Déclaration de M. François Fillon, Premier ministre, sur le bilan de la loi du 11 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités, la mise en place de l'"admission post bac", le plan Campus et le programme des investissements d'avenir consacré à la recherche, l'enseignement supérieur et à la formation, à Paris le 5 décembre 2011.

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Circonstance : Remise des prix solennels 2011 de la Chancellerie des Universités de Paris, à Paris le 5 décembre 2011

Texte intégral

Monsieur le Recteur,
Monsieur le Secrétaire perpétuel,
Monsieur le Vice-chancelier,
Mesdames et Messieurs les Présidents d’université,
Monsieur le Député-maire,
Mesdames et Messieurs les professeurs,
Mesdames et Messieurs,
Je veux d’abord vous dire le plaisir et l’honneur que je ressens à participer avec vous à cette cérémonie de remise des prix de la Chancellerie des Universités de Paris.
Et je voudrais commencer en adressant à tous les lauréats mes sincères et chaleureuses félicitations pour le travail que vous avez réalisé.
Je sais que la vie de thésard n’est pas toujours facile. Je confiais d’ailleurs à mes voisins que j’avais moi-même commencé une thèse que je n’ai jamais finie. J’attendais juste que les électeurs me renvoient à mes études pour la terminer.
Je sais que c’est une épreuve de solitude, de plongée dans la mêlée des données nationales et des travaux internationaux.
On rencontre l’échec et le doute avant de saisir ce que l’on cherche.
Mais pendant cette épreuve, vous avez développé une compétence décisive pour votre avenir, parce que cette thèse c’est le premier jalon véritablement professionnel de votre engagement.
A l’issue de ces premières années consacrées à la recherche, et à l’aube d’une carrière que je vous souhaite prometteuse, vous pouvez être fiers de recevoir cette distinction que vous remet la Chancellerie des Universités de Paris.
Cet honneur, que vous devez légitimement ressentir et que vos familles et vos amis doivent éprouver, est à la mesure de ce que représente la recherche dans notre société.
Il y a aujourd’hui un besoin de recherche plus fort que jamais.
Alors que le monde se transforme de manière chaque jour plus rapide, plus surprenante, notre nation a un impérieux besoin des lumières que vos travaux jettent sur ce qui nous entoure.
La mondialisation s’accélère et elle efface les repères que nous avons hérités des générations successives. Nous vivons dans une ère du changement permanent où des distorsions se succédant sans cesse ont remplacé les progressives métamorphoses du passé.
L’Europe contemporaine ne ressemble plus à celle qui s’est construite après la Seconde Guerre mondiale.
Nos pays portent les mêmes noms. Mais que reste-t-il de nos aspirations ?
L’idéal de paix autour duquel notre continent a décidé de se réunir a épuisé ses vertus et nous devons nous rassembler autour de quelque chose de neuf.
L’idée de progrès, qui a porté l’élan de générations successives vers un monde meilleur, qui a élevé notre humanité, semble contestée aujourd’hui.
Certains lui préfèrent le retrait à l’écart de la modernité et la peur, parce que des catastrophes qui peuvent être évitées surviennent malheureusement parfois, comme celle que nous avons connue au Japon.
Oui, nous vivons dans un monde nouveau, et nous en cherchons inlassablement le sens, c’est-à-dire à la fois la signification et la direction que prend son mouvement.
Nous nous interrogeons sur les buts que nous devons nous assigner, comme société, comme citoyens, comme hommes et femmes.
Nous nous demandons quelles sont les valeurs que nous devons porter, les valeurs que nous devons servir.
Au nom de quoi vivons-nous ?
Devant ces questions fondamentales, les réponses se résument trop souvent à des réactions, et le temps de la pensée est négligé.
La radicalité ressurgit, à travers le populisme dont on observe partout la montée.
Beaucoup perdent le désir d’animer les liens par lesquels ils appartiennent à la société et choisissent de se rétracter sur leur sphère privée. Ils se recroquevillent comme dans une caverne où ils ne verraient plus le ciel qui les effraie, au lieu d’affronter la lumière parfois aveuglante de l’avenir. La société du spectacle suscite la fascination de tous ceux qui se livrent à elle par faiblesse, avec ses idoles d’un jour, d’un mois, d’une heure ; ses humeurs et ses plaisirs qui passent comme disparaît l’instant.
Face à tout cela, vous, les chercheurs, les intellectuels, vous avez la responsabilité exigeante de défendre la noblesse de l’esprit.
La noblesse de l’esprit, c’est ce qui pousse à chercher la vérité plutôt que la satisfaction procurée par les illusions qui apaisent, et les artefacts qui détournent de la pensée. Qu’est-ce que l’esprit des Lumières qui a fait la France, sinon, justement, le courage de se servir de son propre entendement, comme l’écrivait Emmanuel Kant ?
La noblesse de l’esprit, c’est aussi le choix constant de la lucidité plutôt que la soumission aux vents contraires de l’émotion et au tiraillement des pulsions.
La noblesse de l’esprit, c’est le choix d’assumer la dialectique et la contradiction pour trouver un chemin commun, et non de se conforter dans l’ornière de l’invective et de la confrontation.
La noblesse de l’esprit, c’est le respect du temps long, du silence aussi.
C’est le devoir de protéger le sens des mots.
Aujourd’hui, je suis là pour célébrer l’intelligence française !
L’Université est son creuset, et elle se trouve confrontée à un double défi : atteindre l’excellence, et offrir à tous la chance d’y parvenir. C’est un objectif républicain.
Certains estiment que ces deux enjeux sont contradictoires. Pour eux, l’excellence se résumerait à la constitution d’une élite, par élimination insidieuse de ceux qui ne peuvent pas lui appartenir.
Je pense le contraire : l’excellence hisse notre pays vers les sommets, elle l’oblige à une remise en cause permanente et salutaire, et elle se nourrit de la diversité des idées, des regards et des origines.
Et l’Université doit être le lieu où se forment ceux qui, par leurs travaux, par leurs témoignages, deviendront les prospecteurs de l’avenir et les gardiens de la civilisation.
Excellence et égalité des chances : les réformes que nous avons menées ont eu pour but d’allier ces deux objectifs. Je ne veux pas prétendre que le sort de nos universités ait basculé du jour au lendemain sous le seul coup de ces réformes ! Les changements institutionnels ne résument pas et ne commandent pas la vie intime de nos universités, qui est d’abord faite de passions, de destins entremêlés, de savoirs échangés…
A cet égard, le terme de « système universitaire » est rudimentaire. Il ne dit rien du rapport parfois éclairant d’une rencontre entre un élève et un enseignant; il ne dit rien de ses couloirs où s’échangent les premières joutes intellectuelles de ceux qui ont vingt ans ; il ne dit rien de ses chercheurs qui ont une intuition décisive et joyeuse au moment où ils s’y attendaient le moins ; il ne dit rien de ses bibliothèques silencieuses qui livrent leurs archives au thésard qui découvre la profondeur de son sujet autant qu’il se découvre lui-même.
Contrairement à ce qui est parfois dit, l’Université française n’a jamais cessé de vibrer et de se transformer de l’intérieur.
Ceci dit, de l’avis de tous, l’excellence de la recherche et l’attractivité de nos institutions dans la concurrence internationale du savoir devaient passer par une responsabilité plus grande offerte à nos universités. Trop d’uniformité mêlée à trop d’émiettement ne pouvaient que les affaiblir. Il fallait réagir. C’est le sens de la Loi relative aux libertés et responsabilités des universités qui a été adoptée en août 2007. L’objectif était de leur offrir de nouvelles perspectives pour bâtir un véritable projet d’établissement.
Aujourd’hui 90 % des universités ont accédé à cette autonomie. A l’été 2012, soit à l’échéance de 5 ans fixée par la loi à la demande des présidents d’université, toutes seront autonomes.
Les universités peuvent désormais recruter leurs enseignants et décider de leurs rémunérations par des mesures indemnitaires. Elles ont la possibilité de déterminer leur pédagogie et de conduire leurs programmes. Elles peuvent s’associer plus facilement à des laboratoires de recherche, à des entreprises, et créer des fondations pour diversifier leurs ressources. 41 fondations universitaires ont vu le jour depuis 2007.
Une telle évolution, qui semblait difficilement envisageable jusqu’en 2007, a été réussie grâce à l’implication des responsables des universités, qui ont su mener à bien ces projets complexes. Elle est aussi l’oeuvre des organismes de recherche, des entreprises et des collectivités territoriales. Cette évolution, avec ses succès et parfois ses revers, doit se poursuivre, elle doit se poursuivre sur le long terme parce que c’est un changement de fond, c’est un changement progressif sur lequel personne ne reviendra.
Ces nouvelles responsabilités accordées aux universités impliquent une nouvelle manière de voir les choses, pour faire coïncider avec la vision prospective de l’établissement la gestion de ses moyens financiers, matériels et humains, ainsi que de ses contraintes internes et externes.
C’est le rôle du gouvernement d’accompagner les universités dans ces tâches nouvelles, mais c’est aussi celui des établissements de prendre en main leur destin.
Ce processus d’accession aux responsabilités et aux compétences élargies a favorisé le développement d’une politique de site avec la création de 21 pôles de recherche et d’enseignement supérieur qui impliquent 56 universités.
Certaines universités se sont même engagées dans des fusions en un seul établissement, comme à Strasbourg, à Marseille ou en Lorraine. Ces fusions donneront à ces universités réunies une dimension supérieure et une meilleure visibilité internationale. Ce sont les conditions pour qu’elles soient plus attractives, et pour qu’elles puissent accroître leur ambition scientifique dans la bataille du savoir.
Cette réforme institutionnelle s’est accompagnée de mesures destinées à favoriser l’égalité des chances. Et je veux en parler parce que les trajectoires brillantes que nous honorons aujourd’hui ont plus de sens encore si elles tirent vers le haut tous ceux qui hésitent et qui doutent de leur avenir.
Les lycéens doivent devenir les acteurs de leur orientation. C’est un préalable.
Choisir ses études supérieures par ignorance des disciplines existantes ou de leurs débouchés, ou pire, par défaut, est un gâchis. Et choisir de ne pas faire d’études supérieures par autocensure ou par peur de l’échec, l’est aussi.
Le processus « Admission Post Bac » a été mis en place pour amener les lycéens à construire leurs choix.
Un système d’orientation est à mis à leur disposition pour les accompagner dans le ciblage des formations universitaires les mieux adaptées à leurs goûts et à leurs capacités.
De nouvelles perspectives ont aussi été ouvertes par le développement des admissions parallèles dans certaines formations et par celui de l’alternance : le cap des 110 000 apprentis inscrits dans l’enseignement supérieur a été franchi en 2010-2011, alors qu’ils étaient moins de la moitié en 2001.
Enfin, chacun mesure le prix de la vie étudiante qui pèse sur les familles les plus modestes.
Nous avons instauré un 10ème mois de bourse pour les étudiants. Durant les cinq dernières années, il s’est accompagné d’une revalorisation des bourses de 20 % en moyenne, et d’une augmentation de plus de 25 % du nombre de ses bénéficiaires. Le budget consacré au logement étudiant est passé de 64 millions d’euros à 137, et notre objectif est de doubler le nombre de logements dédiés aux étudiants d’ici 2020 pour aboutir à 680 000 logements.
Tout ceci pour vous dire que la République choisit l’excellence et l’égalité des chances.
Et pour cela, elle y met les moyens financiers.
Entre 2007 et 2012, nous aurons augmenté de 9 Milliards d’euros les moyens de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et augmenté de 20 % les crédits aux universités, sans compter les deux grandes mobilisations financières que sont les investissements d’avenir et l’effort consenti dans le cadre du plan Campus.
Nous avons décidé de consacrer 5 Milliards d’euros à ce plan exceptionnel destiné à faire émerger des campus d’excellence qui viendront renforcer le rayonnement de l’université française.
10 campus ont été sélectionnés par un jury international, sur concours, puis 9 campus prometteurs et innovants ont été distingués.
Le second effort de la nation, c’est le programme des investissements d’avenir lancé en 2009.
Sur les 35 Milliards d’euros prévus, plus de 20 Milliards sont consacrés à la Recherche, à l’Enseignement supérieur et à la Formation.
229 projets ont été sélectionnés et ils démarrent aujourd’hui leurs activités.
Près de 70 % sont portés directement par une université ou par un groupement d’établissements comprenant une université, parce que nous avons tenu à ce que l’université soit au coeur du processus de transformation du paysage institutionnel français en matière d’Enseignement supérieur et de Recherche.
Une deuxième vague d’appels à projets est lancée, pour des premiers résultats attendus fin décembre 2011 et jusqu’en février 2012.
Parmi tous ces projets, les plus emblématiques sont les initiatives d’excellence, dotées de 7,7 Milliards d’euros. Elles devront faire émerger en France 5 à 10 pôles pluridisciplinaires de rang international, capables de rivaliser avec les plus grandes universités du monde.
Vous en êtes les témoins, l’excellence de notre formation supérieure et de notre recherche est reconnue. Mais face à la crise et dans un contexte mondial qui a ses propres règles, classement de Shanghai ou pas, il faut mettre en commun toutes nos forces, afin d’attirer les meilleurs, et afin de vous d’offrir les conditions de travail optimales.
A tous ceux qui sont aujourd’hui récompensés, je dis que l’enthousiasme qui les emporte est utile à notre pays. Aucune de leur recherche n’est inutile, aucun domaine d’investigation n’est vain. Je crois à la force entraînante de l’intelligence. C’est par la découverte d’un savoir nouveau que vous forgerez de nouvelles connaissances, qui elles-mêmes donneront naissance à d’autres connaissances qui élèveront la Nation, qui l’aideront dans sa compréhension du monde, et dans ses réalisations économiques.
Il y a 500 ans, Raphaël a peint l’une de ses plus célèbres fresques intitulée l’Ecole d’Athènes. Dans un décor magnifique qui pourrait être celui d’une autre Sorbonne, autour d’un escalier, on voit une cinquantaine de personnages vêtus de toges, à la mode antique, qui ne sont pas sans rappeler j’allais dire les lauréats honorés aujourd’hui mais aussi ceux qui les ont choisis. On y trouve, comme en cet instant, des représentants de chacune des grandes disciplines de l’esprit, en hommage au pouvoir de la raison.
On y voit les mathématiques pratiques et les mathématiques spéculatives, comme des symboles de la recherche fondamentale et la recherche appliquée, mais aussi la philosophie, qui pourrait représenter l’ensemble des sciences humaines d’aujourd’hui.
Au centre de cette grande fresque se détachent deux figures marquantes : Platon et Aristote. Le premier pointe son doigt vers le ciel et le second vers la terre. C’est là l’image des deux continents entre lesquels vous naviguez : les contraintes de la nature et les espaces infinis de l’esprit ; les profondes vallées de la réalité et les hauteurs de la pensée; le terreau fertile de notre société et le goût pour l’excellence qui vous guidera sans cesse dans vos travaux.
La recherche est une exigence.
La découverte de nouvelles connaissances est le ferment d’une société qui veut maîtriser son destin, et qui, pour cela, ne renonce pas à sonder lucidement son âme afin de trouver les chemins raisonnables du progrès.
Votre tâche est déterminante, parce qu’elle est essentielle à notre avenir commun. Voilà simplement ce je suis venu vous dire, en célébrant tout à la fois vos mérites mais aussi vos responsabilités.
Source http://www.gouvernement.fr, le 6 décembre 2011