Texte intégral
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Q - Lintitulé de votre ministère : cest le ministre chargé du Développement et non plus le ministre de la Coopération, pourquoi ce changement ?
R - Cest un choix qui a été voulu par le président de la République et le Premier ministre justement de bien marquer le fait que ma responsabilité, la responsabilité du ministère chargé du Développement, cest de soccuper de la politique de développement sur lensemble des zones qui ont en besoin en Afrique, bien évidemment, mais aussi en Amérique latine, aussi en Asie et être dans cet espace global où la France veut peser.
Q - Et pourquoi pas la Coopération, cétait ce nest pas un terme insultant Coopération ?
R - Mais cela renvoie aussi à une certaine histoire et la volonté, cétait de montrer quil y avait un ministère du Développement dont la seule mission était dassurer, de mener à bien des politiques de développement, daide publique au développement comme aussi de sintéresser à lensemble des questions qui impactent les pays en développement. On va parler de Rio tout à lheure - ce nest évidemment pas laide publique au développement mais cest un enjeu majeur pour faire en sorte que de nouvelles politiques publiques mondiales émergent.
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Q - Il est beaucoup question, depuis larrivée de François Hollande au pouvoir de ce débat entre la rigueur et la croissance. Est-ce que vous, en tant que ministre du Développement, donc ministre du gouvernement, vous pensez que lon peut avoir les deux en même temps, que lon peut avoir la rigueur et la croissance ?
R - Je pense que le fait que lélection de François Hollande ré-ouvre ce débat qui était tout de même figé en Europe et qui maintenant avec la nomination de Mario Monti en Italie, lélection de François Hollande en France, les problèmes rencontrés en Espagne, les problèmes rencontrés aux Pays-Bas, les problèmes rencontrés par David Cameron en dehors de la zone euro, montrent bien que le logiciel de la politique - qui était la discipline fiscale uniquement - ne fonctionne pas. Je ne fais même pas didéologie, cest juste pragmatiquement que cela ne fonctionne pas, et donc il faut nécessairement lui adjoindre dautres dimensions dinvestissement, des dimensions de coordination fiscale et cest exactement cela qui est sur lagenda en Europe avec un «momentum», un moment important, qui est le Sommet européen de fin juin, sur lequel on doit arriver à une solution parce que lon ne peut éternellement pas faire durer ce débat.
Q - Le débat, qui nest pas réglé pour linstant, cest sur les modalités de cette croissance. Est-ce que cest de linvestissement, est-ce que cest de la flexibilité donc est ce que justement à loccasion de ce sommet, par exemple, on va avancer un peu concrètement sur ce que sera cette croissance ?
R - Écoutez, je ne suis pas ministre de lÉconomie et des Finances !
Q - Cela ne nous a pas échappé !
R - Cela ne vous a pas échappé ! Même si dans le passé au Parlement européen, je suivais toutes ces questions-là ! Le nouvel agenda, qui est posé par la France, est totalement indispensable sinon on va dans le mur ! En même temps, il est aussi extrêmement clair que lidée de dire : «il ny a plus de dette, il ny a plus de déficit, ce nest plus un sujet, abandonnons toute discipline budgétaire» nest pas non plus une option. On est donc en train dessayer de tracer le chemin, qui est de dire : «oui, il faut de la discipline budgétaire pour des raisons évidentes mais il faut aussi des politiques dinvestissement». Il y a effectivement lagenda de flexibilisation qui est porté par certain, qui nest pas porté par la France, on va voir quels sont les compromis sur ces sujets.
Q - Quest ce que vous dites sur les réformes structurelles concernant le marché du travail en Allemagne ?
R - Il ny a pas de smic en Allemagne ! Si on dit aujourdhui aux Français : «on va faire sauter le smic» il est impossible que cela soit souhaitable et que ce soit même praticable. Les modèles ne peuvent pas se dupliquer dun État à un autre. Dailleurs, la flexibilisation du marché du travail namène pas de croissance en soit, prenez les deux marchés les plus flexibles : le Royaume-Uni et les États-Unis. Vous avez un taux de chômage aux États-Unis qui bat des records historiques. Vous avez une dette et un déficit au Royaume-Uni qui sont supérieurs à ceux de la France.
Q - Si je puis me permettre qui bat des records historiques à 8 % alors que nous, nous sommes à 11 %...
R - Oui, bien sûr mais qui bat des records historiques par rapport aux États-Unis avec un système social beaucoup plus faible que le nôtre, avec des allocations chômages qui durent beaucoup moins longtemps et donc limpact humain dun taux de chômage à 8 % aux États-Unis est complètement dramatique. Il ny a donc aucune preuve qui montrerait que flexibiliser le marché du travail ne serait synonyme de réinvestissement pour relancer la machine. Pragmatiquement, je regarde les chiffres, je ne fais pas didéologie là-dessus. On a vraiment besoin dune stratégie collective dinvestissement, cest exactement cela le sujet dont on parle dans les négociations avec les Allemands. Évidemment, moi en tant quécologiste, je travaille à ce que ces investissements soient pertinents, utiles et donc les plus écologistes possibles !
Q - Cela pose la question du financement parce quil y a un certain nombre de contraintes budgétaires quil faut respecter, il y a un cadre européen quil faut respecter sous peine de dérive totale, doù la question : comment financer ces investissements ?
R - Cest pour cela que les sujets des euro-obligations, les sujets des «projects bounds», des obligations européennes dédiées, fléchées sur un certain nombre détablissement, la question du capital de la Banque européenne dinvestissement qui avec 10 milliards de capital peut sendetter elle-même et faire à peu près entre 80 et 100 milliards dinvestissement supplémentaires, que tout cela cest lagenda de financement de linvestissement qui est en cours de négociation. Votre question est parfaitement légitime, cest exactement cela qui est en cours de négociation.
Q - Quel bilan détape faites-vous, notamment sur les euros-obligations ? Visiblement Mme Merkel nest toujours pas convaincue quil faille aller vers les euros obligations ?
R - Non, mais Mario Monti a dit hier, que, pour lui, cétait un point darrivée nécessaire et incontournable. Cétait pareil pour la Belgique de Elio di Rupo, il y a quelques jours. Le débat a donc lieu, je ne sais pas quel sera le résultat, encore une fois, je ne suis pas à la table des négociations, je ne suis pas le ministre de lÉconomie et des Finances, ni le Premier ministre ni le président de la République. Ce qui est sûr, cest que lon ne peut pas avoir une zone monétaire intégrée, on ne peut pas avoir la même monnaie, si on ne poursuit pas la voie dans lintégration politique - et une partie de lintégration politique cest le fait davoir une dette publique unique -, on ne va pas avoir une dette publique unique sur lensemble du stock de dettes demain matin. En même temps, les États-Unis ont fait ce choix davoir une dette publique unique, il y a près de 240 ans. Est-ce que lon ne peut pas envisager demain de faire ce que les États-Unis ont fait il y a 240 ans ? Je pose la question et jespère que lon pourra y répondre.
Q - Cela sappelle les États-Unis dEurope !
R - Cest un pas. Nous, les écologistes européens, sommes fédéralistes. On nest pas majoritaire aujourd??hui, très bien !
Q - Donc vous êtes favorables aux États-Unis dEurope, cest un concept !
R - À titre personnel et politique : oui. Je ne dis pas que cest la position actuelle du gouvernement français. Mais simplement le fait de se dire on a une monnaie unique, si on veut la conserver, si on veut en tirer tout le bénéfice, il faut aller vers davantage dintégration politique et cela passe par des émissions de dettes souveraines communes. Je ne suis vraiment pas le seul à le dire et même des personnes qui ne sont pas fédéralistes le disent. Cest clairement un chemin qui est devant nous.
Q - Donc, si je vous comprends bien, vous êtes quand même en train de nous expliquer que lAllemagne pour le moment ne bouge pas beaucoup sur cette question, mais que lespoir du nouveau gouvernement français, cest davoir dautres gouvernements derrière la position de Paris pour essayer dinfléchir, dans un rapport de force, la position de Berlin
R - Oui, cela ne vous aura pas échappé que si lon est tout seul et isolé, on gagne rarement. Il faut effectivement créer des alliances et ces alliances, cest par exemple avec lItalie, cest par exemple avec lEspagne, par exemple avec la Belgique, par exemple avec la Pologne, ce sont des États qui sont prêts à faire un pas en avant dans lintégration politique. Maintenant, effectivement, lAllemagne y est prête à certaines conditions ; donc, discutons des conditions, le SPD y est prêt. Parce que quand vous dites lAllemagne, on a limpression que cela serait un bloc unique
Q - Je parle de lAllemagne dans le sens du gouvernement allemand.
R - Oui, mais cest important ! Parce que cela ne vous a pas échappé quil y avait eu une alternance en France et de lautre côté en 2013, il pourrait y avoir une alternance en Allemagne puisquil y a des élections. Si les conditions politiques sont remplies, cest tout à fait possible dans le cadre dun gouvernement François Hollande - SPD Grünen, par exemple, davoir deux majorités politiques pour soutenir des euro-obligations à moyen terme, pour soutenir laugmentation du capital de la BEI, pour soutenir une action sur la Banque centrale européenne, donc cest possible, ce nest pas de lutopie !
Q - Tant que Merkel est là, cest compliqué ?
R - Non, parce que vous savez aussi quil faudra que lAllemagne ratifie le Traité budgétaire qui a été négocié il y a quelques mois et que pour ratifier il faut une majorité des deux tiers au Bundestag et que Mme Merkel na pas cette majorité sans les Verts allemands et sans le SPD, et donc les conditions sont sur la table. Toutes choses étant égales par ailleurs, la négociation qui a eu lieu à Bruxelles entre les différents chefs dÉtat a aussi eu lieu à Berlin entre les différents partis politiques et les choses bougent.
Q - Ce qui est clair, sans nier limportance de laxe franco-allemand, manifestement votre gouvernement, en tout cas vous, vous prônez un élargissement ?
R - Cest une stratégie évidente du gouvernement français.
Q - Avec les autres partenaires européens.
R - De toute façon, on a critiqué suffisamment le diktat, le gouvernement à deux de Nicolas Sarkozy et dAngela Merkel pour ne pas refaire la même chose.
Q - Cest quoi la position aujourdhui ? Le moteur franco-allemand, cest quoi aujourdhui ? Cest quand même quelque chose qui reste très important, un peu au-dessus des autres collaborations avec dautres pays ? Quel est le positionnement aujourdhui du gouvernement français ?
R - LAllemagne, cela naura échappé à personne, est une grande puissance économique, il y a des éléments de blocage au sein du gouvernement allemand actuel et par définition si lon veut discuter, aboutir à un résultat qui permet de faire sauter ces éléments de blocage il faut discuter avec eux. En même temps, ce nest pas uniquement dans le tête-à-tête que lon va régler les problèmes parce quil y a des alliances à construire avec les Espagnols, avec les Italiens et avec les autres, cest une vision tout à fait normale de la gouvernance de lUnion européenne et cest le contraire qui ne serait pas normal.
Q - Est-ce que toute cette construction, toute cette discussion, ne risque pas de se casser la figure si la Grèce senfonce encore un peu plus dans la crise. Si comme on la évoqué la Grèce sort de la zone euro, ne sagit-il pas dune grosse hypothèque ? Il y a des élections législatives
R - le 17 juin, le même jour quen France !
Q - dont le résultat est très incertain, cela ne vous inquiète pas ?
R - Bien sûr que cela minquiète et cela inquiète lensemble du gouvernement. Cest dabord aux Grecs de faire leur choix, on na pas à préempter lune ou lautre solution. Il est évident que le discours qui consisterait à dire de la part des Grecs : «on veut rester dans la zone euro mais on est prêt à aucune discussion dans le cadre du mémorandum actuel nest pas possible». Je pense quil y a une priorité politique pour la France et pour lUnion européenne, cest que la Grèce reste dans la zone euro, il y a des conditions pour cela mais on la toujours dit : les conditions actuelles qui sont celles du mémorandum peuvent éventuellement être retravaillées parce que lorsque lon regarde encore une fois son bilan depuis trois ans cela ne marche pas et donc le fait de discuter cela tout en gardant bien à lesprit quil est normal quil y ait des conditions parce que largent des contribuables français est engagé en Grèce. Ce serait irresponsable de notre part, gouvernement français, dengager largent des Français sans condition. Mettons cependant en place des conditions qui ont une chance de marcher et de sauver le malade.
Q - Brièvement là-dessus, beaucoup de monde a tiré à boulets rouges sur Christine Lagarde, la directrice du FMI, quand elle a dit que les Grecs ne payaient pas dimpôts et quil fallait quils se mettent à les payer leurs impôts Quelles est votre position ?
R - Il y a différents propos. Quels sont ceux qui ont fait vraiment polémique : est ce que cest la comparaison de la Grèce avec les pays africains ? Est ce que cest la partie que vous mentionnez ? Je ne sais pas, je ne suis pas là pour commenter les propos de Mme Lagarde. Simplement, oui lorsquon regarde la collecte effective de limpôt en Grèce, je pense quil y a une vraie marge de progression. Je le dis depuis des années, je ne vais pas, parce que je suis au gouvernement français, dire le contraire. Cest lun des enjeux de la troïka - le FMI et lUnion européenne notamment qui travaillent avec le gouvernement grec - de construire une capacité de collecte par ladministration fiscale qui fonctionne. Je pense quaujourdhui, on ny est pas encore. Il y a des choses qui ont commencé à changer, des luttes contre la fraude qui avancent mais de manière largement insuffisante. Pour le dire de manière non polémique, je pense quil est tout à fait sain de dire, quil faut continuer à mettre la pression sur les gouvernements grecs quelque soit leur majorité politique pour quils avancent, mais eux-mêmes en ont conscience.
Q - Cest plutôt la forme, la façon dont elle la dit qui était critiquable
R - Effectivement.
Q - On se rend compte avec un peu de retard quen acceptant la Grèce dans la zone euro, on a fait une grosse erreur ? On savait tout ce que lon découvre aujourdhui ?
R - On savait tout cela, il y avait un choix politique mais la question de la Grèce, mais aussi du Portugal et de lIrlande cela renvoie aux difficultés structurelles de la zone euro. La situation de la Grèce, est effectivement un cas extrême, elle résulte de déséquilibres macro économiques. Depuis 10 ans nous sommes dans la zone euro dont finalement tout le monde a bénéficié, notamment la Grèce, le Portugal et lIrlande afin de bénéficier de taux dintérêts beaucoup plus faibles que ceux quils auraient eu sils avaient eu leur propre monnaie. Du coup, ils se sont endettés davantage ; résultat ils ont aujourdhui des stocks de dettes très importants quils narrivent plus à gérer. Ce nest pas un cas particulier. Mais la question qui doit être posée cest : que doit-on faire pour mettre fin à ses déséquilibres là ? Cest toute la problématique portée par ce gouvernement pour aller plus loin dans lintégration.
Q - Est-ce que tout cela ne sonne pas la fin de lélargissement de lUnion européenne ? On saperçoit quil y a des décalages tels entre certains pays ?
R - Nous avons un destin commun et il faut maintenant mettre en place les outils pour être à la hauteur de ce destin.
Q - Deuxième partie dInternationales. On retrouve Pascal Canfin, ministre français du Développement. Vous êtes Ministre chargé du Développement et dans la liste des ministres du gouvernement français, il y a une autre ministre qui est Nicole Bricq, ministre de lÉcologie, du Développement durable et aussi de lÉnergie. Il y a deux ministres du Développement ? Ce sont deux politiques différentes, ce sont deux ministères différents ? Comment cela sarticule-t-il ?
R - Mon ministère est rattaché au Quai dOrsay, à Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères. Il sagit de mener à bien des politiques françaises dans ce que lon appelle des pays en développement donc globalement les pays les plus pauvres de la planète, sachant que cela va des pays les moins avancés, vraiment les plus pauvres jusquaux pays émergents puisque lon a encore des politiques de développement en Chine ou au Brésil. En Chine, malgré le développement économique exceptionnel, il y a certaines régions où il y a énormément de pauvreté. Cela cest le champ, cest ma mission.
Ensuite, il y a la question du développement durable qui, elle, est linvention dun nouveau mode de production et de consommation et ce sont deux choses différentes, et en même temps pour moi, en tant que ministre écologiste dans ce gouvernement, totalement imbriquées puisque cela veut dire que ma mission cest dintégrer
Q - Ce ne serait pas illogique quun écologiste soccupe de développement durable
R - Cest une autre question, je finis la première. Cest de dire que ma priorité est effectivement dintégrer dans les politiques de développement les enjeux du développement soutenable, donc la question des limites en terme de ressources, des limites de la planète. Il se trouve que je mentends très bien avec Nicole Bricq et que lon a lintention de bien travailler ensemble. On sest rencontré très rapidement après la nomination du gouvernement, nous avons déjà vu comment nous allions travailler ensemble notamment pour préparer le Sommet de Rio qui relève à la fois des problématiques de développement et denvironnement.
Q - Justement à propos de Rio, les discussions ont lair de patiner notamment sur cette question du développement durable, quel cadre notamment appliquer aux pays en développement qui nen veulent pas. Ils considèrent quil sagit de règles imposées par les pays riches qui ont dautres contraintes et qui nont pas les mêmes moyens de développement. Est ce que vous pensez quà Rio, on va arriver à un accord ou est ce que les pays du Sud vont toujours apporter cette critique ?
R - Ce que vous évoquez cest lanalyse, encore dominante aujourdhui de la part des pays émergents et de la part des pays du Sud, vous avez raison. En même temps, les choses commencent à bouger, il y a un rapport de la Banque Africaine de Développement qui a été publié il y a quelques jours, relaté dans votre journal, «Le Monde», qui montre justement à quel point lintégration des critères de développement durable, non pas des contraintes mais des critères, devient au contraire une opportunité de développement pour les pays africains et une condition de leur développement. Cela va être toute la mission que je vais avoir, au nom du gouvernement français, dans la préparation de Rio. Sachant quaujourdhui il y a effectivement une sorte de pessimisme concernant ce sommet et je ne sais pas ce que cela va donner Ma mission avec Laurent Fabius, avec Nicole Bricq, avec dautres ministères cest de se battre pour justement faire prendre conscience aux pays du Sud, aux pays émergents, aux pays africains, que cest certes notre intérêt mais que cest aussi le leur, que ce nest pas une contrainte imposée par les pays du Nord mais que les conditions de leur propre développement, cest dintégrer la notion de limite de la planète.
Q - Puisque lon parle de Rio un peu plus tôt que prévu dans lémission, je vous propose de rappeler quil va y avoir ce sommet de Rio + 20 - cest du 20 au 22 juin à Rio de Janeiro-. Cest 20 ans après le Sommet de la Terre en 92 à Rio. Quel est le bilan de cette prise de conscience planétaire qui avait été faite en 92 : «nous navons quune seule planète et nous gaspillons ses ressources alors que dautres meurent de faim, Jacques Chirac avait dit la maison brûle et nous regardons ailleurs». Je vous propose de faire un petit bilan de ce qui sest passé depuis 20 ans avec Emmanuelle Godard.
Pascal Canfin, dabord, qui représentera la France à ce Sommet de Rio ?
R - Le président de la République a annoncé sa présence au sommet de Rio.
Q - Et vous irez en tant que ministre du Développement ?
R - Jirai pour les négociations préalables à larrivée du président de la République.
Q - En quelques mots, quels sont pour vous lenjeu ou les enjeux prioritaires de ce Sommet ? On a limpression quen 20 ans, peu de choses ont été faites, peut être au moins en matière dénergie. Des choses qui ont été faites dans le renouvelable mais il reste tellement de choses à faire que comme disait Jacques Chirac, la maison brûle ?
R Cest une des priorités portées par la France et par lUnion européenne parce que le mandat de négociation sur ces sujets-là est un mandat européen. Cest pour cela quen tant que ministre du Développement et sur les questions de Rio, cela a été davoir un premier déplacement à Bruxelles avec les commissaires européens qui sont en charge de négocier cela. Car si lon y va chacun dans son coin, on na aucune chance dêtre entendu. Donc la première exigence, est de poursuivre cette cohérence au niveau européen. Deuxième élément, on a une alliance avec les pays africains, lUnion africaine sur un objectif extrêmement clair qui est daller vers une organisation mondiale de lenvironnement ou en tout cas de donner au système des Nations unies sur les questions environnementales un statut supérieur à ce quil est aujourdhui.
Q - Cest un programme des Nations unies pour linstant.
R - Aujourdhui il ne sagit que dun simple programme, mais il faut aller vers une organisation interne en passant par une agence autonome qui aura des moyens, des capacités dexpertises qui aura des possibilités de mener des politiques.
Q - et de gouvernance commune
R - Exactement. Il sagit lors dun objectif porté par la France avec des alliés en Europe, des alliés sur lensemble du continent africain et récemment la Chine qui était plutôt mitigée sur cette question - et elle ne veut pas pour des questions stratégiques se couper des pays africains-. Il y a donc quelques jours, elle a accepté de faire un pas dans cette direction. Donc lagenda, qui est prioritaire pour la France, à savoir faire reconnaitre cette question en terme statutaire aux Nations unies pour pouvoir ensuite faire mener des politiques, est en train davancer.
Q - Vous voulez dire que le sommet de Rio + 20 pourrait déboucher sur la création dune organisation mondiale de lenvironnement ?
R - Non, je nai pas dit cela, il pourra déboucher sur le fait de passer dun simple programme des Nations unies - qui na rien à voir avec les autres systèmes des Nations unies - vers une agence autonome qui est à Nairobi, dailleurs au Kenya, cest le premier élément. Deuxième élément, cest le fait que le système de gouvernance sur la question de la pauvreté des Nations unies - ce que lon appelle les Objectifs du Millénaire- nintègre pas aujourdhui les questions environnementales, les questions dénergie par exemple. Je pense quun deuxième progrès possible serait de fusionner à terme les agendas «développement durable» et les agendas «lutte contre la pauvreté» pour bien montrer quil ny a pas de voie de sortie possible à moyen terme pour les pays du Sud dans létat de pauvreté dans lequel ils sont encore très majoritairement, sans prendre en compte toutes les questions de développement durable. Si on arrive à avancer sur ces deux agendas, on aura fait de Rio une étape insuffisante certes, mais utile.
Q - Vous allez avoir du mal parce que les pays émergents disent «laissez-nous nous développer, vous, vous êtes développés pendant des siècles sans vous préoccuper denvironnement, et maintenant que nous vous rattrapons et même que nous vous dépassons, vous mettez des barrières environnementales voire sociales pour certains cas »
R - Cest le discours encore dominant au Sud et le discours dominant au Nord cest de dire «écoutez, nous on a un problème économique, les contraintes environnementales on verra demain, lurgent cest la relance de la croissance !» comme dhabitude et dans les deux cas lenvironnement saute ! Cest franchement le scénario le plus probable aujourdhui. Cest le scénario dont on peut se satisfaire ? Non ! Cest exactement cela le mandat qui nous est donné, cest dessayer dinfléchir cette vision des choses.
Q - Vous parliez des attentes des Africains, je pense que lune de ces attentes cest que la France se conforme à lun de ses engagements qui est de consacré 0,7 % de son PIB au développement. Est-ce que cela reste un objectif réaliste ? On est à 0,46 % pour la France en ce moment.
R - On en est à 0,46 % effectivement. Si on regarde les trajectoires, si rien ne change, cela risque encore de baisser parce quen termes comptables, pour regarder ce quil y a dans cet indicateur de 0,7 % du PIB, il y a notamment les annulations de dette et donc quand il y a moins dannulation quavant, par définition cela fait baisser. Donc, cest un indicateur.
Ce qui mintéresse, au-delà de lengagement politique qui a été pris à de multiples reprises par lensemble des responsables politiques français en disant : «on atteindra le 0,7 % telle année» et comme on ny arrivait pas, on repoussait, plutôt que de refaire un nouvel engagement tout en sachant très bien que lon aura du mal à latteindre, cest plutôt de se dire : quest-ce quil y a dans ce 0,7 % ? Quest-ce qui est vraiment utile ? Quest ce qui est vraiment demandé ? Quest ce qui est efficace ?
Le deuxième élément, parce que cest vraiment important davoir cela en tête, cest que laide publique au développement, ce fameux 0,7 % du PIB, cest 15 % des flux financiers du développement, lessentiel des flux sont des flux privés donc par exemple largent des migrants, des investissements privés...
Q - Cela veut quand même dire que laide publique au développement ces dernières années recule ?
R - En valeur absolue elle ne recule pas, et en pourcentage elle est relativement stable.
Q - On est à 0,31 - 0,32%
R - Cela dépend de conventions.
Q - Oui mais cest beaucoup moins que les objectifs ?
R - Cest beaucoup moins, cest très clair et jai comme ambition daugmenter cela
Q - Malgré laustérité ?
R - Justement, à deux conditions, dune part se focaliser sur ce qui est utile et nécessaire sachant que les 0,7 %, cest une convention comptable et donc dans cette convention comptable on sait très bien quil peut y avoir des choses qui ne sont pas complètement nécessaires.
Q - Ce nest pas un habillage ou un maquillage, une façon de dire on ne peut pas y arriver mais ce que lon fait ce nest pas si mal si lon regarde, si lon compte différemment ?
R - La réalité cest ce qui compte, cest ce qui arrive sur le terrain et cest ce qui est utile. Les conventions comptables cest intermédiaire. Le volontarisme politique est sur ce qui est utile, il nest pas sur la convention en elle-même, cest le premier point.
Le deuxième élément, si vous regardez uniquement les flux financiers qui partent des pays du Nord et qui vont vers les pays du Sud, là-dedans cest 15 % et cest ce dont on vient de parler. Si vous regardez maintenant les flux des pays du Sud vers les pays du Nord, notamment tous les flux qui sortent liés aux paradis fiscaux, liés à la mauvaise gouvernance, liés à lopacité, à loptimisation fiscale légale ou illégale de la part des grandes multinationales mondiales et notamment européennes, vous vous apercevez que ces flux sont dix fois plus importants que les flux daide publique au développement.
Je me battrai évidemment pour atteindre les 0,7 %. Mais élargissons un peu le champ, regardons ce qui est important, si jaugmente la décimale après la virgule mais quen même temps on ne fait rien pour les flux dix fois plus importants qui sortent et qui empêchent ces États de consolider leurs recettes fiscales, de mettre en place des politiques internes de redistribution, on sest battu, on a gagné mais sur un tout petit bout.
Donc, ce qui mintéresse cest aussi de me battre et cest là où mon expertise financière au niveau du Parlement européen peut être utile parce quil y a quelques sujets sur ces questions qui sont déterminants et qui sont en cours de négociation. Cest en ce moment que cela se passe !
Q - Vous avez beaucoup travaillé, vous lavez rappelé vous-même, sur le contrôle de la finance internationale, sur la régulation des marchés financiers quand vous étiez député européen. Comment pourriez-vous expliquer à nos spectateurs, auditeurs, en quoi cette lutte contre lévasion fiscale, contre cette fraude fiscale, contre les paradis fiscaux est quelque chose de prioritaire pour laide au développement, quel est le rapport entre les deux ?
R - Quand vous avez des investissements dans un État au Sud et quune grande partie des recettes fiscales qui pourraient être affectées à ce budget de lÉtat pour mener des politiques de service public, de lutte conte la pauvreté, déducation, de santé ne sont pas là parce quelles partent dans les paradis fiscaux, parce que lentreprise, qui opère dans ce pays, a une holding situé dans un paradis fiscal, quelle remonte cet argent et que largent est taxé de manière epsilonesque dans ce paradis fiscal et quensuite il remonte chez nous, on voit bien quil est difficile de dire à lÉtat concerné : «quest ce que vous faites sur la santé ? Quest ce que vous faites sur léducation ?». Si cest pour mettre ensuite un petit pansement en disant : «cela ne me regarde pas, je viens de vous dire que ce nest pas cela et puis je donne quelques dizaine de millions deuros pour compenser le manque à gagner en terme de recette fiscale», on voit bien que cela ne peut pas marcher. Cest un pansement, il faut lavoir mais lenjeu cest dabord de faire en sorte que les réformes structurelles soient faites et là en loccurrence
Q - Ce discours-là au Quai dOrsay, il va passer facilement ?
R - Non seulement il va passer, mais il est passé. Jen ai discuté avec Laurent Fabius, cétait clairement une des priorités de mon action. En ce moment, se négocie à Bruxelles un texte, il sagit de la réforme de la directive transparence et comptabilité. Donc la transparence des comptes des grandes entreprises multinationales nest pas un sujet mineur, et la position de la France va être de défendre la transparence des comptes de lensemble des multinationales dans chaque pays où elles opèrent de façon justement à éviter ce que je viens de décrire.
Q - Comment cela va-t-il se passer pour obtenir des multinationales la transparence des comptes ?
R - Cela sappelle le droit et il y a une directive européenne en cours de négociation. Cela sappelle le droit européen qui ensuite simpose, ce sont des normes comptables, des normes de transparence qui simposent à lensemble des sociétés européennes qui ont leur siège dans lUnion européenne. Cela permettra à un coût nul - ces informations sont déjà dans les comptes des entreprises, elles font tous ces montages financiers et fiscaux - de faire, en quelque sorte, lever le couvercle et de voir comment cela marche, de demander à chaque entreprise européenne où elle paye des impôts, combien de filiales, combien de chiffre daffaire font-elles, quelle masse salariale ont-elles. On verra à ce moment-là ; Je considère, à titre personnel, mais le gouvernement français considère aussi que cest une priorité absolue, notamment en terme de développement.
Q - Cest un sujet qui est un peu miroir puisque ce que vous évoquez concerne les sociétés multinationales européennes. Il y aussi, dans un certain nombre de pays en développement, des problèmes de gouvernance. Il y a une procédure en France, qui est celle dite des biens mal acquis, qui concernent des chefs dÉtats africains dont on considère quils ont acquis des biens de façons surdimensionnés au détriment de leur propre État en piochant dans les caisses pour faire court. Est-ce quil va y avoir application de ce principe dans les relations de la France avec ces pays ? Est-ce que ce problème de mauvaise gouvernance, de détournement dargent aura une concrétisation dans les relations que lon aura avec ces pays?
R - Jen ai parlé avec la Garde des Sceaux, Christiane Taubira, pas plus tard quil y a deux ou trois jours. Il ny aura clairement aucune intervention. Vous savez quil y a des affaires en cours, la justice française travaille, que, dans le passé, il y a pu y avoir des interventions de lÉtat, dans le futur, il ny en aura pas. La justice fera donc son travail et on verra bien ce qui se passe. Je nai pas de commentaire à faire. Le seul commentaire que je peux faire cest politiquement il ny aura aucune intervention du gouvernement sur ces questions là.
Q - Donc, cest à pour les questions du passé, mais pour le futur ?
R - Le passé, ce sont des affaires en cours.
Q - Oui, des affaires en cours mais qui concernent des affaires passées. Pour le futur, le président Hollande a dit quil basait sa politique africaine sur trois grands principes. Je vais le citer rapidement : encourager la bonne gouvernance démocratique, mettre en place un pacte de croissance et de développement et le principe de non ingérence dans les affaires africaines. Comment aller des mots aux actes ?
R - Plusieurs choses, Jean-Marie Bockel et Jean-Pierre Cot avaient dans leur agenda ministériel, la Coopération.
Q - qui nexiste plus dailleurs !
R - Voilà, je crois que vous avez répondu à la question !
Q - Elle nexiste plus mais la politique existe encore.
R - Il sagit de dire : moi, je nai pas la coopération, personne na la coopération.
Q - Il ny a plus de coopération alors ?
R - Il y a des relations normales avec les pays qui ont besoin de notre aide, cest la partie développement.
Q - Il suffisait de seffacer le nom pour
R - Non, mais en politique il y a aussi des organisations, il y a aussi des symboles et cela en est un premier. Le deuxième élément, cest la cellule diplomatique de lÉlysée. Il y avait traditionnellement une cellule Afrique indépendante de la cellule diplomatique de lÉlysée. Désormais, plus personne noccupe cette fonction.
Q - Mais il y aura quand même à lintérieur de cette cellule des conseillers qui soccuperont de lAfrique ?
R - Évidemment, comme il y a des conseillers qui soccupent de lAsie ou de lAmérique latine ! Une certaine opacité a pu régner par le passé, tout est désormais transparent. Troisième signe, parce que vous voulez des signes
Q - Mais peut être au-delà des signes ?
R - Cest un acte, cela fait trois semaines, on pose des actes. Troisième acte
Q - Des actes symboliques
R - Attendez
Q - Cest la critique qui vous est faite.
R - Troisième acte évoqué, cest le fait que François Hollande ait reçu sur les questions de crise au Mali, par exemple, le président de lUnion africaine, qui est aussi le président du Bénin. Il la reçu en tant que président de lUnion africaine. Lensemble des outils, des efforts diplomatiques de la France est mené dans le cadre multilatéral, que ce soit dans le cadre des Nations unies ou de la CEDEAO (la Communauté des États de lAfrique de lOuest), les choses fonctionnent en Afrique comme ailleurs, il ny a pas de système parallèle !
Q - Il faut être un peu prudent, François Mitterrand il y 22 ans avait fait un grand discours à La Baule dans lequel il avait dit quil fallait lier la coopération française au progrès de la démocratie. Et 22 ans plus tard, le constat
R - Cest pour cela quil ny a pas de discours, cest pour cela quil y a des actes. Je ne vous ai pas dit des grands mots, jai parlé très concrètement dactes et on est en train de les poser.
Q - On vous réinvitera dans un ou deux ans !
R - Avec plaisir !
Q - Dans les actes, le Ministère du Développement dispose dun outil extraordinaire qui est lAgence française du Développement, qui elle aussi a été accusée de servir les intérêts de cette Françafrique - qui gère 6 à 7 milliards deuros. Un, est-ce quil y a une réforme de lAFD qui est prévue et est-ce quil faut réorienter les fonds différemment ? Et deux, question un peu plus personnelle, le directeur de cette agence, Dov Zerah, au moment de sa nomination a été critiquée?
R - Cest très simple, je suis en train de regarder la façon dont la politique est menée. Il se trouve que la Cour des Comptes va produire un rapport sur la question de la politique française de développement qui sortira fin juin. Je regarderai, donc, cette évaluation pour répondre à la première partie de votre question qui est : «est-ce que tout est bien fait, est-ce quil y a des marges de progression ?». Je mappuierai sur les éléments de la Cour des Comptes et on en tirera les conclusions qui simposent. Je ne vais pas rentrer ici dans des questions personnelles liées à la gouvernance de lAFD.
Q - Je voudrai revenir à la suppression de la cellule diplomatique à lÉlysée. Est-ce que néanmoins on peut considérer lAfrique comme une zone normale, au même titre que lAsie et lAmérique latine ? Ce nest pas une erreur diplomatique à moyen et long terme pour la France car lavenir diplomatique de la Francophonie est essentiellement en Afrique ?
R - Cest pour cela que cest une priorité, mais que la façon de gérer cette priorité, cest la façon normale. On peut mettre des priorités sans être dans quelque chose de spécifique, de parallèle, de différent. Il est normal que la priorité française soit lAfrique, parce que les deux tiers des pays les moins avancés sont là, que la moitié des enfants africains qui ont moins de 5 ans ont des problèmes de croissance, donc il est normal davoir une priorité africaine pour le développement.
Q - Très brièvement, au-delà de lAfrique, il y a lAfghanistan. Vous avez prévu un déplacement prochainement en Afghanistan pour préparer laprès-militaire, si je peux dire ?
R - La France se désengagera militairement, il ny aura plus de forces combattantes au 31 décembre 2012. En revanche, il y a un traité franco-afghan qui a été signé, qui sera honoré, qui sera ratifié par le Parlement, qui sera honoré par François Hollande. Il faut voir maintenant comment on fait concrètement pour développer cette coopération civile dans un contexte extrêmement compliqué. Jirai à Kaboul dans les prochains jours pour voir comment on peut mener à bien ce chantier.
Q - Merci Pascal Canfin, ce sera le mot de la fin.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 juin 2012
Q - Lintitulé de votre ministère : cest le ministre chargé du Développement et non plus le ministre de la Coopération, pourquoi ce changement ?
R - Cest un choix qui a été voulu par le président de la République et le Premier ministre justement de bien marquer le fait que ma responsabilité, la responsabilité du ministère chargé du Développement, cest de soccuper de la politique de développement sur lensemble des zones qui ont en besoin en Afrique, bien évidemment, mais aussi en Amérique latine, aussi en Asie et être dans cet espace global où la France veut peser.
Q - Et pourquoi pas la Coopération, cétait ce nest pas un terme insultant Coopération ?
R - Mais cela renvoie aussi à une certaine histoire et la volonté, cétait de montrer quil y avait un ministère du Développement dont la seule mission était dassurer, de mener à bien des politiques de développement, daide publique au développement comme aussi de sintéresser à lensemble des questions qui impactent les pays en développement. On va parler de Rio tout à lheure - ce nest évidemment pas laide publique au développement mais cest un enjeu majeur pour faire en sorte que de nouvelles politiques publiques mondiales émergent.
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Q - Il est beaucoup question, depuis larrivée de François Hollande au pouvoir de ce débat entre la rigueur et la croissance. Est-ce que vous, en tant que ministre du Développement, donc ministre du gouvernement, vous pensez que lon peut avoir les deux en même temps, que lon peut avoir la rigueur et la croissance ?
R - Je pense que le fait que lélection de François Hollande ré-ouvre ce débat qui était tout de même figé en Europe et qui maintenant avec la nomination de Mario Monti en Italie, lélection de François Hollande en France, les problèmes rencontrés en Espagne, les problèmes rencontrés aux Pays-Bas, les problèmes rencontrés par David Cameron en dehors de la zone euro, montrent bien que le logiciel de la politique - qui était la discipline fiscale uniquement - ne fonctionne pas. Je ne fais même pas didéologie, cest juste pragmatiquement que cela ne fonctionne pas, et donc il faut nécessairement lui adjoindre dautres dimensions dinvestissement, des dimensions de coordination fiscale et cest exactement cela qui est sur lagenda en Europe avec un «momentum», un moment important, qui est le Sommet européen de fin juin, sur lequel on doit arriver à une solution parce que lon ne peut éternellement pas faire durer ce débat.
Q - Le débat, qui nest pas réglé pour linstant, cest sur les modalités de cette croissance. Est-ce que cest de linvestissement, est-ce que cest de la flexibilité donc est ce que justement à loccasion de ce sommet, par exemple, on va avancer un peu concrètement sur ce que sera cette croissance ?
R - Écoutez, je ne suis pas ministre de lÉconomie et des Finances !
Q - Cela ne nous a pas échappé !
R - Cela ne vous a pas échappé ! Même si dans le passé au Parlement européen, je suivais toutes ces questions-là ! Le nouvel agenda, qui est posé par la France, est totalement indispensable sinon on va dans le mur ! En même temps, il est aussi extrêmement clair que lidée de dire : «il ny a plus de dette, il ny a plus de déficit, ce nest plus un sujet, abandonnons toute discipline budgétaire» nest pas non plus une option. On est donc en train dessayer de tracer le chemin, qui est de dire : «oui, il faut de la discipline budgétaire pour des raisons évidentes mais il faut aussi des politiques dinvestissement». Il y a effectivement lagenda de flexibilisation qui est porté par certain, qui nest pas porté par la France, on va voir quels sont les compromis sur ces sujets.
Q - Quest ce que vous dites sur les réformes structurelles concernant le marché du travail en Allemagne ?
R - Il ny a pas de smic en Allemagne ! Si on dit aujourdhui aux Français : «on va faire sauter le smic» il est impossible que cela soit souhaitable et que ce soit même praticable. Les modèles ne peuvent pas se dupliquer dun État à un autre. Dailleurs, la flexibilisation du marché du travail namène pas de croissance en soit, prenez les deux marchés les plus flexibles : le Royaume-Uni et les États-Unis. Vous avez un taux de chômage aux États-Unis qui bat des records historiques. Vous avez une dette et un déficit au Royaume-Uni qui sont supérieurs à ceux de la France.
Q - Si je puis me permettre qui bat des records historiques à 8 % alors que nous, nous sommes à 11 %...
R - Oui, bien sûr mais qui bat des records historiques par rapport aux États-Unis avec un système social beaucoup plus faible que le nôtre, avec des allocations chômages qui durent beaucoup moins longtemps et donc limpact humain dun taux de chômage à 8 % aux États-Unis est complètement dramatique. Il ny a donc aucune preuve qui montrerait que flexibiliser le marché du travail ne serait synonyme de réinvestissement pour relancer la machine. Pragmatiquement, je regarde les chiffres, je ne fais pas didéologie là-dessus. On a vraiment besoin dune stratégie collective dinvestissement, cest exactement cela le sujet dont on parle dans les négociations avec les Allemands. Évidemment, moi en tant quécologiste, je travaille à ce que ces investissements soient pertinents, utiles et donc les plus écologistes possibles !
Q - Cela pose la question du financement parce quil y a un certain nombre de contraintes budgétaires quil faut respecter, il y a un cadre européen quil faut respecter sous peine de dérive totale, doù la question : comment financer ces investissements ?
R - Cest pour cela que les sujets des euro-obligations, les sujets des «projects bounds», des obligations européennes dédiées, fléchées sur un certain nombre détablissement, la question du capital de la Banque européenne dinvestissement qui avec 10 milliards de capital peut sendetter elle-même et faire à peu près entre 80 et 100 milliards dinvestissement supplémentaires, que tout cela cest lagenda de financement de linvestissement qui est en cours de négociation. Votre question est parfaitement légitime, cest exactement cela qui est en cours de négociation.
Q - Quel bilan détape faites-vous, notamment sur les euros-obligations ? Visiblement Mme Merkel nest toujours pas convaincue quil faille aller vers les euros obligations ?
R - Non, mais Mario Monti a dit hier, que, pour lui, cétait un point darrivée nécessaire et incontournable. Cétait pareil pour la Belgique de Elio di Rupo, il y a quelques jours. Le débat a donc lieu, je ne sais pas quel sera le résultat, encore une fois, je ne suis pas à la table des négociations, je ne suis pas le ministre de lÉconomie et des Finances, ni le Premier ministre ni le président de la République. Ce qui est sûr, cest que lon ne peut pas avoir une zone monétaire intégrée, on ne peut pas avoir la même monnaie, si on ne poursuit pas la voie dans lintégration politique - et une partie de lintégration politique cest le fait davoir une dette publique unique -, on ne va pas avoir une dette publique unique sur lensemble du stock de dettes demain matin. En même temps, les États-Unis ont fait ce choix davoir une dette publique unique, il y a près de 240 ans. Est-ce que lon ne peut pas envisager demain de faire ce que les États-Unis ont fait il y a 240 ans ? Je pose la question et jespère que lon pourra y répondre.
Q - Cela sappelle les États-Unis dEurope !
R - Cest un pas. Nous, les écologistes européens, sommes fédéralistes. On nest pas majoritaire aujourd??hui, très bien !
Q - Donc vous êtes favorables aux États-Unis dEurope, cest un concept !
R - À titre personnel et politique : oui. Je ne dis pas que cest la position actuelle du gouvernement français. Mais simplement le fait de se dire on a une monnaie unique, si on veut la conserver, si on veut en tirer tout le bénéfice, il faut aller vers davantage dintégration politique et cela passe par des émissions de dettes souveraines communes. Je ne suis vraiment pas le seul à le dire et même des personnes qui ne sont pas fédéralistes le disent. Cest clairement un chemin qui est devant nous.
Q - Donc, si je vous comprends bien, vous êtes quand même en train de nous expliquer que lAllemagne pour le moment ne bouge pas beaucoup sur cette question, mais que lespoir du nouveau gouvernement français, cest davoir dautres gouvernements derrière la position de Paris pour essayer dinfléchir, dans un rapport de force, la position de Berlin
R - Oui, cela ne vous aura pas échappé que si lon est tout seul et isolé, on gagne rarement. Il faut effectivement créer des alliances et ces alliances, cest par exemple avec lItalie, cest par exemple avec lEspagne, par exemple avec la Belgique, par exemple avec la Pologne, ce sont des États qui sont prêts à faire un pas en avant dans lintégration politique. Maintenant, effectivement, lAllemagne y est prête à certaines conditions ; donc, discutons des conditions, le SPD y est prêt. Parce que quand vous dites lAllemagne, on a limpression que cela serait un bloc unique
Q - Je parle de lAllemagne dans le sens du gouvernement allemand.
R - Oui, mais cest important ! Parce que cela ne vous a pas échappé quil y avait eu une alternance en France et de lautre côté en 2013, il pourrait y avoir une alternance en Allemagne puisquil y a des élections. Si les conditions politiques sont remplies, cest tout à fait possible dans le cadre dun gouvernement François Hollande - SPD Grünen, par exemple, davoir deux majorités politiques pour soutenir des euro-obligations à moyen terme, pour soutenir laugmentation du capital de la BEI, pour soutenir une action sur la Banque centrale européenne, donc cest possible, ce nest pas de lutopie !
Q - Tant que Merkel est là, cest compliqué ?
R - Non, parce que vous savez aussi quil faudra que lAllemagne ratifie le Traité budgétaire qui a été négocié il y a quelques mois et que pour ratifier il faut une majorité des deux tiers au Bundestag et que Mme Merkel na pas cette majorité sans les Verts allemands et sans le SPD, et donc les conditions sont sur la table. Toutes choses étant égales par ailleurs, la négociation qui a eu lieu à Bruxelles entre les différents chefs dÉtat a aussi eu lieu à Berlin entre les différents partis politiques et les choses bougent.
Q - Ce qui est clair, sans nier limportance de laxe franco-allemand, manifestement votre gouvernement, en tout cas vous, vous prônez un élargissement ?
R - Cest une stratégie évidente du gouvernement français.
Q - Avec les autres partenaires européens.
R - De toute façon, on a critiqué suffisamment le diktat, le gouvernement à deux de Nicolas Sarkozy et dAngela Merkel pour ne pas refaire la même chose.
Q - Cest quoi la position aujourdhui ? Le moteur franco-allemand, cest quoi aujourdhui ? Cest quand même quelque chose qui reste très important, un peu au-dessus des autres collaborations avec dautres pays ? Quel est le positionnement aujourdhui du gouvernement français ?
R - LAllemagne, cela naura échappé à personne, est une grande puissance économique, il y a des éléments de blocage au sein du gouvernement allemand actuel et par définition si lon veut discuter, aboutir à un résultat qui permet de faire sauter ces éléments de blocage il faut discuter avec eux. En même temps, ce nest pas uniquement dans le tête-à-tête que lon va régler les problèmes parce quil y a des alliances à construire avec les Espagnols, avec les Italiens et avec les autres, cest une vision tout à fait normale de la gouvernance de lUnion européenne et cest le contraire qui ne serait pas normal.
Q - Est-ce que toute cette construction, toute cette discussion, ne risque pas de se casser la figure si la Grèce senfonce encore un peu plus dans la crise. Si comme on la évoqué la Grèce sort de la zone euro, ne sagit-il pas dune grosse hypothèque ? Il y a des élections législatives
R - le 17 juin, le même jour quen France !
Q - dont le résultat est très incertain, cela ne vous inquiète pas ?
R - Bien sûr que cela minquiète et cela inquiète lensemble du gouvernement. Cest dabord aux Grecs de faire leur choix, on na pas à préempter lune ou lautre solution. Il est évident que le discours qui consisterait à dire de la part des Grecs : «on veut rester dans la zone euro mais on est prêt à aucune discussion dans le cadre du mémorandum actuel nest pas possible». Je pense quil y a une priorité politique pour la France et pour lUnion européenne, cest que la Grèce reste dans la zone euro, il y a des conditions pour cela mais on la toujours dit : les conditions actuelles qui sont celles du mémorandum peuvent éventuellement être retravaillées parce que lorsque lon regarde encore une fois son bilan depuis trois ans cela ne marche pas et donc le fait de discuter cela tout en gardant bien à lesprit quil est normal quil y ait des conditions parce que largent des contribuables français est engagé en Grèce. Ce serait irresponsable de notre part, gouvernement français, dengager largent des Français sans condition. Mettons cependant en place des conditions qui ont une chance de marcher et de sauver le malade.
Q - Brièvement là-dessus, beaucoup de monde a tiré à boulets rouges sur Christine Lagarde, la directrice du FMI, quand elle a dit que les Grecs ne payaient pas dimpôts et quil fallait quils se mettent à les payer leurs impôts Quelles est votre position ?
R - Il y a différents propos. Quels sont ceux qui ont fait vraiment polémique : est ce que cest la comparaison de la Grèce avec les pays africains ? Est ce que cest la partie que vous mentionnez ? Je ne sais pas, je ne suis pas là pour commenter les propos de Mme Lagarde. Simplement, oui lorsquon regarde la collecte effective de limpôt en Grèce, je pense quil y a une vraie marge de progression. Je le dis depuis des années, je ne vais pas, parce que je suis au gouvernement français, dire le contraire. Cest lun des enjeux de la troïka - le FMI et lUnion européenne notamment qui travaillent avec le gouvernement grec - de construire une capacité de collecte par ladministration fiscale qui fonctionne. Je pense quaujourdhui, on ny est pas encore. Il y a des choses qui ont commencé à changer, des luttes contre la fraude qui avancent mais de manière largement insuffisante. Pour le dire de manière non polémique, je pense quil est tout à fait sain de dire, quil faut continuer à mettre la pression sur les gouvernements grecs quelque soit leur majorité politique pour quils avancent, mais eux-mêmes en ont conscience.
Q - Cest plutôt la forme, la façon dont elle la dit qui était critiquable
R - Effectivement.
Q - On se rend compte avec un peu de retard quen acceptant la Grèce dans la zone euro, on a fait une grosse erreur ? On savait tout ce que lon découvre aujourdhui ?
R - On savait tout cela, il y avait un choix politique mais la question de la Grèce, mais aussi du Portugal et de lIrlande cela renvoie aux difficultés structurelles de la zone euro. La situation de la Grèce, est effectivement un cas extrême, elle résulte de déséquilibres macro économiques. Depuis 10 ans nous sommes dans la zone euro dont finalement tout le monde a bénéficié, notamment la Grèce, le Portugal et lIrlande afin de bénéficier de taux dintérêts beaucoup plus faibles que ceux quils auraient eu sils avaient eu leur propre monnaie. Du coup, ils se sont endettés davantage ; résultat ils ont aujourdhui des stocks de dettes très importants quils narrivent plus à gérer. Ce nest pas un cas particulier. Mais la question qui doit être posée cest : que doit-on faire pour mettre fin à ses déséquilibres là ? Cest toute la problématique portée par ce gouvernement pour aller plus loin dans lintégration.
Q - Est-ce que tout cela ne sonne pas la fin de lélargissement de lUnion européenne ? On saperçoit quil y a des décalages tels entre certains pays ?
R - Nous avons un destin commun et il faut maintenant mettre en place les outils pour être à la hauteur de ce destin.
Q - Deuxième partie dInternationales. On retrouve Pascal Canfin, ministre français du Développement. Vous êtes Ministre chargé du Développement et dans la liste des ministres du gouvernement français, il y a une autre ministre qui est Nicole Bricq, ministre de lÉcologie, du Développement durable et aussi de lÉnergie. Il y a deux ministres du Développement ? Ce sont deux politiques différentes, ce sont deux ministères différents ? Comment cela sarticule-t-il ?
R - Mon ministère est rattaché au Quai dOrsay, à Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères. Il sagit de mener à bien des politiques françaises dans ce que lon appelle des pays en développement donc globalement les pays les plus pauvres de la planète, sachant que cela va des pays les moins avancés, vraiment les plus pauvres jusquaux pays émergents puisque lon a encore des politiques de développement en Chine ou au Brésil. En Chine, malgré le développement économique exceptionnel, il y a certaines régions où il y a énormément de pauvreté. Cela cest le champ, cest ma mission.
Ensuite, il y a la question du développement durable qui, elle, est linvention dun nouveau mode de production et de consommation et ce sont deux choses différentes, et en même temps pour moi, en tant que ministre écologiste dans ce gouvernement, totalement imbriquées puisque cela veut dire que ma mission cest dintégrer
Q - Ce ne serait pas illogique quun écologiste soccupe de développement durable
R - Cest une autre question, je finis la première. Cest de dire que ma priorité est effectivement dintégrer dans les politiques de développement les enjeux du développement soutenable, donc la question des limites en terme de ressources, des limites de la planète. Il se trouve que je mentends très bien avec Nicole Bricq et que lon a lintention de bien travailler ensemble. On sest rencontré très rapidement après la nomination du gouvernement, nous avons déjà vu comment nous allions travailler ensemble notamment pour préparer le Sommet de Rio qui relève à la fois des problématiques de développement et denvironnement.
Q - Justement à propos de Rio, les discussions ont lair de patiner notamment sur cette question du développement durable, quel cadre notamment appliquer aux pays en développement qui nen veulent pas. Ils considèrent quil sagit de règles imposées par les pays riches qui ont dautres contraintes et qui nont pas les mêmes moyens de développement. Est ce que vous pensez quà Rio, on va arriver à un accord ou est ce que les pays du Sud vont toujours apporter cette critique ?
R - Ce que vous évoquez cest lanalyse, encore dominante aujourdhui de la part des pays émergents et de la part des pays du Sud, vous avez raison. En même temps, les choses commencent à bouger, il y a un rapport de la Banque Africaine de Développement qui a été publié il y a quelques jours, relaté dans votre journal, «Le Monde», qui montre justement à quel point lintégration des critères de développement durable, non pas des contraintes mais des critères, devient au contraire une opportunité de développement pour les pays africains et une condition de leur développement. Cela va être toute la mission que je vais avoir, au nom du gouvernement français, dans la préparation de Rio. Sachant quaujourdhui il y a effectivement une sorte de pessimisme concernant ce sommet et je ne sais pas ce que cela va donner Ma mission avec Laurent Fabius, avec Nicole Bricq, avec dautres ministères cest de se battre pour justement faire prendre conscience aux pays du Sud, aux pays émergents, aux pays africains, que cest certes notre intérêt mais que cest aussi le leur, que ce nest pas une contrainte imposée par les pays du Nord mais que les conditions de leur propre développement, cest dintégrer la notion de limite de la planète.
Q - Puisque lon parle de Rio un peu plus tôt que prévu dans lémission, je vous propose de rappeler quil va y avoir ce sommet de Rio + 20 - cest du 20 au 22 juin à Rio de Janeiro-. Cest 20 ans après le Sommet de la Terre en 92 à Rio. Quel est le bilan de cette prise de conscience planétaire qui avait été faite en 92 : «nous navons quune seule planète et nous gaspillons ses ressources alors que dautres meurent de faim, Jacques Chirac avait dit la maison brûle et nous regardons ailleurs». Je vous propose de faire un petit bilan de ce qui sest passé depuis 20 ans avec Emmanuelle Godard.
Pascal Canfin, dabord, qui représentera la France à ce Sommet de Rio ?
R - Le président de la République a annoncé sa présence au sommet de Rio.
Q - Et vous irez en tant que ministre du Développement ?
R - Jirai pour les négociations préalables à larrivée du président de la République.
Q - En quelques mots, quels sont pour vous lenjeu ou les enjeux prioritaires de ce Sommet ? On a limpression quen 20 ans, peu de choses ont été faites, peut être au moins en matière dénergie. Des choses qui ont été faites dans le renouvelable mais il reste tellement de choses à faire que comme disait Jacques Chirac, la maison brûle ?
R Cest une des priorités portées par la France et par lUnion européenne parce que le mandat de négociation sur ces sujets-là est un mandat européen. Cest pour cela quen tant que ministre du Développement et sur les questions de Rio, cela a été davoir un premier déplacement à Bruxelles avec les commissaires européens qui sont en charge de négocier cela. Car si lon y va chacun dans son coin, on na aucune chance dêtre entendu. Donc la première exigence, est de poursuivre cette cohérence au niveau européen. Deuxième élément, on a une alliance avec les pays africains, lUnion africaine sur un objectif extrêmement clair qui est daller vers une organisation mondiale de lenvironnement ou en tout cas de donner au système des Nations unies sur les questions environnementales un statut supérieur à ce quil est aujourdhui.
Q - Cest un programme des Nations unies pour linstant.
R - Aujourdhui il ne sagit que dun simple programme, mais il faut aller vers une organisation interne en passant par une agence autonome qui aura des moyens, des capacités dexpertises qui aura des possibilités de mener des politiques.
Q - et de gouvernance commune
R - Exactement. Il sagit lors dun objectif porté par la France avec des alliés en Europe, des alliés sur lensemble du continent africain et récemment la Chine qui était plutôt mitigée sur cette question - et elle ne veut pas pour des questions stratégiques se couper des pays africains-. Il y a donc quelques jours, elle a accepté de faire un pas dans cette direction. Donc lagenda, qui est prioritaire pour la France, à savoir faire reconnaitre cette question en terme statutaire aux Nations unies pour pouvoir ensuite faire mener des politiques, est en train davancer.
Q - Vous voulez dire que le sommet de Rio + 20 pourrait déboucher sur la création dune organisation mondiale de lenvironnement ?
R - Non, je nai pas dit cela, il pourra déboucher sur le fait de passer dun simple programme des Nations unies - qui na rien à voir avec les autres systèmes des Nations unies - vers une agence autonome qui est à Nairobi, dailleurs au Kenya, cest le premier élément. Deuxième élément, cest le fait que le système de gouvernance sur la question de la pauvreté des Nations unies - ce que lon appelle les Objectifs du Millénaire- nintègre pas aujourdhui les questions environnementales, les questions dénergie par exemple. Je pense quun deuxième progrès possible serait de fusionner à terme les agendas «développement durable» et les agendas «lutte contre la pauvreté» pour bien montrer quil ny a pas de voie de sortie possible à moyen terme pour les pays du Sud dans létat de pauvreté dans lequel ils sont encore très majoritairement, sans prendre en compte toutes les questions de développement durable. Si on arrive à avancer sur ces deux agendas, on aura fait de Rio une étape insuffisante certes, mais utile.
Q - Vous allez avoir du mal parce que les pays émergents disent «laissez-nous nous développer, vous, vous êtes développés pendant des siècles sans vous préoccuper denvironnement, et maintenant que nous vous rattrapons et même que nous vous dépassons, vous mettez des barrières environnementales voire sociales pour certains cas »
R - Cest le discours encore dominant au Sud et le discours dominant au Nord cest de dire «écoutez, nous on a un problème économique, les contraintes environnementales on verra demain, lurgent cest la relance de la croissance !» comme dhabitude et dans les deux cas lenvironnement saute ! Cest franchement le scénario le plus probable aujourdhui. Cest le scénario dont on peut se satisfaire ? Non ! Cest exactement cela le mandat qui nous est donné, cest dessayer dinfléchir cette vision des choses.
Q - Vous parliez des attentes des Africains, je pense que lune de ces attentes cest que la France se conforme à lun de ses engagements qui est de consacré 0,7 % de son PIB au développement. Est-ce que cela reste un objectif réaliste ? On est à 0,46 % pour la France en ce moment.
R - On en est à 0,46 % effectivement. Si on regarde les trajectoires, si rien ne change, cela risque encore de baisser parce quen termes comptables, pour regarder ce quil y a dans cet indicateur de 0,7 % du PIB, il y a notamment les annulations de dette et donc quand il y a moins dannulation quavant, par définition cela fait baisser. Donc, cest un indicateur.
Ce qui mintéresse, au-delà de lengagement politique qui a été pris à de multiples reprises par lensemble des responsables politiques français en disant : «on atteindra le 0,7 % telle année» et comme on ny arrivait pas, on repoussait, plutôt que de refaire un nouvel engagement tout en sachant très bien que lon aura du mal à latteindre, cest plutôt de se dire : quest-ce quil y a dans ce 0,7 % ? Quest-ce qui est vraiment utile ? Quest ce qui est vraiment demandé ? Quest ce qui est efficace ?
Le deuxième élément, parce que cest vraiment important davoir cela en tête, cest que laide publique au développement, ce fameux 0,7 % du PIB, cest 15 % des flux financiers du développement, lessentiel des flux sont des flux privés donc par exemple largent des migrants, des investissements privés...
Q - Cela veut quand même dire que laide publique au développement ces dernières années recule ?
R - En valeur absolue elle ne recule pas, et en pourcentage elle est relativement stable.
Q - On est à 0,31 - 0,32%
R - Cela dépend de conventions.
Q - Oui mais cest beaucoup moins que les objectifs ?
R - Cest beaucoup moins, cest très clair et jai comme ambition daugmenter cela
Q - Malgré laustérité ?
R - Justement, à deux conditions, dune part se focaliser sur ce qui est utile et nécessaire sachant que les 0,7 %, cest une convention comptable et donc dans cette convention comptable on sait très bien quil peut y avoir des choses qui ne sont pas complètement nécessaires.
Q - Ce nest pas un habillage ou un maquillage, une façon de dire on ne peut pas y arriver mais ce que lon fait ce nest pas si mal si lon regarde, si lon compte différemment ?
R - La réalité cest ce qui compte, cest ce qui arrive sur le terrain et cest ce qui est utile. Les conventions comptables cest intermédiaire. Le volontarisme politique est sur ce qui est utile, il nest pas sur la convention en elle-même, cest le premier point.
Le deuxième élément, si vous regardez uniquement les flux financiers qui partent des pays du Nord et qui vont vers les pays du Sud, là-dedans cest 15 % et cest ce dont on vient de parler. Si vous regardez maintenant les flux des pays du Sud vers les pays du Nord, notamment tous les flux qui sortent liés aux paradis fiscaux, liés à la mauvaise gouvernance, liés à lopacité, à loptimisation fiscale légale ou illégale de la part des grandes multinationales mondiales et notamment européennes, vous vous apercevez que ces flux sont dix fois plus importants que les flux daide publique au développement.
Je me battrai évidemment pour atteindre les 0,7 %. Mais élargissons un peu le champ, regardons ce qui est important, si jaugmente la décimale après la virgule mais quen même temps on ne fait rien pour les flux dix fois plus importants qui sortent et qui empêchent ces États de consolider leurs recettes fiscales, de mettre en place des politiques internes de redistribution, on sest battu, on a gagné mais sur un tout petit bout.
Donc, ce qui mintéresse cest aussi de me battre et cest là où mon expertise financière au niveau du Parlement européen peut être utile parce quil y a quelques sujets sur ces questions qui sont déterminants et qui sont en cours de négociation. Cest en ce moment que cela se passe !
Q - Vous avez beaucoup travaillé, vous lavez rappelé vous-même, sur le contrôle de la finance internationale, sur la régulation des marchés financiers quand vous étiez député européen. Comment pourriez-vous expliquer à nos spectateurs, auditeurs, en quoi cette lutte contre lévasion fiscale, contre cette fraude fiscale, contre les paradis fiscaux est quelque chose de prioritaire pour laide au développement, quel est le rapport entre les deux ?
R - Quand vous avez des investissements dans un État au Sud et quune grande partie des recettes fiscales qui pourraient être affectées à ce budget de lÉtat pour mener des politiques de service public, de lutte conte la pauvreté, déducation, de santé ne sont pas là parce quelles partent dans les paradis fiscaux, parce que lentreprise, qui opère dans ce pays, a une holding situé dans un paradis fiscal, quelle remonte cet argent et que largent est taxé de manière epsilonesque dans ce paradis fiscal et quensuite il remonte chez nous, on voit bien quil est difficile de dire à lÉtat concerné : «quest ce que vous faites sur la santé ? Quest ce que vous faites sur léducation ?». Si cest pour mettre ensuite un petit pansement en disant : «cela ne me regarde pas, je viens de vous dire que ce nest pas cela et puis je donne quelques dizaine de millions deuros pour compenser le manque à gagner en terme de recette fiscale», on voit bien que cela ne peut pas marcher. Cest un pansement, il faut lavoir mais lenjeu cest dabord de faire en sorte que les réformes structurelles soient faites et là en loccurrence
Q - Ce discours-là au Quai dOrsay, il va passer facilement ?
R - Non seulement il va passer, mais il est passé. Jen ai discuté avec Laurent Fabius, cétait clairement une des priorités de mon action. En ce moment, se négocie à Bruxelles un texte, il sagit de la réforme de la directive transparence et comptabilité. Donc la transparence des comptes des grandes entreprises multinationales nest pas un sujet mineur, et la position de la France va être de défendre la transparence des comptes de lensemble des multinationales dans chaque pays où elles opèrent de façon justement à éviter ce que je viens de décrire.
Q - Comment cela va-t-il se passer pour obtenir des multinationales la transparence des comptes ?
R - Cela sappelle le droit et il y a une directive européenne en cours de négociation. Cela sappelle le droit européen qui ensuite simpose, ce sont des normes comptables, des normes de transparence qui simposent à lensemble des sociétés européennes qui ont leur siège dans lUnion européenne. Cela permettra à un coût nul - ces informations sont déjà dans les comptes des entreprises, elles font tous ces montages financiers et fiscaux - de faire, en quelque sorte, lever le couvercle et de voir comment cela marche, de demander à chaque entreprise européenne où elle paye des impôts, combien de filiales, combien de chiffre daffaire font-elles, quelle masse salariale ont-elles. On verra à ce moment-là ; Je considère, à titre personnel, mais le gouvernement français considère aussi que cest une priorité absolue, notamment en terme de développement.
Q - Cest un sujet qui est un peu miroir puisque ce que vous évoquez concerne les sociétés multinationales européennes. Il y aussi, dans un certain nombre de pays en développement, des problèmes de gouvernance. Il y a une procédure en France, qui est celle dite des biens mal acquis, qui concernent des chefs dÉtats africains dont on considère quils ont acquis des biens de façons surdimensionnés au détriment de leur propre État en piochant dans les caisses pour faire court. Est-ce quil va y avoir application de ce principe dans les relations de la France avec ces pays ? Est-ce que ce problème de mauvaise gouvernance, de détournement dargent aura une concrétisation dans les relations que lon aura avec ces pays?
R - Jen ai parlé avec la Garde des Sceaux, Christiane Taubira, pas plus tard quil y a deux ou trois jours. Il ny aura clairement aucune intervention. Vous savez quil y a des affaires en cours, la justice française travaille, que, dans le passé, il y a pu y avoir des interventions de lÉtat, dans le futur, il ny en aura pas. La justice fera donc son travail et on verra bien ce qui se passe. Je nai pas de commentaire à faire. Le seul commentaire que je peux faire cest politiquement il ny aura aucune intervention du gouvernement sur ces questions là.
Q - Donc, cest à pour les questions du passé, mais pour le futur ?
R - Le passé, ce sont des affaires en cours.
Q - Oui, des affaires en cours mais qui concernent des affaires passées. Pour le futur, le président Hollande a dit quil basait sa politique africaine sur trois grands principes. Je vais le citer rapidement : encourager la bonne gouvernance démocratique, mettre en place un pacte de croissance et de développement et le principe de non ingérence dans les affaires africaines. Comment aller des mots aux actes ?
R - Plusieurs choses, Jean-Marie Bockel et Jean-Pierre Cot avaient dans leur agenda ministériel, la Coopération.
Q - qui nexiste plus dailleurs !
R - Voilà, je crois que vous avez répondu à la question !
Q - Elle nexiste plus mais la politique existe encore.
R - Il sagit de dire : moi, je nai pas la coopération, personne na la coopération.
Q - Il ny a plus de coopération alors ?
R - Il y a des relations normales avec les pays qui ont besoin de notre aide, cest la partie développement.
Q - Il suffisait de seffacer le nom pour
R - Non, mais en politique il y a aussi des organisations, il y a aussi des symboles et cela en est un premier. Le deuxième élément, cest la cellule diplomatique de lÉlysée. Il y avait traditionnellement une cellule Afrique indépendante de la cellule diplomatique de lÉlysée. Désormais, plus personne noccupe cette fonction.
Q - Mais il y aura quand même à lintérieur de cette cellule des conseillers qui soccuperont de lAfrique ?
R - Évidemment, comme il y a des conseillers qui soccupent de lAsie ou de lAmérique latine ! Une certaine opacité a pu régner par le passé, tout est désormais transparent. Troisième signe, parce que vous voulez des signes
Q - Mais peut être au-delà des signes ?
R - Cest un acte, cela fait trois semaines, on pose des actes. Troisième acte
Q - Des actes symboliques
R - Attendez
Q - Cest la critique qui vous est faite.
R - Troisième acte évoqué, cest le fait que François Hollande ait reçu sur les questions de crise au Mali, par exemple, le président de lUnion africaine, qui est aussi le président du Bénin. Il la reçu en tant que président de lUnion africaine. Lensemble des outils, des efforts diplomatiques de la France est mené dans le cadre multilatéral, que ce soit dans le cadre des Nations unies ou de la CEDEAO (la Communauté des États de lAfrique de lOuest), les choses fonctionnent en Afrique comme ailleurs, il ny a pas de système parallèle !
Q - Il faut être un peu prudent, François Mitterrand il y 22 ans avait fait un grand discours à La Baule dans lequel il avait dit quil fallait lier la coopération française au progrès de la démocratie. Et 22 ans plus tard, le constat
R - Cest pour cela quil ny a pas de discours, cest pour cela quil y a des actes. Je ne vous ai pas dit des grands mots, jai parlé très concrètement dactes et on est en train de les poser.
Q - On vous réinvitera dans un ou deux ans !
R - Avec plaisir !
Q - Dans les actes, le Ministère du Développement dispose dun outil extraordinaire qui est lAgence française du Développement, qui elle aussi a été accusée de servir les intérêts de cette Françafrique - qui gère 6 à 7 milliards deuros. Un, est-ce quil y a une réforme de lAFD qui est prévue et est-ce quil faut réorienter les fonds différemment ? Et deux, question un peu plus personnelle, le directeur de cette agence, Dov Zerah, au moment de sa nomination a été critiquée?
R - Cest très simple, je suis en train de regarder la façon dont la politique est menée. Il se trouve que la Cour des Comptes va produire un rapport sur la question de la politique française de développement qui sortira fin juin. Je regarderai, donc, cette évaluation pour répondre à la première partie de votre question qui est : «est-ce que tout est bien fait, est-ce quil y a des marges de progression ?». Je mappuierai sur les éléments de la Cour des Comptes et on en tirera les conclusions qui simposent. Je ne vais pas rentrer ici dans des questions personnelles liées à la gouvernance de lAFD.
Q - Je voudrai revenir à la suppression de la cellule diplomatique à lÉlysée. Est-ce que néanmoins on peut considérer lAfrique comme une zone normale, au même titre que lAsie et lAmérique latine ? Ce nest pas une erreur diplomatique à moyen et long terme pour la France car lavenir diplomatique de la Francophonie est essentiellement en Afrique ?
R - Cest pour cela que cest une priorité, mais que la façon de gérer cette priorité, cest la façon normale. On peut mettre des priorités sans être dans quelque chose de spécifique, de parallèle, de différent. Il est normal que la priorité française soit lAfrique, parce que les deux tiers des pays les moins avancés sont là, que la moitié des enfants africains qui ont moins de 5 ans ont des problèmes de croissance, donc il est normal davoir une priorité africaine pour le développement.
Q - Très brièvement, au-delà de lAfrique, il y a lAfghanistan. Vous avez prévu un déplacement prochainement en Afghanistan pour préparer laprès-militaire, si je peux dire ?
R - La France se désengagera militairement, il ny aura plus de forces combattantes au 31 décembre 2012. En revanche, il y a un traité franco-afghan qui a été signé, qui sera honoré, qui sera ratifié par le Parlement, qui sera honoré par François Hollande. Il faut voir maintenant comment on fait concrètement pour développer cette coopération civile dans un contexte extrêmement compliqué. Jirai à Kaboul dans les prochains jours pour voir comment on peut mener à bien ce chantier.
Q - Merci Pascal Canfin, ce sera le mot de la fin.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 juin 2012