Déclaration de Mme Aurélie Filipetti, ministre de la culture et de la communication, sur l'inauguration du musée Toulouse-Lautrec, la politique du patrimoine et les différents acteurs (Etat, collectivités locales, entreprises) de la préservation du patrimoine culturel, Albi le 27 juillet 2012.

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Circonstance : Inauguration du musée Toulouse-Lautrec à Albi le 27 juillet 2012

Texte intégral

Monsieur le Préfet de la région Midi-Pyrénées,
Madame la préfète du Tarn,
Monsieur le directeur adjoint de la direction générale des patrimoines,
Madame la directrice chargée des musées de France,
Monsieur le directeur chargé des archives de France,
Monsieur le directeur régional des affaires culturelles,
Monsieur le président de la région Midi-Pyrénées,
Monsieur le président du conseil général du Tarn,
Monsieur le maire d'Albi,
Madame la directrice du musée Toulouse-Lautrec,
Mesdames, Messieurs,
En visitant il y a quelques minutes le musée Toulouse-Lautrec sous la conduite de Madame Danièle Devynck, sa directrice, me revenaient en mémoire ces mots de Georges Seurat : « L'art, c'est l'Harmonie.
L'Harmonie, c'est l'analogie des contraires ». Cette phrase d'un autre peintre de génie de la fin du XIXe siècle me paraît s'appliquer tant à l'oeuvre de Lautrec qu'à sa présentation dans l'écrin du palais de la Berbie.
C'est bien, en effet, dans ce contraste des lieux, depuis les salons nobles de l'enfance jusqu'aux maisons closes de Montmartre, des personnages, depuis l'entourage aristocratique jusqu'à Bruant, Yvette Guilbert ou La Goulue et des techniques, depuis la peinture à l'huile jusqu'à la lithographie, que l'oeuvre de Lautrec construit sa cohérence. Cette cohérence, c'est celle d'une esthétique nouvelle, libérée des interdits de la respectabilité, qui, par l'audace des jeux de couleurs et de la composition, saisit la beauté dans le visage d'une comtesse comme dans le déhanchement d'une chanteuse de cabaret.
Cette harmonie née de l'analogie des contraires se dégage aussi de la présentation de l'oeuvre de Lautrec dans le Palais de la Berbie. Il a fallu de l'audace pour installer, dès 1922, dans ce palais épiscopal du XIIIe siècle devenu propriété du conseil général en 1807, chef d'oeuvre de cette architecture de brique si caractéristique de la région, l'oeuvre moderne, largement montmartroise et quelque peu subversive de Lautrec. Mais ce choix était le bon, et à plus de six siècles d'écart, les génies des architectes de la Berbie et de l'enfant du pays inspiré par les nuits parisiennes dialoguent merveilleusement.
Cette concentration d'autant de splendeur en un même lieu méritait un effort exceptionnel de mise en valeur. Et je suis venue vous dire aujourd'hui que cet effort a porté ses fruits et que toutes celles et ceux qui ont conduit le projet de restructuration du musée et du palais peuvent être particulièrement fiers du résultat. Plus de dix ans de travaux ont mis en valeur les oeuvres par une muséographie moderne et élégante. Ils ont aussi doté le musée de ces équipements aujourd'hui indispensables que sont des réserves conformes aux normes de conservation, des espaces dédiés à l'accueil du public scolaire, un centre de documentation de référence ou encore des adaptations permettant l'accès des personnes handicapées. Ils ont, enfin, permis la découverte, au sein même du palais, d'éléments d'architecture et de décors jusqu'alors dissimulés par les aménagements successifs, au premier rang desquels figurent ces pavements de terre cuite du XIIIe siècle, ensemble exceptionnel que les visiteurs peuvent désormais apprécier. Ainsi réinventé, le musée Toulouse-Lautrec pourra connaître le rayonnement qu'il mérite : en atteste d'ores et déjà son attractivité pour accueillir des oeuvres de premier plan, comme l'illustrent l'exposition actuelle sur les maîtres de l'estampe japonaise, venue du musée de Kawasaki, ou le prêt de tableaux du musée d'Orsay.
Vous le savez tous, la ville d'Albi bénéficie d'un patrimoine particulièrement riche qui va au-delà de ce musée et du palais qui l'abrite. Je me rendrai tout à l'heure à la cathédrale Sainte-Cécile, joyau de cette cité épiscopale que l'Unesco a justement distinguée en 2010 en l'inscrivant au patrimoine de l'humanité. Puis, je traverserai le Tarn pour me rendre aux archives départementales afin de découvrir un document venu récemment enrichir les fonds de ce service et dont vous comprendrez qu'il me tient particulièrement à coeur, puisqu'il s'agit d'un manuscrit de la main de Jean Jaurès constituant la motion de la fédération socialiste du Tarn en vue du congrès de Toulouse d'octobre 1908. Je me réjouis que ce document majeur pour l'histoire du mouvement ouvrier ait pu rejoindre les collections publiques et sais que l'attention personnelle de Thierry Carcenac, président du conseil général du Tarn, d'Hervé Lemoine, directeur chargé des archives de France, et de Sylvie Desachy, directrice des archives départementales ont permis cette acquisition. Je leur en suis très reconnaissante et relève avec beaucoup de plaisir que l'attention portée par le conseil général du Tarn aux archives va au-delà de cette seule acquisition, puisque l'abbaye de Sorèze, généreusement mise à la disposition du service interministériel des archives de France, accueillera, en novembre prochain, le congrès national des archives, réunissant pour la deuxième année consécutive ce réseau des services d'archives publiques auquel je suis profondément attachée.
Archives, musées, patrimoine bâti : Seurat, que je citais tout à l'heure, écrivait encore que l'Harmonie pouvait naître, aussi, de l'analogie des semblables. Et je vois en effet dans ces différentes composantes du patrimoine l'heureuse unité de la mémoire, de la beauté et de l'émotion.
Ainsi qu'une exigence à laquelle nous devons collectivement répondre : celle de préserver, de faire connaître et de mettre en valeur le patrimoine sous toutes ses formes.
J'ai la conviction qu'aujourd'hui plus que jamais, la réponse à cette exigence ne peut passer que par des partenariats entre ces trois acteurs essentiels du patrimoine que sont, dans notre pays, l'Etat, les collectivités territoriales et les personnes privées, qu'il s'agisse du mouvement associatif ou des entreprises. La restructuration du musée Toulouse Lautrec, l'inscription de la cité épiscopale au patrimoine de l'humanité, l'acquisition du manuscrit de Jean Jaurès ont un point commun : toutes ces réalisations ont exigé la conjugaison, à un titre ou à un autre, des efforts de ces différents acteurs.
Parce que je suis, en tant que ministre de la culture, responsable de l'action de l'Etat au service de la politique publique du patrimoine, je souhaite vous indiquer les trois axes d'intervention à mes yeux également essentiels de l'administration placée sous mon autorité.
L'Etat doit, tout d'abord, assurer la cohérence de la politique publique du patrimoine. Cette cohérence consiste en l'application de règles identiques aux archives, musées, monuments ou objets archéologiques quelle que soit leur localisation sur notre territoire. Cette unité de traitement, que le code du patrimoine qualifie de contrôle scientifique et technique, est nécessaire non seulement aux institutions patrimoniales et à l'harmonisation de leurs méthodes de travail, mais aussi au public lui-même, qui doit bénéficier, partout en France, de l'application de règles identiques pour la conservation et la mise en valeur du patrimoine. Rien ne justifierait que les exigences en matière de programme scientifique et culturel d'un musée, de conservation des archives publiques ou encore de restauration des monuments historiques varient d'un territoire de la République à un autre et c'est le rôle de l'administration culturelle de l'Etat que de garantir cette égalité de traitement, fondement de l'égalité d'accès à la culture.
L'Etat doit, ensuite, jouer un rôle d'expertise et de conseil. Le rappel par les services de l'Etat des normes de traitement scientifique et culturel du patrimoine n'a de sens que s'il s'accompagne d'un appui aux différents acteurs afin de leur permettre de respecter ces normes. Je sais, monsieur le maire d'Albi, monsieur le président du conseil général du Tarn, monsieur le président de la région Midi-Pyrénées que, tout au long de ces magnifiques chantiers patrimoniaux que vous avez menés, vous avez pu compter sur l'expertise précieuse des fonctionnaires de l'Etat du service des musées de France, représenté ici par sa directrice Marie-Christine Labourdette, de la direction régionale des affaires culturelles, représentée ici par son directeur Dominique Paillarse, des services territoriaux de l'architecture et du patrimoine ou encore des archives départementales. Garants du respect des règles, ces fonctionnaires ont aussi pour responsabilité de vous aider et de vous soutenir dans vos initiatives. Soyez certains qu'ils continueront à le faire.
L'Etat doit, enfin, investir en faveur du patrimoine. Il a pris sa part dans toutes les réalisations que nous saluons aujourd'hui et a été notamment le premier financeur de la restructuration du musée Toulouse-Lautrec. Je souhaite ardemment qu'il puisse continuer à contribuer, demain, notamment grâce à ses crédits d'intervention, à la mise en valeur de ce patrimoine exceptionnel dont notre pays à la chance de bénéficier.
Mais que serait aujourd'hui, que serait demain, la portée concrète de cette action de l'Etat sans synergie avec les collectivités territoriales et les personnes privées ? Où que je me rende depuis ma prise de fonctions, je constate sur le terrain le caractère indispensable de ces partenariats. C'est le cas en matière d'archéologie préventive, et j'ai pu apprécier, à Saint-Rémy-de-Provence, lors des journées nationales de l'archéologie, l'équilibre trouvé entre la ville, l'institut national de recherches archéologiques préventives, établissement public de l'Etat, et les fondations d'entreprises pour la valorisation de l'archéologie. C'est le cas en matière de musées, et j'ai pu constater, en me rendant récemment sur le chantier du Louvre-Lens, l'efficacité de l'engagement commun du Louvre, grand opérateur de l'Etat, et de l'ensemble des collectivités territoriales en faveur de ce magnifique projet. C'est le cas, encore, en matière de patrimoine, et j'ai pu admirer la force de l'action commune des élus locaux, des associations de mineurs, des entreprises et de l'Etat pour cette accession du bassin minier uni au patrimoine de l'humanité dont vous savez combien elle me tient à coeur. Ce sera le cas, enfin, en matière d'histoire de l'art, et le soutien conjugué de l'Etat, des collectivités territoriales et des entreprises mécènes permettra la tenue, du 31 mai au 2 juin 2013, au château de Fontainebleau, de la troisième édition du festival de l'histoire de l'art sur le beau thème de l'éphémère, le pays invité d'honneur étant le Royaume-Uni.
Etat, collectivités territoriales, associations, entreprises : tous ces acteurs sont donc indispensables à la préservation et à la valorisation de notre patrimoine. Et c'est pourquoi je tiens à affirmer une nouvelle fois mon attachement au régime fiscal du mécénat, qui permet aujourd'hui aux personnes privées de jouer tout leur rôle dans ce domaine. Depuis le soutien aux grands investissements culturels jusqu'aux chantiers de restauration de monuments financés par les petites et moyennes entreprises en passant par le don individuel en faveur de l'achat d'une oeuvre par une institution publique, le mécénat est aujourd'hui un soutien essentiel à l'action de l'Etat et des collectivités. La remise en cause du régime fiscal du mécénat briserait cette dynamique et priverait les institutions publiques d'un apport indispensable. Je sais le rôle que le mécénat du World monument fund a joué dans la restauration de la cathédrale d'Albi et je tiens à ce que de telles opérations puissent perdurer.
Mettre en valeur le patrimoine, c'est faire le choix de l'avenir. Et c'est un grand plaisir de rappeler ce qui est pour moi une évidence dans cette belle ville d'Albi qui mise depuis des années, monsieur le maire, sur le patrimoine et sur la culture pour se développer. Avec l'achèvement, en 2014, du projet des Cordeliers, Albi bénéficiera d'une offre culturelle à la pointe de la modernité, alliant création et patrimoine. Et nous savons que ce pari et gagnant, non seulement parce que la culture contribue à notre épanouissement individuel et collectif, mais aussi parce qu'elle constitue un levier particulièrement efficace du développement d'un territoire. Il n'est que de constater, cette année encore, les retombées très positives du classement d'Albi au patrimoine de l'humanité sur la fréquentation de la ville pour s'en convaincre. Et il faut aussi mentionner la vingtaine de petites et moyennes entreprises du Tarn et d'ailleurs qui ont pu, durant ce chantier de dix années au musée et au palais de la Berbie, remplir leur carnet de commandes et fournir du travail à leurs salariés.
Le rétablissement de l'équilibre des finances publiques, qui constitue une priorité pour le Gouvernement, demandera des efforts importants, y compris dans le domaine du patrimoine. Ces efforts concernent aussi, je ne l'ignore pas, les collectivités territoriales et bon nombre d'entreprises.
Mais cette exigence du retour à l'équilibre ne doit pas priver notre pays de sa capacité à investir dans les secteurs d'avenir. Je suis convaincue que le patrimoine en fait partie et que la France doit valoriser encore cette richesse exceptionnelle dont elle est dotée. C'est en unissant l'ensemble des acteurs de cette valorisation que nous atteindrons cet objectif.
Beaucoup, ici, le savent. Mais, plus que jamais, faisons-le savoir.
Je vous remercie.Source http://www.culturecommunication.gouv.fr, le 30 juillet 2012