Entretien de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, avec "France Inter - Questions directes" le 5 juin 2001, sur la situation au Proche-Orient, le terrorisme, les relations de l'Union européenne avec Israël et l'Autorité palestinienne, le traité de Nice et l'élargissement de l'Union européenne.

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Q - Au Proche-Orient, pensez-vous que la marge de manuvre se soit élargie ?
R - Ce n'est pas un terme que j'emploierai. J'ai eu plusieurs fois M. Fischer pendant ce week-end, il m'a tenu au courant de ce qu'il voyait, de ce qu'il entendait et de ce que disaient les interlocuteurs. Je dirai les choses un peu autrement. Depuis plusieurs mois maintenant, - depuis fin septembre que cet Intifada s'est développé, que, d'autre part, le corps électoral israélien a basculé complètement et uniquement du côté de l'angoisse sur le plan de la sécurité, et évidemment, ils ont des raisons pour cela -, nous avons un engrenage absolument infernal qui fait que les deux parties sont portées à s'affronter avec une escalade sans fin. Nous mettons en garde depuis des semaines, voire des mois, il faut essayer de retourner cet engrenage.
Q - Vous dites qu'actuellement, ce ne sont plus les politiques qui contrôlent la situation mais que ce sont les opinions publiques ?
R - Non, car du côté israélien, il y a une armée, c'est un Etat organisé, on y reçoit des instructions. Il peut y avoir des surenchères locales, mais enfin, c'est tout de même un système hiérarchique.
Du côté palestinien, c'est beaucoup plus compliqué. Il y a M. Arafat qui garde un prestige historique irremplaçable, inégalé, mais on ne peut pas dire qu'il contrôle tout le système. C'est pour cela qu'à l'heure actuelle, il y a deux signes d'espoir que j'avais relevés avant-hier : d'une part, le gouvernement Sharon se retenait malgré tout, ce qui est assez méritoire compte tenu de ce qu'il représente, de sa base politique et d'autre part, Arafat avait fait des déclarations très claires et très explicites concernant la lutte contre le terrorisme. C'est très bien, on ne peut que les encourager de part et d'autre à rester sur cette ligne : demander à Arafat de faire encore plus d'efforts dans la lutte contre le terrorisme et demander à Israël de continuer à se retenir des représailles annoncées qui ne seraient jamais que l'aggravation de tout le processus.
Q - Est-ce Joschka Fischer qui a convaincu Arafat ? Ce sont des mots qu'il n'avait jusqu'ici jamais employé s'agissant d'un cessez-le-feu immédiat et sans condition ?
R - Lorsqu'il est venu à Paris l'autre jour, sa visite a été un peu noyée dans le flot des informations, et il avait déjà dit des choses plus fortes que d'habitude concernant l'engagement palestinien dans la lutte contre la violence et le terrorisme. Cela se fait par étapes. Je crois comprendre qu'Arafat est gêné de dire des choses trop explicites qui montrent que ses instructions ne sont pas entièrement respectées. On n'a pas forcément intérêt à dévoiler cette relative impuissance. Ce que je veux dire, c'est qu'il faut revenir à l'origine des choses.
Du point de vue israélien, ils ont besoin d'un interlocuteur palestinien ; aujourd'hui, il y a une sorte d'hésitation entre l'utiliser comme interlocuteur malgré tout, et l'autre force que l'on voit s'exprimer consiste à dire que tout cela est de sa faute et qu'il faut l'acculer à la reddition. Il faut faire tomber l'Autorité palestinienne. Ce sont des choses dont on débat dans la presse israélienne. Et je pense que s'ils allaient trop loin dans ce contresens en considérant qu'Arafat est une sorte d'organisateur en chef du terrorisme palestinien, alors que le terrorisme palestinien dissident vise autant Arafat que les Israéliens, c'est une attaque contre sa politique de négociations politiques pour la paix. Si on finit par considérer que c'est de sa faute et qu'il faut le faire tomber, nous allons nous trouver devant un vide, et que fait-on après ? il ne reste plus que la politique de répression, de force à l'infini...
Il y a plus de 500 morts aujourd'hui, on attendra qu'il y en ait combien de milliers pour revenir à la négociation politique ?
Q - C'est justement toute la complexité parce que M. Sharon a besoin d'Arafat comme interlocuteur et en même temps, c'est vrai aussi que le gouvernement israélien et l'armée israélienne exercent une pression terrible qui affaiblit Arafat. C'est assez paradoxal tout de même
R - Exactement. Vous le dites très bien et c'est pour cela que, dans ce contexte, par rapport à cette sorte de tentation très forte de la répression pure et simple, je trouve méritoire que M. Sharon et son gouvernement se soient retenus d'exercer les représailles immenses qu'ils ont annoncées. Mais cela ne suffit pas, il faut qu'à partir de cela et de l'engagement d'Arafat qui est méritoire également pour lui car il a à faire à un peuple palestinien totalement désespéré, totalement déstructuré, les Européens lui demandent 100 % d'efforts. Les Américains et les Israéliens lui demandent sans arrêt des efforts supplémentaires mais les Israéliens ne cessent de démolir et de détruire ses forces de sécurité depuis des semaines. On sait que ce sont ses principaux responsables de sécurité de l'OLP ou du Fatah qui sont les cibles des actions militaires israéliennes précises. Et brusquement, on dit qu'est-ce que c'est que ces forces, il ne contrôle rien. Comment voulez-vous qu'il contrôle alors que ce n'est même pas un Etat, c'est une chose entre les deux. Comment voulez-vous qu'il contrôle un grouillement de forces dissidentes dans une sorte de monde où les gens pensent qu'ils n'ont plus rien à perdre compte tenu des conditions dans lesquelles ils vivent dans les Territoires occupés les 33 années de colonisation...
C'est pour cela que de part et d'autre, on ne leur demande pas la même chose, ils ne sont pas dans la même situation. Mais, de part et d'autre, il faut absolument qu'à partir de cette situation d'hier et d'aujourd'hui, où le pire ne s'est pas produit, qu'ils aillent au-delà et que l'on se retrouve sur le terrain des conclusions de la Commission Mitchell. Transformons cette sorte de retenue précaire en quelque chose qui irait plus loin, un vrai cessez-le-feu dans lequel chacun s'engage. Ensuite, il y a un processus décrit que nous approuvons, l'Europe est complètement engagée.
Q - Vous évoquiez ce qui s'est passé à Paris le 23 mai dernier, lorsqu'Arafat est venu et qu'il a rencontré Lionel Jospin et Jacques Chirac. A propos du rôle de M. Fischer ces dernières heures, l'Europe joue-t-elle un rôle particulier dans ce protocole qui est, pour l'heure, respecté ?
R - Je ne sais pas, ce n'est pas le problème, on est toujours obnubilé par le rôle de l'Europe.
Q - Ce n'est pas une petite question
R - Non, mais il ne faut pas être égocentrique dans cette affaire du Proche-Orient. Ce qui est fondamental, c'est la paix au Proche-Orient. Aujourd'hui, c'est difficile de démêler l'influence des uns ou des autres. Le monde entier s'en mêle, il s'agit de réussir à peser sur les vrais mécanismes internes de la politique israélienne et les vrais mécanismes internes au monde palestinien. Toutes les bonnes volontés sont de mise, il faut une conjonction euro-américaine, je l'ai toujours dit. Si nous ne sommes pas sur la même ligne, nous n'avons aucune chance d'avoir une influence vraie. Si nous sommes sur la même ligne, nous n'en serons même pas sûrs. Il faut que Kofi Annan joue un rôle accru et toutes les autres forces, y compris dans la région. C'est la conjonction qui est importante, ce n'est pas un concours sur les mérites réciproques des uns et des autres.
Q - Mais c'est le poids de l'Europe qui est intéressant
R - Non.
Q - Je vous pose la question parce que les députés sont appelés à se prononcer.
R - C'est le poids combiné qui est important.
Q - On présente aujourd'hui aux députés, le projet de loi de ratification du Traité de Nice. Ils le voteront probablement. Ce traité qui était destiné à élargir l'Europe, certains disent que c'était le moins mauvais traité possible. On a l'impression que l'Europe est une attraction. Lorsque l'on constate ce qui se passe au Proche-Orient, qu'en effet vous pouvez agiter des leviers, on se dit que l'Europe, finalement, ce n'est pas si mal, que cela peut déboucher sur des choses concrètes ?
R - Il ne faut écarter aucun argument mais ce n'est pas à travers la bonne volonté dont ont fait preuve les uns et les autres par rapport au Proche-Orient que l'on va prouver que le Traité de Nice est une avancée. Il faut peut-être être rigoureux dans l'argumentation ; on avait besoin du Traité de Nice car depuis 4 ou 5 ans, les Européens n'avaient pas réussi à se mettre d'accord sur l'amélioration d'un certain nombre de mécanismes institutionnels. Il y avait eu un échec à Amsterdam en 1997 et il était très important de déboucher à Nice comme nous l'avons fait sous notre présidence, dans des conditions ingrates car, discuter de la réforme des institutions, c'est-à-dire le pouvoir de chacun, c'est terrible où que ce soit. Finalement, nous avons réussi, ce qui fait que nous avons un traité qui nous permet d'aborder vraiment la question de l'avenir de l'Europe. Il n'y aurait pas de débat sur l'avenir de l'Europe si nous n'avions pas réussi à Nice à régler ces problèmes en suspens depuis 4 ou 5 ans. Cela permet de gérer correctement la suite de l'élargissement qu'il faut réussir dans l'intérêt des candidats et de l'Union, cela permet d'avoir des améliorations vraies comme les coopérations renforcées, mécanisme qui permet à huit pays de travailler ensemble pour aller plus loin s'ils le veulent.
Je crois que la raison commande de ratifier ce traité.
Q - Le moins mauvais possible dit Alain Juppé, qui est bon connaisseur et qui a beaucoup travaillé là-dessus. Pourquoi cette phrase ?
R - C'est une bonne appréciation. Si l'on compare le Traité de Nice à des rêves sympathiques du genre "Etats-Unis d'Europe", ce n'est rien évidemment, c'est peu de choses. Si on compare cela à l'Europe réelle, telle qu'elle se fait depuis 50 ans, c'est un ensemble de pays différents qui négocient entre eux, démocratiquement et si on compare ainsi, c'est une avancée tout à fait sérieuse après Rome, Maastricht et d'autres. Donc, les choses étant ce qu'elles sont, je pense que, même après s'être beaucoup chamaillés, les gouvernements ont fait preuve d'esprit européen. Et sans reprendre techniquement chacun des points sur la Commission, le Parlement, le Conseil la Pondération etc., je pense que nous avons avancé. On ne peut pas à la fois demander plus de démocratie en Europe et faire la fine bouche lorsqu'il y a des débats démocratiques légitimes entre des représentants légitimes de chacun des peuples qui ont ce grand projet européen. Il faut en passer par-là. Le Traité de Nice nous permet d'avancer et vous verrez d'ailleurs que ceux qui s'y opposeront vraiment seront très peu nombreux car c'est une politique stérile. Elle tente peu de gens, je ne vais pas la pourfendre, mais elle ne déboucherait sur aucun progrès. Il faut donc le prendre pour une étape et nous allons continuer sur ce grand projet de l'Europe que nous sommes censés clarifier et conclure en 2004.
Q - L'Union européenne accorde à l'Etat israélien des privilèges économiques en lui permettant d'écouler sur le marché européen de nombreuses marchandises en particulier d'ordre agricoles, elle accorde également des aides aux Palestiniens. Je suis quand même surpris de constater que l'Union européenne n'utilise pas les moyens de pression économiques dont elle dispose et qui sont considérables pour contraindre Israël à renoncer à sa politique de colonisation des Territoires palestiniens qui sont à la base de l'Intifada actuel. Pourriez-vous m'expliquer pourquoi ?
R - C'est vrai que l'Union européenne joue un rôle économique considérable, par son aide à l'autorité palestinienne, pour les aider à fonctionner et du côté israélien, au travers d'un accord d'association passé entre l'Union européenne et Israël et qui comprend d'ailleurs des clauses politiques sur le respect des Droits de l'Homme. Israël contourne les règles de cet accord sur un certain nombre de points, notamment en présentant sur le marché européen, un certain nombre de produits qui viennent des colonies de peuplement, comme si c'étaient des produits israéliens. Il y a une discussion au sein des Quinze et récemment, compte tenu du fait que les esprits évoluent au sein de l'Union à cause de la situation sur place, pour la première fois, les Quinze se sont trouvés d'accord pour qu'il y ait dans un premier temps des sortes de remontrances qui pourraient déboucher sur des procédures qui ont été exprimées par la présidence suédoise en exercice et par le commissaire européen compétent M. Patten. Il a été dit très clairement aux Israéliens, il y a trois semaines environ, qu'ils violaient les règles et qu'ils mettaient en cause le fonctionnement de cet accord.
Je réponds donc à l'auditeur que l'Europe commence à réagir et que tout le travail pédagogique et politique fait par la France depuis plusieurs années commence à porter ses fruits pour que l'Europe ose avoir le courage d'exister plus au Proche-Orient. En général, elle n'est bloquée que par ses propres appréhensions. En général, les Européens ne veulent mécontenter personne et il ne reste rien comme politique commune. Nous essayons d'avoir une politique plus forte pour la paix. Faut-il aller au-delà à ce stade ? Je n'en suis pas sûr, je ne suis jamais partisan, de façon générale, des sanctions économiques, je pense que cela ne marche pas. Il n'y a presque aucun exemple depuis 20 ou 30 ans où cela a donné de bons résultats, mis à part, le cas très particulier de l'Afrique du sud où j'étais il y a 4 jours avec Lionel Jospin. C'est un exemple intéressant mais tous les autres cas démontrent l'inverse. Je ne vais pas changer d'avis, brusquement, parce que la situation est effectivement intolérable au Proche-Orient et parce qu'effectivement, la politique de colonisation menée sans désemparer depuis 33 ans par tous les gouvernements israéliens est une erreur majeure et l'une des causes profondes de tout ce qui se passe. Mais je ne crois pas qu'il faille brusquement revenir à une politique schématique. Il faut avoir une pression, il faut un dialogue politique et tenter, comme nous le disions tout à l'heure, de passer de cette attente, ce calme précaire, à l'enclenchement des conclusions de la Commission Mitchell.
Q - La Communauté européenne vient d'accorder 60 millions d'euros pour six mois à l'Autorité palestinienne. Quel sera le contrôle sur cet argent et celui déjà donné ? Est-ce pour acheter des armes que M. Arafat a besoin d'argent et est-ce pour tuer des jeunes Israéliens qu'il va utiliser cet argent ? Il est certain que, depuis 1948, si les Palestiniens avaient accepté l'Etat qui leur était accordé par l'ONU, il y aurait actuellement un Etat et nous nous apercevons aujourd'hui que les Palestiniens ont pour seul but d'éliminer Israël de la carte du monde et non pas de créer un Etat.
R - De même que je faisais remarquer il y a un instant que dans le cadre de son accord d'association avec Israël l'Europe se montrait maintenant plus exigeante pour que les règles de l'accord ne soient pas tournées alors qu'elles le sont pour le moment, de même en ce qui concerne l'aide importante de l'Union européenne à l'Autorité palestinienne, je voudrais dire d'ailleurs qu'il n'y a jamais eu un seul euro qui ait pu être utilisé à autre chose qu'à une action administrative, économique, sociale ou humanitaire d'urgence dans les Territoires occupés. Evidemment, il n'y a jamais aucun mécanisme d'aide de l'Union européenne qui puisse conduire à l'achat d'armes quelles qu'elles soient, c'est une parenthèse.
L'aide européenne est de plus en plus assortie de contraintes et de conditions complémentaires pour que cette aide soit correctement employée. Je veux dire que nous faisons tout pour qu'elle ne soit pas gaspillée, que cela permette à l'Autorité palestinienne de se développer et d'exercer ses fonctions d'embryon d'Etat dans des conditions correctes, lutter contre la corruption. Mais du point de vue palestinien, c'est très difficile de faire fonctionner cet embryon d'Etat dans ces conditions et sous cette pression. On sait bien que ce n'est pas encore le cas et on ne peut pas s'attendre à ce qu'il fonctionne comme un Etat d'Europe occidentale. L'Union européenne fait tout pour que cet argent soit utile. Je peux comprendre la réaction de l'auditeur que l'on vient d'entendre, mais l'essentiel est de sortir de tout cela. Il faut un jour un Etat palestinien viable qui puisse fonctionner et un peuple israélien qui se sente en sécurité avec ce voisin et les Palestiniens ont aussi besoin d'être en sécurité. Aujourd'hui, nous sommes "au pire du pire", cela n'a jamais été aussi effrayant depuis 10 à 15 ans. On a à faire à des Israéliens qui sont maintenant paniqués sur le plan de la sécurité, quitte à soutenir des politiques qui sans doute ne peuvent pas résoudre fondamentalement cette question de sécurité car seule une approche politique le permettrait. Et nous avons à faire à des Palestiniens totalement désespérés, prêts à tout.
Q - 70 % de l'opinion palestinienne serait favorable aux attentats suicides, c'est un sondage effectué ces derniers jours dans les Territoires.
R - Je crains vraiment, mais on ne le dit pas depuis l'attentat effrayant de vendredi, on le dit depuis des mois, je crains qu'il y ait une sorte de fuite palestinienne dans le désespoir. Il faut voir ce que c'est. N'importe quelle personne qui s'y rend, même des gens profondément amis d'Israël, qui sont viscéralement attachés à la sécurité d'Israël, ce qui est notre cas, nous ne pouvons pas voir la vie dans les Territoires occupés sans être épouvantés en fait. Il faut donc absolument trouver une sortie politique qui assure enfin la paix et la sécurité à ces deux peuples qui seront toujours l'un à côté de l'autre.
Q - Pourquoi oblige-t-on l'Etat d'Israël à négocier avec des terroristes ? Avec M. Arafat dont on voit bien qu'il peut agir puisqu'il y a quand même un début d'accalmie, donc lorsqu'il veut, il peut faire taire les terroristes. Je rappelle qu'il y a quelques mois, au moment du début des hostilités, il avait lui-même libéré des chefs du Hamas des terroristes, donc il est directement responsable. Je me demande pourquoi on demande à Israël qui est une démocratie, ce qui gêne beaucoup d'ailleurs tous les Etats autour qui ne sont pas des démocraties, de négocier avec le terrorisme et avec les chefs terroristes alors qu'en Europe, nous avons pour principe de ne pas négocier avec les terroristes.
R - Ce sont des dirigeants israéliens qui sont arrivés à la conclusion, il y a longtemps maintenant, qu'Israël devait négocier avec les Palestiniens et cesser de considérer que ce n'étaient que des terroristes et que par conséquent ils étaient récusés. C'est le mérite extraordinaire et le courage politique immense de gens comme Rabin pour ne citer que lui mais c'est vrai de beaucoup d'autres et notamment de beaucoup d'anciens généraux israéliens venus à la politique qui sont arrivés à la conclusion qu'il n'y avait pas d'autres solutions pour la sécurité en Israël que de négocier à un moment donné. La politique française préconisait cela pendant très longtemps, le premier ayant été François Mitterrand en disant qu'un jour ou l'autre, les combattants devront se parler et on ne choisit pas la personne avec qui on discute dans ces conditions historiques.
M. Sharon n'écarte pas complètement l'idée de reprendre une négociation politique. Il n'y a pas d'interdit absolu dans son esprit et surtout les autres. Quant à M. Barak, on a vu que cela n'a pas marché pour toutes sortes de raisons qui tiennent à la fois aux deux parties. C'est tout à fait désolant que cela n'ait pas marché, mais l'idée d'avoir à négocier, à discuter est devenue évidente pour les responsables israéliens. Ce n'est pas le monde extérieur qui impose cela. Après il y a le comment, dans quelles conditions, bien sûr.
Quant au contrôle de la situation par Arafat, je ne crois pas que cela se présente exactement comme le pense cette auditrice. Il y a un combat terrible au sein du monde palestinien, et le combat du Hamas - pour ne citer que cette organisation mais il y a un grouillement d'organisations plus petites qui ne sont pas contrôlées -, c'est la vie du terrorisme au sein du monde palestinien car il y a des parties extrêmes qui contestent précisément le chemin vers la paix qui a été fait par M. Arafat depuis plus d'une dizaine d'années. C'est une protestation très violente et c'est un contresens tragique dans ses conséquences et dans sa stérilité que de considérer qu'Arafat est le chef de tout cela et qu'il peut commander tout cela comme si c'était la police suisse. Ce n'est pas vrai, c'est un monde déstructuré un monde de violences. Tout ce qui se passe dans les Territoires occupés, toutes ces colonisations, le bouclage des territoires, l'empêchement du travail quotidien, le refus de payer à l'Autorité palestinienne ce qu'on lui doit, tout cela ne fait que porter la tension à des points plus extrêmes. M. Arafat doit se battre sur plusieurs fronts et c'est pour cela que je disais tout à l'heure que c'est légitime de lui demander 100 % d'efforts dans la lutte contre le terrorisme en sachant que cela l'amène à s'affronter avec des représentants d'autres partis de son propre peuple, même si c'est lui le leader principal, mais on ne peut pas, - ce serait une erreur terrible, même du point de vue israélien qui se retrouverait dans un vide politique -, on ne peut pas le considérer comme étant le chef d'actions terroristes. Ce terrorisme dissident est dirigé autant contre Israël que contre lui, contre sa politique, contre son courage politique vers la paix depuis 10 ans. Mais simplement, nous n'en sommes pas au terme encore. Il faut penser à des solutions de fond qui puissent tenir et pas seulement à des réactions de circonstances.
Q - Pourquoi s'obstine-t-on à traiter de terroristes des gens qui luttent depuis 34 ans pour la libération de leur territoire alors que dans le même temps, on a appelé résistants, les gens qui faisaient la même chose pendant la guerre de 1940 en France. Autant qu'il m'en souvienne, l'Allemagne pour les Allemands était aussi une démocratie, elle ne l'était pas pour les autres ?
R - La variété des questions, de leur point de vue est très révélatrice. Je pense que c'est aussi un souci d'équilibre louable de votre part. Cela correspond à une réalité sans doute.
Q - Pas du tout, et sachez que les questions arrivent dans la continuité et qu'il n'y a pas de notre part jamais de volonté de les classer.
R - C'est d'autant plus frappant alors, c'est d'autant plus significatif.
Il est certain que si on prend des points de vue catégoriques dans un sens ou d'ans l'autre, que fait-on ensuite, à quoi sert-on ?
Il faut sortir de ce piège, les peuples palestiniens et israéliens sont dans des pièges historiques pour des tas de raisons. Ils seront toujours là, les uns à côté des autres. La seule solution, et la politique française vise à hâter le jour où on y revient, en diminuant le temps pendant lequel il y a tous ces malheurs effrayants supplémentaires, c'est de revenir à une négociation politique, il n'y a pas d'autres solutions. Il faut qu'ils réussissent à renégocier. Et sur le plan extérieur, les Etats-Unis, la Russie, l'Europe, l'ONU, l'Egypte tous ceux qu'on veut, d'autres pays doivent recréer les conditions, car aujourd'hui, les conditions du dialogue politique n'existent plus. Il faut commencer par des mesures d'urgence comme l'arrêt de l'engrenage de la violence, transformer ce calme précaire momentané dont j'espère qu'il n'annonce pas la tempête en quelque chose de plus positif, c'est-à-dire un cessez-le-feu, se retrouver sur le terrain des conclusions de la Commission Mitchell, et entamer le processus de rétablissement des mesures de confiance. La Commission Michel a eu le courage de désigner la politique de colonisation, y compris la pseudo croissance naturelle des colonies, comme un vrai problème, de même qu'elle a pointé du doigt toutes les formes de violence qui viennent des différents compartiments du monde palestinien. Ensuite, il faut le plus vite possible rétablir une discussion politique car ce n'est pas soluble par la violence, il y aura toujours des Israéliens et des Palestiniens. Notre politique ne vise qu'à cela, précipiter ce moment, et ce n'est pas en accusant l'un ou l'autre, en reprenant l'engrenage historique que l'on trouve une solution pour maintenant. L'urgence est de transformer ce calme précaire en un début d'application des conclusions de la Commission Mitchell.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 06 juin 2001)