Texte intégral
Monsieur le Président, les maires,
Mesdames et messieurs les élus,
C’est pour moi un honneur que de venir participer aux travaux de la 12ème Conférence des Villes. Dès les premières semaines de ma nomination, j’ai eu l’occasion de rencontrer et d’échanger avec les représentants de l’AMGVF.
J’ai alors pu constater votre savoir-faire pour innover à partir de votre expérience de terrain. Votre quotidien d’élus locaux est d’essayer d’inventer des solutions nouvelles face aux questions sociales majeures de notre temps, face au défi de la question urbaine.
Vos réflexions, votre expérience appellent à nourrir les objectifs ambitieux pour l’action publique qu’a défini ce nouveau gouvernement.
Le président de la République m’a confié la charge de créer un ministère nouveau, le ministère de l’Egalité des territoires. Cette création n’est pas un effet de mode, un choix hâtif. Elle répond à un problème de société qui est devenu une urgence, celui de l’égalité des territoires. Elle constitue un défi pour la société française, celui de sa cohésion, de sa solidarité.
Les dix dernières années ont été marquées par un abandon de toute vision politique de l’aménagement du territoire. L’Etat avait abandonné des pans entiers de notre pays au danger du laisser-faire et accru les déséquilibres entre les territoires riches qui ont reçu toujours plus de moyens au nom de la compétition et les autres. Un simple coup d’oeil sur la carte et les montants des investissements d’avenir en témoignent.
Les élus locaux, les élus des villes se sont parfois trouvés seuls face aux attentes et aux impatiences des habitants. Aux promesses égrenées ont souvent succédé les files d’attente, faute d’une ambition partagée.
A l’échelle nationale, on a privilégié quelques territoires en oubliant beaucoup d’autres. On a voulu faire des vitrines à défaut de pouvoir porter un projet.
Il s’agit d’une profonde erreur de perspective.
Un tel choix n’est pas seulement choquant au regard de la justice, qui impose au contraire de dépenser plus là où les besoins sont les plus grands. Il n’est pas seulement choquant par l’ignorance des effets pervers de la concentration des activités dans quelques pôles métropolitains : poches de pauvreté en milieu urbain, congestion automobile, pollutions.
Il est surtout anachronique car il ne prend pas en compte les bouleversements liés à la transition écologique et énergétique. L’heure est à repenser notre modèle de développement à partir de la capacité de chaque territoire à se développer, en organisant les mobilités et les échanges autour de circuits courts. Ces dynamiques appellent des politiques publiques modifiées, pour promouvoir de nouvelles façons de vivre, plus sobres en carbone, plus solidaires, et qui garantissent la capacité de chaque territoire à se développer. Il faut aujourd’hui penser la politique à l’échelle de la proximité.
La révolution numérique offre dans ce contexte des potentialités que l’on mesure mal encore. Mais sur le trajet vers une ville plus sobre, plus écologique, elle ouvre des perspectives nouvelles pour la maîtrise des consommations d’énergie, d’eau, pour l’économie circulaire et l’organisation des mobilités, grâce aux réseaux intelligents. L’aménagement numérique du territoire est un outil majeur dans notre trajet vers une ville plus écologique. Il appelle une réflexion globale sur le partage de l’information, notamment à destination des collectivités en charge de l’organisation des réseaux, afin de rendre possibles de nouvelles façons de consommer. J’ai été frappée par un événement passé inaperçu. Le marché de l’eau de l’Ile de Malte a été remporté, non par un délégataire classique, mais par une entreprise informatique. Cet événement indique combien notre combat pour la maîtrise de la consommation des ressources naturelles passe par de nouvelles solutions. Et c’est tout l’intérêt de la table ronde qui vient de se dérouler.
Mais le progrès technique ne vaut que s’il est partagé par tous. Si l’on prend un pas de recul, nous ne pouvons fermer les yeux sur les dynamiques inquiétantes à l’oeuvre. L'intégration européenne et mondiale toujours plus poussée a eu pour effet de bouleverser la géographie économique de l'espace français. On a dessiné de nouveaux espaces du chômage et de la pauvreté, de nouvelles inégalités dans l’accès aux biens publics, l’eau, l’air, les espaces naturels. La logique qui pousse à l'échelle nationale chaque région, chaque métropole, à la spécialisation fait toutefois perdre de vue la constitution simultanée de plus fortes interdépendances entre territoires locaux. La résilience d’un territoire, dépend de la possibilité d’organiser la solidarité avec les territoires voisins.
Ceci doit nous inviter à réfléchir autrement à la planification de l’espace. Ce renouvellement impose de reposer simultanément la question de la mobilité et de l’accessibilité par les transports et celle de la planification de l’urbanisme et de les penser ensemble. Il nous faut bien sûr offrir une réponse à la fracture sociale de la mobilité. Je ne suis pas surprise que le prix de l’essence devienne un enjeu politique majeur, quand l’accès au travail, à la consommation, aux loisirs, à l’éducation dépend exclusivement du transport automobile. Nous devons repenser la mobilité, retisser les liens entre les centres-villes et les quartiers, entre les villes et les campagnes périurbaines en plaçant au premier plan la question majeure de l’accessibilité. Sur ce chemin, je l’ai dit, la ville écologique sera une ville intelligente.
Mais voyons plus large. Nous devons également saisir à bras le corps les questions d’urbanisme, le droit à la ville. Nous devons prendre en compte le droit de chacun aux services et notamment à ce service fondamental qu’est le logement. Un logement à prix raisonnable. Rénové thermiquement afin de limiter l’empreinte carbone des bâtiments et de limiter l’impact de l’augmentation des prix de l’énergie sur les habitants.
Au-delà de l’accès aux services de la ville, nous devons trouver une place pour tous les habitants.
Ceci suppose de s’interroger sur les conséquences sociales de nos choix d’organisation de l’espace. A qui profitent nos choix d’infrastructures ? Doit-on desservir en priorité les quartiers d’affaires ou les quartiers populaires enclavés ? C’est tout le débat d’aujourd’hui autour du Grand Paris. Je demeure frappée par le choix qui a été fait, dans le cadre de la rénovation urbaine, de reconstruire à l’endroit même où les barres inhumaines existaient, donc de laisser les poches de pauvreté au même endroit, sans effort pour mieux desservir, pour mixer les populations. J’ai décidé de prendre à bras le corps la question de la mixité sociale. Vous le savez bien. Le durcissement de la loi SRU en est le premier acte. Ce premier pas ne suffit pas. C’est l’ensemble de notre organisation de l’espace qui doit être modifiée.
Je l’ai dit à la Conférence environnementale, je souhaite mettre en oeuvre rapidement les trames vertes et bleues issues du Grenelle. La notion de trame est intéressante, elle impose de modifier la planification de l’espace, en la structurant à partir de l’espace naturel, des eaux pluviales, de la faune et de la flore.
Elle suppose de préserver une place pour l’avenir, pour les constructions de demain et pour la réappropriation de l’espace par ses habitants. Je connais de nombreux quartiers qui dessinent une ville pour demain, une ville à énergie positive. Mais je redoute parfois que la somme de monuments isolés à énergie positive ne fasse pas ville, faute d’avoir été pensés pour évoluer avec ses habitants.
Faire ville se fait à trois échelles. A l’échelle de l’agglomération, en réarticulant espaces urbains et campagne périurbaine. A l’échelle du quartier avec son lien au centre-ville. A l’échelle de l’habitant autour de sa mobilité. Je n’oublie pas que si chacun est plus mobile, l’inscription dans un espace, dans un territoire, devient d’autant plus structurant.
Faire ville, c’est la mission dont vous vous êtes dotés. Le XXIe siècle ne nous appelle pas seulement à penser en termes de métropoles ou de grands pôles internationaux, il nous appelle à construire une ville durable et équilibrée, appuyée sur les nouvelles technologies.
La mission que s’est fixé ce gouvernement en somme, c’est de réconcilier l’humain et l’urbain. C'est-à-dire de mettre en cohérence l’aménagement du territoire avec un projet de société, celui de la solidarité et de la transition écologique.
Je sais que c’est à ce projet que vous vous attelez depuis de nombreuses années.
Ce défi, qui est le nôtre, est celui de l’égalité des territoires. C’est celui de notre temps.
Source http://www.territoires.gouv.fr, le 20 septembre 2012