nous permet de jouer un rôle important et je ne trahis aucun secret en vous révélant qu’il n’est pas de rencontre entre le président Obama et le président Sarkozy où le président américain qui n’évoque le leadership de la France. Cela nuance quelque peu les propos apocalyptiques qui viennent d’être tenus. Nous avons une politique étrangère cohérente et la voix de la France est entendue dans bien des secteurs du monde. Nous jouons un rôle important, ce qui signifie que nos diplomates sont particulièrement performants - et je tiens à saluer leur efficacité.
Q - Vos propos ne sont pas conséquents !
R - Ils sont au contraire très cohérents. J’observe d’ailleurs que, depuis que je conduis la politique étrangère, je n’ai pas eu beaucoup de conflit avec l’Assemblée nationale ni avec le Sénat à ce propos et que j’ai même enregistré des soutiens fréquents - exprimés hier encore, lors d’une rencontre avec le bureau de la nouvelle Commission des Affaires étrangères et de celle des Forces armées et de la Défense du Sénat. Sans polémique, j’observe que les propositions du Parti socialiste en matière de politique étrangère sont très rassurantes, car aucune n’innove beaucoup par rapport à ce que nous faisons.
Q - (concernant la politique extérieure de l’Union européenne et la politique d’influence de la France)
R - La politique européenne est aussi une politique d’influence pour la France et nous ne manquons jamais de rappeler sur le terrain que les crédits français entrent pour 20% dans les interventions européennes. Les pays avec lesquels nous coopérons savent aussi que nous indiquons toujours clairement quels sont les fonds européens qui complètent les interventions de la France.
Il faut certes renforcer le bilatéral - nous l’avons du reste fait -, mais la France ne doit pas disparaître de certains organismes internationaux où elle doit également mener une politique d’influence. Le président de la Croix-Rouge internationale m’indiquait récemment que, pour faire partie du groupe des pays qui sont au cur de l’action de cette organisation, il faut verser à celle-ci au moins 10 millions d’euros par an. La contribution française étant actuellement de 12 millions d’euros, notre pays pourrait, si nous n’y veillons pas, sortir du groupe qui exerce ce leadership. Le raisonnement vaut aussi pour le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), dont la France est le 13e contributeur - remontant légèrement du 17e rang qu’elle occupait récemment. Si donc il faut renforcer le bilatéral, il ne faut pas dépouiller complètement le multilatéral, qui est lui aussi un instrument d’influence de la France.
Q - (concernant des moyens du réseau culturel français à l’étranger)
R - Monsieur de Charrette, j’ai déjà répondu sur le décalage des moyens et des ambitions. Quant à la politique culturelle, il s’agit bien d’un instrument d’influence considérable, mais notre réseau culturel comportait encore des marges d’amélioration. C’est d’ailleurs le cas depuis longtemps : lors de l’une de mes premières missions pour l’inspection générale des finances, en 1974, j’étais mandaté par M. Jobert pour trouver des économies dans le réseau culturel français à l’étranger !
Des restructurations ont eu lieu et le réseau est plus cohérent. Dans certains pays, les services de coopération et d’action culturelle et certains centres ou instituts culturels ont été fusionnés, ce qui nous permet de progresser dans la bonne direction. Nous développons également des partenariats, notamment avec l’Alliance française, partenaire précieux qui joue un rôle éminent dans la diffusion du français et s’autofinance par ses cours de langue. Des partenariats ont été également conclus avec le privé et avec les pays d’accueil. À Bilbao, par exemple, où nous envisagions de fermer le centre culturel français faute de crédits, la mairie a financé les locaux nécessaires pour accueillir ce centre parce qu’elle tenait à conserver un lieu de culture française. Cette méthode ne saurait certes se généraliser, car elle ne concerne que les pays disposant des moyens nécessaires, mais nous jouons sur tous ces leviers pour maintenir une influence forte avec des moyens limités.
Q - (concernant la coopération décentralisée)
R - La coopération décentralisée est, j’en suis persuadé, un outil important. Les moyens sont limités mais les sommes apportées par les collectivités locales ont un effet de levier important. Le ministère des Affaires étrangères possède un service spécialisé chargé de développer cette coopération.
Q - (concernant l’Afghanistan)
R - Pour ce qui concerne l’Afghanistan, je ne vois pas de novation dans le discours que tient le président de la République depuis plusieurs mois. Dans le cadre de la stratégie arrêtée à Lisbonne en décembre 2010, les États-Unis ont engagé un processus de transfert des responsabilités de leur propre dispositif militaire à l’armée afghane. La France fait de même. Nous avons annoncé le retrait en 2011-2012 du quart des effectifs français, soit un millier d’hommes, en particulier depuis la région de Surobi, qui va passer sous la responsabilité de l’armée afghane, puis poursuivre pour parvenir à un retrait total d’ici 2014.
Je n’ai jamais dit, sauf peut-être par lapsus, que la décision d’engager la France en Afghanistan avait été prise par M. Jospin seul, mais bien qu’elle avait été prise par M. Chirac et M. Jospin. Quant à savoir si je l’ai cautionnée, je rappelle que je n’étais pas alors dans le circuit, mais il me semble que, si j’avais eu à prendre des décisions en la matière, je ne me serais pas précipité dans cette intervention. Il ne faut cependant pas accélérer le retrait français, car il y a une différence entre une transition en bon ordre et une panique qui pourrait créer sur le terrain une situation catastrophique. Nous avons adopté une stratégie et un calendrier et nous nous appuyons sur les décisions prises à la fois par les responsables de la force internationale et par le gouvernement afghan, qui nous indique quand nous pouvons transférer. Nous allons poursuivre dans cette direction : on ne peut pas partir du jour au lendemain en laissant la clé sous le paillasson.
Q - (concernant des propos imputés au président de la République sur les conditions de l’intervention française en Afghanistan)
R - Je n’ai pas connaissance de ces propos. J’essaierai de m’informer à la bonne source. Nous nous situons néanmoins dans le cadre de notre stratégie de transfert à l’armée afghane, à la formation de laquelle nous avons consacré beaucoup d’efforts et qui monte véritablement en puissance, comptant aujourd’hui, avec la police, près de 350.000 personnes contre 200.000 initialement.
Q - (concernant la tribune sur la situation du ministère des Affaires étrangères et européennes, publiée le 8 juillet 2010)
R - On n’a jamais autant cité aucune ligne sortie de ma plume ! J’assume pleinement ce texte et n’ai rien à en retirer. J’ai simplement dit, en entrant dans ce ministère, que j’allais m’efforcer d’en changer la trajectoire et, comme le président Poniatowski a bien voulu le souligner, le budget pour 2012 représente une amélioration par rapport à la tendance des années précédentes.
Q - (concernant l’influence de la France en Afrique)
R - Je ne partage pas votre sentiment : l’influence de la France en Afrique n’a pas diminué et il n’est pas exact de dire qu’elle se limite à la relation entre les autorités françaises et quelques chefs d’État. Lors de l’installation du président Ouattara, une foule de plusieurs dizaines de milliers de personnes acclamait la France. Ce que nous avons fait a valeur de symbole pour les chefs d’État et, plus encore, pour les peuples : la France a fait passer le message qu’elle soutenait désormais en Afrique la démocratie et des élections libres dont elle n’entend pas laisser remettre en cause le résultat.
Q - (concernant les instituts français de recherche à l’étranger)
R - Les 27 instituts français de recherche à l’étranger, qui regroupent 153 chercheurs de très haut niveau, sont en effet un outil de recherche extraordinaire sur le plan de la connaissance scientifique et du rayonnement. Aucune fermeture n’est envisagée, même si deux de ces instituts ont été mis en sommeil pour des raisons politiques - l’un en Iran pour des raisons qu’il est inutile de développer, et l’autre à Tachkent du fait d’un problème de localisation et de divergences avec les autorités locales. Il est exact que les dotations accusent une baisse continue, mais nous pouvons continuer à faire fonctionner ces instituts, qui sont très précieux.
Q - (concernant les moyens de la politique culturelle française à l’étranger)
R - Je me suis déjà exprimé sur la présence culturelle. Nous ne saurions disposer des mêmes moyens que la Chine. Cela ne nous empêche pas de continuer à être présents et le rayonnement de la France, malgré les difficultés budgétaires et la réduction de notre potentiel, grâce à la diversification de nos modes d’information et aux partenariats que nous développons, reste une influence très présente.
Q - (concernant l’audiovisuel extérieur de la France)
R - Le fait que la tutelle de l’audiovisuel extérieur de la France ait quitté le Quai d’Orsay et ait été attribuée à Matignon était principalement lié à des configurations personnelles. Nous nous efforçons aujourd’hui de réformer ce système. J’attends de l’Inspection des finances un rapport sur l’ensemble de l’audiovisuel extérieur, à partir duquel le gouvernement prendra des mesures. Je souhaite que la tutelle de l’audiovisuel extérieur revienne au Quai d’Orsay, qui a vocation à assurer la cohérence de l’action extérieure de la France dans ce domaine.
Q - (concernant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et la ville de Strasbourg)
R - Monsieur Schneider, je souscris à vos propos sur l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et sur la nécessité de défendre Strasbourg. C’est là, bien entendu, l’un de nos combats.
Q - (concernant le budget de la FED)
R -Je vous invite à poser plutôt à M. de Raincourt, qui vous répondra avec des éléments plus précis, votre question sur le budget du FED et sa rebudgétisation dans le budget de l’Union européenne.
Q - (concernant la politique d’aide publique au développement)
R - Sans revenir sur le multilatéral, je ne peux pas laisser dire que certains opérateurs travaillent sans aucune forme de pilotage politique ni aucun contrôle parlementaire. J’ai ainsi présidé voici quelques semaines le conseil d’orientation stratégique de l’Agence française de développement, qui a examiné le contrat d’objectifs et de moyens préparé par l’AFD. Ce document a été transmis à votre commission qui l’a examiné. Il sera ensuite approuvé selon les formes prévues par les textes. Le pilotage de ces institutions est certes difficile, mais les grandes orientations stratégiques sont bien débattues au niveau gouvernemental, soumises au contrôle du Parlement puis contrôlées au fur et à mesure de leur application.
Q - (concernant le Fonds mondial de lutte contre le sida)
R - Vous soulignez à juste titre que la visibilité de la France dans le Fonds mondial de lutte contre le sida n’est pas ce qu’elle devrait être. Il faudra veiller à corriger cette situation. Les ONG que nous aidons ont souvent de fortes réticences à faire apparaître leurs financeurs, mais nous réagissons et nos ambassadeurs ont mission de rappeler que la France en fait partie.
Q - (concernant la coopération décentralisée)
R - Pour ce qui est de la coopération décentralisée, il n’est pas facile de convaincre plusieurs centaines de maires et de présidents de conseils régionaux qu’ils doivent se coordonner. Au ministère des Affaires étrangères, un service de la Direction générale de la mondialisation (DGM) est précisément chargé de susciter, par la persuasion, une plus grande coordination en ce sens.
Q - (concernant l’aide humanitaire)
R - En matière d’aide humanitaire, nos moyens sont limités mais nous faisons des efforts. En 2011, face à la famine dans la Corne de l’Afrique, nous sommes parvenus à mobiliser 20 millions d’euros supplémentaires, triplant ainsi - de 10 à 30 millions d’euros - le volume de notre intervention. Le président de la Croix-Rouge et le Haut Commissaire des Nations unies pour les réfugiés ont convenu que la France avait été très présente et avait pris de nombreuses initiatives pour entraîner la FAO et d’autres acteurs. Il est évident qu’un budget plus conséquent nous permettrait de faire davantage.
Au total, je le répète, je ne renie rien de ce que j’ai écrit et de ce que j’ai dit, mais je fais avec ce que j’ai et je m’efforce d’infléchir la trajectoire pour améliorer peu à peu la situation. Je n’ai pas tout changé en neuf mois.
Q - (concernant la programmation de France 24 en langues étrangères)
R - C’est une question très difficile, que je ne parviens moi-même pas à trancher. Tout dépend de savoir si, au-delà des aspects linguistiques, France 24 est capable de transmettre une vision française de l’actualité internationale. Face par exemple à la situation de monopole de la chaîne Al Jazeera dans le monde arabe, où elle véhicule une vision très marquée et a joué un rôle dans le Printemps arabe, soutenant certains mouvements très engagés dans l’islam, une autre lecture, française, pourrait avoir du sens. Pour que cette lecture soit connue, elle doit être diffusée en langue arabe.
En revanche, je ne suis pas sûr que la rédaction de France 24 se sente investie de la mission d’exprimer cette vision française - même s’il ne s’agit évidemment pas d’exprimer celle du gouvernement. Comment définir cette vision et comment convaincre les journalistes qu’ils ont cette responsabilité ?
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 novembre 2011