Déclaration de Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication, sur le statut des musées, notamment les rapports entre les musées nationaux et les collectivités locales, la politique de dépôt des oeuvres d'art, l'enrichissement des collections publiques et la conservation du patrimoine, Paris le 24 mai 2000.

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Circonstance : Présentation du rapport de mission sur les musées de M. Alfred Recours à l'Assemblée nationale le 24 mai 2000

Texte intégral

L'initiative qui a été prise par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales et son Président, Monsieur Jean Le Garrec, de constituer une mission d'information sur les musées est très opportune dans un contexte où ces institutions sont devenues, pour nos concitoyens, le premier équipement culturel qu'ils fréquentent.
Les chiffres vous sont connus : 33 % des français déclarent avoir visité un musée et cette estimation sera très prochainement revue à la hausse, grâce à de la décision de mon prédécesseur d'offrir la gratuité chaque premier dimanche du mois. Il nous faut néanmoins redoubler nos efforts pour accroître la fréquentation du public en particulier pour celles et ceux qui ne se sentent pas encore concernés par ces mesures.
Je souhaite, avant de vous faire part de mes intentions sur l'utilité d'une loi musée, exprimer toute ma reconnaissance au Président de la mission, Monsieur Alfred Recours ; le travail qu'il a engagé, avec ses collègues, depuis plusieurs mois, sa capacité d'écoute et sa maîtrise des sujets patrimoniaux ont contribué à enrichir notre propre réflexion. Car la méthode et l'approche qui furent les vôtres ont stimulé les services de l'administration et l'ensemble des partenaires associés à cette étude prospective.
Le dynamisme des musées nationaux et territoriaux depuis ces dernières années montre à l'évidence, et vous le soulignez dans votre rapport, que ces institutions sont devenues désormais des outils premiers de l'aménagement culturel du territoire, de l'intégration sociale et de la constitution des collections patrimoniales de notre pays.
Depuis près de dix ans, les pouvoirs publics ont envisagé de donner aux musées une assise juridique renforcée qui tienne compte de l'évolution des enjeux culturels.
Je ne reviendrai pas sur les raisons du retard accumulé pour la mise en uvre d'une telle réforme considérée aujourd'hui, tant par la représentation nationale que par le Gouvernement, comme prioritaire.
Après la loi sur la protection des trésors nationaux et celle sur les ventes publiques aux enchères, je confirme devant vous ma ferme volonté de déposer très rapidement un projet de loi sur les musées.
Je me félicite à cet égard des propositions de votre commission, elles portent sur la définition même du musée : la question mérite en effet d'être posée compte tenu de l'ampleur et de la profondeur des évolutions en cours. Placer le public au cur de l'institution muséale, comme vous le souhaitez, est devenu un objectif incontournable : les collections n'ont de sens que par rapport à celles et ceux qui les regardent.
C'est pourquoi, le projet de loi intégrera les éléments d'une véritable politique des publics. J'ai l'intention d'introduire des obligations nouvelles pour l'ensemble des musées qui seront labellisés, comme par exemple la gratuité obligatoire pour les jeunes de moins de 18 ans et la généralisation de la gratuité pour tous les français un jour par mois.
Le rapport montre bien l'utilité de la gratuité limitée, certains jours de l'année, pour attirer un nouveau public de proximité qui, pour des raisons économiques ou personnelles, n'effectuait pas la première démarche pour participer aux activités des musées. Ce ne sont pas là les seules actions pour mobiliser les publics. Les expositions hors murs engagées par le Centre Georges Pompidou et d'autres institutions ont prouvé aussi leur pertinence.
Si les missions scientifiques des musées permettent de préserver les collections et de les étudier, il est clair que le développement des actions culturelles est d'autant plus nécessaire que son impact déterminant sur la fréquentation est aujourd'hui démontré. La conquête du public reste encore trop lente, les mesures que je viens d'évoquer peuvent nous permettre d'aller plus vite et plus loin. Elles ne sont pas suffisantes, il pourrait être envisagé également l'obligation de prévoir la création de services en direction des publics, soit par le musée lui même, soit au niveau départemental ou régional au titre à la fois de la mise en réseau et de la solidarité des départements pour les petites communes.
La croissance de la demande résulte essentiellement de l'amélioration de l'offre selon deux axes :
le premier concerne la rénovation des bâtiments : 250 chantiers ont été ouverts depuis les années 80, de grands programmes sont en cours, avec parallèlement, la restauration des collections, je poursuivrai cet effort,
le second est celui du développement des actions de médiation et de formation qui supposent des moyens humains et financiers : j'ai la ferme intention d'en faire une priorité pour les années à venir.
Ces mesures sont complémentaires de celles que j'évoquais à l'instant.
Nous devons aussi nous interroger sur la définition et le statut du musée du XXIe siècle.
Chacun reconnaît la nécessité de donner un cadre législatif conforme aux réalités du musée d'aujourd'hui alors même que les textes sont issus d'une ordonnance de 1945.
Je partage à ce sujet les analyses de votre mission qui préconisent un statut garantissant la qualité et l'exigence scientifique, sans être rigide, et l'instauration d'un label fédérateur impliquant la suppression de la catégorie dite des musées classés. Le label ne doit pas reposer exclusivement sur des critères patrimoniaux, il doit nécessairement intégrer des critères relatifs aux actions pour les publics.
C'est une dimension nouvelle du partenariat contractuel à laquelle, je le sais, les élus sont très attachés. C'est aussi à ce niveau que nous devons préciser les rapports entre l'Etat et les collectivités en considérant la logique de conseil et d'expertise de l'Etat, telle que définie dans le cadre des lois de décentralisation ; elle doit s'appliquer pleinement aux musées. Pour ce faire, il convient de renforcer les moyens à l'échelon déconcentré en particulier auprès des Directions régionales des affaires culturelles.
Dans le même esprit, votre commission estime nécessaire d'engager une concertation entre les musées nationaux afin d'étudier la possibilité d'identifier, en certains domaines, un musée comme chef de file qui faciliterait la mise en réseau des établissements. L'exemple du musée d'Orsay auquel sont rattachés le musée Gustave Moreau et le musée Hennert illustre votre propos. Je ne suis pas opposée, bien au contraire, à une organisation de cette nature à condition que celle-ci ne vienne pas limiter l'autonomie propre des musées du réseau national qui bénéficient déjà pour la plupart du statut de service à compétence nationale.
Sur le rôle et la mission de la Réunion des musées nationaux (RMN), je pense qu'il convient de maintenir, comme vous le précisez dans votre rapport, le principe de la mutualisation mais il faut trouver parallèlement un juste équilibre pour à la fois ne pas contraindre l'autonomie des deux établissements publics, le Louvre et Versailles, et par ailleurs, garantir des ressources aux autres musées nationaux.
La nomination récente de Monsieur Philippe Durey, que je salue parmi nous, comme administrateur général de la RMN, succédant à Madame Irène Bizot dont l'action remarquable a contribué à faire de la RMN une institution internationale exemplaire, répond à cette attente. Monsieur Philippe Durey connaît parfaitement le réseau des musées nationaux et celui des collectivités locales, je n'ai pas besoin de rappeler l'excellence de sa direction au musée des Beaux-arts de Lyon. Il saura contribuer à la redéfinition des rapports entre les établissements ; c'est un des enjeux de développement des politiques des publics tant à l'échelon national que territorial.
Notre souci commun, Monsieur le Président, concerne aussi la formation des conservateurs et la mise en uvre d'une réelle mobilité. Je suis très favorable à l'idée de création d'un grade de généralat pour les conservateurs territoriaux en parallèle avec le corps d'Etat ; de même nous nous devons d'amplifier la mobilité des agents, favoriser les passerelles entre les corps et par ailleurs accentuer la réforme en cours de l'Ecole nationale du patrimoine dont j'ai chargé sa nouvelle directrice, Madame Geneviève Gallot.
La loi nouvelle doit aussi prévoir des dispositions particulières pour les collections, de nombreux aspects sont évoqués à cet égard dans votre rapport. Le premier d'entre eux pose le problème de l'inaliénabilité des uvres.
Loin d'en contester le principe, vous suggérez l'étude d'assouplissements dans certains domaines notamment l'archéologie, l'ethnologie et l'art contemporain. Je suis assez favorable à ce que la loi prenne en compte d'une manière générale les collections dites d'études comme celles de l'archéologie et l'ethnologie. Je ne suis pas convaincue de la nécessité de rendre aliénables les oeuvres d'art contemporain. C'est un sujet qui dépasse très largement la politique des musées, il concerne aussi et surtout les fonds régionaux d'art contemporain (FRAC).
J'estime néanmoins nécessaire d'engager une réelle collaboration entre les musées et les FRAC, notamment en favorisant des dépôts d'oeuvres patrimoniales majeures de leurs collections dans les musées. Les FRAC pourront ainsi mieux soutenir la création et remplir pleinement leur mission initiale de diffusion de l'art contemporain sur tout le territoire régional.
J'ai entendu votre demande de poursuivre et d'accroître la politique de dépôts d'oeuvres des musées nationaux auprès des musées de région, c'est un acquis indéniable. C'est aussi la reconnaissance de la grande compétence des conservateurs d'Etat et territoriaux qui dirigent et font vivre nos musées. Ils ne ménagent pas leurs efforts pour faire découvrir ou redécouvrir leur collection.
Dans cet esprit, je souhaite que l'on étudie le principe de transfert de propriété de l'ensemble des dépôts anciens de l'Etat au bénéfice des collectivités locales dont les établissements auront été labellisés.
Je pense, en particulier, aux fonds constitutifs de 1811 de la plupart de nos musées en région, mais aussi des acquisitions de l'Etat antérieures à 1910, date de la première réglementation des dépôts.
Cette proposition pourrait concerner de très nombreuses oeuvres, dont des chefs d'uvre, elle permettrait aussi d'émanciper les musées territoriaux du poids que représente le contrôle de ces dépôts anciens par les institutions d'Etat.
Un autre point évoqué dans votre rapport concerne l'enrichissement des collections publiques. Il s'agit bien sûr d'une des priorités de l'Etat et des collectivités locales. J'ai eu l'occasion de m'exprimer à ce titre lors d'un récent débat sur la protection des trésors nationaux.
Il reste que la contribution du mécénat individuel ou collectif demeure assez faible dans notre pays. J'examinerai avec la plus grande bienveillance les propositions que vous avez formulées à ce sujet.
Je n'ai pas répondu, Monsieur le Président, à l'ensemble des conclusions de votre rapport, mais vous l'aurez compris, Mesdames, Messieurs, ma détermination est grande pour que le projet de loi sur les musées soit l'occasion d'affirmer le rôle et la mission qui est la leur pour l'éducation, la formation, le plaisir des publics ainsi que pour la conservation de notre patrimoine.
Ces établissements constituent les outils essentiels d'une politique culturelle, régionale, nationale et internationale. Il faut leur donner les moyens de se développer et d'être en mesure de poursuivre leur mission patrimoniale non dans le but de thésauriser mais pour que ces richesses puissent être vues par le plus grand nombre de nos concitoyens.
Il nous reste un important travail à engager ; je remercie toutes celles et ceux qui y contribuent, les parlementaires, les élus locaux, les personnels scientifiques mais aussi les services de l'Etat en DRAC et ceux de l'administration centrale, en particulier la Direction des musées de France. Je veux souligner devant vous la grande capacité de travail et la force de conviction dont ont fait preuve Madame Françoise Cachin, Directeur des musées de France et toute son équipe.
Je souhaite, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, que ce dialogue constructif se poursuive pour que nous réunissions notre défi commun d'une culture partagée par le plus grand nombre des français.

(source http://www.culture.gouv.fr, le 25 mai 2000)