Texte intégral
Q - Une semaine européenne très chargée, avec le Sommet de Göteborg en fin de semaine, une rencontre franco-allemande aujourd'hui, vous revenez de Luxembourg. Le référendum irlandais a dit "non" au Traité de Nice qui permet l'extension de l'Europe et la réforme des institutions. Est-ce que cela révèle une Europe malade ?
R - Le fait que les réunions aient lieu, c'est la vie normale de l'Europe qui est intense ; il y a souvent des périodes comme cela. Le "non" des Irlandais pose naturellement un problème, c'est regrettable. Les analystes ont l'impression que c'est lié à la crainte qu'ont les Irlandais de voir l'Irlande perdre sa neutralité, son indépendance à travers l'Europe de la défense. Mais c'est un problème d'explication parce qu'il n'y a pas d'obligation pour les pays participants...
Q - ...Ils ont des craintes sur le plan fiscal.
R - Ils ont des craintes sur le plan fiscal parce que l'Irlande a une fiscalité très particulière et qu'elle ne veut pas trop l'harmoniser. Il y a l'aspect de la Charte des valeurs fondamentales qu'ils n'aiment pas du tout, qui heurtent certaines convictions irlandaises. Mais là aussi, en tout cas à ce stade, elle n'a pas force de loi. Du point de vue de ceux qui se sont déplacés pour voter "non", c'est un peu un contresens, ce qui fait que nous sommes amenés à penser que les autorités irlandaises peuvent trouver le moyen de reposer la question à un autre moment, dans un meilleur contexte - elles le peuvent parce que nous avons jusqu'à fin 2002 pour ratifier Nice, ce sont les engagements qu'ont pris les Quinze. Nous allons le faire bientôt et naturellement, les quatorze autres continuent de ratifier Nice jusqu'à fin 2002. Nous avons le temps que les Irlandais reprennent le sujet avec une meilleure présentation. De plus, il y a eu très peu de votants.
Q - 30% à peu près.
R - C'est embêtant, c'est tout à fait regrettable.
Q - Il n'est pas question pour autant de refaire le Traité de Nice ou de le supprimer, de l'annuler ?
R - Il n'est pas question de le supprimer parce que c'est un pas important, qui ne va pas assez loin aux yeux de certains mais qui va trop loin pour d'autres : la preuve. C'est un bon équilibre, nous en avons besoin pour poursuivre, pour mieux fonctionner - chaque institution est améliorée par Nice. Nous en avons besoin pour l'élargissement, c'est un préalable nécessaire à la gestion de l'élargissement. Il n'y a donc pas à rouvrir. Attendons que les dirigeants irlandais aient fait l'analyse complète de la situation.
Q - Aujourd'hui, l'Assemblée nationale doit justement adopter le projet de loi pour la ratification de ce Traité de Nice. Pensez-vous que ce qui s'est passé en Irlande peut modifier l'attitude des députés français ?
R - Je ne le pense pas parce que leur attitude est fondée sur une analyse de fond, avantages-inconvénients. Personne ne trouve que ce Traité est extraordinaire, - nous non plus - mais nous faisons remarquer que c'est le meilleur résultat possible dans les circonstances que nous connaissons. Tous ceux qui ont décidé de le voter l'ont décidé après mûres réflexions et ce n'est pas cet événement regrettable - mais qui devrait pouvoir être surmonté - qui devrait changer cette analyse de fond qui porte sur ce dont nous avons besoin pour l'Europe, pour poursuivre notre marche en avant.
Q - Dans quelques instants, vous partez à Fribourg avec le Président Jacques Chirac et le Premier ministre Lionel Jospin pour un Sommet franco-allemand qui a lieu tous les six mois. Cette difficulté irlandaise sera certainement au menu. Comment aller au-delà ?
R - Il n'y a rien à décider au niveau franco-allemand. Naturellement, nous allons en parler, mais nous allons surtout en parler au Conseil européen qui a lieu à la fin de la semaine en Suède, à Göteborg. Nous pourrons y entendre l'analyse des Irlandais. Mais nous poursuivons nos travaux. Dans cette réunion franco-allemande, nous préparons toute une série d'autres sujets qui seront traités à Göteborg et qui relèvent de l'économie, du développement durable, de la gestion de l'élargissement. Les négociations sur l'élargissement sont vraiment dans le coeur de la difficulté maintenant. Nous avons donc à résoudre régulièrement des problèmes posés par tel ou tel sujet.
Q - La France et l'Allemagne sont d'accord sur l'élargissement ?
R - Oui, la France et l'Allemagne sont d'accord. Il y a d'ailleurs eu beaucoup de rencontres franco-allemande depuis le mois de janvier. Nous passons en revue, au cours de dîners à cinq personnes ou lors de rencontres à deux ou trois personnes, tous les sujets. Sur l'élargissement, nous sommes presque sur les mêmes positions. Chaque fois qu'il y a une petite différence, on l'ajuste. Nous n'avons pas tout à fait les mêmes intérêts parce que nos économies ne sont pas fabriquées de la même façon mais la convergence est bonne, elle est solide. La dernière difficulté qui est apparue concernait l'Espagne et les autres Européens - nous avons réglé le problème hier -, ce n'était pas un problème franco-allemand.
Q - Aujourd'hui, George Bush arrive en Europe, c'est la première visite en Europe du nouveau président américain. Il vient évidemment parler des missiles parce que cela lui tient à cur, mais on lui parlera aussi de l'environnement et de la peine de mort. Est-ce sur l'environnement, notamment sur le fait que les Etats-Unis n'appliquent pas les décisions de la Conférence de Kyoto, que les Européens vont l'interpeller ?
R - Les principaux sujets autour des grandes étapes de sa visite en Europe, sont en effet la question de l'environnement et le fait que les Etats-Unis aient déclaré, par la bouche de leur Président, qu'ils ne ratifieraient pas le protocole de Kyoto. Or, c'est ce que la communauté mondiale a quand même élaboré de mieux, même si ce protocole est imparfait, pour lutter contre le réchauffement climatique qui n'est malheureusement plus contesté par aucun scientifique. La réaction européenne est très simple : un pays qui fait 25 % des rejets de gaz à effet de serre à lui tout seul ne peut pas s'abstraire de l'effort mondial. Si les Américains ont un meilleur système que Kyoto, d'autres initiatives, qu'ils nous les expliquent... Mais on ne peut pas imaginer que les Etats-Unis restent en dehors de cela. Ou alors, ce serait vraiment qu'ils auraient une approche genre "chacun pour soi", mais on ne peut pas avoir cette approche, nous sommes obligatoirement solidaires. C'est l'un des gros sujets sur lequel il est inquiété dans ses positions, les Européens sont d'accord entre eux là-dessus. Il va donc certainement en être question lors du dîner en Suède qui précède le Conseil européen.
Q - Peut-il y avoir une sorte de marchandage consistant à dire aux Américains que s'ils reviennent à des positions d'écoute à propos du réchauffement climatique, les Européens écouteront leurs positions sur la défense antimissile ?
R - Sur le réchauffement, il faut plus que de l'écoute, il faut des actions, des mesures précises pour enrayer cette évolution dangereuse pour la planète.
Q - Peut-il y avoir un donnant-donnant ?
R - Ce n'est pas tout à fait du même genre. De toute façon, on va s'écouter et bien sûr, il va s'expliquer. C'est une très bonne prise de contacts entre le président Bush et les Européens. Il faut espérer que ce voyage, ainsi que le suivant qu'il fera pour le sommet du G8, fera évoluer cette administration américaine vers plus de négociation, plus d'ouverture à nos thèses alors qu'elle a démarré dans un état d'esprit un peu unilatéraliste.
Q - Vous la trouvez un peu dominatrice ?
R - En tout cas, unilatéraliste. Nous souhaiterions qu'ils reviennent à une approche plus négociée des sujets./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 juin 2001)