Texte intégral
Monsieur le président,
Messieurs les rapporteurs,
Mesdames, messieurs les sénatrices et les sénateurs,
Lhistoire des outre-mer dans la République est celle dune longue marche vers légalité. Vers légalité réelle.
Cette histoire est riche dépisodes et détapes qui ont rapproché les territoires et les peuples des outre-mer de cette aspiration puissante. Et cest aujourdhui avec la conviction duvrer utilement pour retrouver ce chemin vers le progrès, que nous vous présentons le projet de loi sur la régulation économique dans les outre-mer.
Cest un honneur, Monsieur le Président, et une émotion particulière pour moi, vous le comprendrez Mesdames et Messieurs les Sénateurs, que dêtre devant vous aujourdhui à loccasion de la discussion générale sur le projet de loi portant régulation économique dans les outre-mer.
A lorigine de ce texte, il y a en effet quelques constats simples mais qui sont ressentis durement et douloureusement, comme une injustice flagrante, par nos compatriotes des outre-mer.
Sur ces territoires, les prix de la plupart des biens et des services demeurent bien supérieurs à ceux de lHexagone (de 22% à 38,5% décart mesuré en 2010 par lINSEE, pour les seuls produits alimentaires). Or, dans le même temps les revenus y sont notoirement plus faibles avec un revenu médian inférieur de 38%, toujours en 2010 selon lINSEE.
Ces écarts ne datent pas dhier. Et pendant longtemps, une même réponse a été formulée. Ou plutôt une litanie dexplications. Autant dire une fatalité qui ne dit pas son nom et qui frapperait pour toujours les outre-mer.
En substance : "Ces différences sont normales. Elles sexpliquent par le coût inévitable du fret aérien ou maritime, par la fiscalité locale, par ce que lon appelle du joli terme fourretout de "coûts dapproche", par le coût du travail également plus élevé dans les outre-mer -, par les coûts de stockage, par la taille forcément petite des marchés et donc des volumes de produits à commercialiser, et jen passe "
Pourtant, ces explications que lon peut entendre pour la plupart ne résistent plus aujourdhui à lanalyse fine de la situation réelle dans les outre-mer. Elles ne suffisent pas, en tout cas, à justifier les différentiels considérables de prix constatés entre lHexagone et les outre-mer dans la grande distribution, mais aussi dans la distribution spécialisée ; dans le commerce alimentaire, mais pas seulement ; ainsi que dans de nombreux tarifs : banque, assurance, téléphonie mobile, Internet à haut débit, billets davion
Même la production locale aura à faire un travail de vérité et délucidation car même si elle fait face à un coût du travail plus élevé et à la cherté des intrants, elle bénéficie également dincitations et daides publiques qui devraient la rendre plus compétitive.
Car nous ne parlons pas décarts relativement soutenables de 10, 15 ou même 20%.
Non. Nous parlons de chocolat en poudre que toutes les familles de lHexagone et des outre-mer ont sur leur table de petit déjeuner et que lon trouvera à 3,10 ici, à Paris, quand il pourra être à 4,40 à La Réunion, à 5,43 en Martinique, à 7,08 en Guadeloupe et, même, à 7,50 en Guyane !
Cet écart mesuré en 2009 dans un rapport de la Mission commune dinformation outre-mer conduite par le sénateur Doligé, variait dans ce cas précis de 42 à 142%. Trois ans après, hélas, de tels écarts demeurent.
Nous parlons de quatre pots de yaourts nature que lon trouvera à 1,15 dans lHexagone et jamais à moins de 2,30 outre-mer. Là encore 100% décart pour deux produits identiques de consommation courante.
Je pourrais allonger la liste des exemples, qui peuvent vous paraître anodins ou anecdotiques. Mais nen doutez pas, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, ils sont le témoignage de linjustice criante que ressentent nos compatriotes outre-mer et qui peut être le ferment dun sentiment dabandon.
Il y a donc depuis des années dans les outre-mer des prix anormalement élevés par rapport à ceux pratiqués dans lHexagone. Cette situation, qui pèse sur les ménages les plus modestes, sur nos compatriotes les plus fragiles, quelques parlementaires des outre-mer et jen fus lont dénoncée. Mais trop seuls, ils nont pas été écoutés.
Et il aura fallu des crises sociales retentissantes, il aura fallu que lautorité de la République soit remise en cause, pour que ce sujet fasse enfin irruption dans le débat public national :
* crise des carburants en Guyane puis en Guadeloupe à la fin 2008 ;
* 44 jours de grève et de blocage de léconomie en Guadeloupe et en Martinique début 2009, avec des répercussions en Guyane, à La Réunion et à Mayotte ;
* crise à la Réunion en 2010 et en 2012 ;
* crise à Mayotte en 2011.
Depuis 2009, missions, rapports et études se sont succédés, dhorizons divers, pour décrire en détail les mécanismes de formation des prix outre-mer. La connaissance en la matière na jamais été aussi profonde.
Les nombreux travaux menés ici même au Sénat par les sénateurs Larcher, Doligé, Vergoz ou Desplan, qui se poursuivent également au sein de votre délégation outre-mer, ont permis dexplorer des pistes prometteuses.
Et je crois pouvoir dire quil y a aujourdhui un large consensus pour admettre quil y a outre-mer un problème de "vie chère", quy répondre est une urgence politique et sociale et que lintervention des pouvoirs publics est non seulement attendue, mais légitime.
Car, jusquici, aucune solution durable na été trouvée.
Les grèves et les manifestations ont montré leur limite et, surtout, leur danger pour des économies fragiles comme celles des outre-mer.
Le blocage des prix, tel que le prévoit la LODEOM votée en juin 2009, na jamais été appliqué faute, précisément, dêtre applicable.
Les produits à prix "solidaires" à la Réunion, ou à prix "baissez bas" en Martinique ont été des expérimentations intéressantes, mais elles nont connu quun succès partiel, car limité géographiquement malgré la volonté de leur promoteur. En outre, elles risquaient dêtre sans lendemain.
Cest donc forts de toute cette expérience accumulée que nous avons adopté une autre stratégie : celle qui consiste non plus à sattaquer aux conséquences, mais bien aux causes identifiées de cette situation particulière aux outre-mer.
Non plus aux prix de détail, qui sont la partie émergée de liceberg, mais aux prix de gros, en amont de la chaîne logistique, là où, à lévidence, se situent les mécanismes de formation de prix excessifs.
Voilà pourquoi cest un texte ambitieux et, à certains égards, révolutionnaire.
Il est la traduction de lun des 30 engagements du président de la République François Hollande envers les outre-mer : je cite : lutter contre les monopoles et les marges abusives en renforçant les instances de contrôles et les observatoires des prix et des revenus ; favoriser la concurrence notamment en luttant contre les exclusivités accordées aux agences de marques et en créant en accord avec les régions des plateformes logistiques mutualisées pour la distribution alimentaire et artisanale ; mettre en place un « bouclier qualité-prix » grâce à des chartes entre la grande distribution et les producteurs locaux et si nécessaire, en encadrant les prix des produits de consommation courante ; encourager les circuits courts de distribution en favorisant la mise en marché des productions locales et favoriser lorganisation des consommateurs en introduisant la notion dactions de groupe.
Ce projet de loi est la première réponse à cette feuille de route volontariste et courageuse.
La réglementation actuelle nous enferme dans un choix qui nen est pas un car il ne règle rien : ne rien faire et cultiver le fatalisme, ou bloquer les prix et tomber dans léconomie administrée.
Or, nous savons tous : administrer les prix peut être nécessaire pour faire face à une situation exceptionnelle, mais cela ne saurait être une solution durable pour les économies des outre-mer.
Il faut donc sattaquer au système de formation des prix cest-à-dire aux causes de la vie chère, car les prix de détail ne sont que le résultat dune accumulation de marges et de prix en amont.
Pour cela, il nous faut des outils nouveaux : intervention sur les marchés de gros, contrôle de la chaine logistique, lutte contre les exclusivités abusives, régulation de la grande distribution. Bref, une nouvelle « boite à outils » avec de nouveaux moyens dinvestigation et de sanction de comportements qui conduisent aux prix trop élevés, à des marges et à des profits injustifiés.
Je tiens à souligner, avant den passer à la présentation des principales dispositions du projet, que le Gouvernement noublie pas nos concitoyens de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française. La plupart des dispositions présentées aujourdhui relèvent de la compétence de ces territoires, et nont donc pas vocation à sy appliquer. Il appartiendra aux autorités de ces deux territoires, si elles lestiment opportun, de transposer celles des dispositions quelles jugent adaptées à leur situation locale. Pour sa part, le Gouvernement les accompagnera dans cette démarche, et veillera à ce que, dans les matières qui relèvent de sa compétence, comme les tarifs bancaires, les excès observés ne puissent perdurer.
Larticle premier du texte propose donc de réguler par décret les marchés de gros et jinsiste uniquement les marchés de gros, cest-a-dire les marchés entre entreprises qui ne concernent pas directement le consommateur mais qui le pénalisent au final.
Larticle 2 interdit les accords exclusifs dimportation lorsque ceux-ci vont à lencontre de lintérêt des consommateurs. Je précise, mais nous y reviendrons dans la discussion, quil ne sagit pas dinterdire lactivité des grossistes-importateurs mais ceux-ci auront désormais à démontrer quils sont un circuit dapprovisionnement efficace et compétitif afin de continuer leur activité.
Larticle 3 étend le pouvoir de saisine de lAutorité de la concurrence par les régions doutre-mer qui, de par leur compétence de coordination économique, auront sur leur territoire les mêmes pouvoir de saisine que le ministre de léconomie, cest-à-dire un pouvoir général de saisine quel que soit le secteur, qui leur permettra dêtre les porte-paroles naturels de toutes les entreprises qui nosent pas porter plainte elles-mêmes.
Larticle 4 abaisse de 7,5 millions deuros à 5 millions deuros le seuil de contrôle des concentrations dans le commerce détail en outre-mer. Il sagit de capter les opérations portant sur des surfaces moyennes supérieures à 600 m², ce qui est significatif outre-mer.
Larticle 5 rend davantage opérationnelle une disposition existante du code du commerce appelée « injonction structurelle », qui vise à sanctionner déventuelles rentes de monopole si celles-ci venaient à être constatées dans la grande distribution. Cet article a fait couler beaucoup dencre car il est léchelon ultime dune grille de sanctions. Or, cette disposition est entourée de solides garanties juridiques qui en font ce quelle est : une mesure dissuasive qui na vocation à sappliquer que pour combattre des comportements conduisant à des prix abusifs dans la grande distribution.
Enfin, à larticle 6 bis du projet adopté par la Commission des affaires économiques, la dernière disposition que le gouvernement a choisi dintégrer par amendement : la mise en uvre dun « bouclier qualité-prix », qui est lune des promesses du chef de lEtat. Elle vient parachever lédifice de ce projet de loi en prévoyant une mesure qui sera efficace à très court terme, dès la promulgation de la loi : lorganisation chaque année dans chaque territoire dune négociation pour mettre en place des prix plafonds modérés visant un panier de produits de consommation courante.
Lamendement du gouvernement définit le cadre dans lequel se tiendront ces négociations mais, surtout, elle fixe en quelque sorte une obligation de résultat car faute daboutir, ce sont les préfets qui fixeront par arrêté le prix plafond dun chariot type représentatif.
Mais pour avoir mené une large concertation depuis la fin juin autour de ce projet de loi avec lensemble des acteurs de la vie économique et sociale des outre-mer, avec les élus, je sais que cette disposition, attendue, est impérative.
Chacun doit comprendre en effet que la « vie chère » est un authentique frein au développement des outre-mer. Cest une hypothèque lourde qui pèse sur la croissance de nos territoires, et cela depuis les crises sociales de 2009.
La crise financière que connaissent les économies développées y a sa part, bien entendu, mais la vie chère mine plus quon ne le pense la confiance entre les consommateurs et les entreprises.
Elle alimente une méfiance qui conduit les ménages à moins consommer, à se réfugier pour certains dans lépargne de précaution, pour dautres dans la spirale de lendettement, voire du surendettement.
Elle alimente aussi des mécanismes dalourdissement des coûts salariaux. Ainsi, les risques de boucles prix-salaires sont réels dans les outre-mer et la vie chère en est la cause principale.
Et ce sont les entreprises, leurs investisseurs, leurs salariés, leurs clients qui en pâtissent. Et cest la croissance qui est en panne depuis des mois presque partout dans les outre-mer.
Oui, la question des prix et des coûts se pose à lensemble des agents économiques, et cela dans nimporte quel système. Aussi bien aux entreprises quaux ménages. Les prix élevés des carburants sont par exemple une charge pour tous ! Et lorsque lon sait que les marges des uns sont aussi, en réalité, les coûts des autres, il me paraît clair quil est dans lintérêt de tous que nous puissions aboutir à des résultats concrets.
Voilà donc un texte équilibré dont le but nest pas de laisser croire que les coûts dimportation vont disparaître, ni que tous les prix saligneront un jour, comme par magie, sur les prix de lHexagone. Notre objectif est faire baisser les prix chaque fois que cela sera possible afin de rétablir la confiance de la population dans la loyauté des marges.
Mais si cette loi est une réponse au problème de la vie chère dans les outre-mer, elle nest pas la seule que propose le gouvernement. Cest en effet un plan structuré de lutte contre la vie chère que nous avons initié.
La loi aura son rôle pour transformer à terme les structures, pour agir durablement. Mais à plus court terme, nous ouvrirons très rapidement des discussions, marché par marché, territoire par territoire, pour obtenir des baisses de prix négociées.
Nous lavons déjà fait ces dernières semaines et avec succès :
* sur les tarifs de téléphonie mobile ;
* mais aussi sur la bouteille de gaz à Mayotte que nous avons fait baisser de presque 10 euros, de 36 à 26 euros ;
* et sur les carburants, pas plus tard quhier, pour obtenir un effort des pétroliers de 3 centimes, alors même que tout le monde jugeait cela impossible.
Très rapidement, également, en ce qui concerne les carburants, le projet qui vous est soumis permettra une régulation plus complète en matière de fixation des prix du carburant outre-mer. Dans ce nouveau cadre législatif, nous revisiterons le décret de 2010. Ce nest pas mon décret, je lai suffisamment combattu pour dire aujourdhui quil sera modifié dans le sens dune plus grande transparence et dune discussion approfondie sur les marges consentis aux professionnels.
Avant de conclure, je voudrais évoquer les dispositions du chapitre 2 qui concernent la mise à jour du cadre législatif des outre-mer par la voie de ratification dordonnances, dhabilitation pour des ordonnances nouvelles ou par la validation législative de loi de pays. Elles montrent que lensemble des outre-mer est concerné par le texte même si les collectivités qui relèvent de larticle 74 restent compétentes pour les questions économiques. Elles pourront sinspirer de ce texte pour adapter leur propre législation si elles le souhaitent.
Je voudrais commenter plus particulièrement larticle 8 qui permet à un maître douvrage en outre-mer déchapper à lobligation dassurer 20% du financement de ses projets. Je ferai à ce sujet deux remarques :
* un dispositif dérogatoire existe déjà pour la Corse ; le législateur a donc déjà pris en compte des situations dinsuffisance de ressources de certaines collectivités.
* Il sagit dune possibilité et non dune obligation ; lEtat pourra donc choisir les dossiers prioritaires et nutiliser cette disposition que dans des cas précis : investissement dintérêt public majeur et faibles ressources de la collectivité concernée. (Exemple de louest Guyanais et des communes du fleuve).
Voilà, Mesdames et messieurs les sénatrices et les sénateurs, les points essentiels du texte qui vous est soumis.
Avant de laisser toute sa place à nos échanges, je redis donc quil ne sagit pas dimposer une législation et une réglementation tatillonnes et figées.
Il ne sagit pas davantage de stigmatiser les entreprises doutre-mer qui sont, avec leurs salariés, les créateurs de valeur dans nos territoires.
Nous ne voulons pas réglementer. Nous voulons réguler.
Nous ne voulons pas déconomie administrée, nous voulons davantage de concurrence.
Ce projet de loi cherche simplement à créer des instruments nouveaux de régulation qui nont vocation à nêtre utilisés quen cas de besoin et au cas par cas, secteur par secteur, territoire par territoire.
Il faut aussi faire émerger un véritable contre-pouvoir consommateur, avec des associations de défense qui auront à prolonger les avancées réelles du texte.
Je nignore pas que certaines dispositions inquiètent. Je peux entendre cela. La nouveauté inquiète toujours, surtout quand elle sattaque à des situations qui sont le résultat de sédimentations successives liées à lHistoire et qui restent figées depuis des décennies.
Jentends bien que certains auraient préféré que nous ne fassions rien. Que nous attendions encore avant dagir.
Je crois au contraire que les enjeux nécessitent aujourdhui dagir. Et dagir vite.
Cest tout le sens de la mission que ma confiée le Président de la République et le Premier ministre.
Je vous remercie.
Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 28 septembre 2012
Messieurs les rapporteurs,
Mesdames, messieurs les sénatrices et les sénateurs,
Lhistoire des outre-mer dans la République est celle dune longue marche vers légalité. Vers légalité réelle.
Cette histoire est riche dépisodes et détapes qui ont rapproché les territoires et les peuples des outre-mer de cette aspiration puissante. Et cest aujourdhui avec la conviction duvrer utilement pour retrouver ce chemin vers le progrès, que nous vous présentons le projet de loi sur la régulation économique dans les outre-mer.
Cest un honneur, Monsieur le Président, et une émotion particulière pour moi, vous le comprendrez Mesdames et Messieurs les Sénateurs, que dêtre devant vous aujourdhui à loccasion de la discussion générale sur le projet de loi portant régulation économique dans les outre-mer.
A lorigine de ce texte, il y a en effet quelques constats simples mais qui sont ressentis durement et douloureusement, comme une injustice flagrante, par nos compatriotes des outre-mer.
Sur ces territoires, les prix de la plupart des biens et des services demeurent bien supérieurs à ceux de lHexagone (de 22% à 38,5% décart mesuré en 2010 par lINSEE, pour les seuls produits alimentaires). Or, dans le même temps les revenus y sont notoirement plus faibles avec un revenu médian inférieur de 38%, toujours en 2010 selon lINSEE.
Ces écarts ne datent pas dhier. Et pendant longtemps, une même réponse a été formulée. Ou plutôt une litanie dexplications. Autant dire une fatalité qui ne dit pas son nom et qui frapperait pour toujours les outre-mer.
En substance : "Ces différences sont normales. Elles sexpliquent par le coût inévitable du fret aérien ou maritime, par la fiscalité locale, par ce que lon appelle du joli terme fourretout de "coûts dapproche", par le coût du travail également plus élevé dans les outre-mer -, par les coûts de stockage, par la taille forcément petite des marchés et donc des volumes de produits à commercialiser, et jen passe "
Pourtant, ces explications que lon peut entendre pour la plupart ne résistent plus aujourdhui à lanalyse fine de la situation réelle dans les outre-mer. Elles ne suffisent pas, en tout cas, à justifier les différentiels considérables de prix constatés entre lHexagone et les outre-mer dans la grande distribution, mais aussi dans la distribution spécialisée ; dans le commerce alimentaire, mais pas seulement ; ainsi que dans de nombreux tarifs : banque, assurance, téléphonie mobile, Internet à haut débit, billets davion
Même la production locale aura à faire un travail de vérité et délucidation car même si elle fait face à un coût du travail plus élevé et à la cherté des intrants, elle bénéficie également dincitations et daides publiques qui devraient la rendre plus compétitive.
Car nous ne parlons pas décarts relativement soutenables de 10, 15 ou même 20%.
Non. Nous parlons de chocolat en poudre que toutes les familles de lHexagone et des outre-mer ont sur leur table de petit déjeuner et que lon trouvera à 3,10 ici, à Paris, quand il pourra être à 4,40 à La Réunion, à 5,43 en Martinique, à 7,08 en Guadeloupe et, même, à 7,50 en Guyane !
Cet écart mesuré en 2009 dans un rapport de la Mission commune dinformation outre-mer conduite par le sénateur Doligé, variait dans ce cas précis de 42 à 142%. Trois ans après, hélas, de tels écarts demeurent.
Nous parlons de quatre pots de yaourts nature que lon trouvera à 1,15 dans lHexagone et jamais à moins de 2,30 outre-mer. Là encore 100% décart pour deux produits identiques de consommation courante.
Je pourrais allonger la liste des exemples, qui peuvent vous paraître anodins ou anecdotiques. Mais nen doutez pas, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, ils sont le témoignage de linjustice criante que ressentent nos compatriotes outre-mer et qui peut être le ferment dun sentiment dabandon.
Il y a donc depuis des années dans les outre-mer des prix anormalement élevés par rapport à ceux pratiqués dans lHexagone. Cette situation, qui pèse sur les ménages les plus modestes, sur nos compatriotes les plus fragiles, quelques parlementaires des outre-mer et jen fus lont dénoncée. Mais trop seuls, ils nont pas été écoutés.
Et il aura fallu des crises sociales retentissantes, il aura fallu que lautorité de la République soit remise en cause, pour que ce sujet fasse enfin irruption dans le débat public national :
* crise des carburants en Guyane puis en Guadeloupe à la fin 2008 ;
* 44 jours de grève et de blocage de léconomie en Guadeloupe et en Martinique début 2009, avec des répercussions en Guyane, à La Réunion et à Mayotte ;
* crise à la Réunion en 2010 et en 2012 ;
* crise à Mayotte en 2011.
Depuis 2009, missions, rapports et études se sont succédés, dhorizons divers, pour décrire en détail les mécanismes de formation des prix outre-mer. La connaissance en la matière na jamais été aussi profonde.
Les nombreux travaux menés ici même au Sénat par les sénateurs Larcher, Doligé, Vergoz ou Desplan, qui se poursuivent également au sein de votre délégation outre-mer, ont permis dexplorer des pistes prometteuses.
Et je crois pouvoir dire quil y a aujourdhui un large consensus pour admettre quil y a outre-mer un problème de "vie chère", quy répondre est une urgence politique et sociale et que lintervention des pouvoirs publics est non seulement attendue, mais légitime.
Car, jusquici, aucune solution durable na été trouvée.
Les grèves et les manifestations ont montré leur limite et, surtout, leur danger pour des économies fragiles comme celles des outre-mer.
Le blocage des prix, tel que le prévoit la LODEOM votée en juin 2009, na jamais été appliqué faute, précisément, dêtre applicable.
Les produits à prix "solidaires" à la Réunion, ou à prix "baissez bas" en Martinique ont été des expérimentations intéressantes, mais elles nont connu quun succès partiel, car limité géographiquement malgré la volonté de leur promoteur. En outre, elles risquaient dêtre sans lendemain.
Cest donc forts de toute cette expérience accumulée que nous avons adopté une autre stratégie : celle qui consiste non plus à sattaquer aux conséquences, mais bien aux causes identifiées de cette situation particulière aux outre-mer.
Non plus aux prix de détail, qui sont la partie émergée de liceberg, mais aux prix de gros, en amont de la chaîne logistique, là où, à lévidence, se situent les mécanismes de formation de prix excessifs.
Voilà pourquoi cest un texte ambitieux et, à certains égards, révolutionnaire.
Il est la traduction de lun des 30 engagements du président de la République François Hollande envers les outre-mer : je cite : lutter contre les monopoles et les marges abusives en renforçant les instances de contrôles et les observatoires des prix et des revenus ; favoriser la concurrence notamment en luttant contre les exclusivités accordées aux agences de marques et en créant en accord avec les régions des plateformes logistiques mutualisées pour la distribution alimentaire et artisanale ; mettre en place un « bouclier qualité-prix » grâce à des chartes entre la grande distribution et les producteurs locaux et si nécessaire, en encadrant les prix des produits de consommation courante ; encourager les circuits courts de distribution en favorisant la mise en marché des productions locales et favoriser lorganisation des consommateurs en introduisant la notion dactions de groupe.
Ce projet de loi est la première réponse à cette feuille de route volontariste et courageuse.
La réglementation actuelle nous enferme dans un choix qui nen est pas un car il ne règle rien : ne rien faire et cultiver le fatalisme, ou bloquer les prix et tomber dans léconomie administrée.
Or, nous savons tous : administrer les prix peut être nécessaire pour faire face à une situation exceptionnelle, mais cela ne saurait être une solution durable pour les économies des outre-mer.
Il faut donc sattaquer au système de formation des prix cest-à-dire aux causes de la vie chère, car les prix de détail ne sont que le résultat dune accumulation de marges et de prix en amont.
Pour cela, il nous faut des outils nouveaux : intervention sur les marchés de gros, contrôle de la chaine logistique, lutte contre les exclusivités abusives, régulation de la grande distribution. Bref, une nouvelle « boite à outils » avec de nouveaux moyens dinvestigation et de sanction de comportements qui conduisent aux prix trop élevés, à des marges et à des profits injustifiés.
Je tiens à souligner, avant den passer à la présentation des principales dispositions du projet, que le Gouvernement noublie pas nos concitoyens de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française. La plupart des dispositions présentées aujourdhui relèvent de la compétence de ces territoires, et nont donc pas vocation à sy appliquer. Il appartiendra aux autorités de ces deux territoires, si elles lestiment opportun, de transposer celles des dispositions quelles jugent adaptées à leur situation locale. Pour sa part, le Gouvernement les accompagnera dans cette démarche, et veillera à ce que, dans les matières qui relèvent de sa compétence, comme les tarifs bancaires, les excès observés ne puissent perdurer.
Larticle premier du texte propose donc de réguler par décret les marchés de gros et jinsiste uniquement les marchés de gros, cest-a-dire les marchés entre entreprises qui ne concernent pas directement le consommateur mais qui le pénalisent au final.
Larticle 2 interdit les accords exclusifs dimportation lorsque ceux-ci vont à lencontre de lintérêt des consommateurs. Je précise, mais nous y reviendrons dans la discussion, quil ne sagit pas dinterdire lactivité des grossistes-importateurs mais ceux-ci auront désormais à démontrer quils sont un circuit dapprovisionnement efficace et compétitif afin de continuer leur activité.
Larticle 3 étend le pouvoir de saisine de lAutorité de la concurrence par les régions doutre-mer qui, de par leur compétence de coordination économique, auront sur leur territoire les mêmes pouvoir de saisine que le ministre de léconomie, cest-à-dire un pouvoir général de saisine quel que soit le secteur, qui leur permettra dêtre les porte-paroles naturels de toutes les entreprises qui nosent pas porter plainte elles-mêmes.
Larticle 4 abaisse de 7,5 millions deuros à 5 millions deuros le seuil de contrôle des concentrations dans le commerce détail en outre-mer. Il sagit de capter les opérations portant sur des surfaces moyennes supérieures à 600 m², ce qui est significatif outre-mer.
Larticle 5 rend davantage opérationnelle une disposition existante du code du commerce appelée « injonction structurelle », qui vise à sanctionner déventuelles rentes de monopole si celles-ci venaient à être constatées dans la grande distribution. Cet article a fait couler beaucoup dencre car il est léchelon ultime dune grille de sanctions. Or, cette disposition est entourée de solides garanties juridiques qui en font ce quelle est : une mesure dissuasive qui na vocation à sappliquer que pour combattre des comportements conduisant à des prix abusifs dans la grande distribution.
Enfin, à larticle 6 bis du projet adopté par la Commission des affaires économiques, la dernière disposition que le gouvernement a choisi dintégrer par amendement : la mise en uvre dun « bouclier qualité-prix », qui est lune des promesses du chef de lEtat. Elle vient parachever lédifice de ce projet de loi en prévoyant une mesure qui sera efficace à très court terme, dès la promulgation de la loi : lorganisation chaque année dans chaque territoire dune négociation pour mettre en place des prix plafonds modérés visant un panier de produits de consommation courante.
Lamendement du gouvernement définit le cadre dans lequel se tiendront ces négociations mais, surtout, elle fixe en quelque sorte une obligation de résultat car faute daboutir, ce sont les préfets qui fixeront par arrêté le prix plafond dun chariot type représentatif.
Mais pour avoir mené une large concertation depuis la fin juin autour de ce projet de loi avec lensemble des acteurs de la vie économique et sociale des outre-mer, avec les élus, je sais que cette disposition, attendue, est impérative.
Chacun doit comprendre en effet que la « vie chère » est un authentique frein au développement des outre-mer. Cest une hypothèque lourde qui pèse sur la croissance de nos territoires, et cela depuis les crises sociales de 2009.
La crise financière que connaissent les économies développées y a sa part, bien entendu, mais la vie chère mine plus quon ne le pense la confiance entre les consommateurs et les entreprises.
Elle alimente une méfiance qui conduit les ménages à moins consommer, à se réfugier pour certains dans lépargne de précaution, pour dautres dans la spirale de lendettement, voire du surendettement.
Elle alimente aussi des mécanismes dalourdissement des coûts salariaux. Ainsi, les risques de boucles prix-salaires sont réels dans les outre-mer et la vie chère en est la cause principale.
Et ce sont les entreprises, leurs investisseurs, leurs salariés, leurs clients qui en pâtissent. Et cest la croissance qui est en panne depuis des mois presque partout dans les outre-mer.
Oui, la question des prix et des coûts se pose à lensemble des agents économiques, et cela dans nimporte quel système. Aussi bien aux entreprises quaux ménages. Les prix élevés des carburants sont par exemple une charge pour tous ! Et lorsque lon sait que les marges des uns sont aussi, en réalité, les coûts des autres, il me paraît clair quil est dans lintérêt de tous que nous puissions aboutir à des résultats concrets.
Voilà donc un texte équilibré dont le but nest pas de laisser croire que les coûts dimportation vont disparaître, ni que tous les prix saligneront un jour, comme par magie, sur les prix de lHexagone. Notre objectif est faire baisser les prix chaque fois que cela sera possible afin de rétablir la confiance de la population dans la loyauté des marges.
Mais si cette loi est une réponse au problème de la vie chère dans les outre-mer, elle nest pas la seule que propose le gouvernement. Cest en effet un plan structuré de lutte contre la vie chère que nous avons initié.
La loi aura son rôle pour transformer à terme les structures, pour agir durablement. Mais à plus court terme, nous ouvrirons très rapidement des discussions, marché par marché, territoire par territoire, pour obtenir des baisses de prix négociées.
Nous lavons déjà fait ces dernières semaines et avec succès :
* sur les tarifs de téléphonie mobile ;
* mais aussi sur la bouteille de gaz à Mayotte que nous avons fait baisser de presque 10 euros, de 36 à 26 euros ;
* et sur les carburants, pas plus tard quhier, pour obtenir un effort des pétroliers de 3 centimes, alors même que tout le monde jugeait cela impossible.
Très rapidement, également, en ce qui concerne les carburants, le projet qui vous est soumis permettra une régulation plus complète en matière de fixation des prix du carburant outre-mer. Dans ce nouveau cadre législatif, nous revisiterons le décret de 2010. Ce nest pas mon décret, je lai suffisamment combattu pour dire aujourdhui quil sera modifié dans le sens dune plus grande transparence et dune discussion approfondie sur les marges consentis aux professionnels.
Avant de conclure, je voudrais évoquer les dispositions du chapitre 2 qui concernent la mise à jour du cadre législatif des outre-mer par la voie de ratification dordonnances, dhabilitation pour des ordonnances nouvelles ou par la validation législative de loi de pays. Elles montrent que lensemble des outre-mer est concerné par le texte même si les collectivités qui relèvent de larticle 74 restent compétentes pour les questions économiques. Elles pourront sinspirer de ce texte pour adapter leur propre législation si elles le souhaitent.
Je voudrais commenter plus particulièrement larticle 8 qui permet à un maître douvrage en outre-mer déchapper à lobligation dassurer 20% du financement de ses projets. Je ferai à ce sujet deux remarques :
* un dispositif dérogatoire existe déjà pour la Corse ; le législateur a donc déjà pris en compte des situations dinsuffisance de ressources de certaines collectivités.
* Il sagit dune possibilité et non dune obligation ; lEtat pourra donc choisir les dossiers prioritaires et nutiliser cette disposition que dans des cas précis : investissement dintérêt public majeur et faibles ressources de la collectivité concernée. (Exemple de louest Guyanais et des communes du fleuve).
Voilà, Mesdames et messieurs les sénatrices et les sénateurs, les points essentiels du texte qui vous est soumis.
Avant de laisser toute sa place à nos échanges, je redis donc quil ne sagit pas dimposer une législation et une réglementation tatillonnes et figées.
Il ne sagit pas davantage de stigmatiser les entreprises doutre-mer qui sont, avec leurs salariés, les créateurs de valeur dans nos territoires.
Nous ne voulons pas réglementer. Nous voulons réguler.
Nous ne voulons pas déconomie administrée, nous voulons davantage de concurrence.
Ce projet de loi cherche simplement à créer des instruments nouveaux de régulation qui nont vocation à nêtre utilisés quen cas de besoin et au cas par cas, secteur par secteur, territoire par territoire.
Il faut aussi faire émerger un véritable contre-pouvoir consommateur, avec des associations de défense qui auront à prolonger les avancées réelles du texte.
Je nignore pas que certaines dispositions inquiètent. Je peux entendre cela. La nouveauté inquiète toujours, surtout quand elle sattaque à des situations qui sont le résultat de sédimentations successives liées à lHistoire et qui restent figées depuis des décennies.
Jentends bien que certains auraient préféré que nous ne fassions rien. Que nous attendions encore avant dagir.
Je crois au contraire que les enjeux nécessitent aujourdhui dagir. Et dagir vite.
Cest tout le sens de la mission que ma confiée le Président de la République et le Premier ministre.
Je vous remercie.
Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 28 septembre 2012