Extraits de l'entretien de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, avec "Europe 1" le 22 mars 2012, sur la tuerie de Toulouse, l'antisémitisme et la lutte contre le terrorisme, et le procès de Florence Cassez au Mexique.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Europe 1

Texte intégral

Q - Les prochaines heures, dans l’affaire de Toulouse, seront décisives. Claude Guéant vient de dire, «Nous espérons qu’il est encore vivant». Les autorités françaises le voulaient vivant pour qu’il soit jugé.
R - Nous le voulons toujours vivant pour qu’il soit jugé et que les familles puissent ainsi assumer leur deuil. Vous savez, hier, dans le cimetière de Jérusalem, l’émotion était bouleversante quand on a vu arriver sur des brancards, enveloppés dans des linceuls, ces corps, dont trois corps d’enfants. La gorge se nouait.
Q - Ils étaient dans le même avion que vous quand vous êtes allé de Paris à Tel Aviv…
R - J’ai voyagé à côté de Mme Sandler qui a perdu son mari, deux de ses enfants, et qui avait dans ses bras un petit bébé. C’est l’horreur absolue. J’ai voulu me rendre là-bas pour dire à la communauté juive, au peuple d’Israël, que le peuple de France partageait son émotion et sa douleur.
Q - Oui, vous avez trouvé des formules : «Vos douleurs sont les nôtres, c’est le sang de nos deux pays qui a coul黅
R - Je leur ai dit aussi que la France entière était bouleversée. Au-delà même de la communauté juive française, toutes les religions et tous ceux qui n’ont pas de religion aussi se sont retrouvés dans un grand moment d’unité nationale pour lutter contre le péril terroriste qui nous menace. La France n’est pas à l’abri même si elle est protégée par l’efficacité de ses services de renseignement qui, jusqu’à cette tragédie, avaient évité que ne se produisent des attentats sur le sol national.
Q - Encore un mot sur Israël : les dirigeants d’Israël vous ont-ils dit que la France est antisémite, xénophobe et raciste ?
R - Non ! Ca, c’est une idée qu’il faut arrêter de véhiculer. Je l’ai dit de façon publique, nous avons marqué des points au cours des dernières années contre l’antisémitisme. Le nombre d’actes antisémites s’est véritablement effondré au cours des dernières années. Bien sûr, il y a cette tragédie, mais je voudrais rappeler que ce monstre a tué des personnes appartenant à diverses religions : des juifs, mais aussi des musulmans et un chrétien.
Q - L’homme qui a tué toutes les religions !
R - Le terrorisme s’attaque à tout.
Q - En France et en Europe, les «jihadistes» sont une menace qui est déjà prise en compte, mais est-ce qu’ils sont sous-estimés ?
R - Nous prenons cette menace en compte et nous sommes fort exposés. Je voudrais le rappeler, quand je suis arrivé au ministère de la Défense, en janvier de l’année dernière, il y a eu la prise d’otages de deux de nos concitoyens au Niger qui ont été tués. Nous avons encore aujourd’hui, il faut se le rappeler, six otages au Sahel, détenus par AQMI - Al Qaïda au Maghreb islamique - et un otage dans la Corne de l’Afrique. La France est donc évidemment ciblée par le terrorisme, comme beaucoup d’autres pays.
Nos services de renseignement - François Heisbourg le disait il y a peu de temps sur votre antenne - sont remarquablement efficaces. Évidemment, ils n’ont pas pu éviter cette tragédie…
Q - Vous parlez de la présence de d’AQMI dans le Sahel et au Mali. Il vient d’y avoir un coup d’État au Mali. Quelle est la position de la France ?
R - Nous avons condamné ce coup d’État militaire parce que nous sommes attachés au respect des règles démocratiques et constitutionnelles. Nous demandons le rétablissement de l’ordre constitutionnel, des élections. Elles étaient programmées pour le mois d’avril, il faut qu’elles aient lieu le plus vite possible pour que le peuple malien puisse s’exprimer. Et puis, surtout, nous travaillons depuis des mois avec nos partenaires de la région et les organisations régionales pour engager un dialogue entre les rebelles du nord, les Touaregs, et le régime de Bamako.
Q - Oui, mais c’est un nid terroriste aussi cette région…
R - Le Sahel est un nid terroriste, bien sûr, et nous agissons. Nous essayons de fédérer, là aussi, les pays de la région parce que c’est à eux de monter en première ligne. Nous les aidons, l’Europe les aide à se battre contre ce fléau.
Q - Une centaine d’Européens sont parait-il recensés en Afghanistan aujourd’hui. Ils combattent avec les Taliban. On parle d’une quinzaine, une vingtaine de Français dont la liste est établie. Pourquoi n’y a-t-il pas plus de moyens pour mieux les contrôler, contrôler les cellules, les petites cellules qui sont en train de s’organiser et pour les empêcher d’agir ?
R - Ils sont contrôlés. D’ailleurs, si j’ai bien entendu les informations que vous avez diffusées, l’auteur de ces attentats monstrueux a été interrogé récemment par les services de renseignement. Je comprends que l’on puisse se poser la question de savoir si il y a eu une faille ou pas ; il faut faire la clarté là-dessus.
Q - Quel genre de faille ?
R - Comme je ne sais pas s’il y a eu une faille, je ne peux pas vous dire quel genre de faille, mais il faut faire la clarté là-dessus.
Et en tout cas, il faut que nous continuions à nous mobiliser contre le risque terroriste. Je voudrais aussi quand même saluer la façon dont le président de la République et le ministre de l’Intérieur se sont engagés nuit et jour pour mobiliser nos forces de police et l’institution judiciaire. Le résultat est là : très rapidement, nous avons pu identifier et cerner l’auteur de cet attentat monstrueux.
Q - Mohamed Merah reconnaît qu’il avait combattu dans les rangs des Taliban, en Afghanistan. La France est une coalition engagée en Afghanistan. Est-ce que le président et son gouvernement vont réviser la politique française en Afghanistan ? Est-ce que vous allez rentrer plus vite, comme on vous le demande, dans la campagne ?
R - Cette question me paraît, pardon de vous le dire, tout à fait étrange. Pourquoi sommes-nous en Afghanistan ? Pour lutter contre le terrorisme, très précisément. Donc, ça veut dire qu’il faut plier bagage comme ça, dans la panique, pour céder au terrorisme ? Certainement pas !
Si nous sommes là-bas, je le répète, c’est notamment pour lutter contre le terrorisme. Par ailleurs, nous avons engagé un plan de retrait de nos soldats. Le retrait a commencé en coordination avec nos alliés.
(…)
Q - Un mot sur le procès de Florence Cassez. Les juges de Mexico ont décidé qu’elle resterait en prison. Est-ce qu’il reste un espoir et est-ce que c’était un vrai procès ?
R - Il y a un espoir puisque précisément les juges ont reconnu qu’il n’y avait pas eu un vrai procès, et ça c’est un progrès, entre guillemets, très important. Alors, j’espère maintenant qu’une nouvelle décision, soit de la Cour suprême, soit d’un tribunal…
Q - …mais cela doit venir du Mexique.
R - Bien sûr !
Q - Que faisons-nous en France ?
R - Nous disons que nous constatons que la Justice mexicaine reconnaît que Florence Cassez n’a pas eu un procès équitable ; ce que nous pensions depuis longtemps. Il faut absolument aujourd’hui qu’elle puisse avoir un traitement équitable et, je le pense, recouvrer sa liberté parce qu’il y a beaucoup de raisons de penser qu’elle est innocente.
Q - Sur la Syrie, les Russes ont bougé…
R - Les Russes ont un peu bougé puisque nous avons enfin adopté, à l’unanimité, un texte aux Conseil de sécurité des Nations unies qui va permettre, je l’espère, à Kofi Annan d’obtenir un cessez le feu. Vous savez combien la France est en première ligne dans ce combat.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 mars 2012