Déclaration de M. Michel Mercier, ministre de la justice et des libertés, sur la coopération juridique et judiciaire entre l'Algérie et la France, à Lyon le 17 février 2012.

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Circonstance : Conférence de jumelage des cours d'appel d'Algérie et de France, à la Cour d'appel de Lyon le 17 février 2012.

Texte intégral

Monsieur le Conseiller du ministre,
Monsieur le Procureur général près la Cour de cassation,
Monsieur le Consul général,
Monsieur le Secrétaire général,
Madame et Messieurs les premiers présidents,
Messieurs les procureurs généraux,
Messieurs les bâtonniers,
Mesdames et Messieurs les magistrats et les hautes personnalités,
Mesdames, Messieurs,
C’est un plaisir d’être parmi vous aujourd’hui pour cette Conférence de jumelages des cours d’appel de nos deux pays. Alger-Paris, Constantine-Grenoble, Oran-Bordeaux, Tlemcen-Montpellier, Sidi-Bel-Abbes-Colmar, et Annaba-Lyon, grâce à ce jumelage ont développé d’étroites relations d’échanges et de formation. Je suis ravi que nous nous retrouvions aujourd’hui à Lyon pour célébrer la coopération juridique et judiciaire franco-algérienne. Ce n’est pas si souvent qu’un tel événement international peut avoir lieu en région, sur le lieu même où concrètement se nouent vos échanges.
C’est un hommage rendu, et mérité, à la remarquable synergie qui s’est construite sur le terrain entre nos magistrats, entre nos professions juridiques et judiciaires, entre nos écoles de formations (magistrature, greffe, administration pénitentiaire).
Cet excellent résultat que nous pouvons constater aujourd’hui a, en effet, été rendu possible par l’engagement de tous. Je veux dire combien le ministre de la justice et des libertés que je suis est attaché à ces projets communs, car je sais l’importance d’unir les talents, de fédérer les compétences. Dans un monde globalisé, la justice a su s’ouvrir et relever les défis de l’internationalisation.
I. Cette coopération des acteurs juridiques et judiciaires de nos deux pays est un symbole fort.
Quel chemin parcouru en à peine dix ans ! En 2003, nos chefs de l’Etat signaient une déclaration commune qui marquait la relance de la coopération juridique entre nos deux pays, lui donnant une impulsion nouvelle. Pour autant, et pour symbolique qu’elle soit, cette déclaration est aussi venue prolonger une action commune menée, sur le terrain, par les juristes français et algériens (magistrats, écoles de formations, professionnels du droit se sont engagés dans des actions d’échanges et de formation).
1. Ces dernières années ont été marqué par le renforcement de notre coopération judiciaire : un magistrat de liaison français a ainsi été nommé à Alger depuis le 1er septembre 2009 ; un magistrat algérien a été installé en France par vos autorités depuis mars 2011. C’est un signe fort de cette coopération riche et pérenne que nous voulons entre nos pays.
2. Des liens forts unissent nos écoles de formation, qu’il s’agisse de la magistrature, des greffes ou de l’administration pénitentiaire nous avons développé des programmes de formation à long terme, fondés sur un échange de connaissances et de bonnes pratiques.
Ainsi, pour la première fois, en 2011, six auditeurs de justice français ont effectué un stage d’un mois à Alger. Ils ont ainsi pu découvrir le fonctionnement de vos juridictions, mais aussi celui de la direction général de l’administration pénitentiaire, de l’école de la magistrature et du centre de recherche juridique et judiciaire. De notre côté, notre école nationale de la magistrature a accueilli des magistrats algériens sur le thème de la lutte contre la criminalité organisée, en particulier la délinquance économique et financière, afin d’accompagner la mise en place de pôles judiciaires spécialisés en Algérie.
C’est une collaboration particulièrement fructueuse, par laquelle nous avons renforcé les liens qui unissent de longue date nos deux pays, dans ce domaine si essentiel de la justice. Nos échanges en matière de bonnes pratiques ont porté également sur l’inspection des services pénitentiaires et sur le fonctionnement des services d’insertion et de probation. Je me réjouis que nos réflexions se rejoignent sur certains thèmes aussi importants que le sens de la peine et le travail d’intérêt général. En témoigne le succès de ce séminaire qui a réuni, à Alger, une centaine de participants algériens alors que votre pays s’est engagé dans une réforme pénitentiaire d’ampleur.
3. Bien sûr, et c’est ce qui nous réunit aujourd’hui, notre coopération se traduit par un renforcement
des liens entre nos juridictions. Leur jumelage est, à cet égard, un signe fort. Comme je le disais il y a quelques instants, 6 de nos cours d’appel sont aujourd’hui jumelées, témoignant de la volonté de nos deux pays d’intensifier leurs échanges professionnels, de partager des outils opérationnels. Cette coopération s’exprime très concrètement chaque jour, au travers de nos magistrats référents. En 2012, les actions menées conjointement par les cours d’appel d’Alger et de Paris, pour ne citer qu’un exemple, porteront sur les modes alternatifs de règlement des conflits en matière civile ou les commissions rogatoires internationales et les dénonciations officielles.
C’est par de telles actions concrètes, par cet esprit d’ouverture qui président à nos échanges, que nous pouvons enrichir nos pratiques, et permettre une meilleure connaissance de nos institutions judiciaires aussi auprès du grand public. Nos cours suprêmes ont ainsi amorcé un important travail de mise à disposition de leurs décisions de principe, accompagnée de traductions en français et en arabe. Je suis convaincu qu’en promouvant le droit comparé, en comprenant mieux les systèmes juridiques et judiciaires de chaque pays, nous donnons des bases solides à une confiance mutuelle et enrichissons la réflexion sur les problématiques communes.
Forte de ce réseau de liens entre nos juridictions, notre coopération s’est récemment étendue à la justice administrative avec un jumelage de nos Conseils d’Etat. Au printemps prochain ce seront nos corps d’inspection des services judiciaires qui entreront dans cette dynamique de jumelage.
Mais cette action commune ne s’arrête pas aux portes de nos tribunaux, elle concerne aussi les professions juridiques et judiciaires. Notaires, avocats, huissiers de nos deux pays ont mis l’accent sur la formation. La signature du troisième protocole d’accord en 2010 entre le conseil supérieur du notariat français et la chambre nationale des notaires d’Algérie vise ainsi à développer la formation des jeunes notaires et à mettre en place des outils technologiques modernes.
II. Poursuivre et approfondir cette coopération est notre objectif commun, cette rencontre doit nous permettre de regarder vers l’avenir et de tracer ses perspectives.
1. Je veux vous dire l’attachement du gouvernement français à l’accomplissement de cette ambition : elle constitue un ferment à l’émergence d’une culture judiciaire commune non seulement entre nos deux pays, mais aussi et plus largement entre les pays européens et les pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient.
La création, à l’initiative de la France, du réseau euro-arabe de formation judiciaire a constitué une véritable avancée dans ce sens. Je veux saluer le rôle primordial de l’Ecole algérienne de la magistrature, en partenariat avec l’ENM, dans la promotion de ce réseau. L’Ecole algérienne, par son rôle d’interface avec les pays de la ligue arabe, a été très fédératrice. Je suis ravi que la première session de formation ait lieu, cette année, sur votre territoire ; elle portera sur un thème majeur : l’entraide judiciaire en matière familiale.
2. Si cette manifestation vient aujourd’hui célébrer les réussites de notre coopération juridique, aussi bien que tracer ses perspectives, je suis convaincu que nous devons également saisir cette occasion pour réfléchir aux questions d'entraide judiciaire civile (notamment en matière familiale) et pénale, dans les dossiers qui lient l’Algérie et la France.
Je pense en particulier aux enjeux grandissant de la coopération judiciaire franco-algérienne en matière de déplacement illicite d’enfants.
Du fait des liens forts qui unissent nos deux pays et de notre histoire commune, mais aussi en raison d’une mobilité internationale toujours accrue, de plus en plus de couples algéro-français s’établissent de part et d’autre de la Méditerranée. Lorsqu’ils se séparent, la plupart agissent en parents responsables et s’accordent sur la garde ou se conforment aux décisions judiciaires rendues en la matière. Néanmoins, certains cas prennent souvent et rapidement une tournure dramatique : un parent retourne dans son pays en emmenant les enfants ou en les y retenant alors qu’il n’a pas l’accord de l’autre et qu’il n’a pas sollicité avant de partir l’autorisation du juge.
Ces situations préjudicient aux enfants, qui sont privés d’une partie du lien filial essentiel à leur construction, séparé souvent aussi de la fratrie. Chacun comprendra ici l’importance pour ces enfants de préserver des liens avec leurs deux parents.
Je sais l’attachement de nos pays, tous deux parties à la Convention de New-York sur les droits de l’enfant, à protéger ce droit qui appartient à tout mineur. Mais reconnaissons qu’aujourd’hui, nous pouvons et nous devons faire mieux pour que ces situations trouvent une issue favorable. Près d’une quarantaine de dossiers sont actuellement pendants entre nos deux pays : Nous ne pouvons accepter que ces situations humaines très difficiles s’inscrivent dans le temps. Si je comprends que le juge puisse être tenté de tenir compte de la situation de fait, au nom de l’intérêt de l’enfant, je crois toutefois anormal de donner gain de cause à un parent qui a agi au mépris du droit.
Nous devons réfléchir ensemble aux moyens d’améliorer notre coopération en ce domaine. Je crois que notre cadre de coopération n’est plus parfaitement adapté à ces situations. Je m’interroge en effet sur les limites de l’Echange de lettres du 18 septembre 1980 relatif à la coopération et à l’entraide judiciaire, sans compter que le champ d’application très restreint de la convention du 21 juin 1988 relative aux enfants issus de couples mixtes séparés franco-algériens conduit à de nombreuses situations de blocages.
Il n’est pas rare de voir des décisions contradictoires rendues dans nos deux pays, dans un temps pourtant proche. Que peuvent y comprendre nos justiciables ? Comment peuvent-ils l’expliquer à leurs enfants, premiers concernés par ces décisions ?
Pour être exécutoire dans un autre Etat, une décision doit bien sûr d’abord être reconnue. Mais là encore, nos justiciables rencontrent les plus grandes difficultés pour faire reconnaître et exécuter leurs décisions. Les procédures d’exequatur sont souvent longues et complexes et peuvent aboutir à des décisions de rejet incomprises.
Je crois que, dans l’intérêt de nos justiciables, nous devons privilégier des procédures simples, rapides et garantes de la sécurité juridique. Une telle évolution suppose de poursuivre la réflexion commune engagée en 2005 afin de trouver les solutions adaptées, et s’il le faut de perfectionner les instruments de coopération existants. La Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, celle du 19 octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l'exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants, pourrait constituer, si l’Algérie y adhérait, un excellent cadre à cette coopération qui serait de nature à faciliter le travail commun.
Grâce aux rencontres, aux échanges entre magistrats, le traitement de ces dossiers pourra s’améliorer, favorisant ce climat de confiance réciproque si nécessaire à la résolution de ces situations humainement douloureuses.
Notre coopération juridique et judiciaire s’est considérablement enrichi ces dernières années, elle se déploie à présent sur des champs extrêmement variés. La force des liens qui nous ont unis au fil de l’histoire y a évidemment contribué ; la mobilisation et la détermination des autorités publiques, des magistrats, des professions juridiques et judiciaires a évidemment été déterminante.
Cette relation historique, aujourd’hui apaisée, et les réussites que nous observons nous permettent d’envisager l’avenir avec optimisme et détermination. C’est une excellente chose, car la réflexion sur nos sujets d’intérêt commun ne peut que s’enrichir du partage d’expérience et de connaissances. Cette conférence en constitue le meilleur témoignage.
Je vous remercie.Source http://www.ca-lyon.justice.fr, le 2 mars 2012